Occlusodontie
Pourquoi l'articulateur virtuel connaît-il et connaîtra-t-il un franc succès auprès des chirurgiens-dentistes ? Parce que le praticien n'a aucune manipulation à effectuer, c'est l'ordinateur qui s'en charge. Encore faut-il que le programme informatique réponde aux attentes prothétiques et que le manipulateur sache s'en servir ! Ce dernier, qui devrait être le chirurgien-dentiste, est bien souvent le prothésiste qui reçoit l'information scannée par le praticien....
Résumé
Le protocole de la CFAO inclut dans son programme informatique l'articulateur virtuel. Pour l'utiliser correctement, il est nécessaire de comprendre la mécanique de l'articulateur conventionnel et les concepts occluso-prothétiques indispensables pour construire chaque type de prothèse fixée, amovible complète et/ou partielle. Le but de cet article est de mettre en garde les confrères sur la relative facilité à utiliser un articulateur virtuel, en général relégué au prothésiste qui doit prendre des décisions thérapeutiques à la place du chirurgien-dentiste.
Pourquoi l'articulateur virtuel connaît-il et connaîtra-t-il un franc succès auprès des chirurgiens-dentistes ? Parce que le praticien n'a aucune manipulation à effectuer, c'est l'ordinateur qui s'en charge. Encore faut-il que le programme informatique réponde aux attentes prothétiques et que le manipulateur sache s'en servir ! Ce dernier, qui devrait être le chirurgien-dentiste, est bien souvent le prothésiste qui reçoit l'information scannée par le praticien.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Parce que l'occlusodontie est devenue un sujet tabou. Les confrères ont été découragés par la sophistication des articulateurs et par leur protocole de programmation de plus en plus compliqué. Au fil du temps odontologique, les articulateurs sont devenus ajustables, adaptables, semi-adaptables pour redevenir totalement adaptables. Leurs programmations sont passées des cires intra-buccales au pantographe mécanique puis électronique et, enfin, aux axiographes mécaniques puis électroniques [1-13].
Le matériel fabriqué maintenant est de plus en plus alambiqué. Les enregistrements de la cinématique mandibulaire font appel à un matériel électronique de haute précision dont l'investissement est incompatible avec une utilisation journalière au cabinet dentaire. L'électronique inutile a supplanté la réflexion clinique. Pourtant, la compréhension de la mécanique occlusale conduit vers la simplification. Il est inutile de compliquer quand tout est assimilé. Encore faut-il que cela le soit [14] !
Est-il encore nécessaire, à notre époque, d'apprendre la manipulation d'un articulateur conventionnel alors qu'il existe maintenant des articulateurs virtuels pour la construction des prothèses en CFAO ? Pour la majorité des chirurgiens-dentistes qui n'utilisent pas d'articulateur, l'articulateur virtuel ne présente que des avantages. Il ne nécessite pas d'investissement puisqu'il est incorporé dans le système CFAO ; le montage des modèles maxillaire et mandibulaire se réalise sans arc facial et sans plâtre ; il peut se programmer virtuellement. Mais l'utilisation raisonnée d'un articulateur virtuel passe inévitablement par la nécessité de comprendre la mécanique occlusale reflétée plus concrètement par l'articulateur conventionnel. En effet, sa prise en main ainsi que sa manipulation – en modifiant les réglages des pentes condyliennes et des déplacements latéraux – permettent de matérialiser non seulement la cinématique de l'articulateur mais également celle des articulations temporo-mandibulaires du patient. Il ne faut pas tomber dans le piège du « prêt à porter » lors de la confection d'une prothèse, quelle qu'elle soit.
D'autant que l'analyse occlusale pré-prothétique indispensable avant la confection d'une prothèse de grande étendue est sous la responsabilité du chirurgien-dentiste qui la réalise habituellement sur un articulateur conventionnel. Cela lui permet d'élaborer son plan de travail et de le présenter au patient afin qu'il en comprenne la finalité. Tandis qu'avec l'articulateur virtuel, c'est bien souvent le prothésiste qui s'en charge quand il a reçu l'image des modèles préalablement scannés au cabinet dentaire. La représentation virtuelle, aussi belle soit-elle, ne matérialise pas concrètement la chronologie et la finalité du traitement que le patient aura plus de difficultés à comprendre [15-17].
Quel que soit l'articulateur utilisé, réel ou virtuel, deux questions sont essentielles à se poser.
– Dois-je construire ma prothèse en inter-cuspidation maximale habituelle ou en inter-cuspidation maximale en relation centrée ?
– Dois-je programmer l'articulateur ?
