Dysfonction
A. LOBO A. HENNEQUIN S. CHAYRIGUES A. MONTEIL X. DUSSEAU P. BARON F. DESTRUHAUT
Les désordres temporo-mandibulaires (DTM) sont des myo-arthropathies, aiguës ou chroniques, caractérisées par des douleurs orofaciales persistantes et parfois invalidantes. Ce sont des pathologies complexes, multiformes et encore mal connues, multi-étiologiques dont l'évaluation devrait comporter plusieurs volets : traumatique, génétique, hormonal, somatique (occlusal, orofacial, postural), parafonctionnel, psychologique, socio-culturel, hypnique. Selon...
Résumé
Les désordres temporo-mandibulaires (DTM) sont des pathologies musculaires et articulaires, multifactorielles. La plupart des désunions condylo-discales réductibles ne sont pas douloureuses, mais certaines connaissent des épisodes algiques qui peuvent être pris en charge de manière multimodale, associant éducation thérapeutique, stratégies cognitives et comportementales, kinésithérapie maxillo-faciale et éventuellement orthèses occlusales, de reconditionnement neuro-musculaire ou d'antéposition mandibulaire. En cas d'absence de gênes et de douleurs, la consensus international s'oriente vers l'abstention thérapeutique limitée aux recommandations psycho-comportementales d'usage (pas de douleur = pas de traitement). L'objectif de l'orthèse d'antéposition mandibulaire est de positionner la mandibule dans une position plus antérieure afin de recapter transitoirement le disque articulaire. La littérature a prouvé l'efficacité relative de cette approche ; il a été mis en avant des succès comme des échecs et des récidives avec ce type de traitement. Par le passé, on considérait que la nouvelle relation condyle/disque devait être stabilisée par des procédures occlusales dentaires et/ou chirurgicales. Aujourd'hui, l'obtention d'une normalisation de la relation disque/condyle n'est absolument plus une finalité thérapeutique et le sevrage de l'orthèse semble être à privilégier dans la majorité des cas. Les auteurs souhaitent présenter les données actuelles de la littérature scientifique tout en illustrant leur propos à travers un cas clinique de recapture discale suivi sur 10 ans.
Les désordres temporo-mandibulaires (DTM) sont des myo-arthropathies, aiguës ou chroniques, caractérisées par des douleurs orofaciales persistantes et parfois invalidantes. Ce sont des pathologies complexes, multiformes et encore mal connues, multi-étiologiques dont l'évaluation devrait comporter plusieurs volets : traumatique, génétique, hormonal, somatique (occlusal, orofacial, postural), parafonctionnel, psychologique, socio-culturel, hypnique. Selon l'American Academy of Cranio-Mandibular-Disorders, 75 % des sujets d'une population non sélectionnée auraient un signe de dysfonction de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM), et 33 % auraient une association algie/gnathosonie [1]. Les stratégies de prises en charge des DTM ne sont pas orientées sur le traitement de l'étiologie car elle est mal connue et difficile à déterminer, mais sont basées sur des stratégies de diminution de la douleur, de réadaptation fonctionnelle de l'appareil manducateur et d'accompagnement du handicap. Le consensus actuel est de privilégier une prise en charge multimodale (association de plusieurs thérapies), réversible et la moins invasive possible. Les thérapies comportementales, cognitives et psychologiques peuvent faire partie du traitement global en raison de l'impact des facteurs psychosociaux (axe II) dans le déclenchement et l'entretien des DTM, tout comme l'utilisation d'un traitement médicamenteux [2], d'orthèses occlusales (de reconditionnement neuro-musculaire, de Michigan, d'antéposition) [3], de physiothérapie (kinésithérapie maxillo-faciale, ostéopathie, auto-exercices) [4] et excessivement rarement de la chirurgie, plutôt indiquée en deuxième intention (arthroscopie, arthrosynthèse, injections) [5] (fig. 1).
