Prothèses et CFAO
La dentinogenèse imparfaite (DI) est une anomalie congénitale de la dentine affectant la dentition temporaire, puis permanente. Cette anomalie est subdivisée en trois types [1] : Le type I est associé à certaines formes d'ostéogénèse imparfaite. Les types II et III sont limités à des atteintes dentaires. Le type II, le plus fréquent, est également appelé « dentine opalescente héréditaire ». En...
Résumé
Le cas clinique présenté montre la conception et la fabrication assistées par ordinateur (CFAO) de prothèses complètes supra-dentaires monoblocs chez une fillette de 7 ans, modérément coopérative, souffrant de dentinogenèse imparfaite avec une usure dentaire sévère. Cette approche monolithique monochromatique, combinée à l'utilisation d'une résine composite de teinte gingivale, a permis de respecter le faible espace prothétique disponible et l'intégration esthétique de la prothèse. Cette option thérapeutique nécessite cependant le remplacement régulier des prothèses en fonction de la croissance de l'enfant et de la perte des dents temporaires. L'objectif est d'obtenir, au fil du temps, la coopération nécessaire à une future réhabilitation globale fixe.
La dentinogenèse imparfaite (DI) est une anomalie congénitale de la dentine affectant la dentition temporaire, puis permanente. Cette anomalie est subdivisée en trois types [1] : Le type I est associé à certaines formes d'ostéogénèse imparfaite. Les types II et III sont limités à des atteintes dentaires. Le type II, le plus fréquent, est également appelé « dentine opalescente héréditaire ». En effet, les dents atteintes présentent une coloration opalescente et l'émail peut se détacher de la dentine altérée. Cela se traduit par une usure sévère avec perte prématurée de la dimension verticale d'occlusion (DVO), parfois très rapidement après l'éruption dentaire [2]. À l'examen radiographique, les racines sont courtes et fines ; les couronnes ont un aspect globuleux avec une constriction cervicale marquée. La pulpe est oblitérée partiellement ou totalement, rendant les traitements endodontiques difficiles et de mauvais pronostic [3, 4].
Un diagnostic et une prise en charge précoces sont cruciaux pour prévenir la perte prématurée des dents et minimiser l'impact nutritionnel et psychosocial de cette anomalie [5]. Le choix de la stratégie thérapeutique dépend de l'âge et de la coopération du patient, du degré d'usure, des attentes fonctionnelles et esthétiques, et des ressources disponibles [6, 7].
En dentition permanente, différentes approches sont envisageables selon le degré d'usure : techniques restauratrices directes ou indirectes, éléments céramiques, extractions et prothèses fixées implanto-portées [8-10]. En dentition temporaire, une prothèses amovible complète supra-dentaire (overdenture) peut être indiquée en cas d'usure sévère [11, 12]. Cependant, cette option peut représenter un challenge en cas d'espace prothétique insuffisant. Dans ces situations extrêmes, des prothèses monoblocs ou monolithiques, plus minces, peuvent être envisagées, mais cette approche est difficilement réalisable par des méthodes conventionnelles. La conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) ont récemment permis de réaliser avec succès des prothèses amovibles supra-dentaires chez des patients souffrant de dysplasie ectodermique et d'oligodontie, mais il n'y a pas de protocole rapportant ce type d'approche pour des enfants atteints de DI [13-15].
Une enfant de 7 ans, accompagnée de ses parents, se présente en consultation au Centre de compétences des maladies rares orales et dentaires des Hospices Civils de Lyon (HCL). En denture mixte, elle se plaint de ses dents qui sont « moches et toutes petites ». Son père est atteint de dentinogenèse imparfaite et son petit frère de 3 ans présente les mêmes caractéristiques. L'enfant, en excellente santé, a consulté un confrère qui lui a confectionné des prothèses amovibles. Ces prothèses, parfaitement réalisées, ne sont pas portées par la jeune fille qui dit ne pas pouvoir « fermer la bouche avec les appareils ». L'examen clinique met en évidence une bonne hygiène bucco-dentaire, l'absence de caries, une ligne du sourire haute avec exposition excessive de la gencive lors du sourire. L'ensemble des dents présente une teinte marron et une usure très avancée (fig. 1). Durant l'examen initial, l'enfant, moyennement coopérative, éprouve des difficultés à rester immobile et s'amuse beaucoup. L'examen radiologique révèle l'absence d'anomalie des bases osseuses et de dents manquantes, la présence de couronnes globuleuses avec constrictions cervicales et oblitération de la chambre pulpaire des dents permanentes (fig. 2). Malgré l'usure dentaire avancée, la perte de DVO est légère (inférieure à 4 mm), avec un espace inter-occlusal réduit en position de repos mandibulaire. De ce fait, l'espace vertical disponible pour le traitement est très limité.
Les caractéristiques cliniques et radiologiques, associées à l'atteinte familiale, suggèrent le diagnostic de dentinogénèse imparfaite de type II. Le principal objectif thérapeutique est de répondre à l'attente esthétique de l'enfant, très complexée par l'aspect disgracieux de ses dents, tout en préservant les structures dentaires. L'espace prothétique limité associé à la coopération modérée de l'enfant orientent notre choix thérapeutique vers la réalisation de prothèses complètes supra-dentaires monoblocs. Cette proposition est présentée à l'enfant et ses parents avec les avantages/inconvénients, les risques et alternatives possibles. Nous insistons sur l'importance d'une excellente hygiène buccale, d'une alimentation pauvre en sucres rapides, du contrôle régulier de l'état dentaire, et des coopération et participation de l'enfant.
