Réhabilitation prothétique
A. HENNEQUIN E SOLYOM L. GIL M. BENICHOU F. FERRAND X. DUSSEAU F. DESTRUHAUT
Selon l'Organisation mondiale de la santé, 20 millions de personnes en France souffrent d'édentement partiel ou total et on estime ainsi que 60 % des plus de 60 ans ont perdu plusieurs dents ; 16 % d'entre eux sont totalement édentés. Le traitement simple et réversible, la présence de crêtes favorables, une expérience antérieure favorable d'une prothèse partielle amovible et le coût modéré sont des éléments positifs conduisant à proposer une prothèse...
Résumé
Après analyse du gradient de résorption, le recours à l'ancrage zygomatique peut constituer une solution thérapeutique intéressante en vue d'une réhabilitation prothétique fixe, en présence d'un maxillaire fortement atrophié et présentant un édentement complet. Le recours à l'implantologie trans-zygomatique constitue un acte chirurgical à visée prothétique dont l'intégralité de la planification doit donc être prothétiquement guidée. La méthodologie répond aux critères de l'implantologie conventionnelle : examen clinique (esthétique, fonctionnel, dentaire, musculo-articulaire, dimension verticale d'occlusion), radiographie, assainissement infectieux et parodontal et reconditionnement de l'appareil manducateur si nécessaire, projet prothétique, guide radiologique et chirurgical. Les auteurs souhaitent présenter, de façon synthétique, le protocole chirurgico-prothétique en mettant notamment en évidence l'importance de la réflexion prothétique.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, 20 millions de personnes en France souffrent d'édentement partiel ou total et on estime ainsi que 60 % des plus de 60 ans ont perdu plusieurs dents ; 16 % d'entre eux sont totalement édentés. Le traitement simple et réversible, la présence de crêtes favorables, une expérience antérieure favorable d'une prothèse partielle amovible et le coût modéré sont des éléments positifs conduisant à proposer une prothèse adjointe complète (PAC) en présence d'un édentement complet [1]. Cependant, certains patients ne semblent pas être de bons candidats à la PAC du fait de plusieurs paramètres pouvant constituer un véritable handicap physique mais aussi psycho-social (fig. 1). Les implants dentaires représentent une solution de choix dans nombre de situations cliniques ; néanmoins, une résorption osseuse accrue, avec une quasi absence d'os maxillaire résultant d'un édentement ancien et de la pneumatisation des sinus, peut compliquer, voire contre-indiquer, un positionnement implantaire chez des patients présentant un édentement complet ancien. Le traitement implantaire chez l'édenté complet présentant une résorption sévère du maxillaire, constitue un véritable défi.
Il existe plusieurs modalités thérapeutiques pour rétablir un volume osseux adéquat dans le sens vertical ou transversal, permettant ainsi la pose d'implants comme les élévations du plancher sinusien et les procédures de greffes osseuses (bloc allogène, prélèvement pariétal, iliaque, ramique). Si les prélèvements autogènes sont parfois considérés comme le gold standard dans le sens vertical, ils présentent néanmoins l'inconvénient de nécessiter plusieurs sites opératoires (au moins un donneur et un receveur), parfois sous anesthésie générale, et comportent certaines morbidités liées au site donneur [1]. Malo et al. ont introduit l'usage de réhabilitations maxillaires fixes sur 4 implants dites all-on-4, l'usage s'est également répandu sur 6 implants (all-on-6), évitant la zone sinusienne par l'angulation mésiale de l'apex des implants distaux, avec de forts taux de survie et de succès tant à la mandibule qu'au maxillaire [2]. Cette technique, certes économe en support osseux, nécessite une hauteur d'au moins 10mm au niveau du prémaxillaire antérieur et une largeur crestale suffisante d'au moins 4mm sur les sites implantaires. Pour certains patients, le gradient de résorption est tel que ces conditions minimales ne peuvent pas être réunies et l'ancrage zygomatique constitue alors une alternative intéressante en vue d'une réhabilitation prothétique fixe, contournant ainsi les procédures de greffes.
L'absence quasi totale de l'os maxillaire, indique le recours aux implants zygomatiques [3, 4]. Ces derniers, généralement au nombre de quatre, doivent avoir une position qui en aucun cas ne doit compromettre la reconstruction prothétique [5].
