Prothèses et maladies rares orales et dentaires
C. MILLET / C. KHOURY / J.-J. MORRIER
La dysplasie dentinaire (DD) est une maladie héréditaire rare à transmission autosomique dominante, avec une prévalence de 1:100 000 [1]. Caractérisée par une atteinte de la structure dentinaire et du développement des racines, cette maladie comprend deux sous-types : la DD de type 1 (DD-1) ou radiculaire et la DD de type 2 (DD-2) ou coronaire [1,
Résumé
La dysplasie dentinaire radiculaire est une anomalie rare de la dentine qui entraîne une exfoliation prématurée des dents. Elle a un impact clinique considérable sur la vie sociale et l'état de santé général des patients atteints. Les dysplasies dentinaires peuvent présenter des signes cliniques variables qui peuvent troubler les praticiens dans leur diagnostic. Les recommandations thérapeutiques ne font pas l'objet d'un consensus. Toutefois, un diagnostic précoce permet de mettre en place des recommandations diététiques et d'hygiène adéquates pour pérenniser les dents sur l'arcade. Chez les jeunes patients, une prise en charge prothétique par prothèse amovible permet d'atténuer les répercussions fonctionnelles, esthétiques et psychologiques en attendant la fin de la croissance osseuse pour la mise en place d'implants.
La dysplasie dentinaire (DD) est une maladie héréditaire rare à transmission autosomique dominante, avec une prévalence de 1:100 000 [1]. Caractérisée par une atteinte de la structure dentinaire et du développement des racines, cette maladie comprend deux sous-types : la DD de type 1 (DD-1) ou radiculaire et la DD de type 2 (DD-2) ou coronaire [1, 2]. La DD-1, caractérisée par des racines courtes ou absentes, est généralement associée à une perte prématurée des dents. Cette anomalie affecte la denture temporaire et permanente dont le pronostic à long terme est sombre. La DD-2 touche de façon plus sévère les dents temporaires qui présentent une coloration ambrée, sans altération radiculaire. Les dents permanentes ont un aspect clinique normal, toutefois l'examen radiologique révèle des anomalies de la chambre pulpaire et des calcifications intra-pulpaires [3, 4].
Le cas clinique présenté ci-après illustre la prise en charge d'une jeune patiente atteinte d'une dysplasie dentinaire radiculaire (DD-1) sévère.
Cette patiente de 14 ans s'est présentée en consultation accompagnée de ses parents. Elle était adressée par son praticien pour diagnostic et traitement. L'adolescente se plaignait d'une part de difficultés à mastiquer donc à s'alimenter, et d'autre part de son sourire inesthétique. L'anamnèse médicale ne révélait aucun antécédent familial, un développement psychomoteur normal et une croissance régulière. Un glaucome bilatéral congénital opéré à 5 ans, un problème orthopédique (hallux valgus, camptodactylie) et dermatologique (psoriasis) étaient rapportés par les parents de l'adolescente.
L'examen du visage montrait un front bombé, une obliquité en bas et en dehors des paupières, un hypertélorisme, des oreilles basses et une pointe de nez oblongue (fig. 1). L'examen clinique endobuccal a mis en évidence la persistance de l'incisive centrale temporaire supérieure droite (51) et de toutes les molaires temporaires. Seules cinq dents permanentes étaient en place sur les arcades : 11, 12, 16, 26 et 43 ; la canine inférieure gauche était en phase éruptive (fig. 2 à 4). L'examen minutieux à la sonde exploratrice n'a pas détecté de lésions carieuses malgré des colorations de sillons. Les dents ne présentaient pas de mobilité et l'hygiène bucco-dentaire était satisfaisante. L'examen des rapports inter-arcades révélait une absence d'occlusion, un déficit de la dimension verticale d'occlusion (DVO) et du soutien jugo-labial. La situation radiographique initiale mettait en évidence des racines courtes au niveau des dents temporaires et permanentes, ainsi qu'une oblitération des chambres pulpaires. Sur la radiographie panoramique, on pouvait noter également différentes agénésies (13, 21, 22, 23, 24, 35), l'absence d'éruption de nombreuses dents permanentes et l'ankylose des molaires temporaires maxillaires (fig. 5).