Il fut un temps, celui des gnathologistes, où l'occlusion prothétique était systématiquement construite en relation centrée qui se voulait, à l'époque, être la position condylienne la plus reculée dans la cavité articulaire [1-3]. Les études anatomo-physiologiques ont, depuis, contrecarré cette affirmation aberrante. Sachant que, dans la normalité, les contacts dentaires ne durent que 30 minutes par 24 heures, les concepts occluso-prothétiques modernes font plus appel à la réflexion qu'à une rigueur technologique systématique.
C'est l'étendue de l'édentement ou le nombre de dents à restaurer qui induisent le choix de la construction prothétique soit en inter-cuspidation maximale habituelle, soit en inter-cuspidation maximale en relation centrée [17].
En prothèse fixée, l'inter-cuspidation maximale en position de fermeture habituelle est employée pour les reconstructions unitaires ou pour des bridges unilatéraux de 3, voire 4 éléments. En prothèse amovible partielle, c'est le rétablissement de la fonction occlusale de l'édentement en classe II, III ou IV de Kennedy [17, 18].
En prothèse fixée, il s'agit soit d'une prothèse de grande étendue, soit de reconstructions prothétiques unitaires plurales dont la répartition sur les arcades dentaires modifie, pour l'une ou pour les autres, les contacts dentaires postérieurs. En prothèse amovible partielle, c'est la compensation d'un édentement de classe I de Kennedy. En prothèse amovible totale, c'est une évidence par l'absence de référence dentaire qui ne donne pas le choix [17-22].
La comparaison du montage des modèles entre l'articulateur conventionnel et l'articulateur virtuel permet de mettre en évidence les avantages et les inconvénients de l'un et de l'autre.
La configuration des arcades dentaires maxillaire et mandibulaire nécessite leur prise d'empreintes et leur coulée en plâtre.
L'anatomie des arcades dentaires maxillaire et mandibulaire est enregistrée à l'aide d'un scanner intra-oral [23] (fig. 1).
L'empreinte virtuelle, malgré le coût du matériel d'enregistrement, offre un avantage certain en simplifiant le protocole de prise d'empreinte et en supprimant les éventuelles erreurs dues aux matériaux à empreinte et à la coulée du plâtre. Le chirurgien-dentiste voit d'emblée la configuration des arcades dentaires qui ne nécessite pas l'aide du prothésiste.
Quel que soit le type d'articulateur, le montage du modèle maxillaire répond toujours au même protocole. L'arc facial enregistré sur le patient permet de positionner le modèle en plâtre de l'arcade maxillaire dans la même situation anatomique par rapport au plan de référence axio-orbitaire. Du plâtre Snow White permet d'agréger ce modèle sur la branche supérieure de l'articulateur [5, 6] (fig. 2).
Dans le programme informatique de la CFAO, l'articulateur est visualisé sur l'écran de l'ordinateur. Le modèle maxillaire, préalablement enregistré, est centré sur la table de montage virtuelle à l'aide d'une cible calibrée qui comporte des mires horizontales et transversales permettant de centrer le modèle maxillaire [23] (fig. 3).
Le montage du modèle maxillaire sur l'articulateur virtuel est grandement simplifié. Il ne nécessite pas l'enregistrement de l'arc facial, le transfert sur la branche supérieure de l'articulateur et le montage à l'aide de plâtre. Mais cette simplification perd en précision. En effet, la cible calibrée faisant un angle de 10o immuable par rapport au plan axio-orbitaire ne permet pas une situation précise du modèle maxillaire par rapport au plan de référence.
Une expérimentation permet de mettre ce problème en évidence. Un modèle en plâtre est monté sur la branche supérieure de l'articulateur à l'aide de l'arc facial préalablement enregistré sur un patient. Une table de montage faisant un angle de 10o par rapport au plan axio-orbitaire est ensuite agrégée sur la branche inférieure de l'articulateur. Cette expérimentation met en évidence l'erreur faite avec l'utilisation systématique de la table de montage. Cette erreur, qui a une incidence sur la situation spatiale du modèle maxillaire monté sur l'articulateur, induit une dysharmonie mécanique entre le guidage dentaire antérieur et la cinématique condylienne (fig. 4).
Le modèle en plâtre de l'arcade mandibulaire du patient est positionné en inter-cuspidation maximale selon un rapport cuspides/fosses sur le modèle en plâtre de l'arcade antagoniste maxillaire préalablement montée sur la branche supérieure de l'articulateur. Du plâtre Snow White permet de solidariser le modèle mandibulaire sur la branche inférieure de l'articulateur [5, 6] (fig. 5).