La classification nosologique des désordres temporo-mandibulaires fait état de désunions condylo-discales (DCD) caractérisées par des dérangements internes de l'ATM, notamment un déplacement du disque par rapport à la tête du condyle. Ces déplacements peuvent être liés à un traumatisme [6], à l'anatomie des structures osseuses [7], mais aussi à un bruxisme et à des composantes psycho-émotionnelles regroupées selon l'acronyme SAD (stress, anxiété, dépression). L'étiologie occlusale, dont la preuve semblait être apportée dans les années 1990, est aujourd'hui discutée et largement remise en question [8].
Il existe deux grands types de déplacement condylo-discaux (DCD) : réductible et irréductible (fig. 2). La DCD réductible (DCD-R ou DCD de grade II), est le type de déplacement le plus fréquent [9]. Les déplacements les plus fréquents du disque sont en position antérieure ou antéro-médial, beaucoup plus rarement en antéro-latéral [10]. Dans le cas d'une DCD-R, le disque est en position antérieure par rapport au condyle bouche fermée, et il est recapté lors de l'ouverture de la bouche (fig. 3). Les symptômes le plus souvent rapportés de cette désunion sont les gnathosonies de type « claquements » (signe de franchissement du bourrelet discal postérieur par la tête condylienne), les algies et les dyskinésies. La recapture peut survenir en phase initiale, moyenne ou terminale de l'ouverture. Lorsque le disque est en avant, les ligaments en postérieur du disque peuvent être étirés et la zone bilaminaire parfois endommagée par le recul du condyle. Des douleurs peuvent apparaître, perceptibles bouche fermée au niveau du pôle latéral de l'ATM, signant une composante inflammatoire de la capsule et du liquide synovial (appelée « capsulo-synovite »), et bouche ouverte contre le versant antérieur de la cavité glénoïde.
Sur le plan sémantique, une orthèse est un dispositif médical de rééducation fonctionnelle (le terme provient du grec –tithêmi, « je remplace », et orthos, « droit »). L'orthèse d'antéposition a été proposée pour traiter les dérangements intra-articulaires et plus particulièrement le déplacement discal réductible. Le concept est qu'en avançant la position de la mandibule, on déplace vers l'avant le condyle en le déplaçant sous le disque positionné antérieurement, en vue de permettre la recapture et une stabilisation du complexe condylo-discal. L'effet primaire attendu est la disparition de la douleur articulaire ainsi que du bruit (puisque le complexe condylo-discal est désormais intègre). L'effet secondaire de l'avancée condylienne est de soulager la zone bilaminaire postérieure par décompression.
Dans la littérature scientifique, il a été montré que l'orthèse d'avancée mandibulaire est un outil efficace dans la diminution de la douleur liée à une DCD réductible. Pihut et al., en 2018, étudient la diminution de la douleur chez des patients traités par orthèse d'antéposition dans une étude prospective [8]. 112 patients diagnostiqués DCD-R sont divisés en deux groupes : un groupe traité par orthèse d'antéposition et un groupe témoin recevant un traitement par électrostimulation au laser. L'étude retrouve une diminution statistiquement significative de la douleur après le port de l'orthèse pendant 4 mois mais pas de différence significative avec le groupe témoin.
Certaines études ont recherché l'efficacité de l'orthèse d'antéposition sur la recapture discale grâce à l'IRM. Eberhard et al., en 2002, ont un taux de succès de recapture discale de 83,3 % confirmée à l'IRM après insertion immédiate d'une orthèse d'antéposition (15 sur 18 articulations de DCD-R) [11]. Kurita et al. montrent en 1998 que 70 % des disques réductibles ont été recaptés après le port d'une orthèse d'avancée pendant 2 mois 24 h/24, confirmés par IRM [12]. Les mêmes auteurs montrent à l'IRM une recapture discale objectivée chez 45 articulations sur 50 diagnostiquées DCD-R après le port de l'orthèse d'antéposition pendant 2 mois 24 h/24 [12].
