Prothèse fixée
L'enregistrement de la limite cervicale des préparations au cours de l'empreinte en prothèse fixée est une étape cruciale dans le processus de réalisation prothétique. Dans les cas de limites sous-gingivales, la pénétration du matériau d'empreinte de basse viscosité dans le sillon gingivo-dentaire est indispensable à l'enregistrement de la totalité de la préparation de la dent pilier ainsi que du profil d'émergence [
Résumé
Objectif : Ce travail avait pour objectif de déterminer les obstacles à l'usage des nouvelles techniques d'ouverture sulculaire que sont l'Expasyl® et le Magic Foam cord®.
Méthode : Il s'agit d'une étude transversale, descriptive menée en 2016, auprès de 139 chirurgiens-dentistes d'Abidjan en Côte d'Ivoire. Un questionnaire auto-administré, adressé à chaque praticien, portait sur l'identification du chirurgien-dentiste et la pratique des techniques d'ouverture sulculaire.
Résultats : Près de 3/4 des chirurgiens-dentistes disent avoir recours aux techniques d'accès aux limites cervicales avant la prise de l'empreinte. Cependant, 16,5 % d'entre eux disent connaitre ces nouvelles techniques. Seul 10 % des chirurgiens-dentistes utilisent effectivement ces nouvelles techniques, à raison de 8 % pour le système Expasyl® et 2 % pour le Magic Foam cord®. Outre le coût du matériel (78,8 %) de ces nouvelles techniques, le manque de formation (86,23 %) constitue un obstacle important.
Conclusion : Ces nouvelles techniques sont méconnues de la majorité des praticiens enquêtés. Cette méconnaissance associée au coût élevé du produit, constituent les obstacles majeurs à leur utilisation.
L'enregistrement de la limite cervicale des préparations au cours de l'empreinte en prothèse fixée est une étape cruciale dans le processus de réalisation prothétique. Dans les cas de limites sous-gingivales, la pénétration du matériau d'empreinte de basse viscosité dans le sillon gingivo-dentaire est indispensable à l'enregistrement de la totalité de la préparation de la dent pilier ainsi que du profil d'émergence [1].
L'ouverture du sulcus devient alors un préalable à la prise de l'empreinte. Celle-ci doit se faire dans le strict respect de la santé des tissus parodontaux. C'est pourquoi les techniques récentes qui font appel aux systèmes pâtes telles que l'Expasyl® d'Acteon et le Magic Foam Cord® de Coltene sont de plus en plus utilisées [2]. En effet, ces techniques présentent une innocuité vis-à-vis du parodonte, leur application est sans douleur et elles assurent une ouverture optimale du sulcus [3-5].
De plus, leur action hémostatique est efficace et permet que, après le retrait du matériau, le sillon gingivo-dentaire reste ouvert, sec et propre [6]. Ce sont ces qualités et avantages qui font que ces systèmes sont fréquemment utilisés dans la limite de leurs indications parodontales. Par contre, en Côte d'Ivoire, aucun chirurgien-dentiste exerçant dans le district d'Abidjan n'utilise une de ces techniques [7].
L'étude exposée dans cet article se propose d'évaluer les obstacles à l'usage de l'Expasyl® et du Magic Foam Cord® pour l'accès aux limites cervicales au cours des empreintes en prothèse conjointe par les chirurgiens-dentistes d'Abidjan.
Il s'agit d'une enquête transversale descriptive réalisée auprès des chirurgiens-dentistes du district sanitaire d'Abidjan. Elle s'est déroulée sur 3 mois, du 21 juin au 20 septembre 2016.
Ont été inclus dans cette étude les chirurgiens-dentistes diplômés, spécialiste ou non en prothèse, régulièrement inscrit au tableau du Conseil National de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de Côte d'Ivoire et exerçant de façon régulière depuis au moins 1 an, dans un cabinet dentaire privé ou public du district d'Abidjan.
Au total, notre échantillon était composé de 139 praticiens répondant aux critères de sélection.
Les fiches de recueil de données ont été remplies directement par les praticiens. Mais, dans certains cas, un entretien était nécessaire pour le renseignement complet et précis du questionnaire. Le questionnaire comprenait l'identification du chirurgien-dentiste, sa connaissance, sa pratique des nouvelles techniques d'ouverture sulculaire en prothèse fixée et les difficultés à leur utilisation courante.
Les données recueillies ont été traitées et analysées à l'aide du logiciel Epi-info.fr 6 et Excel 2013 sous Windows 8. Ces traitements ont permis le calcul des moyennes, fréquences, proportions et l'établissement de liaisons entre les variables à l'aide de test khi-deux. Le niveau de significativité a été fixé à p < 0,05.