Les empreintes des arcades sont prises dans un premier temps à l'aide d'une caméra intra-orale (TRIOS®, 3Shape A/S), mais la numérisation échoue à plusieurs reprises, probablement en raison de l'aspect sclérosé et vitreux de la dentine exposée. Par conséquent, les empreintes préliminaires sont obtenues classiquement avec de l'alginate, puis les empreintes définitives à l'aide de porte-empreintes individuels et de polyéthers (Permadyne®, 3M). La relation inter-arcade est enregistrée à une DVO augmentée de 6 mm afin de créer un espace vertical suffisant pour les prothèses (fig. 3 et 4). Le laboratoire scanne les modèles de travail montés sur articulateur pour obtenir les fichiers numériques. Après CAO du montage et des bases prothétiques (Exocad Dental CAD®, Exocad GmbH) (fig. 3), des maquettes d'essayage sont obtenues par impression 3D (imprimante 3D MAX®, Asiga) (fig. 5 et 6).
La mise en place des maquettes se traduit par une incompétence labiale qui nous contraint à réduire la DVO par meulages occlusaux (fig. 7 et 8). La fausse gencive est supprimée dans la région antéro-maxillaire pour limiter le soutien labial excessif. La relation inter-arcade est réenregistrée à l'aide de cire Aluwax® (Aluwax Dental Products Company), permettant ainsi le transfert des modèles numérisés sur l'articulateur virtuel à une DVO réduite (fig. 9). Après reprise de la CAO (fig. 10 et 11), un nouveau jeu de maquettes de faible épaisseur occlusale (2 mm) est imprimé. Ravie du confort et de l'esthétique de ces nouvelles maquettes, l'enfant, de plus en plus coopérative, est impatiente « d'avoir ses appareils ».
Les prothèses d'usage sont usinées à partir de disques blancs en polyméthacrylate de méthyle (PMMA) (Vipi Block Trilux®, VIPI Industria) (fig. 12 et 13). Elles sont ensuite caractérisées avec une résine composite de teinte gingivale (GRADIA gum shades®, GC) (fig. 14 à 17). Lors de l'insertion, l'adaptation sur les dents et les surfaces d'appui est contrôlée à l'aide d'un silicone fluide. Quelques zones de surpressions sont éliminées à la fraise, assurant ainsi une bonne stabilité des prothèses. L'équilibration occlusale à l'aide de papier à articuler permet l'obtention de contacts occlusaux équilibrants dans les mouvements excentrés, selon les règles habituelles de la prothèse complète. La patiente et ses parents sont ravis du résultat esthétique (fig. 18 et 19).
L'enfant est vue après une semaine, un mois et trois mois, puis une surveillance trimestrielle est instaurée afin de contrôler les dents supports et l'adaptation des prothèses en fonction des modifications tissulaires liées à la croissance et aux éruptions. Au cours du suivi, l'accent est mis sur le nettoyage des prothèses et sur le maintien d'une parfaire hygiène bucco-dentaire. L'évaluation à 12 mois montre une bonne stabilité, aucun signe de complications et un impact important du résultat esthétique sur la qualité de vie de la patiente.
Les réhabilitations globales, notamment chez les patients atteints de DI, nécessitent généralement des séances cliniques longues et répétées, difficilement réalisables chez les enfants. Cette difficulté impose souvent au praticien de proposer un compromis thérapeutique pour différer les préparations dentaires multiples à un âge plus avancé [10]. Les prothèses amovibles complètes supra-dentaires, facilement ajustables et/ou renouvelables selon l'évolution dento-squelettique de l'enfant, constituent une approche réversible intéressante. Dans le cas présent, la réalisation de prothèses supra-dentaires classiques était impossible du fait de l'espace prothétique disponible. Les prothèses monoblocs usinées présentent des propriétés mécaniques supérieures aux prothèses amovibles conventionnelles [16, 17]. Cela nous a permis de réduire l'épaisseur à 2 mm dans les secteurs postérieurs. Cette valeur est inférieure aux 3 mm minimum recommandés pour les overdentures monolitiques [18]. Néanmoins, elle respecte l'épaisseur minimale de 1 mm stipulée par le fabricant des disques de PMMA utilisés. L'approche monochromatique monolithique utilisée en combinaison avec un composite de teinte gingivale permet d'améliorer l'aspect esthétique. Un suivi à long terme est nécessaire à l'évaluation des propriétés mécaniques de ces prothèses de fines épaisseurs. Quoi qu'il en soit, la conservation des données numériques permet d'usiner aisément de nouvelles prothèses en cas de pertes ou de fractures lors des activités quotidiennes de l'enfant.
Dans ce type de situation, les prothèses supra-dentaires obtenues par CFAO constituent une stratégie réversible pouvant aider à préparer les enfants à un futur traitement global plus complexe. Cette stratégie nécessite le remplacement régulier des prothèses au fur et à mesure de la croissance de l'enfant. Elle permet d'obtenir sa coopération, mais aussi de construire au fil du temps la confiance nécessaire pour envisager une réhabilitation globale fixée.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Catherine Millet - Professeur des Universités – Responsable du département de prothèses, UFR d'odontologie de Lyon
Praticien hospitalier – Centre de compétences des maladies rares orales et dentaires, service de soins dentaires et d'odontologie hospitalière des HCL, Lyon
François Virard - Maître de conférences des Universités – département de sciences biologiques, UFR d'odontologie de Lyon
Praticien hospitalier – unité fonctionnelle de prothèses, service de soins dentaires et d'odontologie hospitalière des HCL, Lyon
Maxime Ducret - Praticien Hospitalier – département de prothèses, UFR d'odontologie de Lyon
Maître de conférences des Universités – unité fonctionnelle de prothèses, service de soins dentaires et d'odontologie hospitalière des HCL, Lyon