Prothèse collée
L. MASSÉ S. COURTADE O. LAVIOLE
L'édentement unitaire antérieur est une situation extrêmement fréquente qui peut avoir des conséquences à la fois sur le plan fonctionnel et esthétique. Dans notre pratique quotidienne, nous devons résoudre cet édentement unitaire, tout en gardant à l'esprit les nouveaux principes de la dentisterie mini-invasive d'aujourd'hui, la demande du patient et raisonner son choix thérapeutique en fonction de nombreux facteurs.
De nos jours, les deux principales...
Résumé
Dans le cas d'un édentement unitaire antérieur, la thérapeutique reste un challenge difficile à relever. Avec l'avènement de l'implantologie et son développement rapide, il paraît difficile de laisser une place à une alternative de traitement. Pourtant, les contre-indications sont assez nombreuses et parfois même, dans un certain nombre de cas, cette solution n'est tout simplement pas la plus pertinente.
Une alternative prothétique a fait ses preuves ces dernières années : le bridge collé.
Le recours aux bridges collés n'est pas nouveau mais leur conception, leur design et les biomatériaux d'assemblage ont beaucoup évolué.
L'objectif de cet article est de proposer, autour d'un cas clinique illustré, un argumentaire précis quant au choix de la thérapeutique et du matériau d'infrastructure utilisés dans la gestion d'un édentement unitaire antérieur en présence d'une contre-indication implantaire absolue.
L'édentement unitaire antérieur est une situation extrêmement fréquente qui peut avoir des conséquences à la fois sur le plan fonctionnel et esthétique. Dans notre pratique quotidienne, nous devons résoudre cet édentement unitaire, tout en gardant à l'esprit les nouveaux principes de la dentisterie mini-invasive d'aujourd'hui, la demande du patient et raisonner son choix thérapeutique en fonction de nombreux facteurs.
De nos jours, les deux principales alternatives prothétiques sont la restauration implanto-portée et le bridge collé. Rappelons que les contre-indications à une thérapeutique implantaire sont importantes, et que cette solution, dans certains cas, n'est tout simplement pas la plus adaptée [1, 2].
Historiquement, de nombreux praticiens ont indéniablement contribué à l'essor des bridges collés, comme Mathias Kern, qui a fait évoluer leur design et leurs biomatériaux de conception [3]. La céramique remplace le métal pour une meilleure biocompatibilité, une amélioration de l'esthétique, mais surtout une aptitude au collage. Ses travaux proposent et valident scientifiquement une géométrie cantilever (mono-ailette/mono-pilier) [4].
À la lumière des études cliniques récentes [5, 6], et avec une armature en vitrocéramique renforcée, ces bridges semblent donner d'excellents résultats et pourraient constituer une alternative subtile, contemporaine et réaliste à l'implant antérieur.
L'objectif de cet article est de proposer, autour d'un cas clinique illustré, un argumentaire précis quant au choix de la thérapeutique ainsi que du matériau d'infrastructure utilisé dans la gestion d'un édentement unitaire antérieur en présence d'une contre-indication implantaire absolue et d'une supraclusion.
Un patient de 38 ans nous est adressé suite à la perte prématurée de sa 11 et de sa 31. En novembre 2017, une tumeur maligne du rhinopharynx lui est diagnostiquée, entraînant des effets notamment rénaux et sanguins, secondaires à la chimiothérapie. D'importantes cicatrices au niveau du cou et de l'étage inférieur de la face font suite à un curage ganglionnaire cervical pour adénopathie cancéreuse persistante.
Ses antécédents médicaux et chirurgicaux contre-indiquent tout acte entraînant des saignements ou des remaniements osseux.
Afin de guider le choix de la décision thérapeutique qui lui serait la plus bénéfique, une analyse clinique et radiographique est nécessaire pour évaluer précisément la situation initiale (tableau 1).
Le patient nous fait part de son souhait d'avoir une solution prothétique fixe afin de réhabiliter ses secteurs antérieurs bimaxillaires. On ne s'intéressera ici qu'au remplacement de 11, la 31 ayant été restaurée avec un autre matériau.
L'évaluation d'une série de critères décisionnels est primordiale.
Le patient est jeune et ne souhaite en aucun cas avoir recours à une solution amovible. Après avoir écarté la solution implantaire, compte tenu de la contre-indication absolue, nous nous orientons vers la mise en place d'un bridge collé en utilisant l'incisive centrale comme pilier.
