Plans de traitement
Ce cas clinique allie de nombreuses spécificités propres à notre époque : les usures, véritables lésions (fléaux) de société, les traitements utilisés alliant collage et implants, et enfin le cadre, un service hospitalier permettant l'accès aux soins à tous.
Tous les moyens ont été mis en œuvre pour respecter les données acquises de la science avec toujours cette notion de « bénéfices /risques » pour le patient ; l'essentiel étant...
Résumé
Ce cas clinique traite d'un véritable phénomène de société : les lésions d'abrasion-usure. Ce sont des lésions non bactériennes et nous sommes en présence de tissus sains, mais les délabrements causés peuvent être considérables. Aussi est-il important de privilégier une attitude conservatrice.
Nous pouvons remarquer que ces lésions sont associées à un problème occlusal important avec perte de la stabilité occlusale et perte d'un guide antérieur fonctionnel. Il est par conséquent essentiel de recréer un schéma occlusal fonctionnel permettant de réaménager un guide antérieur et par là-même l'esthétique.
Ce cas alliant collage et implants a été entièrement réalisé dans un service hospitalier (Rothschild) permettant l'accès aux soins à tous, dans le respect des bonnes pratiques, à savoir privilégiant l'économie de substance dentaire en utilisant les données actuelles de la médecine.
Ce cas clinique allie de nombreuses spécificités propres à notre époque : les usures, véritables lésions (fléaux) de société, les traitements utilisés alliant collage et implants, et enfin le cadre, un service hospitalier permettant l'accès aux soins à tous.
Tous les moyens ont été mis en œuvre pour respecter les données acquises de la science avec toujours cette notion de « bénéfices /risques » pour le patient ; l'essentiel étant bien entendu qu'en cas d'échec, le patient ne se retrouve pas dans une situation pire que l'état dans lequel il est arrivé.
Pour cela, nous avons privilégié un traitement conservateur : restaurer sans mutiler davantage, car nous sommes en présence de dents délabrées mais saines (sans atteinte bactérienne).
Des prérequis anatomiques et mécaniques sont nécessaires pour s'orienter vers cette décision thérapeutique. Le collage exige un minimum de hauteur coronaire résiduelle (avec la possibilité de conserver le plus possible de structure amélaire) et une bonne maîtrise de l'occlusion.
La difficulté supplémentaire propre à ces lésions est liée à leur étiologie multifactorielle, combinant des facteurs physiques et chimiques [1], d'où la sévérité de ces lésions et leurs formes cliniques variées.
C'est ainsi que l'on peut distinguer l'abrasion (usure pathologique due à un processus mécanique indépendant de l'occlusion [2]), l'érosion (usure essentiellement chimique [3]), et l'attrition (usure physiologique et pathologique provoquée par des frictions proximales et occlusales interdentaires [4]).
L'attrition se définit comme une perte progressive de substance dentaire à partir des contacts occlusaux entre des dents ou des matériaux de restauration qui s'opposent. Ce phénomène physiologique, lié au vieillissement, se trouve accéléré par des contraintes occlusales excessives chez les patients partiellement édentés sans calage postérieur ou encore chez des patients présentant une malocclusion [5].
Les surfaces axiales et occlusales sont affectées et le plan d'occlusion est altéré [6]. Le délabrement s'accompagne parfois, mais plutôt rarement, d'un effondrement de la dimension verticale d'occlusion. Le sourire devient alors très disgracieux.
Il est ainsi crucial de réaliser un examen clinique rigoureux et de noter les éventuelles manies comportementales du patient [7].
La pérennité de la réhabilitation dépend avant tout de l'analyse et de l'élimination des facteurs causaux.
En octobre 2017, une patiente d'une quarantaine d'années se présente en consultation à l'hôpital Rothschild pour une réhabilitation bucco-dentaire complète. Elle avait été victime d'un grave accident de la route qui lui avait laissé d'importantes séquelles au niveau de la face et de l'ensemble de ses dents (dents absentes, dents présentant de sévères abrasions).
Sa demande est esthétique et fonctionnelle : elle ne peut plus sourire, ose à peine parler et se nourrit très mal.
On peut noter sur la vue de face une asymétrie dans les plans horizontal (ligne du sourire non parallèle à la ligne bipupillaire) et vertical (milieu inter-incisif décalé), séquelle de l'accident (fig. 1).
La photographie du sourire nous permet de distinguer :
– une ligne du sourire en « accent circonflexe », due à une usure importante des dents antérieures maxillaires ;
– un non-alignement des collets dû à une lèvre supérieure asymétrique ;
– des lèvres charnues et généreuses ;
– une asymétrie entre la lèvre supérieure et la lèvre inférieure.
