Les cahiers de prothèse n° 185 du 01/03/2019

 

Maladies rares oro-faciales

L. Friedlander  

Contexte

Les anomalies rares oro-cranio-faciales touchant les dents, la cavité buccale et le visage sont nombreuses, bien que chaque maladie soit rare [1]. En France, grâce aux différents Plans Nationaux sur les Maladies Rares, 131 centres d'expertise, appelés Centres de Référence et Centre de Compétences sur les Maladies Rares, ont été créés, composés d'équipes hautement spécialisées dans le diagnostic et les soins au...


Résumé

Résumé

Les maladies rares affectant la sphère oro-faciale (oligodontie, dysplasie ectodermique, fente faciale syndromique ou isolée...) donnent lieu chez les patients à des difficultés quotidiennes invalidantes en termes de fonctions orales altérées mais également d'intégration sociale et d'épanouissement personnel. La faible part socialisée de la réhabilitation prothétique de ces patients implique un renoncement aux soins et un parcours de soins chaotique et éprouvant. Dans cet article, nous exposerons une étude de cohorte nationale évaluant les facteurs associés à la qualité de vie des patients et proposant des pistes de réflexions en termes de politiques de santé.

Contexte

Les anomalies rares oro-cranio-faciales touchant les dents, la cavité buccale et le visage sont nombreuses, bien que chaque maladie soit rare [1]. En France, grâce aux différents Plans Nationaux sur les Maladies Rares, 131 centres d'expertise, appelés Centres de Référence et Centre de Compétences sur les Maladies Rares, ont été créés, composés d'équipes hautement spécialisées dans le diagnostic et les soins au sein d'hôpitaux universitaires et non universitaires. Un entrepôt national de données, relié aux centres impliqués, a été créé au cours du deuxième plan national [2]. Les centres de référence sont destinés à coordonner la définition de protocoles référentiels et thérapeutiques ainsi que la supervision épidémiologique et les activités d'éducation et de recherche. Au niveau régional, les centres de compétence identifiés par les centres de référence établissent les diagnostics de maladies rares, mettent en œuvre des traitements le cas échéant, et organisent les soins aux patients en fonction des centres de référence et des structures sanitaires et médico-sociales [3]. Les centres de référence et de compétences travaillent en coordination avec de nombreux établissements de santé, par le biais de laboratoires de diagnostic, de professionnels médico-sociaux, d'équipes de recherche fondamentale, clinique et translationnelle et d'associations de patients, cela selon un maillage territorial couvrant une grande partie du territoire français [4].

Besoins de réhabilitation orale et obstacles financiers

Les fentes orales (fig. 1 à 3) et les maladies telles que l'oligodontie (fig. 4 à 9), l'amélogenèse imparfaite, les dysplasies ectodermiques sont des exemples de maladies génétiques rares affectant la tête, le cou et les dents pouvant être isolées ou syndromiques [5, 6]. Ces pathologies ont des conséquences à la fois sur l'apparence et sur la fonction orale. Les traitements impliquent une équipe multidisciplinaire comprenant chirurgie, soins bucco-dentaires, orthophonistes, psychologues [7]. Pour illustrer la multidisciplinarité de la prise en charge, en ce qui concerne les fentes faciales par exemple, la prise en charge chirurgicale commence dans les premiers mois de la vie et se poursuit tout au long de l'enfance, puis à l'adolescence avec des soins orthodontiques et souvent à l'âge adulte avec la réhabilitation prothétique et implantaire [8]. Ce parcours de soins s'applique à d'autres maladies comme la dysplasie ectodermique, comprenant autant une oligodontie, souvent une microdontie, un décalage des bases osseuses et une micrognathie [9].

Ces patients enfants, adolescents puis adultes ont des besoins prothétiques très importants tout au long de leur vie et la part socialisée des dépenses due aux soins bucco-dentaires et surtout concernant la réhabilitation prothétique n'est pas meilleure pour eux que pour les patients non malades (exception faite de la prise en charge de 2 implants (voire 4 maximum) uniquement dans la région antérieure mandibulaire, au-delà de 6 ans, et ce jusqu'à la fin de la croissance, après échec ou intolérance de la prothèse conventionnelle).

 

L'Organisation Mondiale de la Santé définit en 1994 la qualité de la vie comme « la perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s'agit d'un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement ».