Après évaluation des paramètres favorables ou non dans la mise en place d'un bridge collé cantilever, l'analyse occlusale confirme le paramètre défavorable qu'est la supraclusion. Évidemment, dans les études prônant l'efficacité de cette thérapeutique, les cantilever collés sont souvent sélectionnés dans des conditions cliniques favorables avec de faibles contraintes occlusales. C'est ce qui expliquera notre choix quant au matériau d'infrastructure et notre rigueur dans la préparation, pour faire en sorte d'éviter tout contact occlusal sur l'intermédiaire.
Dans la littérature, Kern est le premier à proposer des dispositifs tout céramique (In-Ceram®-VITA) [3] : les résultats, en terme de survie, étaient très intéressants et le taux de décollement, principale cause d'échec des infrastructures métal, avait diminué. Cependant, des complications par fracture ont été rapportées [4].
En 2012, les armatures zircone font leur entrée, et Kern et Sasse puis d'autres, les années suivantes, rapportent des taux de survie de 98,2 à 100 % [4, 7-10]. Avec une résistance à la flexion de 1000 Mpa, aucune fracture n'est rapportée. Cependant, le décollement persiste...
L'e.max® (Ivoclar Vivadent) est utilisé dans les études de Sun et al. [5] et de Sailer et al. [6]. Dans la première, les taux de succès et de survie atteignent les 100 % à 4 ans, sans aucune complication. Dans la seconde, il n'y a eu ni décollement ni fracture, et le taux de survie est de 100 % à 6 ans.
Le nombre d'études faisant référence à ce matériau est trop faible pour affirmer son succès sans faille, mais le formidable développement du collage, allié à la constante amélioration des propriétés mécaniques et optiques des vitrocéramiques renforcées, nous conduit à envisager ce matériau plus esthétique et biocompatible pour les bridges cantilever collés. Enfin, même si sa résistance à la flexion est plus faible que celle des céramiques infiltrées ou encore de la zircone, le respect des épaisseurs de connexion et l'excellent potentiel d'adhésion de la vitrocéramique collée à l'émail, préparé a minima, représente un atout majeur de ce type de restauration.
Cependant, en raison de l'occlusion serrée augmentant les forces occlusales sur notre future restauration, notre choix va se tourner vers un autre matériau qui a fait son apparition en 2017 [11] : le silicate de lithium renforcé au zirconium. Le Celtra Press® (Dentsply Sirona), vitrocéramique de dernière génération, semble, selon le fabricant, répondre aux trois critères essentiels et indispensables dans le cas d'une restauration collée :
– des propriétés mécaniques plus intéressantes : composée de 10 % de zircone, elle a une meilleure résistance à la flexion ;
– une aptitude au collage plus importante : les cristaux de silicate de lithium, 4 à 7 fois plus petits que les cristaux de disilicate de lithium composant l'e.max®, lui offrent davantage de matrice vitreuse ;
– des propriétés optiques plus que satisfaisantes, avec une translucidité et une opalescence quasi égales à celles d'une dent naturelle et offrant un effet caméléon pour un résultat esthétique optimal.
Ce matériau semble être un choix intéressant pour pallier les contraintes occlusales de notre patient. Des impératifs de conception sont cependant à prendre en considération, avec une connexion requise de 16 mm2 et une épaisseur minimum de 0,8 mm [12].
La mise en œuvre clinique de ce type de thérapeutique inclut, lors du premier rendez-vous, une longue analyse de la situation clinique comme décrite ci-dessus, ainsi qu'une analyse esthétique (fig. 1).
Des modèles d'études sont réalisés et montés sur articulateur afin de réaliser une analyse occlusale (fig. 2). À ce stade, un wax-up peut être réalisé pour préfigurer esthétiquement le cas.
Dans une deuxième séance clinique, la préparation du pilier maxillaire est effectuée (fig. 3 et 4). S'ensuivent l'établissement de la teinte (fig. 5) et la prise de l'empreinte, qui sont transmises au laboratoire de prothèse (fig. 6).
