Bridge provisoire immédiat sur implants
La mise en charge immédiate est aujourd'hui une technique parfaitement établie et codifiée [1, 2] : implants de longueur minimale, stabilité de ces derniers, liaison des implants entre eux. Ce dernier point est capital et permet le succès thérapeutique : il est clairement à relier avec la technique prothétique et donc au savoir-faire du technicien de laboratoire.
La réussite de...
Résumé
Le succès thérapeutique implantaire passe par une collaboration étroite entre chirurgien-dentiste et technicien de laboratoire. Pour cela, la communication doit être optimale. Les outils digitaux tel que le Digital Smile Design® nous aident quotidiennement à renforcer les interactions entre la clinique et le laboratoire. L'échange permanent des données cliniques et laboratoires permet une réalisation optimale des prothèses, et donc des sourires de nos patients. De fait, avec des étapes anticipées, les protocoles d'extraction-implantion sont aujourd'hui clairement codifiés et réalisés sans difficultés majeures. Cet article présente un protocole clinique et laboratoire de ce type de traitement.
La mise en charge immédiate est aujourd'hui une technique parfaitement établie et codifiée [1, 2] : implants de longueur minimale, stabilité de ces derniers, liaison des implants entre eux. Ce dernier point est capital et permet le succès thérapeutique : il est clairement à relier avec la technique prothétique et donc au savoir-faire du technicien de laboratoire.
La réussite de ce type de technique (mise en fonction immédiate avec ou sans extraction) ne peut pas être uniquement réduite à l'aspect chirurgical du traitement. Il est aussi étroitement lié à la technique prothétique tant clinique que laboratoire. Il ne faut donc en aucun cas négliger l'ensemble des éléments de réflexions de réalisations prothétiques, sous peine de subir des échecs. Ils peuvent être de différents ordres : esthétiques ou fonctionnels. Il est donc particulièrement pertinent de prêter attention à ces connaissances et astuces pratiques prothétiques afin de réaliser des traitements conformes aux données acquises de la science, et valables du point de vue de la cicatrisation. Il en va de la satisfaction du patient, mais également de la pérennité du traitement.
L'objectif de cet article est donc de présenter la technique prothétique permettant le traitement d'un patient réhabilité par la technique d'extraction-implantation immédiate et mise en fonction immédiate.
La patiente se présente en consultation suite à une chute dans les escaliers ayant entraîné les expulsions des deux incisives centrales. Cette dernière les a repositionnées elle-même. Ce traumatisme prend place sur un terrain parodontal majeur : les atteintes parodontales entraînent des mobilités dentaires maintenues pendant des années par des contentions collées. Elle a également bénéficié de nombreux surfaçages (fig. 1 et 2).
Compte tenu de la situation clinique, il est convenu d'extraire l'ensemble des dents maxillaires et la 36. Dans le même temps seront positionnés huit implants maxillaires par une technique de chirurgie guidée, et une mise en fonction immédiate sera réalisée dans la même journée.
Le challenge de ce type de traitement est important : la patiente souhaite évidemment retrouver ses dents tant sur le plan fonctionnel qu'esthétique. Il est donc important de planifier les étapes de traitement afin de s'assurer du succès prothétique de la réhabilitation orale.
Les fiches laboratoires sont un moyen de communiquer avec le technicien de laboratoire. Toutefois, cela ne semble pas suffisant. En effet, toutes les informations nécessaires à la réalisation d'une prothèse ne peuvent être seulement issues d'une communication écrite. La communication visuelle, digitale, semble adaptée pour compléter au maximum les informations transmises.
Les informations capitales et minimales à transmettre en termes de réalisations prothétiques sont la teinte des dents actuelles et à venir, ainsi que les lignes de référence définies par Chiche et Pinault [4]. Ces lignes de référence permettent de faire coïncider le plan sagittal médian et le milieu inter-incisif, ainsi que la ligne bipupillaire et le plan incisif. Ces deux cohérences vont donner un côté harmonieux au visage et créer un équilibre visuel non stressant.
Pour la transmission des lignes de référence, une photo de portrait est nécessaire. Cette photo doit cadrer l'ensemble du visage, avec un sourire et les yeux ouverts. En outre, l'appareil photo (l'objectif) doit être perpendiculaire au visage du patient afin de pouvoir enregistrer les informations correctes de parallélisme et de perpendicularité. La transmission de ces deux lignes est aussi favorisée par l'utilisation d'outils tels que le Ditramax® [5] ou le One Bite® (Bisico) (fig. 3).