Les résultats sont présentés principalement sous forme de tableaux et de graphiques.
Notre échantillon était constitué de 69 % d'hommes contre 31 % de femmes. La moitié environ (49,60 %) des praticiens avait une expérience professionnelle de plus de 10 ans.
Les trois quarts des chirurgiens-dentistes (75,54 %) ont été entièrement formés en Côte d'Ivoire, contre 2,16 % formés exclusivement à l'étranger et 22,30 % à la fois en Côte d'Ivoire et à l'étranger.
Plus de 4 praticiens sur 5 (84 %) ont affirmé participer à des formations continues, dont 67,50 % aux rencontres scientifiques en Côte d'Ivoire.
Moins du cinquième (16,5 %) des enquêtés disent connaître les systèmes Expasyl® et Magic Foam Cord® (fig. 1).
Seulement 21,74 % des praticiens ont acquis leurs connaissances lors de la formation initiale (fig. 2).
La mise en œuvre facile, simple, rapide (73,91 %) et l'action hémostatique (73,91 %) sont les principaux avantages relevés par les praticiens qui disent connaître les nouvelles techniques (tableau 1).
Pour 78,26 % des praticiens, le coût élevé du matériel constitue l'inconvénient majeur (fig. 3).
Près de trois quarts des praticiens (72,5 %) disent utiliser les techniques d'ouverture sulculaire pour la prise de l'empreinte (fig. 4).
Les praticiens qui ne réalisent pas l'ouverture sulculaire avant la prise d'empreinte trouvent qu'elle n'est pas indispensable (60,53 %) ou incriminent le manque de matériel (50 %) (tableau 2).
Cependant, 10 % des praticiens disent utiliser les nouvelles techniques à raison de 8 % pour le système Expasyl® et 2 % pour le Magic Foam Cord® (tableau 3).
Le coût du matériel et l'absence de formation sont les difficultés majeures à l'utilisation des nouvelles techniques d'accès aux limites cervicales (fig. 5).
La quasi-totalité des chirurgiens-dentistes (91,37 %) enquêtés désire acquérir une formation sur les nouvelles techniques (fig. 6).
Seulement 16,5 % des chirurgiens-dentistes de notre échantillon, soit 23 praticiens, disent connaître les techniques d'accès aux limites cervicales utilisant un système pâte.
Sur ces 23 praticiens, 22 % ont acquis ces connaissances lors de leur formation initiale et plus des deux tiers au cours de séances de formation continue (fig. 2). Ceci pourrait s'expliquer par le fait que la moitié des praticiens enquêtés a fini sa formation initiale depuis plus de 10 ans : l'apparition sur le marché en 1993 pour l'Expasyl® et en 2005 pour le Magic Foam Cord®, mise en parallèle avec la lenteur d'introduction de techniques innovantes dans le cursus académique, constitue une hypothèse justifiant ce décalage.
La facilité de mise en œuvre et l'action hémostatique de ces nouvelles techniques sont les principaux avantages évoqués par les chirurgiens-dentistes (73,91 %). L'innocuité vis-à-vis du parodonte, l'absence de douleur lors de l'application, la propreté du sillon laissé sec après le retrait et la bonne ouverture sulculaire sont également très appréciées (tableau 1). Ces avantages se retrouvent dans la littérature [10-13].
Toutefois, le coût du matériel nécessaire est onéreux pour 78,26 % des praticiens qui le connaissent (fig. 3). Cela constitue un obstacle majeur qui pourrait justifier que seulement 10 % des chirurgiens-dentistes utilisent les nouvelles techniques, à raison de 8 % pour le système Expasyl® et 2 % pour le Magic Foam Cord®, contre 90 % qui ont recours à la méthode de la prothèse provisoire, 50 % au curetage rotatif et seulement 46 % aux cordonnets rétracteurs (tableau 3). Par contre, Ahmed et Donovan [14], dans une enquête sur les pratiques des chirurgiens-dentistes aux États-Unis, ont trouvé que 90 % utilisaient les cordonnets rétracteurs, tandis que 20 % employaient le laser et 32 % l'électro-chirurgie comme adjuvant, sans toutefois préciser la proportion des systèmes pâtes. Par ailleurs, en Nouvelle Zélande, Al-Ani et al. [15] ont noté que les techniques chirurgicales avec ou sans fil rétracteur étaient majoritairement employées à 82 % en prothèse dento-portée. Quant à la prothèse implanto-portée, le fil rétracteur était le plus utilisé. Cependant, ils révèlent que 19 % des praticiens utilisent le système Expasyl® et 2 % emploient le Magic Foam Cord®.
