Implantologie
C. MENSE F. SILVESTRI P. TAVITIAN M. RUQUET O. HÜE
L'implantologie a pour principe mécanique de base le visage. En effet, depuis les travaux de Brånemark et de Belser, les implants, les composants prothétiques, sont vissés. Si ce principe semble sans faille, certains événements indésirables, voire plus, sont susceptibles de survenir, qu'ils soient biologiques ou mécaniques.
Les incidents biologiques correspondent, le plus souvent, à la perte rapide de l'implant, perte liée à l'absence...
Résumé
Les prothèses supra-implantaires font appel aux vis et au vissage pour assurer leur rétention. Si ce principe mécanique semble simple, de nombreux facteurs techniques contribuent à la réussite de ces réalisations. Dans cette 1re partie, l'élasticité, la friction, l'adaptation – acteurs essentiels du vissage – seront abordés et analysés, en préalable à leur application en implantologie qui fera l'objet de la 2e partie.
L'implantologie a pour principe mécanique de base le visage. En effet, depuis les travaux de Brånemark et de Belser, les implants, les composants prothétiques, sont vissés. Si ce principe semble sans faille, certains événements indésirables, voire plus, sont susceptibles de survenir, qu'ils soient biologiques ou mécaniques.
Les incidents biologiques correspondent, le plus souvent, à la perte rapide de l'implant, perte liée à l'absence d'ostéo-intégration. Plus tardivement, d'autres problèmes sont susceptibles de se manifester, en particulier les problèmes d'inflammations gingivales, ou encore de péri-implantites.
Les incidents mécaniques concernent rarement les implants eux-mêmes. Ceux-ci se manifestent sous forme de fractures, dont les étiologies sont difficiles à analyser, même si certaines études mettent en avant les surcharges fonctionnelles ou parafonctionnelles, mais aussi les caractéristiques des implants (longueur-diamètre) [1-3]. Le deuxième type d'incident mécanique, plus fréquent, concerne les vis avec deux types de manifestations : les dévissages et les fractures. Ces phénomènes sont, le plus souvent, liés à une mauvaise conception des vis de l'implant, aux matériaux utilisés, ou à un mauvais serrage, particulièrement en présence d'éléments unitaires. Alkbretsson et al. soulignent que 33,6 % des patients présentaient des difficultés liées à des dévissages [4]. Jemt et al. notent que la prévalence des pertes de vis, dans la première année, s'élevait à 43 %, et, dans une autre étude, que 26 % des vis nécessitaient d'être resserrées [5, 6]. Les problèmes de vis concernent 7 % des couronnes unitaires sur prémolaires et molaires. Jung et al., dans une revue bibliographique, mettent en évidence que la fréquence des pertes de vis s'élève à 5,3 % sur une période de 5 ans [7]. Après 5 ans, l'incidence cumulative de problèmes de vis ou de piliers s'élève à 12,7 %, et à 0,35 % pour les fractures de la vis ou du pilier.
Si, pour les patients et pour les praticiens, la perte d'un implant est, disons, « acceptable », dans la mesure où ce problème a été exposé, expliqué lors de la première consultation, préalable à l'établissement du consentement éclairé, il n'en est pas de même pour une vis. Le dévissage, la fracture d'une vis sont -ils des événements, des incidents qui ont été annoncés au patient ?
Et pourtant, en présence d'un « All-on-4® » par exemple, lorsque l'on prend conscience du rôle que jouent les quatre vis qui fixent l'armature sur les implants, cela devrait conduire le praticien à avoir plus de respect pour ces acteurs prothétiques majeurs et à bien connaître leur fonctionnement (fig. 1). De manière purement pragmatique, elles doivent fixer le ou les éléments prothétiques sur les implants sous-jacents, de manière sûre et pérenne. Trop souvent, le praticien se contente de serrer aux valeurs fixées par le fournisseur. Il est important de comprendre parfaitement la nature dynamique de la mise en charge de l'implant et la transformation de la force de rotation appliquée lors du serrage en force de tension/traction au niveau de l'assemblage du complexe implanto-prothétique, et comment les forces de serrage, au niveau de l'interface, et les forces de précharge impactent l'implant, préalablement aux futures charges, fonctionnelles ou non.
En 1988, la conférence de consensus sur le développement des implants concluait : « Parmi les facteurs impliqués dans la conception des implants, on doit tenir compte des composantes produites par les charges fonctionnelles ou non, leur nature dynamique et les propriétés mécaniques de la prothèse dans le transfert de ces contraintes sur les tissus sous-jacents. Malheureusement, des données précises sur ces paramètres sont incomplètes » [8].
