CFAO et prothèses cliniques
M. BOUTA H. COMALLONGA B. PICART H. LAMBERT
Les limitations d'ouverture buccale sont fréquentes chez les patients ayant subi des pertes tissulaires oro-faciales. Elles sont généralement secondaires aux traitements de radiothérapie ou aux traitements chirurgicaux entraînant l'apparition de brides muqueuses cicatricielles. La réalisation d'empreintes physico-chimiques peut alors s'avérer complexe, voire impossible sur des patients ayant subi de lourdes interventions sur les maxillaires.
La confection de prothèses...
Présentation
En prothèse maxillo-faciale, les LOB (limitations d'ouverture buccale) sont fréquemment rencontrées. Elles sont principalement causées par la chirurgie et la radiothérapie, rendant la réalisation d'empreintes conventionnelles difficile, voire impossible. La réalisation d'empreintes optiques apparaît alors comme la solution de choix pour les patients atteints de LOB.
Nous illustrerons dans cet article comment l'utilisation de l'empreinte optique et de la chaîne de CFAO (Conception et fabrication assistées par ordinateur), a rendu possible la réalisation de prothèses parfaitement ajustées sur un patient qui, jusque-là, n'avait pu être réhabilité par des méthodes conventionnelles.
Quels sont les avantages et inconvénients de l'empreinte optique en prothèse maxillo-faciale ?
Pourquoi avoir recours à une empreinte optique plutôt qu'à des empreintes physiques ?
Quelle est la place de l'empreinte optique dans la chaîne prothétique ?
Les limitations d'ouverture buccale sont fréquentes chez les patients ayant subi des pertes tissulaires oro-faciales. Elles sont généralement secondaires aux traitements de radiothérapie ou aux traitements chirurgicaux entraînant l'apparition de brides muqueuses cicatricielles. La réalisation d'empreintes physico-chimiques peut alors s'avérer complexe, voire impossible sur des patients ayant subi de lourdes interventions sur les maxillaires.
La confection de prothèses nécessite en effet un relevé de mesure classiquement réalisé à l'aide d'un porte-empreinte physique et d'un matériau d'empreinte type élastomère. Ces derniers sont maintenus en bouche jusqu'à réticulation complète du matériau d'empreinte. Dans certains cas, la tomographie peut aussi être utilisée pour obtenir des modèles de travail numérique. Mais la précision insuffisante de cet examen contre-indique généralement son utilisation en prothèse dentaire.
L'empreinte optique, en dématérialisant la première étape de la confection prothétique, se présente alors comme une alternative de choix.
En prothèse maxillo-faciale, les limitations d'ouverture buccale résultent à la fois de la chirurgie et de la radiothérapie. Importantes, elles peuvent entraîner l'impossibilité d'insérer un porte-empreinte physique dans la cavité buccale. Les scanners intra-oraux présentent des embouts interchangeables de tailles différentes permettant de s'adapter aux particularités des différents cas cliniques. Cette taille inférieure à celle d'un porte-empreinte traditionnel est variable d'un système à l'autre. Une tête large permet un champ d'acquisition important, mais peut aussi entraîner un accès difficile dans certaines zones [1].
Actuellement, la majorité des scanners intra-oraux ne nécessite plus de poudrage. La tête d'acquisition restant à distance des structures à enregistrer, son emploi est indiqué chez les patients à besoins spécifiques [2]. Ainsi, Londono et al. [3] ont utilisé l'empreinte optique pour réaliser un obturateur chez un patient présentant ce type de réflexe.
Les matériaux d'empreinte peuvent être agressifs pour les muqueuses irradiées, du fait de leur fragilité et de l'absence de salive [4]. La prise d'empreinte conventionnelle peut alors entraîner une compression douloureuse ou des sensations de brûlure.
Yuzbasioglu et al., en 2014 [5], ont comparé la différence de ressenti entre l'empreinte optique et l'empreinte physico-chimique. Ils ont constaté une préférence pour l'empreinte optique, principalement à cause du goût du matériau, du volume du porte-empreinte et de la sensation d'étouffement.