Il a été exposé dans la littérature récente que la qualité de vie des patients, enfants comme adultes, était aussi associée au type de réhabilitation prothétique [10, 11]. La prothèse fixée conventionnelle et implanto-portée est souvent associée à un meilleur quotidien que la prothèse amovible [12]. Cette association statistique dépasse les impératifs fonctionnels (mastication, phonation) pour atteindre des notions de bien-être quotidien, de confiance en soi, de rapports aux autres. Tous ces paramètres définissent la notion de qualité de vie orale et générale. Cette qualité de vie orale a été abondamment étudiée dans la littérature [13]. Il est maintenant reconnu que la santé bucco-dentaire ne peut être dissociée de la santé en général et que, par conséquent, elle est une composante majeure de la qualité de vie. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, la santé bucco-dentaire affecte les personnes physiquement et psychologiquement. Elle influence non seulement la façon dont elles grandissent, aiment la vie, parlent, mâchent, dégustent les aliments et socialisent, mais a également un impact sur leur sentiment de bien-être social [14].

Plus spécifiquement, une altération de l'image de soi a été rapportée en raison de la malformation du visage et du handicap souvent généré pour les malades. L'intégration de l'enfant et de l'adulte, tant sur le plan social que scolaire et professionnel, peut être également être affectée par la maladie [15, 16].

La notion de « handicap » appliquée à la santé bucco-dentaire

Cette situation, et bien d'autres liées à la santé orale et à la gestion de l'édentement, pose la question de la place de la réhabilitation orale en termes de santé publique en France. En France, la faible part de la prise en charge socialisée des dépenses de santé liées aux soins bucco-dentaires que sont la réhabilitation prothétique, implantaire et orthodontique, implique une part importante de renoncement aux soins pour raisons financières. Liberté des prix, actes hors nomenclatures, désengagement de l'État face aux mutuelles ou assurances privées participent à cet état de faits [17]. En France, la réhabilitation prothétique dentaire est considérée comme de l'appareillage du handicap. Comme beaucoup de dispositifs médicaux du handicap tel que les fauteuils roulants, la prise en charge par l'État n'est pas totale. Il peut paraître hasardeux voire exagéré de comparer l'édentement ou même la dysmorphose faciale à la paraplégie ; cependant, si on suit la définition du handicap de la loi no 2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dans son article 114, « le handicap est la limitation des possibilités d'interaction d'un individu avec son environnement, menant à des difficultés psychologiques, intellectuelles, sociales ou physiques. Le handicap est d'abord pensé comme relatif à une déficience provoquant une incapacité – permanente ou non – puis il est redéfini relativement à une inégalité de moyens, en intégrant l'idée que « des interventions destinées à lever les obstacles environnementaux et sociaux sont nécessaires », l'altération orale lui correspond parfaitement [18].

Le terme de « handicap » a ainsi acquis en plus du médical une dimension sociale, et il renvoie aux difficultés de la personne dite « en situation de handicap » face à un environnement donné en termes d'accessibilité, d'expression, de compréhension ou d'appréhension. En accord avec cette définition, ne pas avoir de dent est un handicap. Ne pas pouvoir s'exprimer, sourire ou échanger avec un tiers à cause d'un édentement ou d'une dysmorphose faciale est un handicap [18, 19].

Les fonctions oro-faciales appartiennent au premier stade des besoins physiologiques et primaires. Elles sont essentielles au bien-être quotidien et sont préalables aux besoins de sécurité, d'appartenance, d'estime de soi et de réalisation. Pour ces raisons, il est essentiel que ces maladies soient gérées correctement et collectivement tout au long de la vie, en fonction de l'évolution des besoins des patients. Compte tenu de la variété des génotypes, phénotypes et des traitements, cela implique un réseau intégré de praticiens comprenant généticiens, biologistes, chirurgiens, pédiatres, orthodontistes, chirurgiens-dentistes, orthophonistes et psychologues [3]. Le parcours de soins de la plupart de ces maladies commence souvent par une chirurgie qui peut être répétée au cours des premières années de la vie et même au cours de la phase adolescence et jeune adulte. Le nombre de chirurgies et la longévité des traitements est une source d'inquiétude pour les patients et leurs parents [20].

Quels sont les éléments qui affectent « vraiment » la qualité de vie des patients ?

Au sein de l'unité INSERM UMR 1123, dans le laboratoire ECEVE (épidémiologie clinique et évaluation économique appliquée aux populations vulnérables), nous avons mené une étude en 2017 dont la question principale de recherche était la suivante : « quels sont les facteurs qui affectent réellement la qualité de vie des patients porteurs de maladies rares oro-faciales ? ». Notre étude comportait un volet enfant et un volet adulte. Voici un bref exposé du volet enfant de cette étude (étude originale à paraître en 2019 dans Orphanet Journal Of Rare Diseases).

