Préparations de prothèse fixée
B.Z.R. TRA K.A. KOUAME O.D. BAKOU B.J.C. YANON D. COULIBALY S. VIENNOT K.B. DJEREDOU
L'espace prothétique est le volume virtuel obtenu après la préparation de la dent ; il présente un espace axial, un espace cervical et un espace occlusal [1]. L'espace prothétique occlusal (EPO) résulte de la préparation de la face occlusale du pilier dentaire ; il se situe entre la face occlusale du moignon dentaire et la face occlusale de la dent antagoniste [2,...
Résumé
Introduction. L'espace prothétique occlusal (EPO) est le volume virtuel de la face occlusale après sa préparation. Il doit permettre de loger suffisamment de matériaux prothétiques pour rétablir une occlusion fonctionnelle et assurer un bon rendu esthétique. L'objectif de cette étude était d'évaluer l'EPO d'une série de dents préparées pour des couronnes céramo-métalliques (CCM) en omnipratique.
Méthodes. Il s'agissait d'une étude expérimentale, transversale et descriptive, qui a consisté à mesurer in vivo l'EPO de 73 dents préparées pour recevoir des CCM. L'EPO a été enregistré par la technique de la réplique au silicone puis mesuré par le microscope digital DigiMicro Lab5.0 de dnt®. Les données ont été analysées à l'aide du logiciel SPSS 22.
Résultats. L'EPO moyen est de 2,09 ± 1,07 mm pour les dents antérieures et de 1,83 ± 0,77 mm pour les dents postérieures. Il est supérieur aux cotes de réduction recommandées par la littérature. Aussi, seulement 21,71 % des valeurs de l'EPO des dents antérieures et 43,8 % de celles des dents postérieures respectent-elles les cotes de réduction. Les moyennes par point de mesure varient de façon importante, allant de 1,17 ± 0,44 mm à 2,66 ± 0,98 mm pour les dents antérieures et de 1,42 ± 0,72 mm à 2,29 ± 0,81 mm pour les dents postérieures.
Conclusion. La préparation occlusale n'est pas uniforme et homothétique quel que soit le type de dent considéré. L'EPO est insuffisant au niveau de la concavité palatine, du cingulum des dents antérieures et des fossettes centrales des dents postérieures destinées à recevoir des CCM. Ce qui explique, en partie, la survenue des surcharges occlusales dues à une insuffisance de place pour loger l'infrastructure métallique et la suprastructure cosmétique.
L'espace prothétique est le volume virtuel obtenu après la préparation de la dent ; il présente un espace axial, un espace cervical et un espace occlusal [1]. L'espace prothétique occlusal (EPO) résulte de la préparation de la face occlusale du pilier dentaire ; il se situe entre la face occlusale du moignon dentaire et la face occlusale de la dent antagoniste [2, 3]. L'aménagement de l'espace occlusal doit permettre de loger une quantité suffisante de matériau prothétique en vue de rétablir correctement les contacts occlusaux statiques et dynamiques entre les dents antagonistes [4]. Cette épaisseur de matériau doit également assurer la résistance mécanique des restaurations au cours des fonctions manducatrices tout en exprimant de façon optimale les propriétés optiques des moyens d'ancrages cosmétiques.
C'est pourquoi, en prothèse fixée céramo-métallique (CCM), la préparation du pilier dentaire doit permettre de loger 0,2 mm d'opaque, 0,8 mm de porcelaine-dentine, 0,3 mm de métal, 0,1 mm de die spacer ou vernis d'espacement avec une marge de tolérance de 0,1 mm [5].
Une réduction occlusale excessive induit un espace occlusal prothétique très important qui est certes compatible avec les objectifs mécaniques, occluso-fonctionnels et esthétiques. Mais une telle réduction tissulaire est agressive pour le complexe dentino-pulpaire [6, 7] et nuit à la rétention par la diminution de la hauteur et du volume de la préparation [1]. À l'inverse, lorsque la réduction occlusale est faible, l'espace prothétique occlusal créé sera de petit volume. Il ne permettra pas de loger suffisamment de matériaux pour assurer la résistance mécanique et les qualités esthétiques optimales de la prothèse [1]. Sur le plan occlusal, il peut être à l'origine de prématurités et d'interférences qui seront préjudiciables à la fonction [8]. L'aménagement de l'espace prothétique constitue une étape difficile pour les praticiens [9, 10].
