Synergie implants et prothèses
J. GONZALEZ R. NOHARET S. VIENNOT
Le remplacement de l'incisive mandibulaire unitaire a longtemps été une réhabilitation prothétique délicate. La gestion des espaces étroits s'est considérablement améliorée ces dernières années depuis la naissance d'alternatives au traitement prothétique amovible. Ceci a été facilité, d'une part, grâce à la modernisation des matériaux notamment tout céramiques, permettant aujourd'hui un collage sûr et minimalement invasif avec la mise en place sereine...
Résumé
Les espaces étroits, tel que l'absence d'une incisive mandibulaire, nécessite une réflexion particulière et propre afin d'aboutir à un plan de traitement cohérent et pérenne dans le temps. La solution implantaire, si elle est retenue, doit répondre à quelques points clefs : évaluation objective de l'espace biologique (tissus mous et durs) ainsi ses conséquences, mise en place précise de la planification chirurgicale pour respecter les tissus présents et optimiser le résultat et enfin, l'utilisation de matériaux biocompatibles qui permettent de stabiliser les volumes tissulaires.
Le remplacement de l'incisive mandibulaire unitaire a longtemps été une réhabilitation prothétique délicate. La gestion des espaces étroits s'est considérablement améliorée ces dernières années depuis la naissance d'alternatives au traitement prothétique amovible. Ceci a été facilité, d'une part, grâce à la modernisation des matériaux notamment tout céramiques, permettant aujourd'hui un collage sûr et minimalement invasif avec la mise en place sereine d'un bridge collé type cantilever [1] et, d'autre part, grâce à la mise au point d'implants de faible diamètre repoussant ainsi les limites des traitements implanto-prothétiques [2].
Cette dernière alternative est l'objet de cet article qui exposera comment, à l'aide d'un cas clinique, ces implants de faible diamètre (3,0 mm) peuvent être utilisés dans un volume osseux réduit et un espace prothétique faible.
La patiente de 20 ans ne présentait aucune pathologie générale ou loco-régionale. Elle a été adressée en fin de traitement orthodontique pour le remplacement de la dent 32 extraite il y a quelques années suite à un traumatisme ayant causé, entre autres, une fracture du corps de la mandibule. Sa gouttière de contention comprenait une dent prothétique en regard de 32, ce qui a permis à l'orthodontiste de gérer la temporisation jusqu'au traitement prothétique plus durable. Une fois le traitement orthodontique achevé, la patiente a exprimé son désir d'une réhabilitation pérenne avec une grande demande esthétique (fig. 1 et 2). Cette demande esthétique n'est pas corrélée avec l'état de la 31 (fracture amélaire). La patiente étant probablement habituée à ce manque minime de dents, elle ne souhaite pas restaurer l'angle manquant.
Après examen clinique et radiologique, les différentes solutions thérapeutiques ont été exposées à la patiente : le bridge collé cantilever vitrocéramique et la solution implantaire ont donc été présentés avec leurs avantages et leurs inconvénients (tableau 1).
La prise de décision commune a été de s'orienter vers une solution implantaire, des réserves étant toutefois émises quant à la faisabilité du traitement sans chirurgie régénérative additionnelle du fait d'un éventuel déficit osseux car la patiente voulait éviter toute chirurgie pré-implantaire, encore marquée par les interventions à répétition suite à son accident. Néanmoins, le respect de l'espace biologique est capital afin d'obtenir l'ostéo-intégration et la pérennité de la structure implanto-prothétique. Ci-après sont explicitées les notions capitales considérées comme les « indispensables de l'espace biologique péri-implantaire » [3].
La muqueuse péri-implantaire est composée d'un épithélium de jonction (hauteur estimée de 2 mm) et d'une zone de tissu conjonctif (hauteur estimée de 1 mm). Cette zone de tissus mous péri-implantaire présente des éléments communs au parodonte entourant les dents mais aussi des caractéristiques différentes. Celles-ci concernent la composition du tissu conjonctif, l'arrangement des faisceaux de fibres de collagène et la vascularisation. Le « joint » de tissus mous protège la zone d'ostéo-intégration de l'environnement buccal et des substances agressives produites par les bactéries de la flore buccale. Ce tissu doit donc comporter une bonne épaisseur et une bonne hauteur afin d'être un réel joint efficace. Ces éléments sont importants à connaître afin de bien assimiler le rôle de ce tissu tant dans la cicatrisation que dans son maintien au cours du temps mais également pour adapter les techniques parodontales au péri-implant.