Liu et al., en 2017, ont étudié les changements spatiaux des disques et des condyles ainsi que leurs inter-relations à l'IRM sur 60 articulations diagnostiquées DCD II dans 3 positions : en occlusion d'intercuspidation maximale (OIM), en position thérapeutique d'avancée mandibulaire ou en position thérapeutique d'orthèse de libération, corrélée avec des mesures angulaires formées par le condyle et le disque. Le pourcentage de recapture discale avec orthèse avancée est de 96,7 %, et avec une orthèse libération de 33,3 %. Pour ces auteurs, la position avec une orthèse d'avancée mandibulaire est la seule qui permet de recapter le disque [13].
Liu et al., en 2012, ont évalué les modifications osseuses de la tête du condyle accompagnant le traitement par orthèse d'antéposition chez des patients atteints de DCD réductible et de DCD non réductible [14]. Un remodelage condylien adaptatif associé au port d'une orthèse d'antéposition a été mis en évidence, avec l'imagerie cone beam, chez 80 % de patients traités par le port d'une orthèse d'antéposition portée 3 mois.
D'autres études ont comparé l'efficacité des orthèses occlusales d'antéposition avec d'autres types d'orthèses. Conti et al., en 2005, ont comparé la diminution de la douleur chez 60 patients atteints de DCD réductibles, divisés en trois groupes selon leur traitement : le premier groupe est traité par orthèse de libération (port pendant 1 an seulement la nuit), le deuxième groupe est traité par orthèse d'avancée mandibulaire (port pendant 3-4 mois 24 h/24, puis l'orthèse est transformée en orthèse de libération), et le groupe contrôle n'a pas de traitement [15]. Les auteurs relèvent une diminution significative de la douleur pour les 3 groupes à 1 an, mais une diminution plus rapide dès 15 jours pour le groupe traité par orthèse d'avancée, ainsi qu'une diminution significative des bruits après 1 an pour les deux groupes traités par orthèse. Ils montrent également une augmentation significative du nombre de contacts occlusaux pour les 3 groupes, qui pourrait être lié à la diminution inflammatoire de l'ATM et au retour condylien dans une position stable et plus physiologique.
Conti et al., en 2015, ont comparé trois stratégies de prise en charge de DCD-R [16]. Deux groupes sont traités par deux types d'orthèses de port nocturne, orthèse d'antéposition et jig antérieur (NTI-tss) l'un et l'autre associés à de l'éducation thérapeutique, et un groupe contrôle avec seulement de l'éducation thérapeutique. Les trois stratégies de prise en charge étaient efficaces pour soulager l'intensité de la douleur, cependant, pour les deux groupes avec orthèses, la diminution de la douleur a été plus rapide par rapport au groupe contrôle, et aucune amélioration des bruits articulaires n'a été observée avec le jig antérieur. L'orthèse d'antéposition a été significativement efficace dès 15 jours, et avec un taux de succès de 83,3 % sur la levée de la douleur après 3 mois. Ces résultats sont toutefois à tempérer du fait d'un suivi à court terme (3 mois) et d'un pourcentage important (45 %) de « perdus » de vue. Tecco et al., en 2004, ont comparé l'efficacité de l'orthèse d'antéposition (portée durant 8 semaines puis modifiée pour retrouver progressivement une position postérieure mandibulaire) et de l'orthèse de stabilisation en évaluant la douleur tous les mois pendant 8 mois [17]. Les résultats ont montré une réduction de la douleur significativement plus importante avec le port d'une orthèse d'antéposition du 4e au 8e mois par rapport aux deux autres groupes et, après 2 mois de traitement, 55 % des patients traités par OA ne présentent plus de douleur.
Dans leur étude de 2001, Kurita et al. ont étudié les facteurs qui influencent le succès de la recapture chez les patients atteints de DCD-R [18]. Les données de l'IRM ont montré que les résultats n'étaient pas favorables pour les cas de DCD non réductibles, dans des cas sévères de dérangement interne avec des déplacements discaux importants et plus particulièrement dans la partie médiale de l'articulation, et ainsi qu'en présence d'inflammation. Pour Eberhard et al., la recapture discale va dépendre de facteurs tels que la position et la configuration du disque par rapport au condyle, l'intégrité de l'attache postérieure, le degré de changement dégénératif des structures articulaires (par exemple la présence d'ostéophytes), l'érosion du condyle et l'aplatissement du disque articulaire [11].