L'objectif de cette étude était d'évaluer l'espace prothétique occlusal de piliers dentaires préparés de prothèses fixées en vue d'apprécier les difficultés rencontrées par les chirurgiens-dentistes en pratique quotidienne.
Il s'est agi d'une étude expérimentale, transversale, descriptive et analytique. Elle a consisté à l'évaluation de l'espace occlusal des piliers dentaires préparés en vue de recevoir des ancrages céramo-métalliques. Les piliers dentaires concernés par l'étude ont été sélectionnés chez des patients pris en charge pour un traitement de prothèse fixée dento-portée dans le service de prothèses dentaires du Centre de consultation et de traitements odonto-stomatologiques au CHU de Cocody à Abidjan. Ils ont été recrutés sur la période de mars à juin 2018.
L'étude s'est déroulée selon les étapes suivantes : enregistrement de l'espace occlusal puis sa mesure.
Il s'est fait comme suit :
• avant la préparation de la dent, une empreinte au silicone de haute viscosité de 2e génération est prise avec un porte-empreinte ;
• après la préparation de la dent pilier, du silicone de basse viscosité de 2e génération est injecté, dans la clé, au niveau de la réplique des préparations sans interférer sur la réplique des dents non préparées, puis l'ensemble est repositionné sur le moignon dentaire ; cette empreinte est retirée après la polymérisation du silicone de basse viscosité ;
• après la polymérisation du silicone, la clé en silicone est détachée du porte-empreinte puis la réplique du pilier est isolée du reste de l'empreinte (fig. 1 et 2) ; ensuite, l'enregistrement du pilier est sectionné dans le sens vestibulo-lingual en deux parties égales en suivant l'axe de la préparation (fig. 4 et 5). L'espace occlusal est mesuré avant que des coupes mésio-distales ne soient réalisées sur chacune des deux parties de la section précédente (fig. 3 et 6).
Les différentes mesures de l'espace prothétique occlusal sont effectuées à l'aide du logiciel d'acquisition et du traitement d'image du microscope DigiMicro Lab5.0 de dnt® à un grossissement de 15 (fig. 7).
Il s'agit du point cingulaire (CIN), du point central de la concavité palatine (CCP) des incisives ou de la bosse canine, du point central du bord libre (CBL) ou de la pointe canine, du point mésial du bord libre (MBL) et du point distal du bord libre (DBL) (fig. 8 et 9).
Pour les incisives et canines mandibulaires, seule la section mésio-distale est réalisée et les mesures sont ensuite effectuées aux points MBL, CBL et DBL (fig. 10), le cingulum et la concavité linguale de ces dents n'étant pas intéressés par la fonction occlusale.
Les mesures ont été effectuées au niveau de 5 points : la fossette centrale (C), le sommet de la cuspide vestibulaire (V), la fossette mésiale (M), la fossette distale (D) et le sommet de la cuspide linguale (L) (fig. 11 et 12).
Les données recueillies ont été analysées à l'aide du logiciel SPSS version 22. L'unité statistique de cette étude est la mesure de l'espace prothétique occlusal obtenu après la réduction occlusale. L'analyse des données a consisté en une étude descriptive des variables étudiées suivie d'une analyse comparative. Pour l'étude descriptive, les moyennes et leur écart-type de l'EPO des piliers dentaires étudiés ont été calculés. Pour les comparaisons, l'EPO mesuré a été comparé avec les différentes cotes de réduction de Shillingburg pour les CCM [1] (tableau 1). Le test d'Anova à 1 facteur au seuil de α = 0,05 a été utilisé pour comparer les moyennes.
Sur la période de l'étude, 112 prothèses fixées dento-portées ont été réalisées dans le service de prothèse. Sur ce total, 73 piliers dentaires (soit 65,18 %) étaient destinés à un ancrage céramo-métallique.
L'échantillon était constitué de 73 piliers dont 42 dents antérieures et 31 dents postérieures. Les dents maxillaires représentaient 71,2 % de l'échantillon total (tableau 2).
L'espace prothétique occlusal moyen des dents antérieures est de 2,09 ± 1,07 mm (tableau 3) avec des extrêmes allant de 1,17 mm au niveau du point cingulaire à 2,66 mm au point mésial du bord libre.
