Transversal n° 2019 du 01/07/2019

 

Paro et implant

Benjamin CORTASSE  

Exercice libéralPernes les Fontaines (84)

La perte d'une dent en secteur esthétique se révèle être un élément autant délicat et stressant pour le clinicien que pour le patient. Le remplacement d'une incisive antérieure par un implant fait appel à de nombreux paramètres biologiques, esthétiques et fonctionnels. Même s'il demeure un objet de débat, cet acte peut être abordé de manière plus sereine dans notre pratique quotidienne. L'utilisation d'outils de simulation numérique de la situation finale souhaitée permet de...


La perte d'une dent en secteur esthétique se révèle être un élément autant délicat et stressant pour le clinicien que pour le patient. Le remplacement d'une incisive antérieure par un implant fait appel à de nombreux paramètres biologiques, esthétiques et fonctionnels. Même s'il demeure un objet de débat, cet acte peut être abordé de manière plus sereine dans notre pratique quotidienne. L'utilisation d'outils de simulation numérique de la situation finale souhaitée permet de pré-visualiser le résultat final et de pouvoir discuter de celui-ci avec le patient. La planification chirurgicale et prothétique qui en découle est un pré-requis à toute réalisation. De plus, l'utilisation de la chirurgie guidée permet de s'assurer du bon positionnement de l'implant. Afin de satisfaire à la contrainte esthétique, une technique de mise en esthétique particulière, grâce à l'utilisation du modèle alvéolaire analogique, permet également d'optimiser la géométrie de la prothèse provisoire. La prothèse définitive devra quant à elle reproduire ce profil et faire appel à des solutions techniques appropriées au cas clinique.

La problématique du remplacement d'une dent à extraire en secteur esthétique par une solution implantaire fait débat depuis longtemps dans la littérature. Cette thérapeutique doit tenir compte de nombreux facteurs pour obtenir un résultat optimal. Dans la pratique moderne de la dentisterie, de plus en plus de patients exigent des résultats de traitement hautement esthétiques. Afin d'améliorer l'attractivité du sourire, les cliniciens doivent procéder à une évaluation faciale et dentaire complète qui analysera le sourire et le visage de manière objective et normalisée, en tenant compte des facteurs d'insatisfaction et d'inquiétude du patient. Les critères fondamentaux de l'analyse esthétique devraient inclure les esthétiques faciales, dento-gingivales et dentaires [1].

Ces dernières années, plusieurs logiciels pour la conception numérique du sourire (DSD) ont été introduits dans la pratique et la recherche cliniques. Ce sont des outils conceptuels à usage multiple qui peuvent renforcer la vision diagnostique, la communication et la prévisibilité du traitement, en permettant une analyse minutieuse des caractéristiques faciales et dentaires du patient qui auraient pu être ignorées par des procédures d'évaluation cliniques, photographiques ou de diagnostic [2, 3].

Le premier élément important nécessaire à la prise de décision est de connaître la situation initiale, bien entendu, mais également le traitement final désiré.

Depuis quelques années maintenant, le Digital Smile Design (DSD), introduit par Christian Coachman [2], représente une solution fiable, éprouvée et pratique, de manière à simuler une restauration esthétique idéale, via une méthodologie numérique, en se fondant sur un protocole de photos de haute qualité statique mais également de vidéos dynamiques. Le DSD nous permet d'assurer la prévisibilité du résultat final à l'aide d'outils de calibration.

Grâce à la pré-visualisation du résultat final, comparativement à la solution initiale, il est ainsi plus aisé de mettre en évidence le diagnostic réel de la situation clinique initiale et d'objectiver notre plan de traitement afin de mieux définir les différentes étapes nécessaires. Les mesures peuvent également être faites de manière précise et transmises au laboratoire de prothèses afin de permettre une exécution raisonnée du projet prothétique.

La patiente que nous allons traiter se présente donc à la consultation avec une incisive centrale maxillaire gauche fracturée (fig. 1). Grâce à l'étude numérique, nous pouvons observer également les récessions sur l'incisive latérale supérieure gauche ainsi que sur la canine et les quantifier de manière précise. De plus, l'incisive centrale maxillaire droite présente une ligne de fissure longitudinale allant de vestibulaire à palatin. Il apparaît également que, en terme de proportion, les incisives centrales maxillaires nécessiteraient une harmonisation du bord libre.

Cette analyse est réalisée, après la consultation, sans le patient mais avec tous les éléments nous permettant de poser de manière sereine le plan traitement le plus adapté.

Ici, nous planifions une greffe gingivale au niveau de la 22 et de la 23 ainsi que de la 21. L'extraction de la 21 devra être réalisée et un implant sera mis en place associé à la mise en place d'une dent provisoire esthétique immédiate afin de remplacer cette dent. Concernant l'incisive centrale droite, il est convenu de réaliser une coiffe périphérique qui sera collée afin d'assurer un effet de cerclage limitant le risque de progression du trait de fissure. Ces données sont transmises au laboratoire de prothèses, mais également au centre de planification (fig. 2).