Le Digital Smile Design® (DSD) a été créé par Christian Coachman (qui exerce au Brésil, à la fois comme prothésiste et comme chirurgien-dentiste). Sa réflexion sur le DSD a été initiée après des questionnements sur le diagnostic initial de situations cliniques. Il est certain que toutes les équipes, quel que soit le degré d'expérience, ont été confrontées à des problématiques de communication entre le laboratoire et la clinique en vue de l'établissement d'un plan de traitement. L'objectif du DSD est donc de fournir une aide en protocolisant la réflexion et la création d'un projet prothétique.
La conception virtuelle du sourire obéit à un concept polyvalent, basé sur une analyse des patients dans leurs dimensions faciales et dentaires. Cette analyse passe par une série prédéterminée de photographies numériques de qualité, mais aussi de vidéos permettant entre autres de capturer des images fixes correspondantes à des expression plus naturelles. L'analyse de ces documents met en évidence les relations entre les dents, la gencive, les lèvres, mais aussi avec le sourire (et le visage), qui est un élément dynamique qui permet d'exprimer des émotions. Le protocole est précis. Quatre photos sont indispensables : deux vues frontales du visage du patient, une vue occlusale de l'arcade, ainsi qu'une vue à 12 heures du patient. Ensuite, les étapes sont clairement identifiées : il s'agit de positionner le patient dans le cadre établi avec différents outils afin de pouvoir suivre une analyse progressive des différentes caractéristiques du sourire. Sur ces photos, des éléments tels que les lignes du sourire, la relation gingivale, les dents sont reportés et apparaissent nettement, proposant une analyse globale sur la réfection d'un sourire. Les proportions dentaires peuvent également être appréciées, donc améliorées.
En suivant le protocole et avec l'aide d'objets de calibration, des mesures peuvent être réalisées. Celles-ci permettent une collaboration étroite avec le technicien de laboratoire, pour une exécution raisonnée du projet prédéterminé. Il apparaît évident que cette présentation claire et compréhensible contribue aussi à une meilleure communication avec le patient : le DSD sert à illustrer les problématiques présentes et les solutions en regard de celles-ci. En effet, il est toujours difficile d'expliquer les pathologies existantes à un patient et la visualisation photographique aide en cela. Il apparaît plus approprié d'utiliser les photos du patient plutôt que des situations cliniques similaires : l'identification de la situation est évidemment plus précise. Cette identification permet une meilleure compréhension pour le patient, et donc une meilleure adhésion aux thérapeutiques proposées. De fait, celui-ci fait partie intégrante de la réflexion. Il est par ailleurs tout à fait intéressant de percevoir la compréhension par le patient de la complexité des techniques odontologiques mises en œuvre pour son traitement.
Le DSD est donc un outil quotidien indispensable dans l'optimisation de nos traitements (analyse, diagnostic, réalisation, et aussi suivi). Toutefois, il doit être corrélé à la vision artistique du praticien, du prothésiste et à leurs compétences respectives (fig. 4).
Dans les cas de patients édentés unitaires et partiels, les dents résiduelles contribuent à une première appréciation de la morphologie des dents manquantes (présence de la dent controlatérale ou de dents du même secteur). Cela permet donc au prothésiste de travailler, de créer des anatomies qui s'inspirent des dents, des morphologies présentes. Même si l'art est délicat, il est facilité par les organes dentaires présents.
Dans le cadre du traitement des édentés complets, il apparaît difficile de créer ex nihilo des dents pour un patient avec un très faible nombre de données. Le visagisme peut être un soutien au choix des dents : il aide les cliniciens à fournir des restaurations répondant aux critères esthétiques, mais aussi en fonction des caractéristiques psychosociales correspondant à l'image de chaque patient. Ces caractéristiques sont en relation étroite avec les émotions, le sens d'identité, le comportement, mais aussi le respect de l'individu. Ces facteurs vont être apparents et avoir une influence sur les interlocuteurs des patients. Le visagisme implique la création d'une image personnelle et individuelle, qui exprime le sens d'une personne, son identité. La méthode est tirée de l'association des principes du langage visuelle artistique et des disciplines comme la psychologie, la neurobiologie, l'anthropologie et la sociologie.
Avec ce concept, les cliniciens peuvent signer un sourire qui intègre l'apparence physique du patient, sa personnalité et ses désirs. Un des défis majeurs sera de découvrir les traits de personnalité et les désirs du patient, pour les traduire dans des formes de dents naturelles dans l'harmonie psychodentofaciale. Le patient doit donc prendre part activement à ce choix : l'utilisation de quelques questions permet effectivement de dégager certains traits de personnalité qui devront être en harmonie avec la morphologie des dents.