Les données cliniques et radiographiques nous ont orientés vers un diagnostic de dysplasie dentinaire radiculaire (DD-1) associée à des rétentions dentaires au sein d'une association syndromique (dermatologique, ophtalmologique, orthopédique). Aucun syndrome n'a pu être identifié mais une recherche sur le panel de malformations ophtalmologiques de Toulouse a été entreprise.
Les objectifs thérapeutiques étaient d'améliorer l'esthétique du sourire et d'obtenir une occlusion fonctionnelle pour permettre à l'adolescente de s'alimenter convenablement. L'option d'une réhabilitation fixée sur implants a été évoquée avec l'adolescente et ses parents, mais cette option n'était pas envisageable dans l'immédiat compte-tenu de l'âge de la patiente. Une autre thérapeutique devait être proposée en attendant la fin de la croissance. Une réhabilitation par prothèses amovibles supra-dentaires (overdentures) a donc été suggérée, solution qui devait être validée après une analyse esthétique et fonctionnelle.
La première séance fut dévolue à la motivation, aux conseils d'hygiène et recommandations alimentaires (éviter sucreries et sodas). Après un détartrage minutieux, des empreintes à l'alginate des deux arcades ont été réalisées afin d'obtenir des modèles d'études (fig. 6 et 7) et permettre la réalisation de maquettes d'occlusion.
La séance suivante consacrée aux différents réglages de ces maquettes et à l'avulsion de 51 a été difficile. En effet, l'adolescente très complexée par son état dentaire était très crispée et n'osait pas sourire ou effectuer les tests phonétiques pourtant nécessaires au réglage des maquettes (fig. 8 et 9). Le réconfort et les encouragements des parents ont grandement aidé au déroulement de cette étape de réglage et d'enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires (fig. 10).
La mise en articulateur des modèles d'étude a mis en évidence une hauteur prothétique disponible importante, d'environ 15 mm dans le secteur antérieur et 20 mm dans les régions molaires (fig. 11). Un montage directeur à l'aide de dents artificielles (SR Vivodent, Ivoclar) a pu être réalisé à l'intérieur de cet espace prothétique (fig. 12).
La séance d'évaluation clinique du montage directeur a été plus facile que la séance précédente car l'adolescente prenait peu à peu confiance en elle et en l'équipe soignante. L'orientation des surfaces occlusales mandibulaires par rapport à la ligne équatoriale de la langue a été vérifiée et validée, tout comme l'orientation antérieure du plan d'occlusion par rapport aux lignes esthétiques horizontales du visage. Différents tests phonétiques nous ont permis de contrôler la situation antéro-postérieure et verticale du bord libre des incisives et la dimension verticale d'occlusion (fig. 13 à 15). L'adolescente, satisfaite du soutien labial et du sourire procuré par ce montage directeur, manifestait alors son désir d'avoir ses « appareils » le plus vite possible !
Des modèles de travail ont été obtenus à partir d'empreintes secondaires réalisées à l'aide de porte-empreintes individuels et de polyéther (Permadyne orange et bleue, 3M) (fig. 16). Le montage directeur a permis de transférer ces modèles de travail sur articulateur afin de finaliser le modelage de la cire au niveau du joint périphérique et l'obtention de contacts occlusaux équilibrants dans les mouvements excentrés selon les règles habituelles de la prothèse complète. La polymérisation a été pratiquée dans la continuité par un protocole de résine injectée (fig. 17 à 19). Lors de l'insertion, l'adaptation des prothèses sur les dents et les structures muqueuses des surfaces d'appui a été contrôlée à l'aide d'un silicone fluide (fig. 20). Les zones de surpressions ont été éliminées à la fraise assurant ainsi une parfaite stabilité des prothèses. Après équilibration occlusale à l'aide de papier à articuler (fig. 21 et 22), les conseils d'utilisation et d'hygiène ont été donnés.