Tecco et al., en 2008, ont réalisé une étude pour évaluer l'activité électromyographique (EMG) du cou, du tronc, et des muscles masticateurs chez 34 sujets atteints de DCD réductible qui vont être traités par orthèse d'antéposition, et 34 sujets sans DCD réductible [19]. Pour cela, ils ont mesuré l'activité EMG des muscles suivants : temporal antérieur et postérieur, masséter, muscles para-cervicaux, sterno-cléïdo-occipito-mastoïdiens (SCOM), trapèzes supérieur et inférieur, bilatéralement au repos et lors de la contraction maximale volontaire au début du traitement et à + 10 semaines. Au repos, ils relèvent une activité EMG significativement plus importante dans le groupe avec DCD-R que dans celui sans DCD-R ; et une diminution significative de l'activité EMG des masséters, SCOM et muscles cervicaux chez le groupe DCD-R 10 semaines après le port de l'orthèse. Ce traitement a permis en outre d'obtenir une contraction équilibrée entre les masséters droit et gauche qui présentaient une asymétrie avant le traitement. Cependant, cette asymétrie a été reportée sur les temporaux antérieurs, qui sont devenus asymétriques après le port de l'orthèse alors qu'ils étaient équilibrés avant le début du traitement. Lors du serrement maximum, une augmentation significative de l'EMG des masséters et temporaux droits est observée après le traitement.
Okeson, en 1988, a obtenu un taux de succès de levée de la douleur à 80 % après 8 semaines de port de l'orthèse d'antéposition, mais a relevé un retour à la douleur chez 23 % lors d'une réévaluation 2 ans et demi après [20]. Ma et al., en 2019, ont réalisé une étude chez 72 patients avec malocclusion squelettique de classe II et atteints de DCD II (diagnostiqués par IRM) qui ont été traités par orthèse d'antéposition (port 24/24 h pendant 1 à 3 mois puis sevrage progressif avec retour à la position originelle) [21]. Ils montrent une diminution statistiquement significative de la douleur et du claquement. L'IRM à la fin du traitement indique un taux de succès de recapture du disque de 92,31 % mais, à + 12 mois, le taux a diminué à 72,5 %. L'orthèse d'antéposition semble efficace concernant la recapture surtout chez les patients en début de puberté, tandis que les échecs de recaptures sont principalement observés chez les patients à partir de la fin de l'adolescence. Dans cette étude, l'orthèse est utilisée comme aide à la recapture mais aussi pour corriger simultanément la classe II squelettique en aidant le remodelage adaptatif du condyle et la croissance de l'ATM. L'orthèse d'antéposition est donc un outil efficace sur la diminution de la douleur, mais il existe dans le temps des récidives significatives, qui pourraient dépendre de plusieurs facteurs comme l'âge du patient et le potentiel résiduel de croissance.
Après le port de l'orthèse d'antéposition et la levée des douleurs, deux possibilités thérapeutiques sont possibles : la plus fréquente est le sevrage progressif de l'orthèse et la deuxième, largement moins fréquente, est la stabilisation occlusale dans la relation articulaire thérapeutique obtenue en antéposition. La stabilisation occlusale consiste à pérenniser l'état consolidé, par des modifications occlusales. Elle doit faire l'objet d'une analyse occlusale, puis peut permettre de proposer l'utilisation de traitements soustractifs (meulages sélectifs), additifs (onlays, overlays, prothèses), ou par déplacements (orthodontie, chirurgie orthognathique). Cette procédure de stabilisation d'usage est irréversible, complexe et coûteuse, et sujet à la récidive. Les conditions dans lesquelles une thérapie de recapture du disque, suivie d'une stabilisation occlusale, seraient bénéfiques à long terme restent très controversées et nécessitent de nombreux compléments d'études [18]. Selon Okeson, le traitement orthodontique en stabilisation est seulement indiqué pour les DTM lorsqu'une instabilité orthopédique est présente et qu'elle contribue au DTM [20]. Okeson a souligné que le traitement occlusal permanent ne devrait pas être réalisé en position thérapeutique avancée. De nombreux chercheurs ont estimé qu'une procédure de stabilisation permanente devrait être utilisée avec parcimonie et chez des patients soigneusement sélectionnés, pour lesquels les ratios bénéfice/risque et bénéfice/coût sont nettement favorables. Okeson conclut que le but principal de l'orthèse d'antéposition est de favoriser l'adaptation des tissus rétrodiscaux, mais qu'une fois cette adaptation effectuée, le condyle doit être ramené dans une position musculo-squelettique stable en modifiant et en éliminant progressivement l'orthèse – ce qui est désigné comme le sevrage –, en partant du principe qu'un néodisque cicatriciel et fibreux s'est potentiellement formé. Il n'y a pas actuellement de consensus international concernant la manière dont devrait être conduit un sevrage, les protocoles varient en fonction des équipes et de l'évaluation clinique de chaque patient.