Le coût de réalisation des prothèses est un élément important dans le choix des techniques d'éviction gingivale en Côte d'Ivoire. Dans le but de minimiser ce coût, les praticiens utilisent le plus souvent des méthodes qui n'entraînent pas l'usage de matériels supplémentaires comme les cordonnets, le bistouri ou les pâtes.
Près des trois quarts (72,46 %) des chirurgiens-dentistes qui réalisent les prothèses fixées disent avoir recours aux techniques d'accès aux limites cervicales avant la prise de l'empreinte (fig. 4). Le recours aux techniques d'ouverture sulculaire n'est donc pas une pratique systématique en Côte d'Ivoire. Deux raisons principales sont évoquées par les praticiens qui ne réalisent pas l'ouverture sulculaire : 60,53 % disent qu'elle n'est pas indispensable et 50 % évoquent le manque de matériel (tableau 2).
Par contre, Baillon [16] rapporte, dans une étude menée en 2014 en France, que tous les chirurgiens-dentistes réalisent une technique d'accès aux limites cervicales pour la prise d'empreinte. Cette divergence serait due au fait que la pratique odontologique est plus développée en France qu'en Côte d'Ivoire et que les chirurgiens-dentistes français ont un accès plus facile aux progrès technologiques.
En revanche, nos résultats sont proches de celui de Blohoua [7] qui indique que les nouvelles techniques d'accès aux limites cervicales sont très peu ou non utilisées en Côte d'Ivoire. En effet, son étude précise que les techniques les plus utilisées sont les cordonnets rétracteurs (45,60 %), suivis de la prothèse provisoire (28,10 %) et du curetage rotatif (24,6 %). Aucun praticien de son échantillon n'avait utilisé le système Expasyl® ni le Magic Foam Cord®. Par contre, l'étude de Baillon [16] a montré que les techniques les plus utilisées sont les matériaux type Expasyl® (36 %) et la fraise à sulcus (30 %), puis le simple cordonnet (21 %) et la prothèse provisoire (8 %).
En plus du coût du matériel (88,41 %), la compétence des praticiens est également une entrave majeure à l'usage de nouvelles techniques. Les praticiens qui ne les pratiquent pas incriminent majoritairement (86,23 %) le manque de formation (fig. 5). Notre étude rejoint celle de Lajana et al. [17], au Népal, qui y ajoute le manque de sensibilisation à ces nouvelles techniques chez les dentistes, la mauvaise commercialisation de ces matériaux ainsi que le problème de leur disponibilité.
C'est pourquoi, la quasi-totalité des chirurgiens-dentistes (91 %) enquêtés désire une formation sur ces nouvelles techniques (fig. 6), par le biais de formations continues modulaires (78 %).
Les nouvelles techniques d'accès aux limites cervicales sont très peu utilisées en Côte d'Ivoire. Or, celles-ci sont relativement aisées à mettre en œuvre, provoquent une bonne ouverture sulculaire et présentent une meilleure tolérance vis-à-vis du parodonte que d'autres systèmes (fraise à sulcus par exemple), ce qui est un impératif majeur pour la pérennité des restaurations prothétiques fixées. La méconnaissance de ces techniques, le manque de savoir-faire ainsi que le coût élevé des produits constituent les obstacles majeurs à leur utilisation en Côte d'Ivoire. D'où l'intérêt de leur enseignement dès la formation initiale pour sensibiliser les futurs praticiens et leur donner les outils nécessaires afin de choisir la bonne technique en fonction des cas cliniques. En outre, le renforcement des capacités des praticiens par des formations post-universitaires ainsi que l'amélioration des plateaux techniques des cabinets dentaires doivent permettre aux chirurgiens-dentistes de Côte d'Ivoire de proposer aux patients des soins de qualité, conformément aux données actuelles de la science et de la technologie.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article
Muller Pesson Delon – MCU-PH
Alexandre Kouamé Koffi – Maitre-assistant-PH
Tra Bi Zaouri – AHU
Yacouba Konaté Nambé – Maitre-assistant-PH
Léon Éric Didia Ekow – MCU-PH
Aboubacar Binaté – AHU
Benjamin Djeredou Kouadio – PU-PH
Département de Prothèse et Occlusodontie
UFR Odonto-Stomatologie
Université Félix Houphouët-Boigny
Abidjan 22,
Côte d'Ivoire
Karnon Ouattara – Chirurgien-dentiste
Centre médico-social San Bonifacio,
Alepé,
Côte d'Ivoire
Odile Laviole – MCU-PH
Section Prothèse,
UFR des Sciences Odontologiques,
Université de Bordeaux,
Bordeaux