Un fichier numérique simulant la forme ainsi que la position idéale de la restauration prothétique est réalisé. Celui-ci est issu de l'analyse esthétique, du design idéal souhaité et de la réalisation du wax up numérique permettant l'obtention d'un fichier numérique (STL). Celui-ci est superposé avec le fichier issu de l'imagerie 3D (Dicom), sur lequel le positionnement de l'implant a été planifié. Le positionnement idéal de l'implant est une composante très bien documentée dans la littérature et répondant à divers critères [4].

Grâce à la superposition de ces deux fichiers, il est alors possible de générer un guide chirurgical.

Les avantages du positionnement d'un implant par chirurgie guidée font l'objet d'un consensus [5]. En effet Van Asche et al., en 2012, ont fait une synthèse de l'ensemble des travaux, faisant l'objet d'une conférence de consensus lors de l'EAO.

Cette solution technique nous permet d'envisager, dans cette zone délicate, le positionnement de l'implant de manière plus prédictive, précise, rapide, mais également avec un facteur stress moins important.

Différents systèmes de chirurgie guidée existent sur le marché, se différenciant par les logiciels de planification, la technique de fabrication de guide et les séquences de forage par le dispositif de fixation du guide en bouche.

Dans ce cas précis, nous avons choisi d'utiliser un guide Mguide, proposé par la société Mis Implants, offrant de nombreuses surfaces d'appui dentaire et assurant ainsi une grande stabilité, donc une meilleure précision.

Après validation par le clinicien, le guide est imprimé numériquement. Celui-ci est ensuite livré par le laboratoire, de même que la restauration provisoire (fig. 3).

Lors de l'intervention chirurgicale, nous allons réaliser une augmentation de l'épaisseur tissulaire ainsi que le recouvrement des récessions au niveau des incisives et des canines, en utilisant une technique de tunnelisation [7]. Cette technique nous permet d'éviter la section des papilles, limitant ainsi le risque esthétique en zone antérieure.

L'utilisation de lames de microchirurgie dédiées (Viperblade, MJK Instruments) nous permet, sous aide optique, de réaliser en demi-épaisseur un tunnel dans lequel nous insérons un greffon autogène (fig. 4). La réalisation du tunnel est plus aisée lorsque la dent est encore présente sur l'arcade (fig. 5). En effet, dans ce cas, la progression de la lame dans l'épaisseur des tissus est guidée par la présence de la couronne et de la racine.

Nous pouvons à présent réaliser l'extraction de la dent de manière la moins traumatique possible afin de réduire le trauma sur les tissus durs et mous. Après un curetage minutieux de l'alvéole, le positionnement de l'implant doit respecter la séquence de forage définie par le fabricant.

Le positionnement final de l'implant est lui-même réalisé à travers le guide (fig. 6). Cela nous permet notamment, dans les cas de réhabilitation en secteur antérieur, d'éviter la déviation de l'implant par une corticale osseuse palatine lors de son positionnement final.

La position finale répond aux critères tridimensionnels idéaux. À ce stade, on peut noter l'absence de lésion au niveau des tissus périphériques (fig. 7).

Un greffon conjonctif est inséré dans le tunnel à l'aide de fils de suture afin de faciliter sa manipulation et d'optimiser son positionnement. L'espace libre entre l'implant et la paroi osseuse vestibulaire est comblé à l'aide d'un matériau allogénique (Bio-Oss, Geistlich) (fig. 8).

La réalisation de la prothèse provisoire requiert une attention particulière dans la détermination du profil d'émergence qui assurera le maintien morphologique des tissus péri-implantaires. La création de ce profil d'émergence idéal nécessite une attention particulière en raison des nombreuses variables susceptibles de survenir. Une solution simple et efficace consiste à solidariser la prothèse provisoire, réalisée avant la chirurgie, avec un pilier provisoire de mise en esthétique immédiate. Ces deux éléments sont solidarisés en bouche grâce à l'utilisation de matériaux résineux composite, avant d'être ajustés et polis. Une autre solution consiste à réaliser un modèle alvéolaire permettant de mieux comprendre les contours fondamentaux du profil d'émergence [6].

Le modèle a été réalisé au moyen de la racine naturelle de la dent extraite, selon une méthodologie citée dans différents articles [7-9].

Élaboration du modèle alvéolaire (fig. 9)

1. Avant l'extraction, une empreinte de la dent est réalisée avec un matériau silicone afin d'obtenir une réplique exacte de la situation intra-buccale.

2. Après extraction de la dent, une fine pellicule de cire est appliquée sur la racine pour éviter toute rétention et permettre un retrait facile.

3. La dent est alors remise en position dans l'empreinte (fig. 10) et le plâtre est coulé.

4. À l'aide d'une fraise à plâtre, le socle du modèle est réduit de façon à visualiser l'apex de la racine (fig. 11). En utilisant de la vapeur et un instrument, la racine est repoussée hors du modèle.

5. La reproduction exacte de la situation clinique est ainsi obtenue (fig. 12).

6. Après la pose de l'implant, un transfert est mis en place sur celui-ci et solidarisé aux dents adjacentes à l'aide de résine (LuxaBite, DMG). Ce guide doit permettre le bon repositionnement de l'ensemble transfert-réplique. Il convient donc de s'assurer de sa stabilité (fig. 13).