Actuellement, sur des empreintes d'arcades complètes, les empreintes optiques peuvent présenter des déformations supérieures aux empreintes physico-chimiques [6]. Une amélioration des logiciels de traitement des données numériques permet l'obtention d'empreintes plus fiables [7].
Les communications oro-nasales forment des cavités profondes avec de nombreuses zones de contre-dépouilles. La distance focale entre la tête du scanner et la surface à enregistrer étant trop importante, les images ne peuvent plus être collectées et corrélées. Ainsi, l'enregistrement de communications bucco-sinusiennes peut s'avérer très difficile, voire impossible.
Si un châssis peut être conçu et fabriqué à partir d'une empreinte optique sans que la chaîne numérique soit rompue, le scanner intra-oral ne permet pas d'enregistrer la dépressibilité des muqueuses. Une empreinte anatomo-fonctionnelle des tissus mobiles n'est pour l'instant pas réalisable en tout numérique. Cela reste un problème majeur en prothèse amovible partielle de moyenne à grande étendue [8].
Cette problématique peut être contournée grâce à la technique d'empreinte composée, ou empreinte McCracken [9]. Elle permet l'enregistrement muco-dynamique une fois le châssis métallique réalisé. L'enregistrement des crêtes édentées et des tissus mobiles environnants sera ensuite effectué en dynamique.
Un patient de 61 ans est adressé au centre de soins et de recherche dentaire de Montpellier pour une réhabilitation prothétique, après l'exérèse d'un carcinome épidermoïde avec hémi-mandibulectomie gauche associée à un traitement de radiothérapie (dose délivrée de 70 grays) en 2014. La reconstruction après la chirurgie a été réalisée en utilisant un lambeau osseux vascularisé de fibula [10].
La chirurgie d'exérèse a imposé des avulsions multiples, entraînant un édentement postérieur bilatéral au maxillaire (classe 1 de Kennedy) et un édentement unilatéral de grande étendue (classe 2 de Kennedy) à la mandibule, avec la présence résiduelle de 44, 45, 46, 47. Les prémolaires présentent une mobilité de type 2 de Mülhemann et se révèlent être les seules dents sollicitées par l'occlusion.
Le lambeau a été suturé en mésial de 44 à la mandibule et en distal de 23 au maxillaire. La chirurgie de reconstruction entraîne une perte de tonicité de la joue gauche, les tissus sont difficilement mobilisables malgré des séances de kinésithérapie régulières. La langue a une mobilité physiologique. Ces thérapeutiques ont entraîné une LOB (limitation d'ouverture buccale) importante (fig. 1 et 2).
Le projet prothétique est la réalisation de prothèses amovibles mandibulaire et maxillaire.
À la mandibule, la fragilité du lambeau nous oriente vers un stellite à large appui dentaire (44 à 47) pour minimiser l'appui muqueux.
Toutefois, la LOB empêche l'insertion de porte-empreinte traditionnel. La réalisation de prothèses amovibles de manière conventionnelle est alors impossible.
L'emploi d'un scanner intra-oral apparaît alors comme la seule alternative à l'empreinte conventionnelle.
Il est décidé de réaliser en première intention le stellite mandibulaire afin de valider notre méthode. Le stellite maxillaire sera ensuite réalisé de la même façon, une fois le procédé validé.
Les préparations occlusales des dents 44 à 47 sont réalisées pour recevoir les overdentures intégrées au stellite.
Le scanner intra-oral utilisé lors de ce cas clinique est le Trios 3 (3Shape)® (fig. 3). Le Trios 2 (3Shape)®, dont la taille de la tête d'acquisition est légèrement supérieure, n'était pas utilisable.
Le Trios 3 utilise une méthode de mesure par imagerie confocale continue. La lumière LED projetée enregistre les différents tissus en couleur réelle et sans poudrage [11]. L'acquisition est réalisée par flux continu en dynamique aussi appelé « full motion ». Cette technique s'est révélée d'un niveau de précision comparable aux techniques conventionnelles pour l'enregistrement de cadrans [12].
