Occlusion et prothèses
Madame T., 46 ans, se présente à notre consultation pour un avis sur son occlusion qui, selon elle, a été modifiée suite à la pose de deux onlays sur 35 et 45, en remplacement d'anciennes obturations.
Elle ressent, depuis, une sensation permanente d'inconfort occlusal, qui a des répercussions sur sa vie quotidienne : focalisation constante sur ses onlays, altération de l'humeur (irritabilité), sentiment de frustration et de colère envers son...
Résumé
Tout praticien a été confronté à des patients qui se plaignent de façon récurrente d'une perception anormale de leur occlusion, notamment suite à des traitements dentaires, prothétiques ou orthodontiques. Ce trouble de la sensibilité occlusale, appelé « dysesthésie occlusale », est le plus souvent caractérisé par une sensation permanente d'inconfort occlusal, dans un contexte psychologique souvent perturbé.
Cette distorsion de la perception occlusale doit être connue des praticiens, afin de ne pas se laisser entraîner dans une spirale de surtraitements occlusaux qui sont voués à l'échec.
L'objectif de cet article est de présenter, à partir d'un cas clinique, une synthèse des connaissances actuelles sur la dysesthésie occlusale (définition, épidémiologie, symptomatologie, étiologie, conduite à tenir). Les mécanismes physiologiques de la perception occlusale consciente, dont la connaissance est nécessaire pour une meilleure compréhension de cette pathologie, sont rappelés dans une première partie.
Madame T., 46 ans, se présente à notre consultation pour un avis sur son occlusion qui, selon elle, a été modifiée suite à la pose de deux onlays sur 35 et 45, en remplacement d'anciennes obturations.
Elle ressent, depuis, une sensation permanente d'inconfort occlusal, qui a des répercussions sur sa vie quotidienne : focalisation constante sur ses onlays, altération de l'humeur (irritabilité), sentiment de frustration et de colère envers son praticien « qui n'a pas été capable de trouver la bonne occlusion », alors qu'elle n'avait aucun problème auparavant. La patiente nous informe, par ailleurs, qu'une procédure d'expertise est actuellement en cours.
L'examen clinique et occlusal montre que les deux onlays ont été correctement réalisés, sans qu'il soit possible d'objectiver une quelconque anomalie occlusale (prématurité, interférences, sous-occlusion).
La demande de la patiente, qui vient s'adresser à un « spécialiste de l'occlusion », est pressante concernant un nouveau réglage occlusal, alors que son praticien a déjà effectué plusieurs ajustements restés, selon elle, inefficaces pour restaurer son occlusion antérieure de façon satisfaisante.
Ce type de doléance est relativement fréquent dans les consultations d'occlusodontie, et tout praticien a certainement déjà été confronté à ces patients qui se focalisent de façon quasi-obsessionnelle sur leur occlusion, le plus souvent suite à des modifications occlusales occasionnées par des traitements dentaires. Cette sensation d'inconfort occlusal peut avoir des retentissements majeurs dans la vie quotidienne, à travers une symptomatologie variée, notamment une habitude de serrement permanent des dents à la recherche de l'occlusion « idéale », des tensions musculaires douloureuses, des céphalées, et une perturbation du comportement et du psychisme.
Cette pathologie de la perception occlusale, dénommée « dysesthésie occlusale », doit être connue des praticiens, afin de ne pas se laisser entraîner dans une spirale de surtraitements occlusaux (équilibrations, prothèses, traitements orthodontiques) qui sont voués à l'échec [1].
L'objectif de cet article est de présenter une synthèse des connaissances actuelles sur la dysesthésie occlusale. Les mécanismes physiologiques de la perception occlusale consciente, dont la connaissance est nécessaire pour une meilleure compréhension de cette pathologie, sont rappelés dans une première partie.
Dans le cadre de cet article, la « sensibilité occlusale » est définie comme la perception consciente des contacts occlusaux. Elle résulte de la mise en jeu d'une voie nerveuse qui prend naissance au niveau des mécanorécepteurs desmodontaux et qui se projette sur le cortex somesthésique situé au niveau du lobe pariétal du cerveau.
