Les cahiers de prothèse n° 189 du 01/03/2020

 

Réhabilitation prothétique

F. DESTRUHAUT   M. HOURSET   L. VIDAL   A. NAVEAU   B. CHAMPION   A. HENNEQUIN   J.C. COMBADAZOU   P. POMAR   C. RIGNON-BRET  

Introduction

Les pertes de substance (PDS) maxillo-faciales présentent des étiologies diverses : elles peuvent être d'origine congénitale, dans le cadre de fentes labio-maxillo-palatines et/ou de syndromes polymalformatifs [1], ou acquise, le plus souvent suite à une chirurgie d'exérèse carcinologique ou un trauma maxillo-facial [2] (

Résumé

Résumé

Depuis les années 1950, l'électromyographie (EMG) a trouvé son utilité en médecine et en chirurgie dentaire, notamment dans le cadre de l'analyse fonctionnelle de l'appareil manducateur. Venant en complément de l'examen clinique conventionnel, l'EMG apporte des données objectives et quantifiables portant sur le fonctionnement des muscles masticateurs du patient. De nombreux articles ont été publiés sur l'intérêt de l'EMG dans le cadre de la prise en charge des désordres temporo-mandibulaires et des troubles de la cinématique mandibulaire. D'origine multifactorielle, les dyskinésies mandibulaires sont également fréquentes dans le cadre plus spécifique des pertes de substance (PDS), notamment mandibulaire, consécutivement à une chirurgie d'exérèse carcinologique. Les PDS maxillo-mandibulaires étant à l'origine d'une altération des fonctions oro-faciales (mastication, déglutition, phonation), les auteurs souhaitent présenter, à travers une approche clinique, les conséquences fonctionnelles des PDS mandibulaires et démontrer l'utilité de l'EMG de surface et de l'enregistrement des mouvements mandibulaires dans le cadre de la réhabilitation prothétique maxillo-faciale.

Introduction

Les pertes de substance (PDS) maxillo-faciales présentent des étiologies diverses : elles peuvent être d'origine congénitale, dans le cadre de fentes labio-maxillo-palatines et/ou de syndromes polymalformatifs [1], ou acquise, le plus souvent suite à une chirurgie d'exérèse carcinologique ou un trauma maxillo-facial [2] (fig. 1). En fonction de leurs localisations, les PDS sont divisées classiquement en PDS extra-orales et en PDS endo-orales. Parmi ses dernières, au niveau mandibulaire, Boyd et al. décrivent deux situations cliniques principales : les mandibulectomies interruptrices et les mandibulectomies non interruptrices [3]. Dans le cadre d'une mandibulectomie non interruptrice, la continuité de l'os basal n'est pas atteinte par l'exérèse chirurgicale et la portion osseuse tronquée pourra être réhabilitée prothétiquement de façon relativement conventionnelle (mises à part les difficultés liées à l'altération des tissus mous dans le cadre des pelvi-glossectomies associées) (fig. 2). En présence d'une mandibulectomie interruptrice, la continuité mandibulaire est rompue par l'exérèse chirurgicale et ne pourra pas être appareillée de façon satisfaisante en dehors d'une reconstruction chirurgicale préalable [4] (fig. 3, 4).

Les mandibulectomies interruptrices présentent de multiples conséquences, notamment fonctionnelles, avec l'apparition de latéro-déviations et de troubles de la cinématique mandibulaire, à l'origine de l'altération des fonctions oro-faciales (mastication, déglutition, phonation) [5]. De plus, la radiothérapie cervico-faciale, souvent associée aux exérèses chirurgicales dans un cadre carcinologique, provoque également nombre de complications, dont on notera, sur le plan fonctionnel, les trismus et les limitations d'ouverture buccale [6]. Des traitements, tant préventifs que curatifs, pourront être mis en œuvre pour lutter contre ces complications fonctionnelles, par l'intermédiaire d'une approche multimodale, associant notamment kinésithérapie maxillo-faciale et traitements orthétiques par dispositifs-guides [7]. A travers une approche en rééducation fonctionnelle, l'électromyographie et l'enregistrement des mouvements mandibulaires peuvent prendre tout leur sens, tant pour le suivi des patients, que pour l'optimisation thérapeutique (de la cinématique mandibulaire et de la restauration occlusale).

