Les cahiers de prothèse n° 184 du 01/12/2018

 

Du côté des internes

A. Nganou Koutouzi / M. Renaud  

« Les choses qui sont dotées de proportions correctes réjouissent les sens »

Saint Thomas d'Aquin.

De nos jours, l'esthétique du sourire est mise de plus en plus en avant dans nos reconstructions, tout comme le rôle central de l'harmonie du visage. Il existe différents paramètres pour la recherche du beau et de la perfection, comme l'utilisation du nombre d'or, le respect des symétries du visage et des différentes lignes de référence. Ce sont autant de...


Résumé

Présentation

Les demandes esthétiques et fonctionnelles des patients dans les réhabilitations complexes impliquent de la part du praticien la mise en œuvre de compétences multidisciplinaires et de moyens techniques performants.

Cet article a pour but de montrer la démarche clinique suivie lors de la prise en charge globale d'une patiente depuis l'analyse clinique jusqu'à la validation de la prothèse d'usage, une fois posés les diagnostics occlusaux, esthétiques et fonctionnels et validés les choix effectués. Cette prise en charge intègre de nombreux soins conservateurs, une étape chirurgicale ainsi qu'une réflexion prothétique appuyée sur les moyens informatiques actuels.

Une programmation précise des étapes à réaliser est un facteur primordial pour mener à bien ces traitements longs et parfois fastidieux.

« Les choses qui sont dotées de proportions correctes réjouissent les sens »

Saint Thomas d'Aquin.

De nos jours, l'esthétique du sourire est mise de plus en plus en avant dans nos reconstructions, tout comme le rôle central de l'harmonie du visage. Il existe différents paramètres pour la recherche du beau et de la perfection, comme l'utilisation du nombre d'or, le respect des symétries du visage et des différentes lignes de référence. Ce sont autant de critères à prendre en compte dans notre réflexion prothétique où le concept « a minima » s'impose dans notre pratique quotidienne. La notion d'inter-pluridisciplinarité qu'offre la médecine bucco-dentaire, mêlant fonction et esthétique, est un atout pour l'élaboration de nos plans de traitements. Nous avons donc choisi dans cet article, de mettre en lumière une réhabilitation pluridisciplinaire à travers une réflexion clinique en trois étapes.

Dans un premier temps, l'interrogatoire, l'anamnèse et les différents examens cliniques et complémentaires permettent au praticien d'obtenir une vue globale de la situation clinique et des attentes du patient.

La phase diagnostic qui s'en suit est une étape primordiale pour identifier les différents éléments nous permettant d'en tirer les objectifs thérapeutiques pour le plan de traitement du patient. Le projet prothétique répondant aux différents objectifs est ensuite élaboré avec l'aide de plusieurs outils, comme le montage directeur, nous permettant de guider nos choix thérapeutiques. L'assainissement de l'état bucco-dentaire (amélioration du contrôle de plaque et conseils d'hygiène orale, avulsions, thérapeutique(s) parodontale(s), soins conservateurs et endodontiques) est un préalable à toute réhabilitation prothétique. La phase de réhabilitation provisoire (mise sous prothèses provisoires, rétablissement du calage postérieur, de la fonction, du guide incisif et de l'esthétique) peut également être d'un intérêt particulier pour valider nos choix ou pour modifier le déroulé du plan de traitement.

Enfin, la phase prothétique d'usage est la réalisation du projet thérapeutique validé par toutes les étapes précédentes. Le praticien pourra organiser les séances de façon pertinente pour le bon déroulé des différentes séquences prothétiques.

Cette prise en charge précise et organisée est nécessaire dans les cas de réhabilitations complexes où la relation de confiance avec le patient est aussi une clef pour la bonne conduite du traitement. L'obtention de son consentement éclairé et l'évaluation de sa motivation sont indispensables pour ce type de traitement long et fastidieux.

EXAMENS CLINIQUES

Lors de la première consultation, l'examen clinique complet du patient constitue la première étape de la relation patient/praticien. Cette première consultation a pour but l'établissement des diagnostics, permettant l'élaboration du plan de traitement du patient. L'examination rigoureuse du patient, par les examens cliniques exo- et endobuccaux, est une étape essentielle (fig. 1). Il est également nécessaire de réaliser des examens complémentaires qui viendront confirmer ou infirmer nos observations cliniques et donc préciser les diagnostics qui en découleront.

Une patiente, âgée de 50 ans, souhaitant « retrouver son sourire d'il y a 10 ans » est reçue en consultation dans le service de prothèse du CHU de Montpellier. La patiente ne présente pas d'antécédents médicaux ni chirurgicaux et n'a pas de traitement médicamenteux en cours.