Madame T. (50 ans) est reçue une première fois en consultation pour un avis de nature orthodontique (fig. 4 et 5).
Motif de consultation : désir d'aligner ses dents antérieures.
Examen exobuccal (ATM) : présence de discrets bruits au niveau ATM droite, intermittents et occasionnels, sans gêne rapportée.
Examen endobuccal : classe d'Angle II division 1 avec inocclusion antérieure et dysharmonie dento-maxillaire de 13 à 23 (fig. 6 à 8).
Avis orthodontique : plusieurs facteurs vont rendre le traitement difficile, dont un antécédent de xénogreffe de corail sur la 22 avec un support parodontal affaibli, qui compromet le traitement orthodontique conventionnel, ou la gestion délicate du guide antérieur qui nécessiterait des extractions asymétriques ou un recul maxillaire dont le résultat labial serait esthétiquement péjoratif pour le profil de la patiente.
La patiente revient quelques mois plus tard en urgence.
Motif de l'urgence : douleur spontanée au niveau de l'ATM droite depuis 15 jours, augmentée à la fonction, consécutive à un stress personnel.
Examen clinique :
– palpation ATM droite : sensibilité du pôle antérieur, pas de sensibilité du pôle postérieur bouche ouverte ; bruit de claquement aller et retour ;
– cinématique perturbée ;
– douleur à la controlatéralité.
Examens complémentaires :
– téléradiographie de profil (fig. 9) ;
– orthopantomogramme (cliché panoramique) (fig. 10) ;
– IRM : ATM droite : désunion condylo discale réductible (grade II) (fig. 11) ;
– axiographie (fig. 12).
Diagnostic : désunion condylo-discale réductible (grade II) douloureux.
Facteurs probables :
– antécédent de déplacement discal intermittent ;
– stress ;
– bruxisme de serrement (qui engendre une surcharge articulaire) ;
– occlusion (inocclusion antérieure).
La prise en charge de la douleur liée à la désunion condylo-discale réductible est réalisée par une orthèse de repositionnement antérieur indentée, dans le but de recapter le disque qui se trouve dans une position antérieure par rapport à la tête du condyle. Le choix de cette orthèse a été orienté par facteurs suivants : une recapture discale proche de l'OIM (3 mm), une désunion franche d'apparition récente et une absence de guide antérieur fonctionnel.
Il existe deux techniques utilisant un articulateur et permettant de confectionner une orthèse en vue de recapter un disque articulaire ; la technique axiographique et la technique de Mongini. Nous avons utilisé la technique axiographique, qui consiste à calculer, grâce à l'axiographe, à combien de millimètres du point axial de fermeture en rotation pure se situe le claquement, et donc la recapture du disque. Dans notre cas, la recapture se situe à 3 mm : nous avons donc mis une cale de 3 mm au niveau de l'articulateur SAM 2P® qui va pousser la tête condylienne en avant de 3 mm. L'orthèse sera confectionnée dans cette position (fig. 13). La technique de Mongini consiste à réaliser une ouverture, une fermeture en propulsion puis un recul mandibulaire, et à s'arrêter juste avant le claquement, puis à réaliser une cire d'enregistrement dans cette position. L'orthèse est portée 24 h/24 pendant 3-4 mois. Les douleurs ayant diminué, une réflexion thérapeutique se met en place sur la suite du traitement (fig. 14 à 17).