Notre hypothèse était que des éléments tels que les caractéristiques psychosociales et financières ont un effet plus négatif sur la qualité de vie des patients que la maladie elle-même.

Pour valider cela, nous avons mené une étude de cohorte nationale basée sur le réseau de maladies rares concernant la tête, le cou et les dents. Cette étude quantitative et qualitative a évalué les associations éventuelles entre la qualité de vie des patients et d'autres facteurs tels que les caractéristiques démographiques et psychosociales, les facteurs cliniques et dentaires, l'évolution des soins et le renoncement aux soins bucco-dentaires. Nous voulions étudier de quelle manière ces maladies altéraient la capacité des enfants à accomplir pleinement leurs tâches quotidiennes. Nous avons utilisé le questionnaire CHILD-OIDP (Child Oral Impacts on Daily Performances) validé en français par Stéphanie Tubert-Jeannin en 2005 [21].

De plus, nous avons effectué une analyse qualitative avec une question à réponse libre posée à la fin du questionnaire, pour que les patients puissent exprimer librement leurs sentiments concernant leur maladie et leur vie.

Notre objectif était de fournir aux autorités publiques des éléments fiables pour la mise en œuvre de politiques de santé aussi proches que possible des besoins réels des patients atteints par ces maladies.

Les critères d'inclusion étaient les patients âgés de 6 à 17 ans chez qui on avait diagnostiqué une fente et/ou une maladie rare avec manifestations bucco-dentaires dans l'un des centres d'expertise du réseau et qui avaient consenti à participer l'étude.

Les enfants et/ou leurs parents ont été invités à enregistrer une version auto-administrée du questionnaire. Les patients ont enregistré leurs problèmes buccaux (une liste des « problèmes dentaires » était donnée dans le questionnaire) au cours des trois derniers mois avant de remplir le questionnaire. Les capacités à remplir certaines fonctions ont également été enregistrées (manger, parler, avoir une hygiène bucco-dentaire, dormir, état émotionnel, sourire et contacts sociaux).

Chaque question a été pondérée de la même manière ; le score maximum possible était de 100 points (pire résultat possible) et le score le plus bas possible était de 0 point (meilleur résultat possible). Les valeurs moyennes ont été calculées pour chaque sujet du questionnaire ainsi que pour le score total. Des scores plus élevés indiquaient donc une qualité de vie inférieure.

Le critère d'évaluation principal était donc ce score de qualité de vie dont nous avons observé les associations éventuelles avec les facteurs précédemment cités.

En ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques, l'âge et le sexe du patient ont été pris en compte. La méthode de couverture sociale a été renseignée, selon que le patient ait : aucune couverture, sécurité sociale seule, sécurité sociale et mutuelle, « CMUc », le « 100 % ALD » pour leur pathologie (le « 100 % ALD » est attribué si certaines pathologies de longue durée sont considérées comme « exonérantes » pour certains soins dentaires, à l'exception des soins prothétiques). En ce qui concerne l'école, les facteurs observés étaient le type de scolarisation (traditionnel ou avec accompagnement personnalisé), le niveau d'éducation (maternelle, primaire, secondaire ou universitaire). En ce qui concerne l'aspect financier des soins, les facteurs observés étaient les suivants : renoncer ou non aux soins dentaires de l'enfant, avoir reçu ou pas une aide financière pour les soins (de la ville, des autorités locales ou de la sécurité sociale).

En ce qui concerne les signes phénotypiques du patient, nous avons enregistré la nature de l'anomalie (concernant le visage et/ou les dents), le diagnostic et le fait que la maladie soit syndromique ou non. Tous les enfants de l'étude souffraient de problèmes dentaires dus à leur pathologie et certains étaient porteurs d'une fente orale. Pour cette raison, nous avons séparé les patients en deux groupes : avec ou sans la présence d'une fente. Les symptômes buccaux suivants ont été vérifiés : (en termes d'absence ou de présence) maux de dents, sensibilité dentaire, présence de caries, diastèmes dus à l'absence d'éruption des dents permanentes, chute des dents déciduales, coloration des dents, modification de la taille et de la forme des dents, dents mal positionnées, saignements des gencives, gonflement des gencives, ulcères de la bouche (type aphte), mauvaise haleine, déformation de la bouche (fente labiale ou palatine), problème d'éruption des dents permanentes, problème d'absence de dents définitives. Les traitements dentaires antérieurs ont également été enregistrés, en particulier la réhabilitation prothétique (telle que les prothèses amovibles ou fixes) et les traitements orthodontiques. Une évaluation de la communication entre la médecine/dentisterie de ville et les hôpitaux a également été réalisée.