Principes de la rééducation fonctionnelle oro-faciale en cas de mandibulectomie

En complément de son impact au niveau esthétique et psycho-social, la prothèse maxillo-faciale (PMF) participe à une véritable rééducation fonctionnelle de l'appareil manducateur. En présence d'une mandibulectomie interruptrice, la perte de l'os mandibulaire, associée aux exérèses et désinsertions musculaires, entraîne un déséquilibre de la position mandibulaire, une déviation mandibulaire du côté réséqué et un trouble de l'occlusion plus ou moins important selon la quantité de dents restantes sur l'hémi-arcade préservée [8, 9]. À cette perturbation de la statique mandibulaire, s'ajoutent des conséquences dynamiques avec notamment une altération de la cinématique mandibulaire qui comprend une perturbation du diagramme de Farrar, une diminution de la vélocité mandibulaire lors du trajet de fermeture buccale, et une altération conséquente des cycles de mastication [10].

Les objectifs de la rééducation fonctionnelle de l'appareil manducateur sont multiples : prévenir l'apparition des troubles occlusaux et cinématiques, corriger le mauvais positionnement mandibulaire qui fait suite à la chirurgie d'exérèse, maintenir ou récupérer des amplitudes articulaires satisfaisantes, rééquilibrer le fonctionnement neuro-musculaire perturbé par lors de la chirurgie d'exérèse carcinologique et contribuer à la reprogrammation psycho-motrice du schéma corporel [11, 12]. Dans un premier temps, la rééducation est réalisée en traitement préventif grâce à de la physiothérapie, puis en traitement curatif, par l'association de la kinésithérapie avec l'utilisation, d'une part, de dispositifs de correction de la cinématique mandibulaire et, d'autre part, des prothèses d'usage [13, 14]. Les séances de kinésithérapie et/ou de mécanothérapie débutent le plus tôt possible après l'exérèse tissulaire et doivent être suivies pendant de nombreux mois. Un mouvement pathologique apparu après une intervention chirurgicale délabrante, est corrigé par l'acquisition de nouveaux réflexes conditionnés au cours d'exercices répétés. Elle consiste en des étirements ligamentaires et des renforcements musculaires par le biais de mobilisations passives (interventions du kinésithérapeute) ou auto-passives (sans intervention directe du kinésithérapeute) [15].

Intérêts de l'électromyographie en prothèse maxillo-faciale

Les études publiées sur l'impact de la mise en place d'une prothèse maxillo-faciale sur la capacité de mastication du patient, sont souvent de nature qualitative et très peu de nature quantitative. Elles sont réalisées via des questionnaires et des évaluations cliniques. Les questionnaires les plus utilisés servent à évaluer la qualité de vie comme le General Oral Health Assessment Index (GOHAI) [16], ou encore la fonction masticatoire avec le Eating Ability [17]. On retrouve parfois certains tests tels que le Mixing Ability Index (MAI) [18] qui utilise une gomme à mâcher au Xylitol afin d'évaluer la fonction masticatoire, et le Tongue Movement Test [19] pour évaluer la mobilité linguale. Ces outils d'évaluation de la fonction masticatoire ont l'inconvénient de n'évaluer qu'un seul paramètre fonctionnel à la fois, et nécessitent de multiplier les tests pour une évaluation plus globale (mastication, déglutition). Ils ne permettent pas d'appréhender certaines données comme les muscles actifs, la force masticatoire ou encore le tonus musculaire au repos. Dans ce contexte, l'introduction de l'EMG en prothèse maxillo-faciale permettrait l'obtention de données quantitatives propres à chaque patient. Ces enregistrements pourraient être conservés et comparés dans le temps à d'autres enregistrements de ce même patient. Ils viendraient en complément des questionnaires et apporteraient une vue plus objective sur l'analyse et la rééducation fonctionnelle de l'appareil masticateur [20, 21].