Au cours du rendez-vous de contrôle à 1 semaine, la patiente et ses parents étaient parfaitement satisfaits du résultat esthétique et fonctionnel (fig. 23 et 24). Une légère blessure en rapport à une surpression de l'intrados prothétique au niveau de la muqueuse mandibulaire était observée et corrigée dans le secteur antérieur.
Une surveillance semestrielle a été instaurée afin de contrôler les dents supports et l'adaptation des prothèses en fonction des modifications tissulaires et osseuses provoquées par la croissance.
Il n'existe pas de traitement spécifique pour cette maladie génétique [5]. De ce fait, la gestion des patients atteints de dysplasie dentinaire pose généralement plusieurs problèmes aux praticiens. Globalement, les stratégies proposées visent à préserver les dents en éruption le plus longtemps possible [5, 6]. Néanmoins, l'espérance de vie de la dentition est courte et le patient aura besoin d'adaptations périodiques de ses prothèses [7, 8]. Les traitements décrits pour la dysplasie dentinaire de type 1 comprennent les thérapeutiques endodontiques, des curetages périapicaux, la mise en place de mainteneurs d'espace et des réhabilitations prothétiques [6, 9, 10]. Il faut faire preuve de prudence lors des traitements endodontiques qui sont contre-indiqués lorsque les dents présentent une oblitération des canaux et des chambres pulpaires [11]. Un traitement orthodontique est parfois suggéré. Cependant, une résorption radiculaire supplémentaire et une exfoliation prématurée peuvent survenir en raison de la faible résistance des racines courtes aux forces orthodontiques [12]. Des réhabilitations complètes par prothèses implanto-portées ou par prothèses amovibles après avulsion de toutes les dents et curetage des kystes ont également été proposées comme option thérapeutique [13, 14].
Dans le cas présent, nous avons opté pour le maintien des dents jusqu'à leur exfoliation et la conception d'une prothèse amovible complète dento-muco-portée, réadaptée à chaque nouvelle éruption et/ou exfoliation dentaire. Notre décision thérapeutique visait à préserver au maximum les structures osseuses pour la réalisation ultérieure de prothèses fixées sur implants. La réalisation de prothèses implanto-portées chez ces patients atteints de dysplasie dentinaire radiculaire s'effectue après la fin de la croissance maxillo-faciale et nécessite généralement des thérapeutiques d'augmentation du volume osseux [14, 15].
La dysplasie dentinaire de type 1 est une anomalie rare de la dentine qui entraîne une exfoliation prématurée des dents. Les répercussions esthétiques et fonctionnelles d'une telle pathologie sont considérables avec un impact négatif important sur la qualité de vie des enfants/adolescents atteints. Ainsi, des mesures d'hygiène bucco-dentaire adéquates et des instructions diététiques détaillées doivent être établies afin d'aider ces jeunes patients à conserver leurs dents naturelles le plus longtemps possible. À cet égard, le chirurgien-dentiste joue un rôle important dans le diagnostic précoce de ce trouble et dans sa prise en charge, qui nécessite souvent le recours à une équipe pluridisciplinaire.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Catherine MILLET - Professeur des Universités
Praticien Hospitalier. Département de Prothèses, UFR d'Odontologie de Lyon. Centre de Compétences des Maladies Rares Orales et Dentaires, HCL, Lyon.
Christine KHOURY - Maître de Conférences Associé
Département d'Odontologie Pédiatrique, UFR d'Odontologie de Lyon.
Jean-Jacques MORRIER - Professeur des Universités
Praticien Hospitalier. Département d'Odontologie Pédiatrique, UFR d'Odontologie de Lyon. Centre de Compétences des Maladies Rares Orales et Dentaires, HCL, Lyon.