L'os zygomatique est un os qui ne connaît pas de phénomène de résorption ; il reste stable tout au long de la vie, constitué de deux corticales denses et d'un volume médullaire conséquent (fig. 2). Van Steenberghe et al. en 2003 montrent dans une étude sur cadavres (n = 14) que la quantité d'os disponible au niveau zygomatique est en moyenne de 14 mm / 8 mm / 20,5 mm [6], volume osseux permettant de positionner 2 implants trans-zygomatiques par côté au sein de la technique dite quad-zygomatique (fig. 3). Certaines techniques chirurgicales permettent de placer l'implant zygomatique latéralement au sinus, favorisant une sortie de l'implant dans une position moins palatine et tendant à minimiser ainsi certaines complications comme les sinusites. Certains éléments nobles doivent être considérés, individualisés et respectés lors de la chirurgie comme l'émergence du V2, raison pour laquelle la plupart de ces interventions sont des chirurgies « à vue ». Le positionnement implantaire est conduit sous contrôle d'un guide prothétique mais une chirurgie totalement guidée ne constitue pas une option thérapeutique faisant l'objet actuellement d'un consensus. La technique de positionnement par voie palatine et l'inclinaison horizontale conduit à l'utilisation d'implants longs de 30 mm à 52,5 mm, dont la tête est angulée et d'émergence palatine. Il existe également des implants sans angulation. Il convient de choisir de connecter des piliers droits ou angulés à 17o pour obtenir un axe de vissage compatible avec la réalisation d'une prothèse fixée et vissée (Tableau 1). L'émergence peut se faire entre l'incisive latérale et la première molaire. En cas de quad-zygomatique, les émergences se font la plupart du temps en 12-22 et 15-25.
Le protocole initial d'utilisation d'implants zygomatiques, bien documentée depuis le premier rapport de Brånemark en 1988, prévoyait la mise en place bilatérale de deux implants zygomatiques et de deux à quatre implants endo-osseux antérieurs [7]. Cette approche a donné un taux de réussite de 94,9 % à 100 % pour les implants endo-osseux et un taux de réussite de 95,12 % à 100 % pour les implants zygomatiques [1]. Chrcanovic et al. en 2013 dans une revue systématique relève des taux de survie de 98,4 % pour les implants zygomatiques et de 94,8 % pour les implants conventionnels, pour des durées de suivis variables selon les études [8]. Une méta-analyse publiée en 2016 met en évidence un taux de survie à 12 ans de 95,21 % (la plupart des échecs ayant été détectés au cours de la période post-chirurgicale de six mois). Parmi les complications, on relève des sinusites pour 2,4 % des patients, des infections des tissus mous pour 2 % des patients, des paresthésies pour 1 % des patients, et des fistules oroantrales pour 0,4 % des patients [9].
Bien que les taux de survie soient excellents et les complications peu fréquentes, la réhabilitation prothétique sur implants zygomatiques doit rester limitée à des indications très précises, dans des contextes favorables et évalués en amont à travers une analyse chirurgico-prothétique [9, 10, 11] (fig. 3).
Davo et al. (2015) relèvent que la moyenne d'âge des patients concernés par des protocoles de mise en place d'implants zygomatiques est de 56 ans, ce qui correspond probablement à des patients soumis à des contraintes professionnelles les orientant plutôt vers ce type de traitement plus rapides que vers des greffes osseuses dont la phase de temporisation parfois sans appareil est plus exigeante, avec un impact professionnel et social plus délicat [12]. Pineau et al. (2018) proposent à 14 patients de remplir 1 mois avant l'intervention et 2 mois après un questionnaire concernant la qualité de vie (Oral Health Impact Profile, OHIP-14) [13]. Les résultats montrent une forte diminution du handicap lié à la situation initiale, que ce soit d'un point de vue fonctionnel, algique, physique, psychologique ou social (Tableau 2).
Deux cas cliniques présentant des réhabilitations prothétiques sur implants zygomatiques, en présence de maxillaires sévèrement atrophiques, sont présentés dans cet article, afin d'illustrer le séquençage thérapeutique. L'acte implantaire étant avant tout un acte prothétique, une réflexion pré-chirurgico-prothétique globale est réalisée en amont, notamment par l'intermédiaire de l'établissement préalable des huit critères occluso-architecturaux proposés par Orthlieb, à travers le concept de l'Octa [14] (fig. 5). L'observation clinique, l'étude des moulages de diagnostic et l'analyse des radiographies ont une importance capitale : pour Patrick Tavitian, « cette analyse doit mettre en avant la cohérence entre les souhaits prothétiques, la réalité biomécanique et les possibilités anatomiques face à la mise en place d'implants » [15]. Tout comme en implantologie traditionnelle, la phase prothétique précède et finalise la phase chirurgicale, tant dans le raisonnement que dans l'élaboration et la réalisation du plan du traitement.