La préparation suivra les recommandations de Kern [13] et est reprise par l'équipe Tirletet Attal en 2015 [14]. Elle peut être découpée en quatre étapes (fig. 3) avec la réalisation :
– d'un léger congé cervical ou épaulement à angle interne arrondi d'une épaisseur de 6 à 8/10e de MM. Il garantira stabilisation et rigidité au système ;
– d'une corniche occlusale qui aura pour rôle de s'opposer aux forces de clivage et de pelage du joint collé. Il faudra évaluer sa position afin d'exploiter la plus large surface palatine possible et ainsi optimiser le collage ;
– d'une boîte de connexion en regard de la zone édentée pour accueillir l'épaisseur de la céramique de connexion. C'est une zone de hautes contraintes mécaniques (fig. 4) ;
– d'un macropuits qui sera décentré en évitant la zone d'élection pulpaire et à l'opposé de la zone édentée. Il aura un rôle dans la rétention et la stabilisation du bridge, comme une agrafe de renfort. Il s'opposera au bras levier provoqué par les forces s'exerçant sur le pontic en porte-à-faux.
Cette préparation est strictement amélaire, supra-gingivale et donc conservatrice.
Par prudence, les points d'impacts occlusaux sur la face palatine de 21 (fig. 7) sont marqués au crayon afin de visualiser les zones où la préparation doit être plus importante. Pour une préservation tissulaire maximale et pour éviter une sollicitation supplémentaire de la céramique, l'ailette s'arrête mésialement par rapport au contact le plus distal (fig. 8 et 9).
Lors de cette troisième séance clinique, le bridge cantilever tout céramique est d'abord essayé afin de valider son ajustage et son intégration esthétique. S'ensuit la mise en place du champ opératoire, en veillant à ne pas occasionner de saignement. Un deuxième essayage du bridge traduit l'effet « trampoline », ou « batracien », du champ au niveau de l'intermédiaire. Une clé de repositionnement en silicone de haute viscosité est donc réalisée avant l'assemblage pour permettre le parfait positionnement de l'ailette lors du collage (fig. 10 à 12).
Le collage se fait en respectant les protocoles de référence actuels [12, 15]. Il est similaire à celui utilisé pour les onlays ou les facettes céramique. L'utilisation du Celtra Press® (Dentsply Sirona) va comprendre néanmoins quelques spécificités (fig. 13 à 26). L'assemblage se fera à l'aide d'une colle dual sans potentiel adhésif.
Le mordançage de la pièce en silicate de lithium renforcé à la zircone requiert l'application d'acide fluorhydrique pendant 30 secondes, contre 20 pour l'e.max® (Ivoclar Vivadent).
Après l'étape de silanisation, l'application d'une couche d'adhésif n'est plus obligatoirement conseillée car n'améliorant a priori pas significativement l'adhésion [16]. En revanche, dans ce cas précis, nous décidons de conserver cette étape en utilisant un adhésif universel contenant du 10-MDP. De fortes liaisons chimiques se créent entre ce monomère et les 10 % de zircone contenus dans le Celtra Press® (Dentsply Sirona). Il y a alors création d'une forte interaction avec la céramique qui potentialisera l'adhésion [17].
Dans des situations spécifiques et clairement définies, les bridges collés peuvent être considérés comme une thérapeutique mini-invasive, efficace et pérenne dans la gestion de l'édentement unitaire antérieur. Avec le recul que nous a apporté la littérature, ces restaurations collées obtiennent des résultats cliniques très intéressants en termes de longévité.
Les infrastructures « tout céram » et la conception à un seul dispositif de retenue semblent donner des résultats très prometteurs.
La thérapeutique de bridges collés cantilever fabriqués en vitrocéramique renforcée apparaît comme une alternative subtile, contemporaine et réaliste à la restauration implanto-portée antérieure, en particulier dans des situations de contre-indication implantaire absolue.
Les matériaux céramiques, en constante évolution, sont adaptés à ce type de réalisation, mais le choix pertinent pour une situation clinique donnée repose sur l'analyse clinique préprothétique ainsi que sur la connaissance des spécificités de chacune des familles de céramique à la disposition du praticien.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Léa Massé - Docteur en chirurgie dentaire, attachée au département de prothèses
UFR des Sciences Odontologiques de Bordeaux
Exercice libéral, Lanton
Simon Courtade - Interne en médecine bucco-dentaire, CHU de Bordeaux
Odile Laviole - Docteur en chirurgie dentaire, MCU-PH
UFR des Sciences Odontologiques de Bordeaux, CHU de Bordeaux