L'EMG permet l'étude de la fonction musculaire par analyse de signaux électriques produits lors des contractions musculaires. Cet outil non invasif mesure l'activité musculaire à l'aide d'électrodes placées sur le revêtement cutané (EMG de surface). Accompagnée d'une anamnèse et d'un examen clinique, l'EMG permet d'acquérir des données quantitatives objectives, reproductibles et fiables sur l'état fonctionnel des muscles masticateurs d'un patient [22]. Ainsi, l'électromyographie a pour avantage d'identifier les muscles actifs, de quantifier leurs intensités d'excitation et d'évaluer leurs chronologies de contraction musculaire lors de la fermeture buccale. Elle apporte des informations sur l'activité au repos, l'activation musculaire maximale et le synchronisme de contraction musculaire lors de la fermeture buccale. En complément de l'EMG, un enregistrement électronique des mouvements mandibulaires permet d'apprécier la cinématique mandibulaire (déplacements en ouverture/fermeture, latéralités et vitesses d'exécution) (fig. 5). L'analyse neuromusculaire de la réalisation des fonctions oro-faciales comme la déglutition et la mastication est rendu possible par comparaison des enregistrements, chez un même patient, avant et après une réhabilitation prothétique par exemple [23]. Des chercheurs ont démontré l'efficacité de l'EMG pour déterminer les anomalies et les altérations des modèles moteurs des muscles masticateurs et cervicaux ainsi que l'amélioration de ces schémas moteurs après le traitement [24]. Par ailleurs, dans le cadre d'une reconstruction prothétique, en présence d'une perte de substance mandibulaire, l'EMG est un outil efficace pour valider une position mandibulaire thérapeutique en relation myocentrée, la relation centrée n'étant pas envisageable en cas de mandibulectomie interruptrice et/ou de résection condylienne [25] (fig. 4).

Proposition d'un protocole d'utilisation de l'EMG en PMF : le protocole MAC2

Au cours d'une réhabilitation, l'EMG peut être intéressante à différents stades du traitement : par exemple, au cours de la mécanothérapie, lors de la conception de la prothèse, puis dans le cadre du suivi des patients (fig. 6). Au cours de la conception prothétique, on note trois temps thérapeutiques pour lesquels l'EMG présente un intérêt :

– en pré-prothétique pour enregistrer la situation musculaire initiale ;

– en per-prothétique pour valider un modèle de réhabilitation avant la réalisation de la prothèse définitive et guider le praticien au cours de l'enregistrement des rapports inter-arcades ;

– en post-prothétique pour valider la réhabilitation prothétique et quantifier l'amélioration fonctionnelle apportée par le dispositif-guide et/ou la prothèse, associés ou non avec des séances de kinésithérapie.

Les auteurs proposent, à travers cet article, un protocole d'examen neuro-musculaire et d'analyse de la cinématique mandibulaire que l'on nommera le protocole MAC1,2 (Muscular ACtivity - MAC1 – and MAndibular Cinematics – MAC2 – Protocol). Les auteurs proposent, de réaliser de façon chronologique, différents scans enregistrés au cours d'une EMG (fig. 7) et d'un tracking mandibulaire (réalisés à l'aide du dispositif médical K7 Evaluation System, Myotronics, Seattle, USA) (fig. 8), permettant d'apprécier un certain nombre de critères de l'activité neuro-musculaire et de la cinématique mandibulaire, en vue d'une analyse instrumentale et précise du fonctionnement de l'appareil manducateur.

– MAC1 / Le tonus musculaire : pour enregistrer l'activité de repos mandibulaire de chaque muscle, le patient est détendu, ne serre pas et la mandibule est en position de repos physiologique. Le signal visualisé donne le potentiel de repos des muscles enregistrés (évaluation de la tension au repos des muscles masséters, temporaux, sterno-cléïdo-mastoïdiens, digastiques antérieures). (Scan 9 sur le logiciel fourni par Myotronics)

– MAC2 / La chronologie de contraction (synchronisme) : pour enregistrer les temps de réaction de l'activité musculaire (masséters et temporaux), le praticien demande au patient de serrer progressivement les dents, de la position de repos mandibulaire à la contraction maximale de serrement (contraction isotonique, puis isométrique). La mise en activité plus précoce d'un muscle avant les autres est rapidement visible sur cet enregistrement. (Scan 12)

– MAC3 / La force de contraction (efficience) : pour enregistrer l'activité musculaire en activité (masséters et temporaux), le patient serre puis desserre les dents plusieurs fois à la demande du praticien. Le signal quantifie l'activité musculaire lors de la contraction. (Scan 11)

– MAC4 / L'espace libre d'inocclusion de repos physiologique (ELIRP) est visualisable, à l'aide d'un trackeur mandibulaire (aimant), en demandant au patient de se mettre en position de repos mandibulaire puis en occlusion. Le positionnement de l'aimant ne doit pas gêner la fermeture. Cet examen permet également d'évaluer, dans les trois sens de l'espace, le décalage entre la position de repos physiologique et la position en occlusion d'intercupsidation maximale. (Scan 3)