Dans le monde de l'industrie, le vissage est un principe d'assemblage majeur où les principes et les règles ont été établis depuis de nombreuses années. Dans l'aviation, l'espace, leur utilisation est massive avec des choix précis de matériau, de longueur, de serrage, où tout est codifié. La non-observation de ces codifications se traduit par des accidents souvent dramatiques, telle la perte d'un pare-brise du vol 5390 British Airways, due à une erreur de vis et de montage. En implantologie, les incidents sont moins graves mais la connaissance des principes semble être un prérequis à tout vissage ou serrage.
La vis comme moyen de fixation existait déjà à l'âge de bronze, elle a été ensuite développée par Archimède sous formes de vis sans fin pour élever des liquides à un niveau supérieur (fig. 2).
Cette découverte fut ensuite largement oubliée et ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que la vis et son utilisation telles que nous les connaissons maintenant connurent leur développement.
Lorsque que l'on serre une vis, le but est de créer un ensemble mécanique unique, assurant la rigidité entre deux pièces, ce qui leur permet de supporter les sollicitations extérieures de traction, flexion, torsion, cisaillement, de garantir une certaine étanchéité, de s'opposer aux fractures du système de vissage et d'éviter les desserrages spontanés.
Ce serrage implique plusieurs phénomènes physiques qui sont regroupés sous le terme de précontrainte, de précharge (preloading). Le praticien fait passer la vis d'un état de repos au stade de mise sous tension, pour aboutir à l'établissement d'une tension finale qui donne une force de serrage. Cet effet de serrage résulte de l'action combinée de l'élasticité du matériau de la vis, de la friction entre les différentes parties de la tête et du filetage, et de la parfaite et stable adaptation entre les deux parties qui sont serrées entre elles. Reste un quatrième paramètre, la pérennité de cet assemblage face aux nombreuses contraintes auxquelles l'implant sera soumis, paramètre que représente la fatigue.
Sous l'effet des contraintes, le métal du corps de la vis se déforme. Cette déformation se déroule en trois phases : une phase dite élastique réversible, une phase plastique irréversible qui, dans sa phase ultime, aboutit à la fracture. Ces phases sont très spécifiques des matériaux et sont définies par la limite élastique (Re) et la limite de rupture (Rr) alors qu'ils sont soumis à une contrainte σx (fig. 3). Les caractéristiques isotopiques des matériaux leur permettent de répondre aux lois de Hooke, qui regroupent deux déformations physiques fondamentales : l'allongement et le cisaillement. Certains matériaux présentent un faible potentiel élastique mais un fort potentiel de plasticité, comme le duralumin et plus particulièrement l'or. A contrario, l'acier ou encore le titane possèdent un important coefficient élastique et une phase plastique plus restreinte [9]. Les déformations axiales regroupent les changements de forme par allongement, par réduction de diamètre et par torsion. Les propriétés d'allongement ou d'élasticité longitudinale sont définies d'une part par le module de Young (E), qui correspond à l'allongement du matériau, et d'autre part par le coefficient de Poisson (υ) qui définit la réduction du diamètre de la pièce (fig. 4). Ces déformations sont fonctions des forces appliquées (σ) et des caractéristiques mécaniques du matériau (E).
À la jonction tête-corps de la vis, les contraintes sont très importantes. Pour diminuer celles-ci, la présence d'une courbure au niveau du corps de la vis est une nécessité. De même, à la jonction corps de la vis-filetage, une entaille de décharge doit être créée. Ces éléments répondent à la géométrie des discontinuités et ils participent à la fiabilité de l'assemblage (fig. 5) [10-12].
Les déformations par cisaillement correspondent aux tensions résultant d'un couple de forces tangentielles, soit un cisaillement pur. Elles se traduisent par une déformation angulaire dont l'angle γ est proportionnel aux caractéristiques du matériau. C'est le deuxième aspect de la loi de Hooke, défini par le coefficient de torsion ou module d'élasticité transversale (fig. 6). La méthode de serrage au couple provoque dans la vis, en plus de la contrainte axiale de traction recherchée, l'apparition d'une contrainte de torsion « parasite » dont le niveau peut atteindre plus de 30 % de la contrainte de traction. En outre, les frottements entre les pièces concernées sous des efforts importants provoquent des détériorations au niveau des surfaces en contact des acteurs du serrage (fig. 7).