Ce que nous a montré cette étude : les chiffres...

Cinq centres d'expertise ont participé à l'étude, deux spécialisés en chirurgie maxillo-faciale et trois en odontologie.

Une liste de 1 168 patients a été obtenue des centres. Un échantillon a été obtenu après élimination des patients ne résidant pas à l'adresse déclarée et par stratification des patients en fonction de l'âge, du sexe et du type de maladie (avec ou non présence de fente faciale). L'analyse finale a été réalisée sur 440 enfants âgés de 6 à 17 ans. Des données complètes (personnes dont le score était calculable et qui respectaient les critères d'inclusion) étaient disponibles pour 110 patients.

L'échantillon comprenait 49 garçons (44,5 %) et 61 filles (55,5 %). Les âges étaient compris entre 6 et 17 ans : 75 entre 6 et 12 ans (68,2 %) et 35 entre 13 et 17 ans (31,8 %).

En ce qui concerne la couverture sociale des enfants, 103 (94,5 %) étaient couverts par la sécurité sociale et l'assurance maladie privée. Dans cet échantillon, 54 (55,1 %) bénéficiaient d'une couverture à 100 % par la sécurité sociale (« 100 % ALD »).

En ce qui concerne la répartition par type de maladie, 51 enfants (51,5 %) de cet échantillon présentaient une fente buccale et 48 (48,5 %) avaient une pathologie « purement » dentaire. Il y avait 32 enfants (32,3 %) affectés par une maladie syndromique.

Le score de qualité de vie, CHILD-OIDP, variait de 6,7 à 80 avec une médiane de 20,8.

Nous avons étudié tout d'abord l'influence des variables sociodémographiques, cliniques, médicales et psychosociales sur ce score de qualité de vie en méthode univariée. Le fait d'être une fille était associé de manière significative à une qualité de vie inférieure (p = 0,03). L'abandon des soins dentaires pour des raisons financières était également associé à une qualité de vie inférieure (p = 0,01).

Pour les variables cliniques et médicales, le fait d'être porteur d'une forme syndromique était significativement associé à une dégradation de la qualité de vie (p = 0,01). Une altération de forme et de couleur des dents était le seul facteur dentaire parmi toutes les variables buccales étudiées, associé à une qualité de vie inférieure (p = 0,03).

En ce qui concerne les variables psychosociales, le sentiment d'être isolé et seul à cause de la maladie était associé de manière significative à une qualité de vie inférieure (p = 0,003). Le sentiment d'être différent par rapport aux autres enfants était également associé de manière significative à une qualité de vie inférieure (p = 0,02).

En revanche, la qualité des relations entre la médecine hospitalière et la médecine privée ne semble pas avoir d'influence significative sur la qualité de vie des patients.

Afin d'obtenir une analyse plus fine des résultats nous avons également réalisé une analyse multivariée. Un seuil de 20 % dans le modèle univarié a été choisi pour les variables retenues pour le modèle multivarié (sexe, retard académique, renoncement aux soins dentaires, maladie syndromique, type de maladie, présence d'un traitement orthodontique, présence de dents déciduales résiduelles, sentiment d'être mis à l'écart dans la vie, sentiment d'être différent).

Cette seconde analyse a montré que les variables associées à une qualité de vie médiocre (ajustée en fonction de l'âge en 2 classes : 6-12 ans / 13-17 ans, du genre : homme / femme, et du type de maladie : syndromique ou non) étaient les suivantes : diagnostic de maladie syndromique (p = 0,04), maladie dentaire sans la présence d'une fente faciale (p = 0,002), altération de la forme et de taille des dents (p = 0,005) et sentiment de marginalité et de solitude (p = 0,003).

... et les mots

L'analyse qualitative a également été riche d'informations. Pour celle-ci, 36 % (40/110) des patients ont répondu. L'analyse thématique a été utilisée pour analyser les données des verbatim.

Les patients ont signalé un manque d'informations sur le traitement et le déroulement des soins, ainsi qu'un manque d'écoute du personnel médical et non médical. Une prise en charge psychologique insuffisante des enfants et de leurs parents a été rapportée. Ils ont également signalé des relations compliquées entre les soins dans les hôpitaux publics et les soins dans les établissements privés.

