Les cahiers de prothèse n° 188 du 01/12/2019

 

Organisation du plan de traitement

J. GARDUÑO Hdz.  

Dans les nombreux cas cliniques où le diagnostic d'une maladie parodontale terminale est posé, pour mener à bien la réhabilitation prothétique, le plan de traitement doit tenir compte du profil du patient, de son niveau de motivation et de sa capacité à s'engager auprès de l'équipe soignante. En effet, la prise en considération des peurs du patient, de ses angoisses (voire de ses phobies) mais aussi de ses souhaits et doléances conditionne les étapes et les échéances du...


Résumé

Résumé

Cet article expose le cas clinique d'un patient atteint de maladie parodontale terminale aux deux arcades dentaires. Il est déterminant de préciser à ce stade que le plan de traitement a dû s'adapter et prendre en considération une véritable phobie du patient pour tout soin dentaire. Par conséquent, ce plan de traitement dit « pyramidal » a été défini en trois phases. La première phase s'est axée sur le traitement provisoire à la mandibule du fait de la mobilité invalidante des dents, par la mise en œuvre d'un protocole de mise en charge immédiate avec pose de 5 implants mandibulaires après extractions multiples, et avec pose d'une prothèse transvissée complète provisoire qui a redonné au patient esthétique et meilleure capacité masticatoire. La deuxième phase s'est déroulée pendant la période d'ostéointégration des implants mandibulaires : l'avulsion totale des dents maxillaires a été réalisée et suivie de la pose d'une prothèse complète transitoire muco-portée, les modifications progressives des deux prothèses d'attente ont permis de rétablir une dimension verticale d'occlusion (DVO) correcte et un plan occlusal optimal. Enfin, lors de la troisième phase, des prothèses complètes d'usage ont été réalisées : prothèse muco-portée au maxillaire et prothèse transvissée à la mandibule. L'ensemble des caractéristiques esthétiques et fonctionnelles propres à ce patient ont été ainsi rétablies par un traitement adapté pour limiter les situations de stress face à ce patient phobique.

Dans les nombreux cas cliniques où le diagnostic d'une maladie parodontale terminale est posé, pour mener à bien la réhabilitation prothétique, le plan de traitement doit tenir compte du profil du patient, de son niveau de motivation et de sa capacité à s'engager auprès de l'équipe soignante. En effet, la prise en considération des peurs du patient, de ses angoisses (voire de ses phobies) mais aussi de ses souhaits et doléances conditionne les étapes et les échéances du traitement pour le clinicien et le prothésiste dentaire.

Le cas clinique présenté a fait l'objet d'un plan de traitement dit « pyramidal », c'est-à-dire en plusieurs blocs d'étapes techniques qui se succèdent et dépendent les unes des autres pour la réussite finale de la construction. La priorisation des besoins cliniques a été conditionnée non seulement par le caractère phobique du patient, mais aussi par l'urgence de rétablir une capacité masticatoire convenable.

Situation clinique initiale

Motivé par la perte spontanée de la dent 34, le patient a franchi, malgré ses peurs, la porte du cabinet dentaire. L'examen clinique initial a montré une situation clinique avec atteinte parodontale des deux arcades dentaires au stade terminal. Cette situation était accompagnée d'une mobilité dentaire invalidante du secteur incisif mandibulaire. Bien qu'en phase terminale également, la situation parodontale du maxillaire, dont le plan occlusal était très chaotique, présentait une mobilité moindre (fig. 1).

Devant l'urgence de la situation mandibulaire, le chirurgien-dentiste du patient (François Dessombs) a présenté au patient les différentes phases de la réhabilitation prothétique, et ce dernier a donné son accord sur l'organisation prévue : afin de réduire le plus possible son stress, le praticien a décidé de traiter la mandibule par un protocole d'extraction-implantation immédiate lors d'une première phase thérapeutique. Dans un deuxième temps a été programmée l'avulsion totale des dents maxillaires non conservables, leur absence de mobilité critique autorisant des avulsions plus tardives qu'à la mandibule pour limiter le traumatisme psychologique.