Ce que l'on peut améliorer avec un traitement dentaire :
– le sourire en « accent circonflexe » ;
– l'alignement des collets.
Mais rien ne pourra être modifié concernant les asymétries.
Il est important avant de commencer la phase thérapeutique de faire une bonne analyse du cas pour pouvoir répondre aux demandes du patient et ce, avec le plus de réalisme possible. Cette notion de faisabilité est indispensable à la bonne conduite de tout traitement et doit passer de façon systématique par ces 3 phases :
– examen clinique très minutieux, à la fois esthétique et fonctionnel ;
– faisabilité de notre choix thérapeutique : cires de diagnostic, mock-up, provisoires ;
– réalisation thérapeutique.
Sur la vue de profil, on peut noter une proalvéolie importante, un bon soutien de la lèvre supérieure et une hauteur de l'étage inférieur d'une bonne proportion (fig. 2).
L'examen révèle d'importants délabrements coronaires occasionnés par des phénomènes d'abrasion-érosion (fig. 3). Nous pouvons noter que ces importantes lésions se situent essentiellement sur toutes les faces palatines des dents maxillaires, de la 15 à la 25, avec une usure moins marquée sur les molaires gauches (26 et 27).
L'étiologie de ses abrasions s'explique par des troubles du comportement alimentaire et un brossage inadapté avec la perte d'un guide antérieur fonctionnel.
Nous pouvons noter également des usures vestibulaires et linguales des incisives inférieures, ainsi qu'à un moindre degré au niveau des faces occlusales des prémolaires et molaires mandibulaires (fig. 4).
Le plan d'occlusion est peu perturbé, car les secteurs postérieurs gauches et prémolaires droits sont présents, malgré quelques dents absentes, notamment au secteur droit maxillaire (absence des molaires) et mandibulaires (absence de 46) (fig. 5).
On ne note pas de diminution de la dimension verticale.
Les bilans radiographiques préopératoires (octobre 2017), long-cône et panoramique mettent en évidence (fig. 6) :
– des secteurs édentés : 16 17 18 36 46 48 ;
– des délabrements coronaires très importants (abrasion-érosion) généralisés au niveau des 2 arcades ;
– une lésion d'origine endodontique au niveau de 35 ;
– une lésion carieuse très profonde en vestibulaire au niveau cervical de 37 ;
– une couronne sur 43 dépulpée ;
– un support parodontal correct.
L'observation des modèles en plâtre et leur montage sur articulateur permettent d'objectiver les dents absentes (fig. 7) puis d'évaluer les rapports inter-arcades ainsi que l'espace prothétique, qui est ici suffisant.
Nous validerons ainsi la dimension verticale de la patiente.
Les dents #28 et #37 ne pourront être conservées. Un traitement endodontique est nécessaire sur la 35 pour traiter la lésion endodontique. Les autres dents sont très délabrées mais saines, même si leur déficit structurel est important.
L'objectif principal du traitement est de répondre aux demandes (ici particulièrement) justifiées de la patiente, à la fois esthétiques et fonctionnelles, qui seront dans ce cas spécialement liées puisque la reconstruction du guide antérieur est l'élément essentiel à prendre en considération.
– remplacer les dents absentes ;
– restaurer sans délabrer (dents usées mais « saines », pas d'affection carieuse bactérienne).
La difficulté de ce cas est liée à la projection du secteur antérieur maxillaire et à l'anticipation de la relation dento-dentaire antérieure : il faut construire un guide antérieur esthétique et fonctionnel.
1. restauration des secteurs postérieurs pour assurer une stabilité occlusale.
2. restauration des secteurs antérieurs pour assurer un guide antérieur, permettant de redonner à la patiente l'esthétique et la fonction qu'elle a perdues.
Aujourd'hui, deux champs d'application répondent à nos critères de restauration avec une conservation tissulaire maximale : collage et implantologie.
– les dents absentes seront remplacées par des implants ;
– les dents usées seront restaurées par des collage sans préparation :
• inlays-onlays sur les dents postérieures ;
• couronnes sur les dents antérieures maxillaires et mandibulaires.
L'analyse du cas nous a permis de mettre en évidence les éléments issus du diagnostic et les difficultés que présente la réhabilitation esthétique de ce cas.
a. une relation antérieure bi-maxillaire complexe (fig. 8)
– dans le sens horizontal : proalvéolie importante ayant comme conséquence au niveau dentaire un fort surplomb horizontal ;
– dans le sens vertical : espace prothétique antérieur important.
b. une ligne du sourire asymétrique due à l'accident de la circulation qu'a subi la patiente (fig. 9)
– dans le plan horizontal : la patiente découvre davantage du côté droit, ce qui a comme conséquence un non-alignement des collets ;
– dans le plan vertical : le milieu inter-incisif n'est pas au milieu par rapport au tubercule médian de la lèvre supérieure.