L'inter-cuspidation maximale habituelle du patient ayant été enregistrée au scanner intra-oral lors de la saisie des images, le modèle mandibulaire virtuel s'intègre d'emblée sur le modèle maxillaire positionné sur l'articulateur virtuel [23] (fig. 6).
Le montage du modèle mandibulaire sur l'articulateur virtuel ne nécessite pas l'emploi de plâtre. C'est un avantage car l'expansion du plâtre Snow White, même minime, nécessite de maintenir fermement le modèle mandibulaire et la branche inférieure de l'articulateur pendant toute la durée de sa prise. Malgré cette précaution, le montage est quelquefois faussé, ce qui nécessite de refaire le montage du modèle mandibulaire.
L'utilisation de l'articulateur virtuel, qui ne nécessite pas l'utilisation de plâtre, fait gagner un temps précieux à son utilisateur.
Que l'on utilise l'articulateur conventionnel ou l'articulateur virtuel, l'enregistrement préalable d'une cire de relation centrée est indispensable. Une feuille de cire Moyco est ramollie dans de l'eau à 52 degrés et découpée en fonction de la configuration des arcades dentaires. Elle est insérée en bouche puis la mandibule du patient est manipulée en relation centrée, sans forcer, jusqu'à l'indentation de la cire [5, 6] (fig. 7).
Cette cire, positionnée sur le modèle en plâtre de l'arcade maxillaire précédemment montée sur la branche supérieure de l'articulateur, permet de relier les modèles maxillaire et mandibulaire entre eux dans le rapport intermaxillaire défini par l'enregistrement en relation centrée. Le modèle mandibulaire est ensuite agrégé sur la branche inférieure de l'articulateur à l'aide de plâtre Snow White [5, 6] (fig. 8).
La cire de relation centrée, insérée entre les deux arcades, a été enregistrée lors de la saisie des images au scanner intra-oral des arcades dentaires maxillaire et mandibulaire. Le programme informatique ne reconnaissant que les deux arcades dentaires, la cire n'apparaît pas sur la simulation globale. Le modèle mandibulaire virtuel se positionne aussitôt en relation centrée sur son antagoniste maxillaire sans manipulation informatique [23] (fig. 9 et 10).
Comme précédemment, le montage en relation centrée du modèle mandibulaire ne nécessite pas l'emploi de plâtre. Cet avantage permet également de pallier les éventuelles erreurs dues, d'une part, au repositionnement de la cire de relation centrée sur les modèles et, d'autre part, à l'expansion du plâtre pendant sa prise malgré le maintien des modèles. Le programme informatique permet une fois encore un gain de temps appréciable.
Les règles prothétiques de la cinématique dento-dentaire sont les mêmes en denture naturelle, en prothèse fixée, en prothèse implanto-portée et dans certains cas d'édentement en prothèse amovible partielle (à savoir pas de contacts dento-dentaires postérieurs lors des mouvements de propulsion et de latéralités). Ceci est possible grâce au guidage des incisives (c'est la pente incisive), des canines (c'est la protection canine) ou de toutes les dents travaillantes (c'est la protection de groupe). En propulsion, les contacts dentaires postérieurs sont donc inexistants de même que les contacts dentaires non travaillants en latéralité [24-26].
En prothèse amovible totale, les règles sont différentes afin d'assurer la stabilité des bases prothétiques. L'occlusion bilatéralement équilibrée est privilégiée. Elle se manifeste par une occlusion constante lors des différentes excursions mandibulaires [27].
Pour respecter ces différentes règles et pour minimiser les réglages cliniques, l'articulateur s'avère être l'appareillage de choix pour mettre en corrélation la cinématique mandibulaire du patient et celle de ses reconstructions prothétiques.
La programmation de l'articulateur est inutile quand les déterminants antérieurs que sont la pente incisive et/ou la pente canine sont efficaces car ils sont prépondérants par rapport aux déterminants postérieurs condyliens [4]. En revanche, dans le cas contraire, la connaissance de la pente condylienne et de l'angle de Bennett devient une nécessité.
Quel que soit le type d'articulateur utilisé, conventionnel ou virtuel, la programmation des déterminants postérieurs est donc recommandée dans certains cas cliniques. L'exemple le plus courant est la reconstruction prothétique fixée de deux sextants postérieurs avec une protection dentaire antérieure inefficace. Le problème est le même lors de la reconstruction du sextant antérieur maxillaire quand celui-ci a été préalablement délabré sans avoir eu la possibilité de l'enregistrer. En prothèse amovible totale, où le concept de l'occlusion mutuellement équilibrée demande un enregistrement précis des déterminants condyliens, la question ne se pose même pas [27].