Plan de traitement, phase 1 : extractions multiples mandibulaires et prothÈse provisoire sur implants

Après l'avulsion totale des dents mandibulaires, l'implantation immédiate de 5 implants a été effectuée. Leur position a été dictée par une étude approfondie réalisée lors de l'examen radiologique. Le praticien avait la volonté d'exploiter au maximum l'espace disponible, ce qui explique sa décision de mettre en place un 5e implant en position médiane. Il peut être légitime de s'interroger sur le bien-fondé de ce 5e implant médian : pourquoi ne pas rester sur un concept de construction de type « All-on-Four » ? En s'attardant sur l'analyse des contraintes mécaniques, la présence médiane d'un implant supplémentaire semble pouvoir agir de manière très certainement bénéfique en participant à une meilleure répartition des sollicitations mécaniques, grâce à un effet rupteur des forces compressives pour les implants les plus postérieurs et des forces de traction pour les implants les plus antérieurs, ces forces étant vectorisées par la fonction masticatoire au travers de la suprastructure prothétique que les implants supportent. Bien évidemment, toute conception prothétique implanto-portée de ce type, qu'elle soit provisoire ou définitive, doit impérativement tenir compte de la nature de l'arcade antagoniste pour décider de la présence ou non d'extensions distales et de leur longueur, d'après le calcul de la distance antéro-postérieur (DAP) décrite par Davarpanah et Szmukler-Moncler [1] (fig. 2).

Cependant, lors de cette première phase prothétique, le bridge provisoire transvissé était évidemment dépourvu d'extensions distales, afin de limiter les bras de levier sur l'ensemble de la construction prothétique et sur les implants. En effet, selon le théorème de Skamak et Mc Guire, repris par White en 1994 [2] (fig. 3), « lorsque l'extrémité d'une extension est sollicitée, les implants les plus distaux sont soumis à une compression égale ou supérieure à deux fois la charge appliquée ». L'ostéointégration, particulièrement pour une MCI, peut être compromise par toute sollicitation mécanique prenant la forme de micro-mouvements supérieurs à 30 N/Cm malgré l'obtention d'une stabilité primaire correcte, selon les études réalisées par Wolff [3] sur la réponse osseuse en fonction de l'intensité de la charge subie.

La construction prothétique schématisée figure 4 illustre le projet de réhabilitation du cas clinique sous l'éclairage du paragraphe précédent, justifiant pleinement la présence d'un 5e implant le plus antérieur possible (fig. 4).

Après la pose des implants, un bridge provisoire a été réalisé à partir de l'enregistrement d'un rapport maxillo-mandibulaire et d'une empreinte post-chirurgicale utilisant la technique dite « pick-up » avec préparation en amont d'un porte-empreinte individuel à ciel ouvert (fig. 5 à 10).

Plan de traitement, phase 2 : extractions multiples maxillaires et prothÈse provisoire complÈte

Dans une deuxième étape, et conformément au consentement éclairé signé par le patient, il a été procédé à l'avulsion totale des dents maxillaires, qui présentaient une atteinte parodontale terminale sans mobilité critique et autorisaient ainsi leur avulsion dans une seconde étape thérapeutique. Puis une prothèse complète amovible immédiate, préalablement confectionnée selon les critères classiques, a été posée et a servi de guide au rétablissement d'une DVO correcte et d'un plan occlusal optimal, par modification simultanée de l'occlusion (équilibration/ajouts) sur les dents prothétiques mandibulaires. Parallèlement, la cicatrisation des sites d'extractions a suivi son cours. La gestion des phobies du patient face à une nouvelle intervention chirurgicale a été un facteur limitant pour l'iconographie de cette étape clinique. En effet, cette gestion spécifique a imposé à l'équipe soignante d'aller à l'essentiel avec des gestes précis et efficaces, pour limiter au maximum le stress de l'intervention.

Plan de traitement, phase 3 : RÉalisation des prothÈses d'usage

Cicatrisation

Durant la période de cicatrisation, les contrôles cliniques ont mis en évidence un aspect très satisfaisant des fibro-muqueuses (fig. 11 et 12). Des contrôles radiographiques réguliers aux deux arcades montré la parfaite ostéointégration des implants et la cicatrisation conforme des sites d'extractions. Ces éléments validés, les restaurations prothétiques ont pu être entreprises.

Empreintes

Au maxillaire, une empreinte muco-dynamique a été réalisée pour la confection de la prothèse complète muco-portée. À la mandibule, une empreinte de type « pick-up », associant transferts d'empreinte et porte-empreinte individuel à ciel ouvert, a été envisagée pour la réalisation de la prothèse complète implanto-portée mandibulaire, sur 5 implants munis de piliers coniques Multi-Unit®. Le traitement des empreintes de travail au laboratoire a fait l'objet d'une attention particulière car le tirage des maîtres moulages a été réalisé en plâtres techniques à usage spécifique, pour obtenir des supports de travail fiables, car stables.

