Les cahiers de prothèse n° 184 du 01/12/2018

 

Synergie implants et prothèses

R. Noharet  

Situation clinique

Une patiente se présente en consultation avec des doléances concernant sa situation dentaire : elle présente deux bridges de 14 éléments mais sent des infiltrations au niveau de 21 et voit un déchaussement au niveau de la racine. Après examen clinique et radiologique, le diagnostic est irrémédiable pour la dent 21 : l'extraction doit être envisagée (fig. 1 à 

Résumé

Introduction

L'implantologie est une technique qui nous permet, au travers de l'outil implantaire, de remplacer les dents naturelles par une solution fixe. Cette technique doit permettre de rétablir les fonctions de nos patients, et ce au plus long terme. Les objectifs fonctionnels sont probablement les plus « aisés » à atteindre. Néanmoins, avec l'évolution de la société notamment, nos patients sont devenus plus exigeants en termes de résultat, tant sur le plan des notions de traitements fonctionnels que sur celui de l'esthétique. Cette dernière notion impose donc une intégration optimale de nos restaurations au sein des dents existantes et/ou dans le cadre buccal plus large. Cela nous demande de réfléchir et d'agir en fonction de la composition du rose et du blanc de la bouche de nos patients, afin de réaliser le traitement le plus adéquat et pertinent pour eux, en fonction de leur situation clinique personnelle (techniques chirurgicales, durée de traitement, choix du design d'implant, choix des matériaux etc.). En plus de ces éléments, le traitement implantaire se doit d'être le plus stable possible dans le temps afin de conserver la satisfaction de nos patients mais aussi leur intégrité. La composante biologique est alors tout aussi capitale que les éléments précités pour obtenir cette stabilité du traitement implanto-prothétique. L'équation à résoudre est donc celle-ci :

FONCTION + ESTHÉTIQUE + BIOLOGIE = PÉRENNITÉ

L'objectif de cet article est de montrer, au travers d'un cas, une situation clinique particulière imposant une réflexion spécifique pour obtenir un résultat conforme à l'équation précitée.

Situation clinique

Une patiente se présente en consultation avec des doléances concernant sa situation dentaire : elle présente deux bridges de 14 éléments mais sent des infiltrations au niveau de 21 et voit un déchaussement au niveau de la racine. Après examen clinique et radiologique, le diagnostic est irrémédiable pour la dent 21 : l'extraction doit être envisagée (fig. 1 à 4). Cela signifie donc que deux dents sont absentes : 21 et 22. Compte tenu de la situation globale (nombreuses restaurations prothétiques) et locale, la décision d'une thérapeutique implantaire est préconisée puis choisie par la patiente, après explication des alternatives possibles. Suite à cette décision, la stratégie chirurgicale doit être mise en place.

Rappels biologiques et stratégie implantaire

Un implant nécessite son propre espace biologique. Aujourd'hui, cet espace est défini classiquement selon un schéma tridimensionnel. En effet, cet espace biologique est finalement en étroite corrélation avec le « bon » positionnement implantaire.

Dans le sens mésio-distal, l'implant doit être situé au minimum à 1,5 mm de la dent adjacente, afin de préserver les structures alvéolaires et ligamentaires de la dent [1]. Si cela n'est pas le cas, une perte osseuse peut être engendrée par cette proximité implantaire. Dans le sens apico-coronaire, l'implant doit être enfoui à une distance de 3 à 4 mm du futur collet de la dent afin de répondre aux critères biologiques et esthétiques de l'intégration de la future prothèse implantaire (fig. 5). Enfin, concernant le sens vestibulo-palatin, un minimum de 2 mm d'épaisseur osseuse est souhaité afin de garantir une pérennité du traitement implantaire [2]. Ce mur osseux d'épaisseur de 2 mm (associé à une quantité de tissus mous suffisante) permet d'obtenir dans un premier temps un résultat esthétique (positionnement du futur collet prothétique), mais également de le maintenir dans le temps.

Compte tenu de tous ses éléments et de la distance de 12 mm entre la face mésiale de 11 et la face mésiale de 23, nous ne pouvons pas mettre deux implants de façon sécurisée du point de vue biologique. Il aurait fallu avoir une distance entre ses deux dents d'un minimum de 12,5 mm (1,5 mm d'espace biologique de part et d'autre de chaque implant de diamètre 3,5 mm : 1,5 + 3,5 + 1,5 + 1,5 + 3,5 + 1,5 (fig. 6)). La décision est alors prise d'utiliser un seul implant et de réaliser une prothèse en extension pour le remplacement de la deuxième dent. Cette notion de dent en extension, ou « cantilever », est une notion prothétique dentaire ancienne. Le cantilever, ou porte-à-faux, définit la situation d'un objet qui n'est pas à l'aplomb de son point d'appui, qui est en déséquilibre [3]. Ce porte-à-faux peut varier en termes de dimension par rapport à son point d'ancrage. Du point de la vue de la prothèse implantaire partielle, les données scientifiques sont relativement faibles. En effet, Storelli ne reporte dans sa revue de littérature que deux articles pouvant répondre aux critères de sélection, et notamment de suivi (complications mécaniques et biologiques potentielles) [4]. Avec aussi peu de données scientifiques reportées, il est difficile de connaître précisément le type de risque pris dans de telles réalisations prothétiques. Il est vraisemblable que le risque mécanique ne soit pas nul.