Dans le passé, la programmation des articulateurs a été réalisée avec des enregistrements intra-oraux. Ceux-ci nécessitent obligatoirement le montage des modèles maxillaire et mandibulaire sur un articulateur conventionnel. Ce type d'enregistrement n'est pratiquement plus utilisé au profit des enregistrements axiographiques qui se révèlent donc indispensables pour la programmation de l'articulateur conventionnel ou virtuel [5, 9] (fig. 11).
Mais il faut avouer, sans avoir recours à des statistiques élaborées, que le nombre d'utilisateurs d'axiographe est relativement restreint. D'autant que l'emploi de l'articulateur virtuel, de plus en plus vulgarisé, n'incite pas les praticiens à manipuler un axiographe dès lors que l'emploi de l'articulateur conventionnel est déjà confidentiel ! Dans ce contexte, il est étonnant de constater que les articulateurs proposés dans les programmes de CFAO présentent des réglages sophistiqués qui n'ont aucune utilité clinique. Ils ne correspondent pas à la réalité odontologique quotidienne. Ils ajoutent de la confusion, voire de l'incompréhension, dans la connaissance de la programmation des articulateurs, ce qui nuit à leur utilisation correcte.
Pour résoudre ce problème et obtenir un résultat satisfaisant, même s'il n'est pas « académique », nous proposons la programmation, quand elle est nécessaire, des boîtiers condyliens de l'articulateur sur la radio panoramique ou sur un cone beam.
Cette technique ayant déjà été largement exposée dans de précédents ouvrages, nous ne reprendrons donc que l'essentiel. En un premier temps, la valeur de la pente condylienne est calculée sur la radiographie panoramique ou sur un cone beam. La formule de Hanau modifiée permet de programmer le déplacement condylien non travaillant. Nous ne retenons que la mesure de l'angle de Bennett et avons abandonné celle du déplacement latéral immédiat qui est praticien-dépendant donc non physiologique [6, 28].
Sur les images données par l'imagerie sont tracées une droite horizontale et une sécante joignant le sommet de la fosse mandibulaire à la partie la plus postérieure du tubercule articulaire. Leur intersection donne la valeur de la pente condylienne (fig. 12 et 13).
Pour calculer l'angle de Bennett, nous reprenons la formule de Hanau : angle de Bennett = pente condylienne/8 + 12. Afin de faciliter les calculs, nous avons modifié les équations. La valeur de la pente condylienne est divisée par 10. La valeur numérique ajoutée est modulée de 0o à 15o selon l'âge du patient et le type de prothèse. Ces calculs ont été validés par la thèse de José Cautela [29].
Quand les calculs ne tombent pas sur un nombre entier, nous conseillons de diminuer la valeur de la pente condylienne et d'augmenter celle de l'angle de Bennet en prothèse fixée. À l'inverse, pour favoriser l'occlusion balancée dans certains cas de prothèse amovible partielle et surtout en prothèse amovible totale, nous conseillons d'augmenter la valeur de la pente condylienne et de diminuer celle de l'angle de Bennet.
Quoi qu'en pensent certains irréductibles, dont nous faisions partie dans le passé, force est de constater que la technique de la CFAO et son articulateur virtuel vont dans un proche avenir supplanter l'emploi des articulateurs conventionnels. Actuellement, cela concerne la prothèse fixée et amovible partielle et, bientôt, la prothèse amovible totale. Au lieu de s'insurger et de contraindre, il faut s'adapter, d'où cet article [30].
Pourtant, pour comprendre la cinématique condylienne, l'articulateur conventionnel n'a pas son pareil. Il est vrai que sa manipulation permettant de concrétiser l'impact des modifications angulaires reflète davantage les rapports dento-dentaires. De plus, l'analyse occlusale réalisée sur un articulateur conventionnel éclaire beaucoup mieux le patient sur le travail prothétique à réaliser.
Malheureusement, quand la prothèse est réalisée selon la technique de la CFAO, c'est bien souvent pour ne pas dire toujours le prothésiste qui utilise l'articulateur virtuel quand il reçoit par mail les images scannées du travail prothétique à réaliser. Pour éviter ce dysfonctionnement de la chaîne prothétique, nous nous permettons de suggérer que la manipulation de l'articulateur conventionnel soit comprise dans un premier temps afin d'utiliser à bon escient l'articulateur virtuel au cabinet dentaire.
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Pierre-Hubert Dupas - Professeur des Universités et Doyen Honoraire de la Faculté de Chirurgie Dentaire de Lille