Plan de traitement
Réhabiliter prothétiquement une arcade complète nécessite la prise en compte de nombreux paramètres : motif de consultation du patient, état dentaire initial, situation parodontale, conditions occlusales.
Étant donné ces critères, plusieurs plans de traitement peuvent être proposés au patient. Ce dernier peut être amené à refuser certaines options pour des convenances personnelles, nous amenant parfois à effectuer des compromis.
Parmi les...
Résumé
Réhabiliter une arcade complète nécessite la prise en compte de nombreux paramètres complexes afin d'élaborer le plan de traitement. Parmi ces paramètres, il est fondamental de déterminer si la dimension verticale d'occlusion (DVO) doit être réévaluée, si l'occlusion d'intercuspidation maximale (OIM) est stable et équilibrée et si le guide antérieur existant est fonctionnel. Le cas présenté est celui d'une patiente dont le plan de traitement comporte trois prothèses à pont dento-portées d'usage céramo-métalliques maxillaires, incluant la totalité des dents de l'arcade. La DVO, l'OIM et le guide antérieur ont été validés par le port de prothèses fixées provisoires. Les prothèses d'usage ont dû reproduire ces éléments. Pour cela, un rapport inter-arcades fractionné et alterné a été enregistré en résine auto-polymérisable. Une équilibration occlusale minutieuse sur articulateur et en bouche a été réalisée en raison de l'étendue des restaurations. Des contrôles réguliers sont ensuite nécessaires, de même qu'une maintenance parodontale.
Réhabiliter prothétiquement une arcade complète nécessite la prise en compte de nombreux paramètres : motif de consultation du patient, état dentaire initial, situation parodontale, conditions occlusales.
Étant donné ces critères, plusieurs plans de traitement peuvent être proposés au patient. Ce dernier peut être amené à refuser certaines options pour des convenances personnelles, nous amenant parfois à effectuer des compromis.
Parmi les différentes étapes prothétiques à réaliser, celle du rapport inter-arcades est une étape fondamentale pour la suite du travail qui sera garante d'un résultat à l'esthétique et à la fonctionnalité optimales. Face à un patient dont la dimension verticale d'occlusion (DVO) n'est initialement pas satisfaisante, l'enjeu est de la restaurer. Cependant, lorsque le patient présente déjà, au début du traitement, une occlusion d'intercuspidation maximale (OIM) stable et équilibrée ainsi qu'une DVO correcte, l'objectif est de ne pas perdre ces éléments caractéristiques ainsi que les points de repère de cette OIM et de cette dimension, de les conserver et les reproduire sur les prothèses réalisées [1, 2].
Nous avons reçu la patiente dans le cadre de l'unité de réhabilitation du service d'odontologie du CHU Rangueil à Toulouse. Elle est âgée de 55 ans et ne présente aucune pathologie générale. Elle est fumeuse à raison de 6 paquets/années.
Elle a été adressée par les praticiens du Diplôme universitaire de parodontologie où elle était suivie pour la prise en charge d'une parodontite chronique. Les soins globaux ont duré un peu plus d'un an au cours duquel, en parallèle du traitement parodontal à proprement parler, des prothèses fixées dento-portées transitoires en résine ont été réalisées, permettant une contention des dents maxillaires [3]. Des soins conservateurs ont également été nécessaires lors de ces étapes (fig. 1).
La parodontite étant stabilisée, il a été décidé d'envisager la réalisation de prothèses d'usage au maxillaire.
L'OIM correspondant à la relation centrée, le guide antérieur et la dimension verticale d'occlusion, obtenue à l'aide des prothèses provisoires, ont été validés [4]. Il a également été noté une vestibulo-version marquée des incisives maxillaires et une impression de dents « trop longues » décrite par la patiente (fig. 2 et 3).
L'absence des 13-23-26-27 a été observée. La patiente portait une prothèse à pont dento-portée provisoire en résine de 15 à 25, ainsi que deux couronnes jumelées provisoires en résine sur 16 et 17 (fig. 4 et 5). Les traitements endodontiques ont été réalisés au cours des mois précédents et étanchéifiés au niveau coronaire par des reconstitutions composites ou par des ancrages corono-radiculaires de type inlay-cores.
Il s'est articulé autour de trois éléments (fig. 6) :
– une prothèse à pont dento-portée d'usage céramo-métallique 17-16-15-14-(13) ;
– 4 couronnes jumelées céramo-métalliques 12-11-21-22 ;
– une prothèse à pont dento-portée d'usage céramo-métallique 25-24-(23).
Le fractionnement de la restauration en trois éléments a été choisi pour simplifier la maintenance. Les canines étant placées en extension [5], le schéma occlusal sélectionné est donc une fonction de groupe [6-8].
Le choix d'une arcade raccourcie secteur 2 s'est imposé suite au rejet par la patiente des thérapeutiques implantaire et amovible « pour l'instant ». Il a donc été décidé de restaurer le reste de l'arcade par une solution fixe dento-portée et de reporter le remplacement de 26-27. La patiente s'est orientée vers un traitement implantaire mais a souhaité le différer.
La première étape a consisté à reprendre les préparations réalisées initialement pour les prothèses provisoires [9]. L'accès aux limites a été réalisé en utilisant deux techniques : tout d'abord la mise en place de cordonnets rétracteurs (triple 0, Ultrapak®) afin de ne pas léser l'attache épithélio-conjonctive, puis en plaçant de la pâte de kaolin (Expasyl®) (fig. 7). L'empreinte a ensuite été réalisée en deux temps, deux viscosités en raison du nombre important de préparations [10] (fig. 8).