Il existe trois options thérapeutiques après un traitement par orthèse d'avancée mandibulaire : une transformation de l'orthèse d'antéposition en orthèse plus reculée de reconditionnement neuro-musculaire, le sevrage de l'orthèse ou la stabilisation occlusale permanente en antéposition. En général, le choix s'oriente vers une transformation de l'orthèse, ou sevrage, qui consiste à supprimer progressivement l'orthèse. Dans le cas présent, nous avons proposé de profiter de l'avancée mandibulaire pour réaliser le souhait de la patiente d'aligner ses dents en normalisant le guide antérieur dans le sens sagittal, et donc de nous orienter vers la stabilisation permanente par traitement orthodontique. Le but est de pérenniser cette position antérieure en conservant la nouvelle relation centrée thérapeutique, en réalisant un traitement orthodontique.
– Set up orthodontique et modification de l'orthèse : échancrure antérieure de 13 à 23 pour laisser libre le déplacement orthodontique (fig. 18 et 19) ;
– alignement des dents antérieures par traitement multibagues de 13 à 23, puis rajout des 14/24 puis 15/25 avec modifications de l'orthèse au fur à mesure de l'incorporation dans le multibagues des prémolaires ;
– à ce stade, nous avons besoin de supprimer l'orthèse et de passer à une autre solution pour maintenir la position thérapeutique. Une analyse occlusale sur articulateur Sam 2P® est lancée, ce qui oriente vers la décision de réaliser des rails d'overlays en composites transitoires et de terminer le traitement orthodontique. Ces rails d'overlays permettront de préserver la relation centrée thérapeutique, de corriger le plan d'occlusion et d'augmenter la stabilité occlusale ;
– réalisation d'un jig antérieur en résine Duralay® en échancrant l'orthèse pour un transfert et un enregistrement fiablede la relation centrée thérapeutique à l'aide d'une cire (fig. 20 à 22) ;
– réalisation des rails d'overlays en composite qui vont pérenniser la position thérapeutique. Ces rails devront être assez indentés pour une position mandibulaire univoque, et de teinte différente de la teinte naturelle pour permettre une dépose ultérieure facile en respectant les dents supports (fig. 23 à 26) ;
– collage des overlays en bouche (fig. 27 à 32). Port 3 à 4 semaines avant de poursuivre le traitement orthodontique (fig. 33 et 34) ;
– suite du traitement orthodontique : mise en place d'un multibagues de 34 à 44, sans modification des rapports définis par les overlays puis, une fois l'alignement antérieur obtenu, rajout des dents postérieures chronologiquement sur l'appareil multibagues en meulant puis en déposant les overlays. L'idée est de permettre des égressions dent par dent ;
– stratégie de dépose des rails d'overlays : nous proposons de déposer les rails dent par dent, en commençant par l'élément le plus antérieur et le plus controlatéral à la lésion initiale, c'est-à-dire la 34 ;
– les égressions et les déposes unitaires ne doivent pas permettre de perdre les rapports inter-arcades :
• 34/44 (la plus antérieure et controlatérale à la lésion) ;
• 35/45 ;
• 36/46 ;
• 37/47 (fig. 35) ;
– résultat final (fig. 36 à 39).
La patiente est reçue chaque année, en contrôle, dans le cadre du suivi. Les ATM sont totalement asymptomatiques, sans douleur, sans bruit ni dyskinésie. À 10 ans, une IRM de contrôle est demandée. Il révèle une désunion condylo-discale réductible à droite et irréductible à gauche (fig. 40). L'interrogatoire et l'examen clinique sont repris, et la patiente déclare n'avoir jamais ressenti aucune gêne ni douleur depuis 10 ans.