Examen exobuccal

L'examen clinique exobuccal de face (fig. 2) ne montre aucune asymétrie majeure du visage, un étage inférieur diminué, des lignes bi-commissurales et bi-pupillaires légèrement convergentes. L'analyse de profil montre un profil ortho-frontal. Le sourire est crispé à cause d'une dysharmonie du bloc antérieur maxillaire.

Examen endobuccal

L'examen clinique endobuccal (fig. 3) révèle un parodonte de type 3 de Maynard et Wilson. On note cependant un léger liseré inflammatoire au niveau de la fibro-muqueuse gingivale marginale, des récessions de classe I de Miller dans les secteurs incisivo-canins avec un pronostic de recouvrement de 100 %. L'inspection des arcades maxillaire et mandibulaire montre une forme d'arcade elliptique au maxillaire et en U étroit à la mandibule. Au niveau des rapports intra-arcades, on observe une dysharmonie dento-dentaire à la mandibule avec la présence d'un encombrement dentaire qui ne gêne pas la patiente. On observe également des lésions d'abrasion des faces palatines et occlusales des dents 15 à 25 mettant en évidence un trouble de la fonction occlusale associé à un mouvement d'ouverture et fermeture en baïonnette malgré la présence d'une amplitude buccale normale. Les rapports inter-arcades montrent une ligne des collets dentaires en forme de V inversé, une ligne du sourire en forme de S, un recouvrement incisif faible dû à l'usure du bloc maxillaire antérieur. L'occlusion statique présente une classe 1 d'Angle molaire droite et gauche, une classe 1 d'Angle canine droite et une classe 3 d'Angle canine gauche. Le guide antérieur présente des interférences postérieures en propulsion sur 15/46 et 26/27/37. Le mouvement de latéralité droite se fait selon une fonction de groupe tandis qu'à gauche, il s'agit d'une fonction canine. L'examen des dents montre de nombreuses lésions carieuses et des infiltrations de soins restaurateurs anciens ainsi que la présence de nombreuses obturations par résine composite et par ciment verre ionomère (fig. 4).

Examens complémentaires

Les examens complémentaires représentent des aides aux diagnostics et complètent l'examen clinique. Les examens orthopantomogramme et tomodensitométrique (fig. 5) révèlent une usure asymétrique des condyles droit et gauche ainsi qu'une alvéolyse du 1/3 supérieur localisée au niveau des secteurs prémolaires et molaires. De plus, 38 est incluse en position horizontale dans la branche montante de la mandibule, avec un rapport étroit au nerf alvéolaire inférieur. Elle présente également une radio-clarté au niveau de sa couronne (fig. 6).

La radiographie permet d'objectiver de nombreuses reconstitutions coronaires non étanches ainsi que des traitements endodontiques ne répondant pas aux critères standards. Le bilan parodontal, composé d'un status radiologique (fig. 7) et d'un charting (fig. 8), a mis en exergue la présence de poches parodontales de 4 mm sur 17, 26, 33, 34 et 35, ainsi que des saignements localisés au sondage.

DIAGNOSTIC

L'ensemble des éléments recueillis lors des examens cliniques et complémentaires nous ont permis d'établir des diagnostics clairs et précis de la situation de la patiente.

La patiente présente une parodontite chronique débutante localisée ou une parodontite de stade I (parodontite initiale) localisée de grade A (à progression lente) (d'après la nouvelle classification des maladies parodontales, juin 2018). Des restaurations débordantes et non homothétiques à la morphologie dentaire, rendant difficile les manœuvres d'hygiène orale et un contrôle de plaque optimal ont été mis en lumière. Un bruxisme associé à une perte de dimension verticale a été établi ainsi que des lésions cervicales d'usures et des lésions d'abfraction généralisées associées à des récessions de Miller de type I sur les secteurs incisivo-canins, des dyschromies généralisées, des lésions carieuses et des lésions d'abrasions. L'indication d'avulsion de la dent de 38 incluse est également posée.

PROJET PROTHÉTIQUE

Le Digital Smile Design® ou DSD® (fig. 9) et le montage directeur permettent d'établir un projet thérapeutique. Ces outils seront également d'une grande aide à l'explication du plan de traitement. Afin de réaliser le projet prothétique digital de la patiente, nous avons utilisé deux photographies de référence : une photographie des arcades en occlusion et une photographie d'une vue occlusale de l'arcade maxillaire. Nous avons tracé à l'aide de l'outil informatique des masques blanc représentant la morphologie des dents souhaitées en fonction des règles de proportion dentaires, des lignes du sourire et d'alignements des collets.