Le parodonte, et plus spécifiquement le desmodonte, contiennent de nombreux mécanorécepteurs qui jouent un rôle essentiel dans la détection et l'analyse précise des caractéristiques des forces (intensité, direction, vitesse d'application) qui s'exercent sur les dents au cours :
– des activités fonctionnelles physiologiques (déglutition, mastication, phonation) ;
– des parafonctions orales (bruxisme, onychophagie et autres tics de mordillement) ;
– du contrôle de l'occlusion à l'aide d'un papier à articuler (fig. 1).
Les connaissances sur les caractéristiques histophysiologiques des MRD proviennent essentiellement d'études réalisées chez l'animal [2].
Sur le plan histologique, les MRD sont des récepteurs de type Ruffini, caractérisés par des terminaisons nerveuses ramifiées et encapsulées (diamètre de 2 à 3 microns), en relation étroite avec les fibres de collagène desmodontales [3].
Ils sont localisés autour de la racine des dents entre l'hypomochlion (l'axe de rotation de la dent) et l'apex, et sont activés par l'étirement des fibres de collagène. Leur densité est plus élevée au niveau apical, région qui correspond au déplacement maximal de la racine dans son alvéole lors de l'application d'une force horizontale.
Les fibres nerveuses sensitives connectées aux MRD sont majoritairement de type Aβ, c'est-à-dire myélinisées, de gros diamètre, à vitesse de conduction rapide (entre 25 et 80 m/s).
Le corps cellulaire de ces fibres peut être localisé dans deux structures différentes du complexe sensitif trigéminal : le ganglion trigéminal (afférences TG) ou le noyau mésencéphalique (afférences MS).
Schématiquement, les mécanorécepteurs TG (connectés aux afférences TG) sont principalement des extérocepteurs à seuil d'activation bas et à adaptation lente. Leur activation donne naissance à des sensations dentaires conscientes grâce aux projections sur le cortex somesthésique (perception consciente des contacts occlusaux).
Les mécanorécepteurs MS sont principalement des propriocepteurs impliqués dans les activités réflexes des muscles masticateurs [4]. Ce sont des récepteurs à seuil d'activation plus élevé et à adaptation rapide. Leur activation ne donne pas naissance à des sensations dentaires conscientes en l'absence de projections corticales des afférences correspondantes.
Ce sont donc les MRD et les afférences TG qui sont responsables de la sensibilité occlusale consciente, telle que définie dans le cadre de cet article.
Le champ récepteur des MRD est essentiellement localisé sur la dent correspondante, mais il peut s'étendre aux dents adjacentes : la moitié des MRD d'une dent répond aux forces appliquées sur les dents voisines (de 2 à 4 dents), mais avec une diminution rapide des réponses en s'éloignant de la dent principale. Ce phénomène s'expliquerait par la présence des fibres de collagène transseptales, plutôt que par une arborisation des terminaisons nerveuses [5].
Les MRD présentent un seuil d'activation bas (intensité de force de l'ordre de 1 N), mais variable selon les dents. Il est plus faible au niveau des incisives (0,6 N) qu'au niveau des molaires (1,7 N). Leur sensibilité est donc plus élevée au niveau des dents antérieures qu'au niveau des dents postérieures [5, 6]. Ces valeurs correspondent à un déplacement de la dent dans son alvéole de quelques microns.
Leur degré d'adaptation est également variable et dépendrait de leur localisation le long de la racine : les MRD proches de l'apex (la région où le déplacement dentaire est maximal) auraient un seuil d'activation bas et seraient à adaptation lente, alors que les MRD proches de l'axe de rotation de la dent (la région où le déplacement dentaire est minimal) auraient un seuil d'activation plus élevé et seraient à adaptation rapide [2].
Tous les MRD possèdent une sensibilité directionnelle, c'est-à-dire une sensibilité maximale pour certaines directions des forces [6]. La majorité d'entre eux sont préférentiellement activés par les forces horizontales, d'autres par les forces axiales.