L'antéposition a été testée puis validée par le port d'une orthèse sur une durée longue (plusieurs mois), validant la fin de la symptomatologie et l'obtention des nouveaux engrammes mandibulaires de fermeture. Les limites de cette technique d'antéposition se situent probablement dans l'âge de la patiente (50 ans, potentiel de croissance nul et obtention des engrammes plus longue et difficile) et la quantité d'antéposition (3 mm), qui semble être dans une fourchette haute compatible avec le maintien naturel et non forcé d'une antéposition mandibulaire.
L'antéposition trouvait son indication principale dans le fait de résoudre facilement un problème orthodontique (réalisation du guide antérieur) sans extraction ni tractions excessives sur un parodonte faible. Par ailleurs, l'antéposition allait dans le sens de la recapture du déplacement discal antérieur et donc d'une amélioration fonctionnelle des ATM et de la ventilation en ouvrant le carrefour aéro-pharyngé. De ce fait, si l'unité condylo-discale n'est pas conservée à 10 ans, l'instabilité de la recapture discale nous semble être un échec relatif, puisque l'occlusion est bien stable de même que les engrammes de positionnement mandibulaire, et que l'appareil manducateur est exempt de toute symptomatologie douloureuse, cinétique ou sonore. Peut-être ce dernier point aurait-il par ailleurs connu une résolution spontanément favorable, en l'absence d'antéposition comme pour de très nombreux autres patients ? Mais une situation mandibulaire plus reculée aurait largement compliqué une prise en charge orthodontique.
La douleur liée à une désunion condylo-discale réductible récente a un pronostic spontanément favorable dans le temps, et le recours à un spécialiste est rarement nécessaire. Néanmoins, certaines douleurs ne cèdent pas et une prise en charge peut être proposée. Elle repose la plupart du temps sur une stratégie multi-modale incluant l'éducation thérapeutique, les thérapies cognitivo-comportementales, la physiothérapie, un volet pharmacologique ou le port d'une orthèse occlusale. La plupart du temps, l'orthèse réalisée sera une orthèse simple de reconditionnement neuro-musculaire, de recouvrement dentaire complet, de port nocturne uniquement. Parfois, lorsque la désunion est récente, proche de l'OIM (< 3 mm), avec un guide antérieur favorable, il peut être proposé une orthèse d'antéposition mandibulaire avec comme objectif d'accélérer la diminution des douleurs dès les premières semaines. L'orthèse d'antéposition peut permettre une recapture discale chez un grand nombre de patients, ce qui peut aider à diminuer la surcharge des tissus rétro-discaux et favoriser l'apparition d'un néo-disque, avant d'être transformée en orthèse de reconditionnement neuro-musculaire ou de faire l'objet d'un sevrage. Cependant, il existe des échecs liés à certains facteurs anatomiques, biologiques, ainsi que des récidives dans le temps après l'arrêt de l'orthèse, comme en témoigne la littérature scientifique.
Lorsque le traitement est à visée uniquement articulaire, les procédures de stabilisation occlusale en antéposition ne sont aujourd'hui plus recommandées, en raison de leur caractère irréversible, complexe et coûteux. Néanmoins, certaines options peuvent toujours être discutées, notamment dans les cas de classe II si l'antéposition s'inscrit dans une analyse occlusale, et dans un cadre plus global impliquant une meilleure gestion du guide antérieur, la non-nécessité d'extraction de prémolaires à visée orthodontique ou l'amélioration de la ventilation.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Alexia Lobo - Chirurgien-dentiste, exercice libéral (Toulouse)
Antonin Hennequin - Assistant hospitalo-universitaire (AHU), exercice libéral (Cahors)
Samuel Chayrigues - Chirurgien-dentiste, spécialiste en ODF (Cahors)
Alexis Monteil - Prothésiste dentaire
Xavier Dusseau - Prothésiste dentaire
Pascal Baron - Maître de conférences des Universités - Praticien hospitalier (MCU-PH), ODF
Florent Destruhaut - Maître de conférences des Universités - Praticien hospitalier (MCU-PH), Prothèses