7. Grâce aux appuis sur les dents adjacentes, l'ensemble réplique-implant est positionné dans l'alvéole sur le modèle en plâtre, dans une position strictement identique à la situation intra-buccale. Des espaces internes au niveau de la racine sur le modèle sont réalisés à l'aide de fraises diamantées, de façon à faciliter la mise en place du transfert implant. Ces retouches ne doivent bien entendu pas toucher les 4 premiers millimètres au-dessus du rebord gingival.

8. Le guide en résine acrylique étant positionné (fig. 14), il convient alors de le fixer au modèle en utilisant de la résine et/ou du plâtre en petite quantité.

La limite du comblement doit se situer au moins à 4 mm du rebord vestibulaire (fig. 15).

Travail sur le profil d'émergence (fig. 16)

Il s'agit, dans un premier temps, de marquer la zone du rebord gingival de la prothèse provisoire livrée de manière à l'adapter à la situation anatomique. Ainsi se définit le niveau supérieur de la zone critique de notre restauration. La partie supérieure de cette zone critique se situe 1 mm plus apicalement.

Au-dessous de ses deux zones marquées se situe la partie sous-critique. Dans cette zone, du côté vestibulaire, nous réalisons une concavité ménageant un espace pour la greffe de tissu conjonctif et la formation du caillot permettant l'obtention d'un tissu péri-implantaire stable.

Au niveau proximal, il suffit de réaliser une transition douce sans création d'un angle vif, tout en évitant de créer un profil trop concave qui pourrait entraîner un non-maintien de la papille proximale.

Dans la zone critique, un excès de tension entraînera une migration apicale de la limite gingivale et nous pouvons jouer sur le profil concave vestibulaire de manière à permettre un déplacement horizontal des tissus.

Un polissage minutieux est ensuite réalisé (fig. 17), puis la dent est insérée en bouche.

À 7 jours post-opératoires, l'intégration esthétique de la restauration provisoire sur implant ainsi que la cicatrisation des sites greffés correspondent aux objectifs définis par la planification digitale (fig. 18 et 19).

À 4 mois post-opératoires, la préparation ainsi que la couronne provisoire sur la 11 sont réalisées, puis l'empreinte des deux incisives centrales. Lors de cette étape, nous réalisons un transfert personnalisé anatomique permettant l'enregistrement trans-gingival de manière précise (fig. 20 à 22).

Le travail de laboratoire est alors commencé (laboratoire Ph. Llobell, Saint Didier, France) : la restauration céramique stratifiée Lisi (GC), sur armature usinée zircone MO (GC Milling Center Leuven). La zircone est utilisée pour fabriquer le pilier sur connexion métallique préfabriquée (Tibase).

Afin d'offrir plus de place et de translucidité pour le montage de la céramique, le laboratoire choisit d'utiliser un pilier avec une angulation du puits de vissage déportée en palatin. Cette solution est souvent envisagée lorsque l'axe implantaire ne correspond pas à l'axe prothétique ; cela n'était pas le cas dans cette situation mais ce choix a été fait uniquement à visée cosmétique (fig. 23).

Lors de la mise en place des prothèses définitives, nous pouvons noter la qualité et la quantité de tissu mou autour de nos restaurations sur les dents naturelles mais également autour de l'implant. Les tissus ne présentent aucun signe d'inflammation et ont été maintenus dans la position définie par la réalisation de la prothèse provisoire (fig. 24 à 26).

Conclusion

Le résultat final de ce cas est satisfaisant. La procédure initiale de design numérique nous a permis de pré-visualiser nos résultats et de nous donner une feuille de route à suivre.

Associée à la planification chirurgicale, la planification digitale nous a permis de générer un guide chirurgical assurant un positionnement rapide et fidèle de l'implant. La réalisation du modèle alvéolaire a permis d'obtenir un excellent contour des tissus péri-implantaires.

L'esthétique des tissus mous autour des restaurations sur implants peut être améliorée par le biais de modifications du contour du pilier ou de la couronne supportée par l'implant. Les effets de ces modifications varient selon que les modifications du contour sont appliquées à un contour critique ou à un contour sous-critique car les deux ont des implications cliniques significatives. Dans les cas où la pose de l'implant est idéale, la modification des contours critiques et sous-critiques peut optimiser le résultat clinique en créant un meilleur profil des tissus mous.

Les restaurations fabriquées en CFAO et le travail de céramique effectuée ont répondu aux attentes du patient.

C'est donc la combinaison de gestes cliniques précis, associés à la connaissance et à l'utilisation d'outils numériques et analogiques, qui doit permettre aux cliniciens d'aborder de manière prédictible, reproductible et sereine les restaurations implantaires en secteurs antérieurs.

Remerciements

Au Laboratoire Ph. Llobell, Saint Didier, et au Dr Julien Brun, chirurgien dentiste, Pernes les Fontaines.

Liens d'intérêts :

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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