La sensibilité directionnelle diffère entre les dents antérieures et postérieures. Les MRD des dents antérieures, impliquées dans la préhension et l'incision des aliments, ont une sensibilité multidirectionnelle, alors que les MRD des molaires inférieures, impliquées dans la mastication, présentent une sensibilité directionnelle plus marquée pour les directions distales et linguales, qui correspondent à la direction des forces masticatrices.
D'une façon générale, les MRD des dents antérieures sont plus nombreux et ont une sensibilité plus développée que ceux des dents postérieures. De ce point de vue, les dents antérieures peuvent être comparées à la pulpe des doigts pour leur grande sensibilité tactile.
La sensibilité des MRD est maximale pour les faibles niveaux d'intensité (< 1 N pour les dents antérieures et < 4 N pour les molaires).
Leur réponse augmente avec l'intensité de la force mais cette relation n'est pas linéaire.
Lorsque l'intensité de la force augmente, la majorité des MRD « saturent » assez rapidement, alors que d'autres codent l'intensité de la force de façon plus proportionnelle.
Ces propriétés permettraient d'expliquer des fonctions différentes au cours de la mastication :
les MRD « saturables » seraient surtout activés lors du contact initial avec les aliments (dents antérieures, forces de faible intensité) et les MRD « non saturables » lors de la mastication (dents postérieures, forces plus intenses) [5].
Les MRD sont sensibles à la vitesse d'application de la force, plus particulièrement les MRD à adaptation rapide dont la réponse est plus importante lorsque la vitesse d'application de la force est rapide (percussion de la dent ou morsure dans un corps étranger lors de la mastication).
La figure 2 représente le trajet des voies nerveuses issues des MRD de type TG, à l'origine de la perception consciente des contacts occlusaux (fig. 2).
Ces voies prennent naissance au niveau des MRD, se projettent au niveau du noyau principal du complexe sensitif trigéminal (1er relais), rejoignent le thalamus (noyau ventro-postéro-médian) (2e relais) et se terminent au niveau des aires corticales somesthésiques primaire (S1) et secondaire (S2) [2].
Ces aires corticales sont douées de neuroplasticité, c'est-à-dire qu'elles sont capables de se réorganiser en fonction des modifications qui peuvent survenir au niveau de la cavité buccale (extraction dentaire, modification de l'occlusion, pose de prothèses, d'implants...) [7]. Ces modifications induisent normalement une réorganisation du cortex somesthésique, et notamment de la représentation corticale des dents absentes ou remplacées au niveau de S1, ce qui permet une adaptation de la mastication aux nouvelles conditions occlusales. Cette capacité d'adaptation, reflet de la neuroplasticité cérébrale, est cependant variable selon les sujets [6]. Une insuffisance ou un dysfonctionnement de cette adaptation peuvent conduire à des perturbations de la sensibilité occlusale, point qui sera abordé dans la deuxième partie de cet article, consacrée à la dysesthésie occlusale.
La disparition des MRD autour des implants ostéo-intégrés entraîne la suppression des afférences sensitives desmodontales avec, comme conséquence, une altération du contrôle des forces masticatrices ou de serrement [6], ce qui explique, par exemple, les risques plus élevés de fracture des implants chez les patients bruxomanes [9]. Ainsi, les prothèses implanto-portées ne permettent plus une adaptation fine de l'activité musculaire au cours de la mastication (la force de morsure maximale augmente de 60 à 200 % au niveau des implants, du fait de la perte du contrôle proprioceptif).
Il existe cependant une compensation liée au développement progressif d'une innervation au niveau de l'os qui entoure l'implant. Cette néo-innervation péri-implantaire, avec la participation d'autres types de mécanorécepteurs (périostés, muqueux et musculaires), permet de restaurer partiellement une sensibilité occlusale implantaire, appelée « ostéoperception », en rétablissant des projections fonctionnelles sur les aires corticales somesthésiques [2, 8, 10].