Le tissu osseux doit être présent afin d'obtenir une bonne cicatrisation initiale et un maintien dans le temps autour de l'implant. Cette hauteur de tissu osseux devra être d'un minimum de 1,5 mm tout autour d'un implant standard. Cela signifie que, dans le cadre de la réhabilitation d'un édentement unitaire par implant standard (4 mm), la crête devra avoir une largeur mésio-distale et vestibulo-palatine d'au moins 7 mm. Dans la situation d'un espace osseux plus réduit entre la dent et l'implant, il est possible d'utiliser des implants de diamètre inférieur (3 mm). Un minimum de 5 mm est néanmoins rigoureusement indispensable pour la « viabilité » de ce type d'implant. Si cet espace minimal n'est pas respecté, la papille ne pourra survivre et/ou se développer. Le bon respect de ces dimensions est indispensable pour la bonne survie des tissus péri-implantaires et de l'implant, donc essentiel pour un résultat pouvant correspondre aux objectifs du pink et white esthetic score.
Cette notion de volume est évidemment valable au niveau coronaire mais également au niveau apical. L'espace biologique devra aussi être respecté dans cette zone particulière. Cette remarque concerne surtout les agénésies des incisives latérales systématiquement associées à un traitement orthodontique. La thérapeutique préparatoire orthodontique se doit d'être globale et ne peut se résoudre uniquement à un alignement de couronnes. Les thérapeutiques de ce type doivent donc être réalisées de concert entre toutes les spécialités mises en jeu : l'examen tridimensionnel prescrit dans les étapes diagnostiques servira de juge de paix pour l'évaluation de cet espace minimal.
L'espace biologique est indispensable et il doit être factuel. L'utilisation du clone digital (reproduction de toutes les dimensions du patient en version digitale) apparaît comme une voie incontournable pour valider cet espace biologique dans les faits. Ce clone se réalise avec des outils qui vont apporter la dimension numérique par l'obtention de fichiers jpeg (obtenus par l'appareil photographique), stl (obtenus par une caméra optique ou un scanner de laboratoire) et dicom (obtenus par un CBCT ou un CT scanner). Ces trois types de fichiers permettent d'obtenir un clone digital de la patiente. En effet, chaque type de fichier permettra d'apporter une dimension informative complémentaire de la patiente [4].
Dans le cas présent, les données dicom et stl ont été combinées afin d'avoir les données osseuses (via les données dicom), muqueuses (via les données stl), dentaires (via les données stl et dicom) en 3D. Il est intéressant de noter qu'un modèle stl avec le futur projet prothétique idéal peut aussi être indexé : des mesures précises peuvent donc être réalisées afin de s'assurer des bons volumes tissulaires. Un wax-up a donc été réalisé par le laboratoire de prothèse puis indexé à l'aide de la fonction « modèle scan » du logiciel de planification implantaire (ici Simplant-Materialise). Suite au recoupement d'informations, la solution implantaire a été retenue (espace biologique et projet prothétique concordants) (fig. 3 et 4).
Une fois, la planification réalisée, un guide chirurgical a été conçu digitalement (fig. 5). Le fait d'utiliser la chirurgie guidée dans ces situations d'espace réduit permet d'optimiser le placement implantaire dans cet environnement réduit. Ce guide chirurgical à appui dentaire a été réalisé pour veiller au respect le plus précis de la planification implantaire : les guides chirurgicaux sont en fait plus précis que la chirurgie dite à main levée [5]. En effet, l'intégration biologique, fonctionnelle et esthétique est conditionnée, en grande partie, par le respect des impératifs de positionnement tridimensionnel de l'implant. Ces impératifs sont d'autant plus importants dans une situation complexe à faible espace prothétique (5,5 mm) avec un support osseux réduit.