L'espace prothétique occlusale moyen est identique, quelle que soit la topographie de la dent (tableau 4).
L'EPO au niveau des incisives centrales (2,16 ± 0,36 mm) est supérieur à celui des autres dents ; toutefois, la différence n'est pas statistiquement significative (F = 0,540 ; p = 0,706) (tableau 5).
Peu de mesures (21,71 %) de l'espace prothétique occlusal sur les dents antérieures respectent les cotes de réduction de Shillingburg [1] pour les CCM. Près de trois quarts (73,23 %) des mesures sont supérieures aux cotes de réduction de référence [1] (tableau 6).
L'espace prothétique occlusal moyen des dents postérieures est de 1,83 ± 0,77 mm (tableau 7) avec des extrêmes allant de 1,42 mm au niveau de la fosse centrale à 2,29 mm au niveau de la cuspide vestibulaire.
L'espace prothétique occlusal des cuspides guides est plus important que celui des cuspides d'appui ; la différence n'est toutefois pas statistiquement significative (F = 2,155 ; p = 0,148) (tableau 8).
La valeur moyenne de l'espace prothétique occlusal des molaires maxillaires (2,16 ± 0,90 mm) est supérieure à celle des autres dents postérieures avec une différence statistiquement significative (F = 5,383 ; p = 0,002) (tableau 9).
Moins de la moitié (43,8 %) des mesures de l'espace prothétique occlusal respectent les cotes de réduction de référence [1] et plus du tiers (38,1 %) des valeurs sont inférieures aux cotes de réduction de référence (tableau 10).
Sur 112 piliers dentaires d'ancrage de prothèses dento-portées recensés au cours de notre étude, 73, soit 65,18 %, étaient destinés à une couronne céramo-métallique. Ce taux est proche de celui (70 %) rapporté par Kouamé et al. [11] en 2019, indiquant que la CCM est le type d'ancrage le plus utilisé en Côte d'Ivoire.
L'espace prothétique occlusal moyen des dents antérieures et postérieures est respectivement de 2,09 ± 1,07 mm et 1,83 ± 0,77 mm. De tous les points mesurés, les valeurs moyennes de l'EPO les plus faibles sont celles du point cingulaire pour les dents antérieures (1,17 ± 0,44 mm) et celles de la fosse centrale pour les dents postérieures (1,42 ± 0,72 mm). Les valeurs moyennes d'EPO les plus élevées sont relevées au niveau du bord libre (≈ 2,6 mm) pour les dents antérieures (tableau 2) et en périphérie de la préparation au niveau du sommet de la cuspide vestibulaire (2,29 ± 0,81 mm) pour les dents postérieures (tableau 6). Ces valeurs respectent globalement les cotes de réduction indiquées pour les piliers devant recevoir des CCM [1]. Celles-ci varient de 0,5 mm à 1,5 mm pour les dents antérieures et de 1,5 mm à 2 mm pour les dents postérieures.
Aussi, dans le secteur antérieur, les valeurs de l'EPO ne dépendent-elles ni de l'arcade (p = 0,986) (tableau 3) ni du type de dents (p = 0,706) (tableau 4). Par contre, au niveau postérieur, l'EPO est significativement plus important sur les molaires supérieures que sur les autres dents avec une moyenne de 2,16 ± 0,9 mm (p = 0,002) (tableau 8). Ceci peut s'expliquer par une plus faible accessibilité des molaires maxillaires au cours de la préparation du fait de leur position topographique qui impose de travailler en vision indirecte. De ce fait, les praticiens n'ont pas toujours un contrôle visuel parfait du geste thérapeutique. Il est également à noter que les dents maxillaires participent à la formation de la convexité de la courbe de Spee. Si la réduction est faite par rapport à la hauteur des dents adjacentes, l'impression visuelle peut conduire à une réduction plus importante que celle de leurs homologues inférieures. Quant aux prémolaires, leur position plus antérieure permet une meilleure accessibilité et simplifie le contrôle de la réduction tissulaire.