Dans l'industrie, de manière à éviter cette torsion parasite, d'autres techniques de serrage sont utilisées, en particulier le serrage par élongation thermique ou par traction hydraulique ou mécanique, Le principe de cette dernière technique est simple. Il consiste à étirer axialement le boulon, de manière à le placer dans sa phase élastique idéale, de faire accoster l'écrou et finalement de supprimer la traction (fig. 8). L'ensemble de ces contraintes peut être excessif, dépassant le seuil de l'élasticité, pour entrer dans la phase de plasticité, voire de rupture. De manière à pallier ce risque, il convient de définir un coefficient de sécurité qui regroupe les caractéristiques mécaniques des matériaux (module d'élasticité, de rupture) et les caractéristiques de la structure (formes, dimensions, etc.).
Ce coefficient de sécurité est représenté par les critères de Tresca ou de von Mises, qui définissent un point ou une zone d'équilibre entre les forces tridimensionnelles de compression, traction, torsion [12] (fig. 9). Pour cela, on considère que l'allongement ne doit pas dépasser 60 à 75 % de la phase élastique. La marge ainsi créée permet d'amortir les surcharges qui sont susceptibles de s'appliquer sur le système, sans risque d'atteindre la phase plastique. En outre, cette contrainte résiduelle de torsion présente deux autres inconvénients. D'une part, elle peut faciliter le desserrage intempestif en fonctionnement. D'autre part, la contrainte résultante équivalente dans la vis (critères de von Mises ou de Tresca) est ainsi fortement augmentée et peut dépasser la limite élastique du matériau, alors que la valeur de la contrainte de traction, elle seule, reste située dans des limites acceptables.
Le frottement se situe aux interfaces entre les différents acteurs du serrage : la partie inférieure de la tête de vis, le filetage du corps de la vis, en regard du taraudage, et l'adaptation entre les deux composantes du serrage. La friction est capitale pour la pérennité de la liaison, car le couple appliqué est principalement absorbé par la friction (environ 90 %). Seuls 8 % et 16 % de l'effort sont transmis à l'élasticité (fig. 10). La première loi sur la friction a été initiée par Guillaume Amontons (1699) puis a été reprise par Charles-Auguste Coulomb en 1781 [13, 14] (fig. 11).
Ces lois étaient basées sur l'état de surface ou la rugosité macroscopique. Le coefficient de friction est spécifique au matériau, en particulier à sa dureté, mais aussi au procédé de fabrication qui définit l'état de surface. Celui-ci se caractérise par la présence de pics et vallées plus ou moins marqués, dont les caractéristiques sont très difficiles à définir.
Actuellement, l'influence de la topographie ou de l'état de surface est analysée à l'échelle micro- et nanoscopique, et même si cette approche est discutée, le principe demeure identique, la friction étant fonction du nombre d'atomes qui interagissent chimiquement via le contact [15]. C'est cette approche qui a permis le développement de certains traitements de surface, au niveau atomique, qui améliorent la résistance à l'usure et diminuent la friction entre deux composants. Les forces élastiques et de friction sont complémentaires et indissociables, même si la majorité des forces appliquées sont destinées à la friction (fig. 10). La conception de la vis doit permettre la mise en tension élastique du métal, par une partie lisse qui accroît la force de serrage, et l'étirement est ensuite maintenu par la friction (fig. 12).
La friction se répartit entre la tête et la partie filetée. Au niveau de la tête, la friction est liée à l'étendue de la surface de contact et à l'adaptation. La partie filetée, géométriquement très complexe, est définie par des normes parfaitement établies, en particulier sur le degré de précision de l'usinage du pas et du filet. Le pas de vis, qui correspond à la distance axiale parcourue lorsque la vis effectue un tour complet (360o), a une incidence directe sur la force de serrage et sur la stabilité à long terme. La précision d'usinage des filets a une incidence sur la friction. Mais, fait important, les études par éléments finis mettent en évidence une répartition totalement inégale des contraintes entre les filets et le taraudage. Environ 30 % de la charge se concentrent sur le premier filet [16] (fig. 13).