Lors de la séance suivante, le rapport inter-arcades a été déterminé puis enregistré (fig. 9). Cette séquence a été effectuée de manière fractionnée et alternée pour enregistrer l'OIM et la DVO existantes [11]. Pour cela, la prothèse provisoire secteur 2 est tout d'abord restée en bouche. De la résine Duralay® autopolymérisable a été positionnée sur les préparations du secteur 1, sous forme de table sectorielle, avant de placer la patiente en occlusion d'intercuspidation maximale secteur 2.
Les provisoires du secteur 1 ont été remises en bouche et celles du secteur 2 retirées. De la résine a été déposée sur les faces occlusales des préparations secteur 2 alors que la patiente s'est positionnée en occlusion d'intercuspidation maximale secteur 1 [12].
Le rapport inter-arcades ainsi obtenu a reproduit celui validé par les couronnes provisoires [13].
En complément, une maquette en résine avec un bourrelet en cire a été utilisée afin de déterminer, enregistrer et transférer le surplomb incisif, le recouvrement et la position du point inter-incisif souhaités [14, 15].
Lors de l'étape suivante, les armatures métalliques Co-Cr ont été essayées (fig. 10 à 12). Leurs objectifs étaient les suivants : passivité, adaptation du joint cervical, non iatrogène pour le parodonte, espace suffisant pour le montage de la céramique. À ce stade, le rapport inter-arcades en relation centrée myo-stabilisée a été confirmé par un enregistrement en résine Duralay® sur les faces occlusales.
Le laboratoire de prothèse a reproduit la morphologie palatine et le guide antérieur de la réhabilitation provisoire en réalisant un montage croisé entre le modèle de travail et le modèle des couronnes provisoires. Les biscuits céramiques ont ensuite été essayés et la teinte validée avec la patiente. Cependant, la présence d'un sous-contour vestibulaire horizontal en regard de 24 et 25 a été notée. Il a été enregistré à l'aide d'un « lait » de Duralay® afin de pouvoir être corrigé (fig. 13 et 14).
Lors de la séance suivante où les céramiques glacées ont été réceptionnées, une empreinte de repositionnement a été réalisée en alginate. Un rapport inter-arcades en relation centrée myo-stabilisée a été enregistré afin de réaliser une équilibration occlusale sur articulateur, en position statique puis en positions excentrées (programmation de l'articulateur selon des valeurs moyennes : 25o de pente condylienne et 10o d'angle de Benett) (fig. 15 à 17).
Lors du contrôle à 15 jours, il a été constaté une excellente intégration des prothèses dans le sourire de la patiente, obtenant sa totale satisfaction (fig. 18).
Lors des contrôles à 6 mois et à 1 an, nous sommes toujours en présence de prothèses stables et fonctionnelles et d'un environnement parodontal dénué d'inflammation. La patiente est demeurée assidue sur la maintenance parodontale (fig. 19).
L'enjeu dans un cas tel que celui-ci a été la conservation des données favorables existantes, ici la DVO, le guide antérieur et l'OIM stable et équilibrée validés par les provisoires, en plus d'améliorer les éléments défaillants : dents absentes, esthétique, soutien parodontal.
L'utilisation d'une maquette d'occlusion conventionnelle n'aurait pas permis de conserver les éléments de repère fournis par les éléments provisoires en bouche. L'enregistrement de la dimension verticale d'occlusion se serait donc appuyé sur des repères arbitraires, des éléments esthétiques, des mesures d'étages faciaux, peut-être trop approximatifs. La part d'incertitude et de variation par rapport à la situation validée aurait pu être importante. Par ailleurs, même si le rapport inter-arcades alterné peut être délicat, effectuer de multiples réglages sur un bourrelet de cire semble être également chronophage.
Le fait que la patiente ne présente pas de bruxisme a été un facteur favorisant dans le choix de la réalisation de trois éléments prothétiques distincts au lieu d'une prothèse à pont dento-portée complète monolithique et, donc, dans la décision de placer 13 et 23 en extension.
La réhabilitation d'une arcade complète par des thérapeutiques dento-portées fixées est complexe à plusieurs niveaux : dentaire, parodontal, occlusal, esthétique avec un impact sur l'image de soi et le schéma corporel.
Lors de la réalisation technique également, il faut être vigilant afin de conserver des éléments majeurs tels que l'OIM, la DVO et le guide antérieur déjà validés grâce à des provisoires physiologiques et fonctionnelles.
Face à des prothèses d'une telle étendue et intégrant tous les éléments de l'occlusion, il est nécessaire de réaliser une équilibration sur articulateur. Il ne faut pas perdre de vue que des contrôles réguliers devront être effectués, de même qu'une maintenance parodontale et occlusale assidues afin de pérenniser les résultats obtenus.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Coralie Bataille - Docteur en chirurgie dentaire, ancienne interne MBD, faculté d'odontologie de Toulouse
Rémi Esclassan - MCU-PH Prothèses, faculté d'odontologie de Toulouse
Sara Laurencin - MCU-PH Parodontologie, faculté d'odontologie de Toulouse
Alexia Vinel - MCU-PH Parodontologie, faculté d'odontologie de Toulouse
Panthea Derakhshan - Docteur en chirurgie dentaire, ancienne interne MBD, faculté d'odontologie de Toulouse
Charlotte Thomas - AHU-PH Parodontologie, ancienne interne MBD, faculté d'odontologie de Toulouse
Arnaud L'homme - Spécialiste qualifié en chirurgie orale, faculté d'odontologie de Toulouse
Bruno Courtois - MCU-PH chirurgie orale, faculté d'odontologie de Toulouse
Pierre Barthet - MCU-PH Parodontologie, faculté d'odontologie de Toulouse
Luc Raynaldy - Praticien Hospitalier, responsable de l'Unité de réhabilitation chirurgico-prothétique service d'odontologie de Rangueil, Toulouse