Les modèles de travail numérique sont obtenus par la réalisation d'empreintes optiques en trois temps : maxillaire, mandibule et arcades en occlusion (fig. 4 à 6).
- L'empreinte de l'arcade maxillaire est réalisée sans difficulté particulière. Un chemin d'enregistrement classique est emprunté, en commençant par les faces occlusales, puis les faces palatines, pour finir par les faces vestibulaires ;
- L'empreinte de l'arcade mandibulaire se fait en suivant le même principe, en scannant d'abord les dents, puis la muqueuse du lambeau. Plusieurs difficultés sont alors apparues :
• Au niveau dentaire : les brides muqueuses rendent difficiles d'accès les faces vestibulaires, compliquant l'enregistrement des zones de contre-dépouilles nécessaires au placement de nos crochets. Cet enregistrement, délicat, est possible grâce à la taille réduite de la tête d'acquisition ;
• Au niveau des crêtes édentées : la principale difficulté est de permettre au scanner intra-oral de corréler les images de zones sans particularités anatomiques. Un chemin d'enregistrement réfléchi, axé sur les particularités du relief anatomique, est nécessaire pour l'acquisition de grandes surfaces édentées.
- L'empreinte des arcades en occlusion : elle se fait grâce aux contacts occlusaux résiduels. La tête d'acquisition est insérée bouche ouverte contre la joue, l'optique en regard du plan d'occlusion. Puis il est demandé au patient de retrouver sa PIM (position d'intercuspidie maximale). Le scanner intra-oral est alors activé et déplacé le long des faces vestibulaires pour enregistrer la RIM (relation intermaxillaire).
Pour l'enregistrement de la RIM, le Trios 3 nécessite deux prises de vue, une pour chaque hémi-maxillaire en occlusion.
Les fichiers obtenus sont transmis via internet au laboratoire de prothèses.
Le fichier est réceptionné, converti et traité par le logiciel de CAO (conception assistée par ordinateur) dédié (Dental Wings, série 7). Le châssis métallique est modélisé étape par étape.
1. Les surfaces occlusales 44-47 sont modélisées, répondant au besoin d'une sustentation dentaire importante.
2. Le châssis est ensuite modélisé (fig. 7 à 10), en intégrant les overdentures précédemment réalisées. Les crochets sont placés en lingual de 46/47 et en vestibulaire de 44/45, de façon à exploiter les contre-dépouilles et à obtenir un maximum de rétention. Secteur 3, la selle métallique est réalisée à distance du lambeau.
3. Le fichier numérique du châssis issu du logiciel de conception est ensuite matérialisé en métal (chrome-cobalt, SINT-TECH) par frittage laser (imprimante ProX DMP 200 Dental, 3D SYSTEMS®). Le frittage laser de poudre est une technologie d'impression 3D consistant à fabriquer des pièces en agglomérant des particules de matière. La poudre est agglomérée par empilement successif de couches soudées entre elles par le faisceau laser, qui apporte l'énergie nécessaire pour atteindre le point de fusion [13].
Parallèlement, des modèles physiques sont imprimés en résine (VarseoWax Model, Bego) à partir des fichiers numériques issus des empreintes optiques précédemment réalisées (fig. 11 et 12).
L'adaptation du châssis, les limites et l'espacement de la selle sont contrôlés sur le modèle en résine. L'insertion est aisée et la rétention semble suffisante sur le modèle.
Le châssis est mis en place sur l'arcade, le patient ne décrit pas d'inconfort ni de gêne. La situation en bouche est identique à la vérification sur le modèle imprimé. La relation intermaxillaire est à nouveau enregistrée, directement sur le châssis stellite à l'aide de cire ; le montage des dents se réalise ensuite de manière conventionnelle (fig. 13 à 16). L'empreinte anatomo-fonctionnelle de type McCracken est alors réalisée. Le châssis sert de support au matériau d'empreinte.