Une patiente âgée de 60 ans, se présente à la consultation pour une insatisfaction de sa prothèse actuelle. Elle est totalement édentée au maxillaire depuis 25 années. Une paralysie faciale idiopathique complique la rétention de sa prothèse amovible. L'examen clinique révèle la présence d'un palais complètement plat et l'absence de crête osseuse (fig. 6). Le duplicata de la prothèse actuelle permet la confection d'un guide radiologique et la planification de 4 implants zygomatiques en vue de soutenir un bridge vissé type all-on-4 (fig. 7-9). Les implants sont positionnés sous anesthésie générale (fig. 10-12), le choix des piliers et l'empreinte positionnelle sont réalisées au bloc opératoire, la prothèse transitoire est positionnée le lendemain. Il s'agit d'une prothèse vissée transitoire acrylique renforcée de métal. Quatre mois de cicatrisation valident l'ostéointégration mais révèlent une perte osseuse en vestibulaire de 22 qui se stabilise par la suite (fig. 13). La prothèse d'usage est confectionnée par la suite selon le protocole habituel : empreinte positionnelle, validation du modèle de travail par clé en plâtre, rapport inter-arcade utilisant la prothèse transitoire, essayage des dents, usinage de l'armature, positionnement des dents en composite, polymérisation. La prothèse est vissée à 15 N.cm (fig. 13-15).
Une patiente de 55 ans se présente à la consultation totalement édentée au maxillaire et à la mandibule, seules 13-23 ont été conservées. Les deux prothèses sont défectueuses. Un examen radiographique révèle l'absence totale d'os disponible au maxillaire pour un recours à l'implantologie conventionnelle (fig. 16-17). Le projet prothétique inclut l'augmentation de la DVO et la normalisation des rapports inter-arcade. Il permet la réalisation d'un guide radiologique et la planification chirurgicale. Une chirurgie sous anesthésie générale permet le positionnement de 4 implants zygomatiques, la mise en place des piliers et le contrôle des axes de vissage (fig. 18). Les étapes prothétiques d'empreinte et de rapport inter-arcade sont conduites au bloc opératoire, la prothèse maxillaire transitoire est positionnée le lendemain soir (fig. 19). Dans un deuxième temps, 4 implants mandibulaires sont positionnés accompagnés d'une greffe allogénique dans le sens transversal, une réhabilitation transitoire est positionnée à la mandibule selon le même protocole prothétique. Après 4 mois d'ostéointégration, des prothèses d'usage en céramique sur armature zircone sont réalisées en pérennisant les paramètres prothétiques proposés et validés par les prothèses transitoires (occlusion, dimension verticale d'occlusion, soutien de la lèvre) (fig. 20-23).
Les implants zygomatiques représentent une technique prédictible, avec un très haut taux de survie (environ 95 % à 12 ans). Le concept Quad-Zygoma est une technique fiable offrant au patient un support stable pour une prothèse fixée et la possibilité d'une mise en charge immédiate. Il augmente la qualité de vie du patient et peut être considéré comme un traitement de choix du patient totalement édenté souffrant d'une atrophie maxillaire sévère. Enfin, tout comme l'implantologie conventionnelle, le recours aux implants zygomatiques constitue un acte prothétique, rétablissant esthétique et fonction, tout enpermettant le retour, pour les patients qui en bénéficient, à une vie sociale satisfaisante.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Les auteurs remercient M. Gil (laboratoire Laurent Gil, Cahors) et M. Lazarini (laboratoire Bertin, Bordeaux) pour leurs travaux et leurs implications.
Antonin Hennequin - Assistant hospitalo-universitaire (AHU), exercice libéral (Cahors)
Eric Solyom - Chirurgien maxillo-facial, chargé d'enseignement
Laurent Gil - Prothésiste, laboratoire L. Gil
Guillaume Lazarini - Prothésiste, Laboratoire Bertin
Mathieu Benichou - Chirurgien-dentiste, exercice libéral (Toulouse)
Frédérique Ferrand - Chirurgien-dentiste
Xavier Dusseau - Prothésiste dentaire
Florent Destruhaut - Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier (MCU-PH)