Clé en plâtre

Sur le moulage de travail mandibulaire, la réalisation d'une clé en plâtre a été impérative pour contrôler en bouche la conformité de la position des analogues d'implants avec les implants en situation clinique. Cette clé en plâtre doit idéalement contenir des zones volontairement plus minces autour des tubes de fixation afin de créer, le cas échéant, une fracture franche mettant clairement en évidence un décalage de position entre les implants en bouche et les analogues sur le moulage de travail (fig. 13).

Bases d'occlusion

Le réglage minutieux des bases d'occlusion, au moment de leur réalisation au laboratoire et lors des enregistrements au cabinet par le clinicien, permet de repérer l'ensemble des éléments fonctionnels et esthétiques pour les montages directeurs. En outre, l'analyse minutieuse des éléments anatomiques et la confection d'une table de montage dite personnalisée sont indispensables pour établir le cadre technique dans lequel doit s'inscrire le montage directeur, afin de préfigurer les futures prothèses (fig. 14 à 16).

Table de montage personnalisée et montage des dents prothétiques

La table de montage, dite « individuelle » ou « personnalisée », constitue le plan architectural des futures prothèses complètes, quel que soit leur mode de sustentation et de rétention. Elle est, avec le concours des bases d'occlusion, la pierre angulaire de la construction prothétique, car elle est la synthèse de l'encodage de déterminants nécessaires au rétablissement des critères esthétiques et fonctionnels.

Ainsi, sur le plan sagittal et frontal, la table de montage individuelle matérialise la relation intermaxillaire constituée de deux composantes : une verticale, la DVO, et une horizontale, la RC. Sur le plan antérieur, elle regroupe les constituants esthétiques à travers le plan frontal (ou « plan du sourire ») sur lequel sont inscrits la ligne médiane du visage et un arc de cercle délimité par l'indice de Lee. La lecture de cet ensemble de lignes indique la zone où le bloc incisivo-canin des dents prothétiques doit être monté afin d'assurer les fonctions esthétiques (harmonie du sourire et maintien de la lèvre supérieure) et fonctionnelles (phonétique et stabilisation lors des trajectoires mandibulaires antéro-postérieures principalement). Pour ce qui est de la zone postérieure, une analyse correcte des indices anatomiques maxillaires et mandibulaires est indispensable. De leur lecture découlera la mise en évidence de l'aire de Pound, à l'intérieur de laquelle s'inscriront les blocs postérieurs de dents prothétiques, tout en créant une courbe de compensation sagittale permettant la stabilisation des bases prothétiques lors de la fonction. L'obtention de cette base de travail maxillaire a permis, dans ce cas clinique en classe I, de procéder à un montage des dents prothétiques mandibulaires en rapport occlusale 2:1 (deux dents : une dent) avec une occlusion bilatéralement équilibrée (fig. 17 et 18).

Armature prothétique mandibulaire implanto-portée

La conception de l'infrastructure prothétique est réalisée de manière homothétique d'après le montage directeur et le design muqueux de l'arcade mandibulaire. L'aménagement de passages prophylactiques autour des implants est primordial pour maintenir une parfaite santé de la muqueuse péri-implantaire [5]. L'armature doit prévoir une légère compression de la crête afin de continuer à stimuler l'organisation et le remodelage physiologique du support osseux conformément aux lois de Wolff citées par Bert [3] : « La réponse osseuse dépend de l'intensité de la charge subie. La surcharge ou, au contraire, l'insuffisance de celle-ci provoquent une résorption. Tandis que les charges physiologiquement acceptables participent au maintien ou au renforcement de l'os. » [6].

Le prothésiste a envisagé pour ce cas, comme pour toutes les autres armatures de ce type qu'il confectionne, une réalisation d'infrastructure prothétique à partir d'une maquette physique modelée entièrement à la main et numérisée au laboratoire après validation (fig. 19). Ce procédé permet de proposer au praticien un montage complet (dents et cire) sur armature résine transvissée, qu'il peut valider en bouche en termes d'accès prophylactique et d'incidence sur le confort et la phonétique. Le patient peut ainsi mieux apprécier le volume réel de sa future prothèse. Le cas échéant, le praticien et le prothésiste peuvent apporter les modifications nécessaires préalables à l'usinage à un niveau d'exigence de l'armature d'une conception très aboutie (fig. 20). Avant de procéder au polissage final type poli miroir de l'infrastructure en titane. Celle-ci est retravaillée afin d'accroître le coefficient de rétention mécanique pour la future construction en résine de l'arcade prothétique sur cette armature, ainsi qu'au niveau des lignes de finition, limitant ainsi toute infiltration salivaire potentiellement bactériologique, à l'interface titane/résine acrylique (fig. 21).