D'où l'importance de respecter ces 3 phases :
– examen clinique très minutieux, à la fois esthétique et fonctionnel ;
– faisabilité de notre choix thérapeutique : cires de diagnostic, mock-up, provisoires ;
– réalisation thérapeutique.
Restauration des secteurs postérieurs pour assurer une stabilité occlusale :
– dents absentes par mise en place d'implants ;
– dents délabrées par collage.
Restauration des secteurs antérieurs pour assurer un guide antérieur.
– extraction de la 36 ayant une carie cervicale vestibulaire très profonde, et de la 28 (fig. 10) ;
– traitement endodontique de la 35 (lésion d'origine endodontique), inlay-core (fig. 11) ;
– mise en place d'implants au niveau des dents absentes : 16 17 36 46 (fig. 12).
– mise en place des inlay-onlays collés sur les secteurs postérieurs maxillaires et mandibulaires (fig. 13). Le système de collage utilisé est le Superbond® (SUN Medical) ;
– mise en place des couronnes sur implants (fig. 14) par un système transvissé.
Les secteurs postérieurs ayant été restaurés par restaurations collées et implanto-portées, la stabilité occlusale une fois obtenue, le guide antérieur va pouvoir être reconstruit (fig. 15).
Les difficultés mises en évidence lors de l'analyse esthétique de la patiente imposent une phase pré-prothétique très rigoureuse avec wax-up, mock-up, test esthétique et fonctionnel des réalisations provisoires.
Pour évaluer l'esthétique et la fonction du guide antérieur (fig. 16).
Après avoir mis en place les différents éléments postérieurs assurant la stabilité occlusale, deux empreintes à l'alginate sont prises et les secteurs antérieurs (maxillaire et mandibulaire) sont édifiés en cire. Un moule en silicone (fig. 17) des secteurs antérieurs reconstruits permettra la réalisation d'un mock-up à base de résine (métacrylate de méthyl).
Le mock-up essayé en bouche permet une analyse du rendu esthétique :
– au niveau du visage : nous pouvons noter un bon soutien de la lèvre, une bonne proportion des étages et un profil harmonieux (fig. 18) ;
– au niveau du sourire : la ligne du sourire est « équilibrée » (fig. 19) ; nous pouvons noter la hauteur gingivale plus marquée du côté droit, qui sera corrigée par une petite élongation coronaire.
Un tracé établi environ 2 mm au-dessus du collet des dents côté droit (11 12 13) permet d'indiquer le niveau gingival désiré (fig. 20) pour un sourire harmonieux.
Des préparations sont faites a minima, consistant uniquement en la section des points de contact et en l'établissement d'un profil ovalaire périphérique ; les parois axiales (vestibulaires et palatines/linguales) n'ont absolument pas été touchées (fig. 21).
Les restaurations provisoires en résine sont mises en place le jour de l'élongation coronaire pour guider la cicatrisation gingivale (fig. 22).
Après avoir validé les restaurations provisoires d'un point de vue esthétique et fonctionnel (fig. 23), les empreintes des secteurs antérieurs ont été réalisées avec des silicones selon la technique en un temps (double mélange) et la confection de porte-empreintes individuels.
Nous pouvons noter sur les maîtres-modèles (fig. 24), les préparations a minima réalisées, aussi bien au niveau des dents maxillaires que mandibulaires.
Les armatures en zircone sont réalisées et essayées (fig. 25) ; l'adaptation cervicale est vérifiée avec une sonde (17) et un « fit-checker » (light dans l'intrados).
Une nouvelle cire d'occlusion est prise sur les armatures. Parallèlement, une empreinte en alginate des restaurations provisoires avait été adressée au laboratoire pour reproduire volume, forme et situation des dents antérieures maxillaires et mandibulaires.
Le biscuit est réalisé et essayé (fig. 26) avec :
– contrôle des points de contact proximaux : fil de soie dentaire et au besoin (si contacts trop forts), petits carrés rouges de 40 microns ;
– revérification de l'adaptation cervicale (avec sonde 17) ;
– ajustage des points de contacts occlusaux (statique et dynamique) : pince de Miller et papier à articuler rouge de 40 microns.
Lors d'une séance ultérieure, nous procédons à la pose des réalisation céramiques (fig. 27) qui seront collées après une rapide revérification de tous les contrôles effectués lors des séances précédentes.