Des mesures de seuils sensoriels ont permis de préciser certaines caractéristiques des MRD chez l'homme [11] :
– la valeur du seuil de détection de l'épaisseur d'un objet interposé entre les dents se situe, en moyenne, entre 5 et 30 microns (valeur inférieure à l'épaisseur d'un cheveu). Elle est identique au niveau des molaires et des incisives ;
– il n'y a pas de différence entre les dents pulpées et dépulpées, ce qui démontre que cette sensibilité est bien d'origine desmodontale ;
– les MRD sont essentiellement impliqués dans la discrimination d'objets de faibles épaisseurs (< 5 mm). La discrimination d'objets d'épaisseurs plus importantes (> 5 mm) fait intervenir d'autres types de récepteurs, en premier lieu les récepteurs musculaires ;
– au niveau des dents implanto-portées, les valeurs de seuil sont plus élevées (50 microns en moyenne) qu'au niveau des dents naturelles. De même, le seuil de détection d'une force appliquée sur une dent implanto-portée est environ 10 fois plus élevé qu'au niveau des dents naturelles [12]. Ces données confirment que la sensibilité occlusale est beaucoup moins précise au niveau des implants.
Décrite pour la première fois en 1976 par Marbach [13] sous le terme de « Phantom bite », la dysesthésie occlusale (DO) peut être définie comme une altération de la perception occlusale, persistante depuis au moins 6 mois, en l'absence d'anomalies occlusales évidentes et avec une association fréquente de désordres psychiatriques [14, 15].
L'inconfort occlusal, qui caractérise la DO, se traduit par la perception anormale et permanente de contacts prématurés, d'absence de contacts occlusaux et/ou d'interférences en latéralité [16].
Dans la très grande majorité des cas, la DO survient à la suite de traitements dentaires qui ont généré des modifications occlusales. Ces modifications peuvent être minimes, comme dans le cas d'équilibrations occlusales ou de restaurations dentaires limitées (inlays, onlays, couronnes), ou plus importantes, comme dans le cas de réhabilitations prothétiques de plus grande étendue ou de traitements orthodontiques. Dans les autres cas, la DO se déclare en l'absence de traitements dentaires ayant entraîné une modification de l'occlusion.
Pour certains auteurs, la DO est un véritable trouble psychiatrique. Marbach la définissait comme une « psychose hypocondriaque monosymptomatique », et Reeves et Merrill comme un « désordre somatoforme » se traduisant par une fixation obsessionnelle sur l'occlusion, évoquant un trouble obsessionnel compulsif (TOC) [14]. Plusieurs types de désordres psychiatriques (anxiété, hypocondrie, dépression, somatisation) sont effectivement retrouvés chez un certain nombre de patients souffrant de DO.
Peu de données épidémiologiques sont disponibles [16-18]. Les études existantes font ressortir une prévalence essentiellement féminine (environ 80 %) et un âge de survenue très variable (de 20 à 80 ans), dont la moyenne se situe entre 40 et 60 ans. La symptomatologie est généralement ancienne, évoluant depuis plus de 10 ans.
La réalisation de traitements dentaires est incriminée par environ 75 % des patients.
Une étude réalisée par Shinohara et al. [17] a montré que la DO est bilatérale dans 50 % des cas et unilatérale dans l'autre moitié des cas, avec un pourcentage à peu près similaire entre les côtés droit et gauche. Dans les cas de DO unilatérales, le côté concerné correspond le plus souvent au côté des soins dentaires.