À propos de notre situation clinique, si le nombre d'implant est donc défini, il s'agit de préciser maintenant son emplacement. Au vu des conditions osseuses données par l'examen tridimensionnel, le choix du site à implanter se porte sur 21 (fig. 7). En effet, le site 22 aurait nécessité une greffe osseuse pour obtenir le volume osseux adéquat.

Planification implantaire et exécution implantaire

Afin de sécuriser notre intervention implantaire, un guide de chirurgie guidée statique est réalisé [5]. Cela demande au préalable une planification précise de la position implantaire sur le logiciel (ici, Simplant Materialise®). Afin d'exécuter cette planification, les éléments nécessaires sont évidemment les données anatomiques tridimensionnelles (fichier DICOM), mais également le projet prothétique amené par les fichiers STL de laboratoire. Une indexation des modèles est réalisée afin de faire correspondre ces différents types de fichiers numériques [6]. Nous pouvons alors réaliser une planification optimale (fig. 8). Le modèle bleu représente le projet prothétique et le modèle blanc (en sous-jacent) est le modèle nécessaire pour la commande du guide. Nous pouvons voir l'émergence implantaire centrée sur le cingulum de 21 afin de pouvoir réaliser une prothèse transvissée. Ce type d'assemblage facilite la reproductibilité du résultat prothétique dans le cadre du cantilever en prothèse implantaire.

Une fois cette planification réalisée et le guide chirurgical réceptionné, la chirurgie peut s'effectuer. Après l'anesthésie locale, la section des couronnes est réalisée au niveau proximal de 23 et 22. Cette section sera la plus délicate possible afin de ne pas endommager le bridge dentaire postérieur restant (fig. 9). Le guide est alors positionné, les forages sont exécutés, puis l'implant est mis en place au travers du guide (fig. 10).

À la suite de cela, le comblement de l'espace entre l'implant et le rempart alvéolaire vestibulaire est réalisé. Une greffe conjonctive est également placée dans un tunnel vestibulaire (incision de demi-épaisseur) en regard de 21, afin d'obtenir un biotype épais et donc stable. L'empreinte est prise puis envoyée au laboratoire, qui va alors confectionner les dents avec un fût en titane sur l'incisive centrale et une extension en résine fibre pour l'incisive latérale (fig. 11). Afin de respecter les critères de la mise en esthétique immédiate, avec notamment l'absence de contact en occlusion statique et dynamique, les dents provisoires sont très légèrement vestibulées. Cette modification de position permet dans le cas présenté de garder un bord libre de même longueur. L'analyse de chaque situation clinique et de chaque guide antérieur est absolument nécessaire afin de proposer la meilleure alternative thérapeutique à notre patient (dent vestibule et/ou raccourcie) et de l'en informer avant traitement (fig. 12 et 13).

Une fois passé le délai de cicatrisation initiale (cicatrisation muqueuse), les sutures peuvent être enlevées. Puis, une fois passé le délai d'ostéointégration (cicatrisation osseuse), des radiographies de contrôle seront prises afin de vérifier la cicatrisation osseuse en qualité et en quantité (fig. 14 et 15). La prothèse provisoire pourra alors être déposée afin de vérifier la cicatrisation tissulaire, tant dans le profil d'émergence qu'au niveau de la zone du pontique (fig. 16 et 17). Nous pouvons voir sur les images la présence muqueuse de l'impact de l'ovate pontic : la prothèse provisoire bien dessinée a permis de modeler cette zone pendant les mois de cicatrisation. Cela a permis également de conserver la faible papille préexistante.

Conclusion

Le cantilever est une notion historique de prothèse conventionnelle. Néanmoins, afin de respecter les exigences esthétiques, fonctionnelles mais également biologiques des traitements implantaires, il paraît pertinent de pouvoir étendre cette indication prothétique à la technique implantaire. Cependant, il est nécessaire d'être prudent dans la réalisation de ce type de traitement : les risques biomécaniques sont probablement plus élevés. Il convient alors de prendre initialement la bonne décision thérapeutique, mais également d'assurer un suivi très régulier de ces patients (occlusion à vérifier).

Bibliographie

  • 1 Noharet R, Viennot S. Secteur antérieur et implants : défi esthétique. In Esthétique en odontologie. Malakoff : Éditions CdP, Collection JPIO, 2015.
  • 2 Grunder U, Gracis S, Capelli M. Influence of the 3-D bone-to-implant relationship on esthetics. Int J Periodontics Restorative Dent 2005;25:113-119.
  • 3 « Port-à-faux ». Dictionnaire Larousse. Paris: Éditions Larousse, 2018. larousse.fr. Web
  • 4 Storelli S, Del Fabbro M, Scanferla M, Palandrani G, Romeo E. Implant supported cantilevered fixed dental rehabilitations in partially edentulous patients: Systematic review of the literature. Part I. Clin Oral Implants Res 2018;29:253-274.
  • 5 Noharet R. Contribution à l'assurance qualité des dispositifs médicaux en implantologie orale : à propos de la précision du placement implantaire. Médecine humaine et pathologie. Univ Claude Bernard-Lyon I 2014. Français. <2014lyo10109>