Le procédé de collage utilisé fera appel à une colle à caractère adhésif intrinsèque (Superbond® de Sun Medical) avec application d'un silane contenant des monomères MDP (phosphate de 10-méthacryloyloxydécyle dihydrogène, Clearfil®, Ceramic Primer) au niveau de l'intrados des réalisations zircone. Parallèlement, une préparation des surfaces dentaires à coller sera réalisée (mordançage de la dentine et de l'émail).
Nous avions fait bien attention, lors des préparations, à conserver les bandeau amélaires pour optimiser le collage.
Les excès sont éliminés avec une précaution toute particulière au niveau des sulci.
La patiente est revue une dizaine de jours après pour recueillir ses impressions et revérifier l'occlusion.
Le résultat obtenu correspond aux demandes esthétique et fonctionnelles de la patiente.
Des séances de maintenance sont prévues tous les 3 mois la première année, puis deux fois par an.
Même si l'usure est multifactorielle, dans le cas ci-dessus, les différents facteurs responsables peuvent être objectivés.
Il s'agit de lésions sévères (donc anciennes) et généralisées, dues à essentiellement à des facteurs chimiques (comportement alimentaire), mais également mécaniques (perte de dents par accident de la route).
Il est en effet primordial avant toute thérapeutique de réhabilitation de mettre en exergue les facteurs étiologiques et de s'assurer de leur élimination pour éviter toute récidive aboutissant à un échec.
La difficulté majeure était d'imposer à la patiente la reconstruction des secteurs postérieurs avant celle des dents antérieures, et par là-même, de repousser sa demande esthétique. En effet, la pérennité des restaurations collées antérieures ne peut être assurée que par une stabilité occlusale.
Une autre difficulté est liée à la forme elle-même des lésions et des différents indices d'usure qui les accompagnent [8].
Le choix d'une restauration [10, 11] plus ou moins conservatrice (prothèse scellée conventionnelle versus prothèse collée « mini-invasive ») est fonction :
– du respect des impératifs de la prothèse car :
• volumes dentaires fortement réduits imposant une dépulpation, dont on préfèrerait repousser l'échéance [12, 13] ;
• situation de la limite cervicale.
– des techniques adhésives :
• limites de la technique ?
• comment optimiser l'application du principe d'économie tissulaire ?
• comment optimiser au mieux la qualité d'adhésion ?
Dans le cas présenté, les dents n'ont pas été préparées et les restaurations ont utilisé la forme des lésions d'usure. L'application du principe d'économie tissulaire et la qualité d'adhésion ont pu être respectées car la forme et la situation des lésions le permettaient :
– préservation d'un bandeau cervical amélaire ;
– préservation d'une hauteur suffisante.
– profil et attente du patient ;
– critères dentaires : structurelles : à étudier ;
– critères parodontaux : parodonte sain ;
– critères occluso-fonctionnels : troubles de l'occlusion (pas de guide antérieur) ;
– critères esthétiques : déficit ;
– critères anatomiques : pour la mise en place des implants dans de bonnes conditions.
L'auteur remercie les étudiants et praticiens en charge de la patiente :
– les étudiants de 5e année : Alix Elzein (2018-2019) pour la pose des secteurs postérieurs et toutes les étapes pré-prothétiques (wax-up, mock-up) ; Alice Bonaldi (2019-2020) pour la pose des restaurations antérieures et le suivi post-opératoire ;
– le service du DU d'implantologie : candidat du DU, le Dr Thibault Drouhet encadré par le Dr Isabelle Kleinfinger pour la pose des implants ;
– le Dr Christelle Darnaud, assistante hospitalo-universitaire en parodontie, pour l'élongation coronaire ayant permis l'alignement des collets ;
– les Dr Catherine Mesgouez, maître de conférences des universités-praticien hospitalier, et Nelley Pradelle, professeur des universités-praticien hospitalier en dentisterie restauratrice, pour le suivi des traitements endodontiques ;
– le service du mardi après-midi avec les Dr Liza Binisti, Marie-Joséphine Crenn, assistante hospitalo-universitaire en prothèses, les Dr Eliott Zaghroun, ex-assistant hospitalo-universitaire en prothèses, et Lucien Bismuth pour leur soutien dans l'accomplissement de ce cas ;
– le laboratoire de prothèses Sopradent, avec Mr Allain pour la réalisation des inlays et des céramiques.
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Élisabeth Sarfati - MCU-PH Prothèses, Université de Paris
Postgraduate de prothèses, Boston University
Expert près la cour d'appel de Paris