Par ailleurs, l'analyse des moyennes par point de mesure varie de façon importante, allant de 1,17 ± 0,44 mm à 2,66 ± 0,98 mm pour les dents antérieures et de 1,42 ± 0,72 mm à 2,29 ± 0,81 mm pour les dents postérieures. Cette grande variation des moyennes obtenues montre que la réduction occlusale n'est pas homothétique ni uniforme. En effet, l'EPO est très important au niveau du point distal du bord libre pour les dents antérieures. En ce qui concerne les dents postérieures, il est faible au niveau du centre de la table occlusale et atteint des valeurs relativement plus importantes vers les périphéries (tableau 6). Cette configuration de l'espace prothétique occlusal est contraire aux recommandations de Walter [2] et de Shillingburg [1]. Pour ces auteurs, la réduction occlusale doit être uniforme, homothétique ou aboutir à un relief morphologique anatomique.
En outre, même si la différence n'est pas statistiquement significative (p = 0,148) (tableau 7), on constate que l'espace prothétique occlusal des cuspides guides est plus important que celui des cuspides d'appui. Ceci n'est pas conforme aux exigences occluso-fonctionnelles de ces cuspides. Celles-ci doivent être plus réduites que les cuspides guides pour optimiser l'épaisseur de matériaux prothétiques afin qu'elles puissent mieux supporter les contraintes occlusales qui s'exercent à leur niveau [12].
Enfin, il ressort de la présente étude que seulement 21,71 % des valeurs mesurées au niveau de l'espace prothétique occlusal des dents antérieures respectent les cotes de réduction de référence de Shillingburg [1] pour les CCM (tableau 5). Pour les dents postérieures, cette proportion est certes plus importante (43,8 %) mais elle reste tout de même faible (tableau 10). Ces résultats confirment les conclusions des travaux de Kamagaté [9] et Tra [10] sur les difficultés qu'éprouvent les praticiens lors de la préparation des dents piliers de prothèses fixées. Sur les dents antérieures, celles-ci se matérialisent par une préparation excessive dans 73,23 % des cas avec un maximum de réduction tissulaire observée au niveau du point central du bord libre incisif ou de la pointe canine (88,1 %). Pour ce qui est des dents postérieures, les difficultés des praticiens se situent au niveau de la fosse centrale et des fossettes distales et mésiales où les réductions sont faibles pour près de la moitié des préparations. La proportion des mesures inférieures aux cotes de réduction de Shillingburg [1] est de 38,1 %. Ces faibles mesures peuvent être responsables soit de surocclusion, soit d'une faible épaisseur de matériaux cosmétiques.
Il ressort de cette étude que, bien souvent, la réduction occlusale des dents devant recevoir des CCM n'est pas correctement réalisée. En effet, les valeurs mesurées de l'espace prothétique occlusal ne respectent que très peu les cotes de réduction de référence. La réduction occlusale n'est pas toujours homothétique ni uniforme, mettant en évidence une grande variation de la valeur de l'EPO au niveau des bords libres, des pointes canines, des concavités palatines, des fosses centrales et des fossettes proximales. Ceci confirme les difficultés qu'éprouvent les praticiens au cours de la préparation des dents en prothèse fixée. Celles-ci se matérialisent par une préparation excessive du point central du bord libre incisif ou de la pointe canine des dents antérieures tandis que, sur les dents postérieures, la réduction de la fosse centrale et des fossettes distales et mésiales est trop faible, ce qui peut aboutir soit à une surocclusion, soit à une faible épaisseur de matériaux cosmétiques.
La préparation dentaire doit être un acte maîtrisé pour permettre l'obtention d'un espace prothétique répondant aux impératifs mécaniques, biologiques, occlusaux, fonctionnels et esthétiques de la restauration. Il importe donc d'encourager l'usage des techniques de préparations guidées pour minimiser les défauts de la réduction tissulaire.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Bi Zaouri Robenson Tra - AU/AH
Koffi Alexandre Kouamé - AU/AH
Ouloua Dorcass Bakou - MCU/PH
Brou Julie Colette Yanon - Chirurgien-dentiste
Drissa Coulibaly - Chirurgien-dentiste
Stéphane Viennot - MCU/PH, HDR
Département de prothèses, UFR d'Odontologie, Université de Lyon
Kouadio Benjamin Djérédou - PU/PH
Département de prothèse et occlusodontie, UFR d'odontostomatologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d'Ivoire