Les modèles en résine sont montés en articulateur après la prise d'un arc facial, et le montage des dents sur cire est fait au laboratoire.
Il est décidé de ne monter que les dents du bloc antérieur mandibulaire de 43 à 34, en raison d'une fragilité trop importante du secteur 3 reconstruit chirurgicalement. Cet essayage répond aux attentes fonctionnelles et esthétiques du patient (fig. 17 à 20).
Le stellite mandibulaire permet un soutien de la lèvre inférieure, améliorant grandement l'esthétique, et facilitant la compétence labiale.
L'essayage validé, la finition a été demandée au laboratoire. Les limites et l'occlusion sont validées. Le patient semble satisfait et décrit une sensation de confort.
L'empreinte optique est une empreinte mucostatique, sans compressibilité des tissus enregistrés. Dans notre cas clinique, la dépressibilité de la muqueuse est enregistrée lors de l'empreinte secondaire composée, ce qui n'est pas le cas de la compression desmodontale.
La mobilité physiologique d'une dent est due à la présence du ligament alvéolodentaire. Son amplitude est d'1/10 mm environ pour un parodonte sain. Dans le cas d'un parodonte affaibli, la mobilité dentaire peut être majorée.
Nos patients consultant au sein du service de PMF présentent bien souvent des pathologies parodontales, provoquées, ou pas, par la lourde prise en charge précédant notre réhabilitation prothétique. Des compromis sont bien souvent réalisés à cause de la complexité, voire de l'impossibilité de réaliser des avulsions, qui seraient susceptibles d'entraîner des nécroses osseuses.
En prothèse amovible de moyenne à grande étendue, il est nécessaire d'enregistrer les tissus mous en dynamique. L'empreinte optique ne permet pas, pour l'instant, de réaliser cet enregistrement. Dans ces cas, une technique d'empreinte composée reste nécessaire [14].
La mobilité des tissus peut être source d'erreur lors de la réalisation d'empreintes optiques. Le scanner intra-oral enregistre les surfaces selon un procédé d'acquisition qui fusionne chaque image avec la précédente à partir de points de repères communs [15]. Une mobilité des surfaces peut entraîner une modification de la position des points de repères, générant une impossibilité de recalage ou des erreurs dans la reconstitution de l'image. Plus les recalages sont nombreux et complexes, plus l'empreinte perd en qualité. D'où l'importance du chemin d'enregistrement, permettant de relever en un seul passage les zones stratégiques, et limitant ainsi les effets de recalage.
S'il existe encore des limites quant à l'efficacité des empreintes optiques pour les prothèses amovibles, elles ouvrent de larges perspectives d'avenir en prothèse maxillo-faciale, tout en s'appuyant sur les principes généraux de la prothèse conventionnelle.
Moins irradiantes et plus précises que la tomodensitométrie, plus confortables et plus rapides que les empreintes physico-chimiques, elles restent parfois la seule solution pour des patients jusque-là impossibles à prendre en charge de façon conventionnelle.
Pour ce cas clinique, elles ont permis la réalisation des modèles de travail en résine et celle de la conception du châssis.
Le stellite maxillaire a été réalisé selon la même procédure, et l'empreinte optique de la mandibule a été réalisée stellite en place. À l'issue de la pose des stellites, le patient a pu à nouveau mastiquer « normalement », chose qui lui était impossible depuis plus d'un an et demi.
À Alain BOZOM, Eric CHANSAVANG Et Elodie LAMBERT, du laboratoire DT Corus, et au Pr Jacques MARGERIT.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Mélanie Bouta - ancienne AH
Service d'odontologie, CHU, Montpellier
Hélène Comallonga - AHU université de Montpellier
Service d'odontologie, CHU, Montpellier
Bruno Picart - MCU-PH université de Montpellier
Service d'odontologie, CHU, Montpellier
Hugo Lambert – AHU université de Montpellier
Service d'odontologie, CHU, Montpellier