Techniquement, il existe quatre formes de dent de base : rectangulaire, triangulaire, ovale et carré, avec quelques variations possibles. L'ensemble des lignes verticales, horizontales, inclinées, droites et courbes interagissent de façon à créer une infinité de possibilités de formes de dents naturelles. Ces lignes contiennent leur propre pouvoir d'expression et de significations émotionnelles :
– des lignes droites verticales expriment la force, le pouvoir (la puissance) et la masculinité ;
– des lignes droites horizontales représentent la passivité et la tranquillité. Elles peuvent aussi représenter une barrière ;
– des lignes droites inclinées expriment le dynamisme, le mouvement et la joie ;
– des lignes courbes représentent la transition graduelle entre deux plans (vertical et horizontal) et expriment la douceur de presse, la délicatesse, la féminité et la sensualité.
Avec les éléments de caractère du patient et l'application de règles classiques de l'esthétique, il apparaît possible de faire un meilleur choix de la morphologie dentaire. Celle-ci fait intégralement partie du cadre facial et est donc en harmonie avec cet ensemble. L'outil Visagismile® nous aide, dans le cas présent, à finaliser cette réflexion (fig. 5).
Avec les éléments cliniques transmis, il s'agit de créer un projet prothétique correspondant aux différents impératifs. Le modèle initial reçu est dupliqué en quatre exemplaires. Le modèle initial (modèle 1) est laissé tel quel ; il permet de conserver les données initiales du patient. Le modèle 2 servira pour la réalisation du projet prothétique, et le modèle 3 subira les extractions préconisées ultérieurement par le chirurgien. Enfin, le modèle 4 sera préparé pour recevoir le porte-empreinte après la chirurgie (détails dans paragraphes suivants).
Le modèle 2 est donc positionné sur la table occlusale, en fonction du plan incisif, de la ligne médiane et du plan de Camper (donné par le Ditramax®). Ensuite, la confection du projet prothétique prendra place en suivant les règles du DSD : il s'agira de réaliser celui-ci petit à petit afin de ne pas perdre de référence et de valider chaque étape.
Une fois le projet prothétique finalisé, le modèle avec le projet et le modèle initial sont scannés par un scanner de laboratoire afin d'obtenir les informations numériques de ces éléments. Le montage peut alors être validé numériquement (fig. 6 à 14).
Les modèles scannés par le prothésiste (fichiers STL obtenus) sont transmis au chirurgien-dentiste par voie numérique. Le format de fichier STL est un format utilisé dans les logiciels de stéréolithographie. Il est largement employé pour faire du prototypage rapide et de la fabrication assistée par ordinateur. Le format de fichier STL ne décrit que la géométrie de surface d'un objet en trois dimensions. Ce format ne comporte notamment pas d'informations concernant la couleur ou les autres paramètres habituels d'un modèle de conception assistée par ordinateur. Le fichier STL décrit un objet par sa surface externe.
Ces fichiers numériques sont alors indexés dans le logiciel de planification implantaire (Simplant®, Materialise Dental), qui comporte les données DICOM du patient. Les fichiers DICOM (Digital imaging and communication in medicine) désignent la norme pour les fichiers numériques créés lors d'examens d'imagerie médicale. Outre les images numériques issues des examens médicaux, les fichiers DICOM véhiculent aussi nombre d'informations textuelles concernant le patient (état civil, âge, poids, etc.), l'examen effectué (région explorée, technique d'imagerie utilisée, etc.), la date d'acquisition, le praticien... Ces fichiers ne peuvent être lus et modifiés que par des logiciels spécialisés. Les modèles sont indexés par l'intermédiaire des dents présentes.
Le logiciel de planification permet donc de visualiser clairement le volume osseux présent mais aussi le projet prothétique virtuel à venir. En fonction de ces éléments anatomiques et prothétiques, les implants seront planifiés. Ensuite, un autre modèle sera indexé afin d'obtenir un guide de chirurgie guidée statique à appui dentaire. Dans le cas présent, les dents 13 et 22 serviront d'appui pour le guide chirurgical. Le choix de conservation des dents ne peut se faire qu'une fois la planification implantaire réalisée : le scanner de ce troisième modèle aura donc lieu dans un deuxième temps (fig. 15 à 17).
Une fois le guide de chirurgie guidée statique reçu, il est transmis au laboratoire. Ainsi, les modèles pourront être préparés et la position implantaire simulée. Un forage est effectué dans le modèle en plâtre (modèle 3) afin de visualiser la position implantaire sur la crête. À la suite de cela, un porte-empreinte individuel chirurgical (PEIC) est réalisé [8]. Ce dispositif spécifique permet un transfert simple et aisé de la relation intermaxillaire (RIM) lors de la réalisation de mise en fonction immédiate ou conventionnelle. L'enregistrement de la RIM est ainsi évité le jour de la chirurgie. Elle est programmée et réalisée sur l'articulateur en préopératoire. La confection d'un modèle fractionné grâce au PEIC permet donc une simplification du traitement prothétique pour la mise en fonction immédiate. Cette simplification est valable directement pour le praticien, et indirectement pour le patient, qui trouvera cette étape courte et non invasive. Ici, le PEIC repose sur les deux dents conservées (13 et 22) et sur les tubérosités.