Devant l'absence partielle ou totale de proprioception, les forces occlusales pouvant être développées par le patient réhabilité à l'aide d'implants doivent conseiller l'usage de matériaux de suprastructure de qualité durable et fiables dans le temps. Les dents SR Phonares* (Ivoclarvivadent) présentent non seulement des qualités esthétiques mais surtout affichent un ratio de dureté et de résistance à l'abrasion bien équilibré (fig. 22 et 23).

Essayage des montages et prothèses d'usage

Une proposition fonctionnelle et esthétique est ainsi soumise à validation à partir des éléments transmis préalablement au laboratoire : bases d'occlusion et souhaits du patient, notamment sa volonté de retrouver un diastème entre 11 et 21. L'essayage esthétique et fonctionnel en bouche de la réhabilitation mandibulaire transvissée permet la validation prophylactique et phonétique avant usinage de l'infrastructure prothétique. Les rapports maxillo-mandibulaires de classe I ont permis une réhabilitation prothétique en normo-occlusion bilatéralement équilibrée. En effet, l`objectif principal était d'assurer une stabilisation optimale de la prothèse muco-portée lors des sollicitations masticatoires et phonétiques (fig. 24).

La caractérisation polychromique de la fausse gencive est une alliée incontournable dans la réhabilitation prothétique de l'édenté complet. Loin d'être un élément superflu, la caractérisation de la gencive prothétique participe en soi à la bonne intégration esthétique, notamment par l'aide psychologique qu'elle procure dans l'acceptation du patient face au port d'une prothèse dentaire complète, grâce au mimétisme obtenu avec les tissus environnants de la sphère oro-faciale (fig. 25 et 26).

Le rôle de l'anatomie de l'extrados du palais prothétique est déterminant pour recréer certains repères utiles à la phonation lors de la prononciation du T, D et N [8]. Les rugosités visant à récréer les papilles palatines participent également à un meilleur malaxage du bol alimentaire, évitant ainsi que la langue ne glisse en emportant avec elle le bol alimentaire insuffisamment insalivé, limitant ainsi l'assimilation de certains nutriments qui débute dès ce stade de la mastication (fig. 27).

Conclusion

À l'issue des nombreuses étapes de réhabilitation qui se sont succédé par ordre prioritaire, partant d'une large base de travail en préambule jusqu'au sommet qui fût la réhabilitation définitive, l'ensemble des critères esthétiques et fonctionnels ont été atteints grâce à une bonne communication entre le patient, le cabinet dentaire et le laboratoire de prothèse dentaire. À ceci est associée la rigueur de travail, ne laissant rien au hasard ou à l'improvisation de part et d'autre. Ainsi, le résultat obtenu est très naturel et conforme aux exigences esthétiques et fonctionnelles requises pour la bonne réhabilitation du patient.

Bibliographie

  • 1 Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. Théorie et pratique de la mise en charge immédiate. Paris : Quintessence International, 2007.
  • 2 White GE. Technologie des implants ostéointégrés. Paris : Éditions CdP, 1994.
  • 3 Bert M. Les lois de Wolff. Conséquences cliniques (2e partie). AOS 2018 ;288.
  • 4 Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajzbaum P, Davarpanah K, De Murat T, Demurashvili G. Manuel d'implantologie clinique. Consolidation des savoirs et ouvertures sur l'avenir (4e édition). Paris : Éditions CdP, 2018.
  • 5 Bert M, Missika P. Les clés du succès en implantologie. Prévenir les complications et les échecs. Paris : Éditions CdP, 2009.
  • 6 Odin G. Modélisation numérique de l'os mandibulaire appliquée à l'implantologie dentaire et maxillo-faciale. Modélisation et simulation. Thèse de doctorat spécialité en sciences et génie des matériaux. École nationale supérieure des Mines de Paris, 2008.
  • 7 Garduño Hdz. J. Principes fondamentaux de la mise en charge immédiate et l'optimisation prothétique en amont chez l'édenté complet - Mémoire soutenu publiquement par M. Pour l'obtention du Certificat de Pratique et d'Etudes Supérieures – PAC, UNPPD - Paris 2012.
  • 8 Bory H. Technologie Dentaire.

Remerciements

L'auteur remercie le Dr François Dessombs, chirurgien-dentiste, et son équipe pour l'accueil réservé au cabinet et pour les informations partagées ayant permis la rédaction de cet article.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Julián Garduño Hdz - Prothésiste dentaire

Certificat de pratique et d'études supérieures en prothèse adjointe complète (CPES-PAC) de l'UNPPD

Laboratoire Prothèch-dentaire, Le Mans