Les patients et leurs parents ont signalé des sentiments d'anxiété, de solitude et de difficulté à faire face au regard des autres. Les enfants ont exprimé que leur sourire altéré nuisait à la confiance en eux.

Les patients et les familles se sont plaints du transport, affirmant que les meilleurs praticiens étaient loin de chez eux. Les parents ont souvent été obligés de prendre un jour de congé pour les rendez-vous médicaux de leurs enfants.

Les patients et leurs parents ont signalé de nombreuses difficultés concernant l'école. Ils ont signalé des retards d'apprentissage, des difficultés à s'intégrer dans des écoles classiques et un isolement par rapport aux autres. Les patients ont signalé plusieurs problèmes dentaires quotidiens : douleur, difficulté à manger, se brosser les dents, modification de la couleur des dents, réduction de la surface de mastication, manque de salive, ouverture restreinte de la bouche.

Une grande proportion de patients a signalé des problèmes budgétaires et financiers. Les patients ont signalé leur déception quant à la prise en charge financière : problème des frais supplémentaires (traitements trop onéreux et pas suffisamment remboursés), estimant que le manque d'assistance financière n'était « pas acceptable ».

Près des trois quarts des parents ont rapporté leur anxiété et leur peur de l'avenir. Ils ont des doutes sur le praticien le plus compétent pour traiter leurs enfants. Les enfants, eux, ont signalé une anxiété liée à la peur de la douleur. Les parents ont indiqué qu'ils avaient l'impression de « se battre seuls » et qu'ils craignaient l'impact des problèmes bucco-dentaires sur la santé générale de leur enfant.

La littérature a montré que la qualité de vie des enfants atteints de maladie buccale était bien pire que celle de la population en général [22]. Le score médian était de 20,08/100, alors qu'il est compris entre 2 et 8 pour la population générale [21].

Notre hypothèse, vérifiée ici, était que l'altération médicale et orale n'était pas le seul facteur responsable de la dégradation de la qualité de vie des enfants.

Par exemple, l'analyse a montré qu'être une fille était associée de manière significative à une moins bonne qualité de vie. Ce résultat corrobore plusieurs études sur la qualité de vie des patients présentant une fente ou une altération du visage [23].

La détérioration physique et sociale de ces maladies affectant la sphère oro-faciale peut être plus difficile pour les jeunes filles et les adolescentes, qui peuvent être soumises à une pression sociale et esthétique importante.

Le fait d'avoir une maladie syndromique était la deuxième raison d'une moins bonne qualité de vie. En effet, les formes syndromiques, plus graves et invalidantes car associées parfois à d'autres handicaps moteurs et/ou intellectuels, nécessitent des soins globaux plus importants [24]. L'étude a montré qu'une maladie dentaire isolée (sans la présence d'une fente faciale) était associée à une qualité de vie inférieure par rapport à ceux qui souffraient également d'une fente faciale. Ce résultat a paru surprenant car la fente faciale pouvait sembler plus handicapante, surtout si elle était syndromique. Néanmoins, le diagnostic de fentes faciales étant prénatal, notre étude nous a permis d'émettre l'hypothèse que les traitements à court et à long terme étaient bien établis et organisés autour d'une équipe multidisciplinaire comprenant une bonne prise en charge psychologique du patient et de sa famille. De même, cette étude a montré que les difficultés liées au financement et au parcours de soins apparaissent plus présentes chez les patients atteints de maladies « simplement » dentaires.

Le troisième problème associé à une qualité de vie inférieure était le renoncement aux soins dentaires. Ce renoncement peut s'expliquer par de nombreuses raisons telles que le coût financier, la difficulté d'accès aux soins et la difficulté de trouver un praticien expert pour effectuer les traitements complexes requis. Les soins bucco-dentaires destinés aux enfants atteints de maladies dentaires rares sont le plus souvent des traitements multidisciplinaires complexes allant de la chirurgie orthognathique, à l'orthodontie et aux soins conservateurs, puis à la réhabilitation prothétique conventionnelle amovible, fixée conventionnelle ou implanto-portée en fin de croissance. L'analyse a révélé que le coût des soins était un problème qui préoccupait particulièrement les parents.