En complément de ce bon positionnement osseux et de la présence d'une bonne quantité (hauteur et épaisseur) de gencive kératinisée, la décision a été prise de réaliser un apport tissulaire complémentaire afin de stabiliser le résultat. Dès lors, une incision crestale et un lambeau muco-périosté, peu invasif, ont été envisagés afin de bénéficier d'un accès visuel (fig. 6). Une évaluation clinique est faite de la situation osseuse (fig. 7). La pose d'un implant de diamètre 3,0 mm (Nobel Active 3.0-Nobel Biocare) a nécessité le passage du foret 2 mm puis 2,4/2,8 mm à travers le guide chirurgical préalablement à son insertion (fig. 8 et 9). Un torque supérieur à 35 N/cm a été obtenu. À la dépose du guide chirurgical, un contrôle méticuleux a été réalisé et a permis de vérifier avec quelle précision la planification implantaire a été respectée (fig. 10).
Avant la fermeture du site chirurgical à l'aide d'un fil monofilament 6/0 non résorbable, un apport de conjonctif tubérositaire a été réalisé en vestibulaire afin de sur-corriger l'épaisseur du biotype initialement favorable (fig. 11 et 12). Cette sur-correction a permis d'anticiper une future résorption inéluctable à la cicatrisation et aux manipulations prothétiques et de renforcer la stabilité du complexe implant-prothèse sur le long terme. Dans le même temps, une frénectomie vestibulaire simple a été associée à ce geste, afin d'éviter la tension sur le site opératoire pouvant faciliter la mauvaise cicatrisation et la récession tissulaire dans le temps.
Le design implantaire de l'implant utilisé (Nobel Active-Nobel Biocare) ayant permis d'obtenir une stabilité primaire très satisfaisante (35 N/cm), une mise en esthétique immédiate a pu être envisagée sans prise de risque particulière. Une dent du commerce est alors adaptée sur un cylindre temporaire à l'aide d'un composite fluide tout en prenant soin de sculpter un profil d'émergence idéal dans un environnement gingival très confortable (fig. 13). Il est important que ce dessin de la prothèse provisoire puisse sculpter les tissus mous sans les comprimer (sous peine de créer une tension tissulaire avec une potentielle nécrose du greffon apporté).
La patiente est partie en stage de fin d'étude pendant une année. À son retour de voyage, la prothèse définitive a pu être alors réalisée. À 1 an post-opératoire, il a été noté une parfaite intégration de la prothèse provisoire dans son environnement gingival (fig. 14 et 15) et il était dès lors important d'enregistrer ce profil d'émergence obtenu pendant le long délai de cicatrisation qui a permis l'établissement d'un profil d'émergence idéal objectivable à la dépose de l'élément provisoire. L'utilisation d'un transfert personnalisé a autorisé l'enregistrement de ce berceau prothétique de manière fiable et reproductible (fig. 16). La couronne en zircone stratifiée sur embase titane a été alors réalisée par le laboratoire (fig. 17). Dans de telles situations où les volumes prothétiques sont réduits (parce qu'il s'agit d'une incisive mandibulaire et d'un implant 3.0), il n'est pas possible d'utiliser une connectique zircone directement engagée dans l'implant sous peine de provoquer des fractures d'élément prothétique à cause de la faible épaisseur des composants. La prothèse a été vissée à un torque de 15 N/cm (couple de serrage préconisé par le fabricant). L'intégration esthétique, biologique et fonctionnelle obtenue a satisfait pleinement la patiente (fig. 18 à 20).
Les implants de petit diamètre permettent de répondre à la problématique des espaces étroits tels que la réhabilitation de l'incisive mandibulaire unitaire. Ces implants, surtout quand ils sont utilisés dans ce type d'espace, nécessitent une méthode de mise en œuvre particulièrement rigoureuse et un environnement tissulaire (muco-gingival et osseux) approprié.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Julien Gonzalez - Docteur en chirurgie dentaire, Exercice libéral (Heyrieux)
Renaud Noharet - MCU-PH, Docteur en chirurgie dentaire, Ancien interne en odontologie, Exercice libéral (Lyon)
Stéphane Viennot - MCU-PH, Docteur en chirurgie dentaire, Ancien interne en odontologie