Il n'existe pas, actuellement, de critères spécifiques pour le diagnostic de la DO, mais certains symptômes doivent alerter le praticien [16, 19] :
– les patients concernés sont persuadés que leur occlusion est « anormale ». Cette doléance représente le symptôme principal. Ils analysent leur occlusion en permanence sans jamais parvenir à trouver « la bonne occlusion », ni « le bon positionnement de leur mâchoire » ;
– la plainte survient généralement à la suite de soins restaurateurs, prothétiques ou orthodontiques ;
– toutes les tentatives d'équilibration ou d'autres traitements occlusaux (prothèse, orthodontie) se sont soldées par des échecs ou ont même aggravé la situation, renforçant la conviction du patient qu'il y a un problème avec son occlusion ;
– les patients manifestent de l'insatisfaction et de la colère envers leur dentiste, ce qui les a conduits à consulter plusieurs autres praticiens (4,4 en moyenne dans l'étude de Watanabe et al. [18]). Certains patients n'hésitent pas à entamer une procédure judiciaire à l'encontre de leur dentiste, pour obtenir réparation du préjudice subi ;
– lors de la consultation, ces patients prennent souvent beaucoup de temps pour raconter l'historique de leur problème, à l'aide de notes personnelles très détaillées (date des précédentes consultations, symptômes ressentis, traitements effectués...) et de dossiers particulièrement fournis (documents trouvés sur internet, comptes rendus de consultation, radiographies, moulages, gouttières) ;
– l'examen occlusal ne révèle aucune malocclusion notable (interférence, prématurité, sous-occlusion) susceptible d'expliquer la symptomatologie décrite ;
– à l'inconfort occlusal peut se surajouter un inconfort musculaire sous la forme d'une sensation de fatigue ou de contracture principalement localisée au niveau des masséters. Cette symptomatologie musculaire est liée à une habitude de serrement dentaire compulsive provoquée par l'analyse permanente de l'occlusion et la recherche de la « bonne occlusion ». Cette habitude est à l'origine d'un véritable cercle vicieux (fig. 3) dans lequel le serrement favorise l'apparition de contractures musculaires qui, à leur tour, altèrent la perception des contacts occlusaux (sensation de contacts prématurés dont la localisation varie en permanence), ce qui renforce l'inconfort occlusal [19].
Les mécanismes à l'origine de la DO ne sont pas élucidés actuellement. Les différentes hypothèses étiologiques qui ont pu être avancées peuvent être classées en deux grandes catégories, selon qu'elles fassent intervenir un dysfonctionnement neurophysiologique (périphérique ou central) ou un désordre psychiatrique.
Les hypothèses « neurophysiologiques » impliquent soit une hypersensibilité des mécanorécepteurs desmodontaux (mécanisme périphérique), soit une altération de la neuroplasticité cérébrale (mécanisme central), empêchant le patient de se réadapter à de nouvelles conditions occlusales, même minimes [15, 16].
– l'hypothèse « périphérique » suggère que la DO s'expliquerait par une hypersensibilité des mécanorécepteurs desmodontaux à l'origine d'une perception exacerbée des contacts occlusaux. Plusieurs études ont cependant montré que la capacité de discrimination occlusale de papiers de différentes épaisseurs n'était pas significativement meilleure chez les sujets présentant une DO comparés à des sujets contrôles [20] ;
– l'hypothèse centrale fait intervenir des mécanismes centraux qui seraient à l'origine d'une distorsion dans l'interprétation corticale des sensations occlusales. Les patients souffrant de DO présenteraient un déficit des capacités d'adaptation et de réorganisation des régions du cortex somesthésique où se projettent les afférences dento-parodontales, en réponse aux modifications occlusales (fig. 2) [17]. Au niveau cortical s'effectue une mémorisation du schéma corporel et, en particulier, de l'occlusion. Dans les cas de DO, le cortex serait incapable de s'adapter à des modifications de l'occlusion (même minimes), par défaut de plasticité cérébrale. La conséquence est une distorsion de l'interprétation des nouvelles informations occlusales, qui continuent à être intégrées dans le schéma de l'ancienne occlusion. Ce phénomène expliquerait cette sensation permanente d'inconfort occlusal qui caractérise la DO.
Les hypothèses « psychiatriques » considèrent que la DO est le symptôme d'un véritable désordre psychiatrique de type hypocondrie, anxiété obsessionnelle vis-à-vis de la santé, dépression, somatisation, troubles bipolaires, schizophrénie [17, 21]. Marbach [13] a été le premier à assimiler la DO à une « psychose hypocondriaque monosymptomatique », c'est-à-dire à une conviction erronée de l'existence d'une anomalie ou d'une maladie corporelle, dont le symptôme serait une occlusion anormale dans le cas de la DO. Reeves et Merrill [19] ont comparé la DO à un « désordre somatoforme », c'est-à-dire à un symptôme somatique qui fait l'objet d'une fixation obsessionnelle (inconfort occlusal dans le cas de la DO).