Se sentir isolé, seul et différent des autres enfants était significativement associé à une qualité de vie inférieure dans l'analyse quantitative. Les parents ont indiqué que leurs enfants étaient inquiets pour leur avenir et leur vie quotidienne. Leur apparence est parfois très altérée et le regard des autres est source d'inconfort et d'angoisse. Le manque de confiance en soi, la peur de sourire et le sentiment de ne pas « être beau » semblaient être très importants pour ces enfants La littérature a montré que l'apparence et la parole étaient les points les plus fréquemment abordés chez les enfants présentant des fentes faciales. Les personnes présentant des fentes faciales peuvent avoir des difficultés psychologiques et sociales dues à leur dysmorphose faciale et à l'altération de la phonation. Il serait important de mettre systématiquement à disposition un soutien psychologique pendant l'enfance et pendant la transition de la prise en charge pédiatrique vers la médecine adulte. Il apparaît ici que le manque de soins psychologiques s'accompagne d'une mauvaise communication de la part des médecins. Les enfants et leurs familles ont signalé des inquiétudes quant à l'avenir et au manque de réponses à leurs questions concernant les traitements futurs.

Cette étude a montré l'intérêt de l'identification de facteurs psychologiques pouvant être utilisés pour améliorer l'estime de soi et la qualité de vie des enfants.

Bien que nous n'ayons pas mené une véritable « méthode mixte », notre étude s'est considérablement enrichie par l'analyse des commentaires textuels des patients et des parents.

L'analyse qualitative a mis en évidence des thématiques qui n'avaient pas été explorées au moyen d'analyses quantitatives, telles que la peur de l'avenir, partagée par les enfants et les parents, la perception de se sentir seul avec la maladie, du point de vue de la trajectoire de soins et de l'intégration globale de la maladie. Cette analyse qualitative pourrait aider à fournir de nouveaux concepts et variables pour les futures études quantitatives.

Quelles propositions pour améliorer la vie de ces patients ?

La vie de ces enfants est clairement affectée par leur maladie, mais comme l'a montré cette étude, les paramètres purement dentaires et oraux ne ressortent pas clairement dans cette mauvaise qualité de vie.

Ces conclusions sont intéressantes car, à ce jour, très peu d'études ont montré les associations possibles entre les facteurs psychosociaux, socio-économiques et la qualité de vie des patients porteurs de ces pathologies.

Que cela signifie-t-il, d'être porteur d'une maladie rare qui affecte l'apparence, dont les soins nécessaires sont très onéreux et mal pris en charge financièrement, et dont le parcours est très souvent chaotique ?

Tous les résultats ont convergé vers la nécessité d'améliorer la lisibilité des parcours de soins et la couverture financière des traitements. Les politiques publiques doivent améliorer les procédures existantes afin qu'aucun enfant puis adulte atteint d'une maladie rare invalidante au niveau de sa fonction orale et de son intégration sociale, ne soit obligé d'abandonner des soins essentiels à son bien-être et à sa qualité de vie.

Bien que de nombreux efforts politiques aient été déployés ces dernières années pour améliorer l'accès au diagnostic et aux soins bucco-dentaires des patients atteints de maladies rares en France, les parcours de soins restent très complexes pour les patients et leurs familles. Le soutien financier pour les soins bucco-dentaires reste un problème majeur pour les familles qui doivent renoncer à certains de ces aspects essentiels. Une des nécessités prioritaires serait un « panier de soins prothétiques » spécifiques de ces maladies, un dispositif comparable au panier de soins prévu pour la CMU complémentaire qui permettrait aux patients de bénéficier d'une réhabilitation prothétique avec dispense d'avance de frais. Une analyse médico-économique est déjà en cours afin d'aider à l'évaluation de l'enveloppe financière nécessaire.

En sus d'un meilleur soutien financier des traitements, un suivi psychologique adapté aux spécificités de chaque patient devrait être mis en place. Ces patients sont handicapés, et au handicap physique et fonctionnel vient s'ajouter le handicap social qui les rapproche de tous ces patients « non malades » mais édentés qui, faute d'une bonne prise en charge prothétique, n'ont pas besoin d'une maladie rare pour ne pas pouvoir sourire.

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Liens d'intérêts

L'auteurs déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Lisa Friedlander – MCU-PH

Département odontologie prothétique

Université Paris Diderot – Sorbonne Paris Cité

Centre de compétences des malformations rares de la face et de la cavité buccale

Hôpital Pitié Salpêtrière, AP-HP

INSERM

Laboratoire ECEVE UMR1123

Paris

  • Pour être considérée comme rare, une maladie individuelle doit toucher un nombre limité de personnes dans la population. Elle est définie, en Europe, par une prévalence inférieure à 1 pour 2 000 (réglementation européenne sur la médecine orpheline) [25].