Parallèlement à cela, le projet prothétique est polymérisé en amont de la chirurgie afin de gagner du temps le jour de la confection du bridge provisoire en mise en charge immédiate. Il ne s'agira finalement que de relier ce projet polymérisé aux cylindres temporaires titane. Afin d'optimiser aussi le temps, le modèle qui va recevoir le PEIC est également creusé en regard des futurs implants. Le jour de la production du bridge, il ne sera nécessaire de couler du plâtre que dans ces zones précises (fig. 18 à 21).
Une fois ces éléments préparés (PEIC, guide chirurgical et projet prothétique), la chirurgie peut avoir lieu. Cette dernière, compte tenu des étapes préalables, sera pleinement dirigée par les aspects et contraintes prothétiques.
L'extraction de l'ensemble des dents maxillaires de la patiente est effectuée, sauf pour 13 et 22 qui vont recevoir le guide chirurgical, puis le PEIC. Les extractions suivent les principes de base de conservation tissulaire et d'asepsie.
Une fois les dents extraites, le guide chirurgical est positionné sur l'arcade maxillaire et notamment les deux appuis dentaires 13 et 22. Les 8 implants planifiés sont mis successivement en place (Multi-Unit Abutment RP, 1,5 mm, CC, Nobel Active, Nobel Biocare®). Les piliers implantaires sont positionnés afin de recevoir une prothèse plurale. L'empreinte de ces piliers peut alors être prise. Le matériau choisi est le plâtre afin de s'assurer une précision optimale. Pour éviter des fusées de plâtre dans les alvéoles, des morceaux de digues sont mis en place avant l'injection du plâtre (fig. 22 à 24).
L'empreinte au plâtre est adressée au laboratoire dès que possible. Les répliques sont positionnées sur les transferts. Le PEIC est alors repositionné sur le maître modèle no 4, puis de la fausse gencive est coulée autour des répliques. Ce PEIC doit être bien repositionné sur les dents et les tubérosités : pour cela, les fenêtres d'inspections sont ouvertes latéralement pour donner une vue directe. Le plâtre peut alors être coulé en regard des répliques.
Une fois le plâtre cristallisé, la réalisation spécifique du bridge implantaire vissé peut être envisagée. Le projet prothétique (créé en amont) est alors présenté en face du modèle maxillaire obtenu par l'intermédiaire d'une clef en silicone mandibulaire. Pour le stabiliser sur le modèle maxillaire, une clef en silicone est réalisée. Les puits de serrage peuvent alors être effectués par une fraiseuse. Le modèle est positionné sur le plateau de la fraiseuse, la position implantaire est repérée, le projet repositionné, et la fraiseuse peut alors perforer les dents en regard des implants. Le diamètre de perçage doit permettre le passage de la vis prothétique à venir.
Une fois ces étapes achevées, les cylindres temporaires titane (Temporary Coping Multi-Unit, Nobel Biocare®) sont positionnés puis coupés pour correspondre à la hauteur prothétique de la patiente et du projet. Dans le même temps, ils recevront un traitement de surface afin de faciliter l'adhésion de la résine sur eux. Ce traitement permet de renforcer la liaison du projet prothétique (résine) avec le titane des cylindres temporaires. Ce traitement de surface consiste en un sablage à l'alumine (granulométrie 100 à 150 microns) puis à un dépôt de silane (Silano-Pen, Brebent), puis à un opaquer photopolymerisable (Brebent).
Ensuite, le travail réside dans la fabrication de la fausse gencive vestibulaire en matériau résine composite. Différentes couches sont successivement mises en place afin de créer le rendu le plus naturel possible. Les finitions de polissage sont alors réalisées (fig. 25 à 34).
Le bridge livré au cabinet peut alors être mis en bouche. Ce bridge permet de restaurer immédiatement la fonction et l'esthétique pendant la phrase de cicatrisation implantaire (fig. 35).
La réalisation d'un traitement implantaire complet, tel que présenté, nécessite une anticipation de toutes les étapes afin de respecter les critères de la mise en fonction immédiate (inférieure à 48 heures). Hormis cette notion de délai, les critères fonctionnels et esthétiques des traitements doivent être respectés afin d'obtenir un succès thérapeutique au niveau des patients. Les outils modernes (DSD, photographies, logiciel de planification, de CFAO) sont des aides précieuses pour faciliter l'obtention de tels résultats.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Philippe Buisson - Prothésiste dentaire
Saint-Didier-au-Mont-d'Or
Renaud Noharet - Docteur en chirurgie dentaire
Maître de conférence des Universités
Praticien hospitalier
Docteur de l'université de Lyon
Exercice libéral