Watanabe et al. [18] ont identifié des affections psychiatriques chez 48,5 % des patients souffrant de DO. Les comorbidités psychiatriques seraient moins fréquentes chez les patients pour lesquels la DO serait apparue après des soins dentaires, et donc plus fréquentes chez les patients n'ayant reçu aucun traitement dentaire préalable.
Remarque : des sensations d'inconfort occlusal peuvent être rapportées par certains patients, sans pour autant s'inscrire dans le cadre d'une véritable DO. Également caractérisées par l'impression de contacts occlusaux anormaux ou instables, elles sont liées à l'existence de contractures des muscles élévateurs (masséters principalement), engendrées par un comportement de serrement des dents [22]. Ces contractures modifient en permanence le chemin de fermeture, de telle sorte que les contacts occlusaux ne sont pas reproductibles.
Ces problèmes se rencontrent généralement chez les patients stressés qui serrent les dents. Elles ont donc un décours temporel fluctuant et transitoire au gré des périodes de serrement.
Ces sensations d'inconfort occlusal d'origine musculaire peuvent représenter l'une des composantes de la DO (fig. 3).
Il n'existe pas, à ce jour, de protocole thérapeutique bien codifié pour la prise en charge des patients souffrant de DO, qui doit être graduée en fonction de la sévérité des symptômes [14] :
– la première recommandation est de s'abstenir de toute intervention sur l'occlusion (équilibration, prothèse, ODF), malgré les demandes insistantes des patients, car celle-ci sera vouée à l'échec et ne fera qu'aggraver la situation [16]. Un ajustement occlusal peut donner l'illusion d'avoir réglé le problème en favorisant une amélioration temporaire de la situation grâce à une diminution de l'anxiété du patient et un effet placebo ;
– les explications données au patient sur la nature et l'origine de ses symptômes doivent l'aider à comprendre que ce n'est pas son occlusion qui est en cause mais plutôt la façon dont son cerveau traite les informations occlusales qui lui parviennent. Il doit donc accepter l'idée que la solution à son problème ne réside pas dans une correction de son occlusion ;
– une rééducation comportementale visant, d'une part, à supprimer tout réflexe de serrement et, d'autre part, à favoriser le relâchement musculaire est essentielle. Il faut expliquer au patient qu'en dehors du temps buccal de la déglutition (soit 10 à 15 minutes par jour), il ne doit exister aucun contact entre les dents (respect de l'espace libre d'inocclusion qui caractérise la position de repos mandibulaire) [23]. Toutes les techniques favorisant le relâchement musculaire (massages, application de chaleur humide, kinésithérapie, relaxation...) peuvent être recommandées, notamment le port d'une gouttière occlusale qui peut aider le patient à se « déconnecter » de son occlusion ;
– dans les cas les plus sévères, une prise en charge psychologique (thérapie cognitive et comportementale) et/ou un traitement médicamenteux peuvent être envisagés. Ces traitements reposent, en première intention, sur la prescription d'antidépresseurs tricycliques (amitriptyline) ou sérotoninergiques pour leur effet anti-obsessionnel. Ces antidépresseurs auraient une efficacité chez environ 30 % des patients d'après l'étude de Watanabe et al. [18]. Cependant, un traitement par antidépresseur reste difficile à faire accepter par les patients, surtout ceux chez qui la DO est apparue à la suite de soins dentaires. Ces patients restent en effet persuadés que le problème provient de leur mauvaise occlusion.
La dysesthésie occlusale est une affection dont la cause n'est pas clairement connue à ce jour. Elle implique probablement des mécanismes neurophysiologiques (défaut de plasticité cérébrale) et/ou psychiatriques. Le profil particulier de ces patients (plainte centrée sur l'occlusion) doit permettre au praticien de la diagnostiquer, afin de ne pas rentrer dans une spirale de surtraitements occlusaux qui ne feront qu'aggraver la situation.
Toute demande insistante et récurrente de retouches occlusales par le patient, dépassant le cadre des équilibrations occlusales habituelles, doit alerter le praticien, d'autant que celui-ci est généralement convaincu de leur inutilité.
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Olivier ROBIN - PU-PH
Faculté d'odontologie de Lyon