Elle crée la stabilité, certainement le paramètre le plus important qui contribue à la pérennité de l'assemblage, mais est cependant, à tort, souvent oubliée. En réalité, les pièces assemblées sont soumises à un environnement vibratoire susceptible d'induire des micro-glissements entre les surfaces en contact. Cela aboutit à aborder la composante friction à travers la tribologie, qui étudie le comportement de deux surfaces en contact où des mouvements-déplacements sont de l'ordre du micron, voire du nanomètre [17]. La transformation tribologique des alliages de titane résulte de la déformation plastique, voire élastique, de ces alliages, qui se traduit par la fragilisation de la surface du matériau. Il se crée un phénomène d'usure qui peut être mécanique, chimique, thermique [18]. Sur le plan mécanique, les micro-mouvements qui vont s'installer entre les pièces créent ce que l'on dénomme usure par frottement sous-charge ou « fretting » [19-20]. Si, sur le plan macroscopique, on peut imaginer que deux faces planes usinées soient parfaitement en contact, sur le plan microscopique, et a fortiori nanoscopique, il n'en est pas de même [21]. La rugosité des pièces en contact, les micro-mouvements, vont générer de l'usure qui regroupe trois phénomènes : la création, la circulation et l'élimination des particules détachées, d'une dimension variant entre le nanomètre et quelques micromètres [22] (fig. 14).
Sur le plan chimique, l'usure résulte de la corrosion, liée à une réaction tribologique entre la surface des matériaux en contact et le milieu environnant, qu'il soit gazeux ou liquide. Il se crée des couples du type anode-cathode, initiés par la présence de métaux dont les potentiels électrolytiques sont différents [23-24].
La plupart des pièces ainsi assemblées à l'aide des vis sont soumises au cours du temps à des sollicitations multiples, plus ou moins cycliques. Ces différentes contraintes se traduisent par des compressions, tractions, torsions. Dans ce cas, la rupture se produit au bout d'un certain nombre de cycles de sollicitations, mais surtout elle se situera en deçà du module de rupture statique (Rm). On parle alors de rupture par fatigue (fig. 15). Facteur important, la diminution de la rugosité joue un rôle positif sur la tenue en fatigue.
Ces diverses sollicitations auront deux conséquences :
– l'auto-desserrement correspond à la diminution de la force de serrage, sans rotation relative (< 0,5o) de la vis. Des déformations plastiques se créent, en particulier au niveau du premier filet, ce qui entraîne une nouvelle répartition des contraintes dans les filetages [25] ;
– l'auto-dévissage consiste en la réduction graduelle de la force de serrage par rotation de la vis au niveau de sa tête et au sein de son taraudage. Cette dernière éventualité nécessite que des forces transversales soient appliquées sur l'assemblage. Dans ce cas, une flexion s'installe dans le corps de la vis et se transmet au niveau des filets, qui seront soumis à des contraintes en traction et en compression selon la direction de la flexion, et inversement des zones où la friction s'amoindrit. Si ces mouvements transversaux deviennent alternatifs, cela potentialisera les risques d'auto-dévissage (fig. 16). La flexibilité de l'ensemble retarde la perte de friction.
Étape ultime du processus, la fracture de la vis peut présenter deux formes :
– une brutale : la fracture de la vis découle d'une surcharge physique dépassant les conditions d'équilibre ou de sécurité définies par les critères de Tresca ou de Von Mises. Cette fracture peut être liée à l'application d'un couple disproportionné ;
– une tardive par fatigue : les contraintes répétées provoquent des modifications structurelles du métal au niveau des filets, à la jonction corps/pas de vis, par des craquelures, des fissures qui s'étendent progressivement jusqu'à la rupture.
L'obtention d'un serrage idéal entre deux composants fait appel à deux principes mécaniques : l'élasticité du corps de la vis et la friction entre les composants assemblés, les filets de la vis et du taraudage (fig. 17). Ce serrage découle de la succession d'un grand nombre d'événements complexes où la friction se disperse, se répartit à différents niveaux et se trouve ainsi réduite. L'élasticité demeure si les coefficients de sécurité sont respectés et si la friction ne diminue pas. Finalement, le couple initial se trouve réduit, et la fatigue fera évoluer cet équilibre vers la diminution du couple initial appliqué.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Chloë Mense - MCU-PH associée, UFR d'odontologie, université Aix-Marseille - service d'odontologie, hôpital de la Timone (APHM) (Marseille)
Fréderic Silvestri - AHU, UFR d'odontologie, université Aix-Marseille - service d'odontologie, hôpital de la Timone (APHM) (Marseille)
Patrick Tavitian - MCU-PH, UFR d'odontologie, université Aix-Marseille - service d'odontologie, hôpital de la Timone (APHM) (Marseille)
Michel Ruquet - PU-PH, UFR d'odontologie, université Aix-Marseille - service d'odontologie, hôpital de la Timone (APHM) (Marseille)
Olivier Hüe - Professeur d'université « émérite », UFR d'odontologie, université Aix-Marseille