– MAC5 / L'amplitude de réalisation des mouvements mandibulaires est évaluée par analyse instrumentale de l'ouverture/fermeture, des latéralités (établissement d'un diagramme numérique de Farrar) et de la propulsion : le praticien demande au patient de réaliser des mouvements mandibulaires qui sont visualisés sur une représentation graphique dans les trois sens de l'espace. Ces tracés permettent d'apprécier l'amplitude de l'exécution des mouvements en distinguant les trajets d'aller et de retour. (Scan 13)

– MAC6 / La vitesse d'exécution des mouvements d'ouverture et de fermeture (vélocité) : le patient réalise un mouvement d'ouverture/fermeture rapide en ouvrant la bouche de manière habituelle (ouverture maximale), puis en serrant jusqu'aux contacts dentaire. (Scan 2)

– MAC7 / L'analyse instrumentale des cycles de mastication et de la déglutition peut compléter les six premiers tests de base en fonction des situations cliniques (Scan 8). Concernant l'analyse des cycles masticatoires : le patient mastique une gomme à mâcher et réalise plusieurs cycles masticatoires qui sont enregistrés de façon instrumentale. Les tracés sont donnés en vue frontale et latérale pour apprécier la régularité des cycles, la prédominance d'un côté de mastication, le mode de mastication, la vitesse ou encore l'amplitude de mastication. La déglutition pourra être réalisée et enregistrée sur le même scan que le mouvement d'ouverture/fermeture. Cet enregistrement permet de mettre en évidence un trouble de la déglutition en analysant l'avancée ou le recul mandibulaire ou un trop grand abaissement de la mandibule. Le mouvement est analysé en vue frontale et sagittale.

Cas clinique no 1 (hémimandibulectomie non reconstruite)

Anamnèse et motif de consultation

M. G, âgé de 56 ans, est adressé par son médecin au CHU de Toulouse et est orienté à la consultation d'occlusodontolgie et de réhabilitation de l'appareil manducateur. Le patient a bénéficié d'une chirurgie d'exérèse carcinologique avec bucco-pharyngectomie droite trans-mandibulaire non conservatrice et reconstruction du lit d'exérèse par lambeau musculo-cutané de grand pectoral, sous couvert d'une trachéotomie, à la suite d'un carcinome malpighien peu différencié avec fracture mandibulaire pathologique hyperalgique. Le patient présentait une altération des fonctions oro-faciales (mastication, déglutition, phonation) et d'importantes douleurs musculaires du fait de la traction du lambeau grand pectoral. Mr G n'a jamais souhaité envisager de reconstruction chirurgicale mais il envisageait, par des moyens simples et non invasifs, une amélioration fonctionnelle (souhait d'une meilleure mastication).

L'impact psycho-socio-émotionnel a été évalué par un ergothérapeute à l'aide de questionnaires psychométriques tels que le General Health Questionnaire et le Self Esteem Inventory. Le patient verbalise beaucoup et se montre très compliant. Il a été aisé de pointer ses difficultés et ses attentes. Les tests psychométriques font ressortir une volonté d'amélioration de son activité masticatoire et de son alimentation. Il est à noter que M. G est conscient des difficultés de sa prise en charge, mais reste motivé par une rééducation fonctionnelle.

Examen clinique et radiologique

L'examen clinique met notamment en évidence une latérodéviation sévère droite, avec perturbation du diagramme de Farrar. En position bouche fermée, il existe un décalage de 12 mm dans le sens transversal (distance mesurée entre les points inter-incisifs) et une malocclusion sévère liée à un déplacement important du fragment mandibulaire vers le côté réséqué. Egalement, le patient présente plusieurs caries et des obturations défectueuses qui feront l'objet de soins usuels. Concernant l'examen radiologique, un orthopantomogramme (cliché panoramique dentaire) a été réalisé afin d'étudier les limites de la mandibulectomie interruptrice et l'état bucco-dentaire du patient (fig. 9).

Approche thérapeutique

Il a été proposé au patient, une rééducation fonctionnelle de l'appareil manducateur via un dispositif-guide de Cernea & Ponroy, associé à des séances de kinésithérapie maxillo-faciale. La rééducation a pour objectifs un assouplissement des tissus, une réduction de la latérodéviation, un recentrage transversal de la mandibule, et une amélioration de la cinématique mandibulaire et de l'activité musculaire.

Kinésithérapie maxillo-faciale

Afin d'assouplir les tissus musculo-cutanés, redonner de la mobilité au niveau de l'ATM gauche, retrouver une ouverture buccale fonctionnelle et diminuer la douleur, des séances de kinésithérapie sont réalisées. Le kinésithérapeute utilise pour cela des techniques de massages (pétrissage et traits tirés), de levées de tensions (contracté/ relâché et étirements), des techniques de Jones (rapprochement des fibres musculaires pour permettre leur relâchement passif). Le kinésithérapeute a en parallèle proposé des exercices de gymnothérapie douce que le patient pratiquait à domicile. La kinésithérapie a eu une rapide action antalgique.

Traitement orthétique par dispositif-guide de recentrage transversal

Un dispositif-guide a été réalisé au maxillaire (selon les règles de Cernea et Ponroy) : constituée d'une plaque palatine en résine incolore, munie de crochets et d'un auvent palatin secteur 2, l'orthèse vise à améliorer la cinématique mandibulaire par guidage des dents postérieures secteur 3 sur le volet en résine. Lors de la fermeture buccale, l'auvent palatin (sur son versant vestibulaire) vient s'appuyer sur la face interne des dents antagonistes lors de la fermeture bucale, permettant ainsi la réduction de la latérodéviation et le recentrage mandibulaire dans le sens transversal. Il est demandé au patient de porter l'orthèse en permanence, hors repas, pendant deux mois. Les exercices de gymnothérapie sont réalisés avec l'orthèse en bouche (fig. 10).

Suivi de la rééducation fonctionnelle par électromyographie et enregistrement des mouvements mandibulaires

Afin de réaliser le suivi, le protocole d'analyse MAC1,2 a été pratiqué à l'aide du dispositif médical K7 Evaluation System, Myotronics®. L'enregistrement électromyographique et l'analyse des mouvements mandibulaires ont été réalisés au départ du traitement, en cours et en fin de rééducation, afin d'évaluer objectivement l'amélioration fonctionnelle apportée par les séances de kinésithérapies et le port de l'orthèse. Il a été constaté, après comparaison des tracés, les données significatives suivantes :

– MAC1 : diminution de l'activité musculaire au repos avant et après traitement (il existait notamment une hyperactivité du muscle temporal gauche avant) (fig. 11) ;

– MAC2/MAC3 : amélioration du synchronisme de contraction à la fermeture et regain de l'activité musculaire du muscle temporal droit lors du serrement dentaire (contraction isométrique) (fig. 12) ;

– MAC5 : amélioration de la cinématique mandibulaire, avec recentrage transversal mandibulaire spontané et retour des contacts occlusaux secteurs 2/3 (le patient n'ayant plus besoin de l'orthèse après 2 mois de traitement) (fig. 13) ;

– MAC6 : la vitesse de fermeture est également améliorée en fin de traitement (fig. 13).

Cette amélioration fonctionnelle, évaluée de façon instrumentale, est à mettre parallèlement avec l'appréciation subjective du patient qui ne souffre plus en fin de traitement et qui dit avoir davantage de facilités lors de la mastication du fait notamment de l'obtention des contacts dento-dentaires secteurs 2/3.

Cas clinique no 2 (hémi-mandibulectomie reconstruite par endoprothèse)

M. S, âgé de 69 ans, est adressé par son chirurgien (Institut Universitaire du Cancer de Toulouse) à la consultation d'occlusodontolgie et de réhabilitation de l'appareil manducateur (CHU Toulouse) (fig. 14). La patiente a bénéficié d'une chirurgie d'exérèse carcinologique de l'hémi-mandibule gauche suivie d'une reconstruction. L'intervention chirurgicale a nécessité une double voie d'abord, pré-auriculaire et sous angulo-mandibulaire. Le nerf facial a pu être repéré et préservé tout au long de l'intervention. La reconstruction hémi-mandibulaire constitue en la pose d'une endo-prothèse totale réalisée sur mesure reconstituant l'articulation temporo-mandibulaire ainsi que l'angle et la branche montante.

Lors de la première consultation dans l'unité d'occlusodontie et de prothèse, la patiente dit ne pas présenter de douleur et souhaitent une réhabilitation prothétique.

Examen clinique et radiologique

L'examen clinique met notamment en évidence une latéro-déviation modérée gauche. En position bouche fermée, il existe un décalage de 3 mm dans le sens transversal (distance mesurée entre les points inter-incisifs) et une malocclusion légère liée à un déplacement du fragment mandibulaire vers le côté réséqué (fig. 15). Concernant l'examen radiologique, un cliché de type panoramique dentaire (fig. 16) et un cone beam ont été réalisés afin d'étudier les limites de la mandibulectomie et de la reconstruction endo-prothétique (fig. 4).

Approche thérapeutique

Il a été proposé à la patiente, deux phases de soins : tout d'abord une phase de rééducation fonctionnelle de l'appareil manducateur via un dispositif-guide de Cernea & Ponroy (fig. 17), afin de réduire la latéro-déviation (durée de port : 3 mois) ; puis une phase de reconstruction prothétique par prothèse amovible partielle à châssis (fig. 18). L'engrènement occlusal (secteur 2/3) permet le maintien (en occlusion) de la position mandibulaire thérapeutique dans le sens transversal, obtenue préalablement grâce au dispositif-guide. Egalement, le bombé légèrement exagéré au niveau de l'extrados vestibulaire (secteur 3) permet un meilleur maintien des lèvres et un meilleur rendu esthétique au niveau facial (fig. 19). A des fins esthétique, et compte tenu de la motivation de la patient, des facettes sont envisagées dans un dernier temps au niveau des incisives maxillaires (en cours de réalisation du moment de la publication).

Suivi de la rééducation fonctionnelle par électromyographie et enregistrement des mouvements mandibulaires

Comme pour le cas précédent, le protocole d'analyse MAC1,2 a été réalisé. L'enregistrement électromyographique et l'analyse des mouvements mandibulaires ont été réalisés au départ du traitement et en fin de traitement, 1 mois après la pose de la prothèse (afin de laisser le temps à la patiente d'intégrer sa prothèse sur le plan fonctionnel).

Il a été constaté d'un point de vue clinique, une amélioration fonctionnelle, confirmée notamment par les données quantifiables suivantes :

– MAC1 : hyperactivité des muscles temporaux au repos avant traitement, et réduction de leurs tonus selon des valeurs normales après rééducation (fig. 20) ;

– MAC2 : activité musculaire pathologique des muscles temporaux et masséters en début de traitement et normalisation du synchronisme de contraction lors de la fermeture (fig. 21) ;

– MAC3 : amélioration de l'efficience musculaire au niveau des temporaux et des masséters (comparaison des tracés avant et après traitement) (fig. 22) ;

– MAC6 : obtention de vitesses physiologiques (vélocité) lors de l'ouverture et de la fermeture buccale (fig. 23).

Cette amélioration fonctionnelle, évaluée de façon instrumentale, est à mettre parallèlement avec l'appréciation subjective du patient qui a obtenu un confort de mastication, malgré les séquelles fonctionnelles résiduelles liées à la chirurgie d'exérèse carcinologique.

Conclusion

L'EMG et l'enregistrement de la cinématique mandibulaire présentent plusieurs intérêts dans le cadre de la réhabilitation prothétique maxillo-faciale et du suivi des patients. Les auteurs ont voulu illustrer l'utilisation de tels outils dans le cadre singulier de la cancérologie oro-faciale (et plus particulièrement en présence d'une mandibulectomie). En dehors de la rééducation, ces outils représentent également une aide non négligeable lors de la reconstruction prothétique, notamment lors de l'établissement d'un rapport inter-arcade en relation myocentrée, la relation centrée n'étant pas envisageable dans ces circonstances cliniques. Enfin, ces enregistrements sont aussi des moyens efficaces pour communiquer plus facilement et de façon objective entre les différents praticiens (kinésithérapeutes, praticiens hospitaliers) au cours des différentes étapes de la rééducation fonctionnelle.

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Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Remerciements

Les auteurs remercient Xavier Dusseau, prothésiste dentaire.

Auteur

Florent Destruhaut - Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier (MCU-PH)

Mathilde Hourset - Chirurgien-dentiste, exercice libéral

Laurie Vidal - Chirurgien-dentiste, exercice libéral

Adrien Naveau - Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier (MCU-PH)

Bertrand Champion - Assistant hospitalo-universitaire (AHU), exercice libéral (Cahors)

Antonin Hennequin - Assistant hospitalo-universitaire (AHU), exercice libéral (Cahors)

Jean-Claude Combadazou - Chargé d'enseignement, chirurgien-dentiste, exercice libéral (Toulouse)

Philippe Pomar - Professeur des Universités - Praticien Hospitalier (PU-PH)

Christophe Rignon-Bret - Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier (MCU-PH)