La réévaluation clinique de la dimension verticale d'occlusion a été fixé à +3 mm. Après montage sur articulateur des modèles d'étude à l'aide d'un arc facial sur articulateur SAM 2®, le montage directeur a été réalisé (fig. 10) en accord avec le DSD® et dans le respect des courbes d'occlusions.

Le plan de traitement global a ensuite été établi et proposé à la patiente en expliquant les tenants et les aboutissants de la réhabilitation. Le plan de traitement comprenant :

• un traitement prophylactique ;

• un assainissement bucco-dentaire global ;

• une réhabilitation prothétique provisoire ;

• une réhabilitation prothétique d'usage ;

• l'instauration d'un suivi régulier.

TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE ET ASSAINISSEMENT BUCCO-DENTAIRE : UN PREALABLE à TOUTE REHABILITATION PROTHÉTIQUE

Cette étape est un préalable à toute réhabilitation prothétique. Un enseignement des techniques d'hygiène orale adéquates, un assainissement parodontal et la réalisation des soins conservateurs et endodontiques ont été effectués dans cette première étape du plan de traitement :

• avulsion de 38 incluse sous anesthésie locale (fig. 11 à 14) ;

• mise en place de la thérapeutique initiale parodontale ;

• un éclaircissement externe des arcades maxillaires et mandibulaires ambulatoire (gel de peroxyde de carbamide 10 %) ;

• la réalisation des soins conservateurs et endodontiques ;

• un aménagement pré-prothétique de 16 et 17 par remontée de marche dans l'objectif d'augmenter la rétention et la surface de collage des futures pièces prothétiques.

À la fin de l'étape d'assainissement, la situation bucco-dentaire était devenue favorable (fig. 15 à 17) à la réalisation de la réhabilitation prothétique.

RÉHABILITATION PROTHÉTIQUE PROVISOIRE

Cette phase transitoire a plusieurs objectifs, comme permettre l'adaptation aux changements occlusaux et fonctionnels réalisés. C'est une étape de tests et de validation qui nous donne un nombre important d'informations dont il faut tenir compte pour la réhabilitation d'usage. Les secteurs postérieurs ont été réhabilités à l'aide d'onlay et de couronnes provisoires pour rechercher un espace libre d'inocclusion et la suppression des sur-occlusions (fig. 18) dans une équilibration occlusale optimale.

PHASE PROTHÉTIQUE D'USAGE

Après validation du projet en bouche, la réhabilitation du secteur antérieur a démarré. Dans cette étape, l'utilisation de facettes palatines composites stratifiées avec recouvrement vestibulaire, confectionnées en technique semi-directe, a été notre technique de choix (fig. 19) :

• réalisation de modèle d'études et montage sur articulateur en relation d'intercuspidation maximale ;

• choix de la teinte et stratification dent par dent au composite ESSENTIA de GC® à l'aide d'un silicone de coulée. Des premiers essayages et polissages ont été réalisés sur modèles en plâtre montés sur articulateur ;

• essayage des pièces en bouche associé à une équilibration statique et dynamique. L'essayage satisfait la patiente (fig. 20 à 23) ;

• collage sous digue étendue des éléments prothétiques (fig. 24) ;

• polissage et finitions.

Le résultat esthétique et fonctionnel a semblé positif. L'effet de naturel recherché par ailleurs a été valorisé par la patiente qui reprenait vie avec son nouveau sourire animé (fig. 25). La réalisation des prothèses d'usage des secteurs postérieurs est en cours de réalisation. De plus, une greffe de recouvrement du secteur antérieur maxillaire pourra être envisagée dans un but d'amélioration de l'esthétique du sourire, si la patiente le souhaite.

CONCLUSION

L'apport de techniques de plus en plus précises et pointues constituent une approche pluridisciplinaire complexe et représente un travail considérable. Le temps de travail clinique et prothétique très long ainsi que la multiplicité des soins et des rendez-vous rendent ces travaux fastidieux. Cependant, l'aboutissement de ces projets thérapeutiques est source de reconnaissance et de fierté pour le patient comme pour le praticien. Le suivi et la maintenance seront des éléments importants à prendre en considération pour le patient afin d'assurer la pérennité de sa réhabilitation.

Lectures conseillées

Bouchard P. Parodontologie et dentisterie implantaire volume 2. Paris: Editions Lavoisier, 2015. Laluque JF, D'Incau E, Brocard D. Lésion d'usure et bruxismes chez l'adulte. Première partie. Revue d'odonto-stomatologie 2014;43:88-98. Lasserre JF, Lafargue H. Allégorie de la forme : intégration biologique, couleur et forme. Quel est le critère le plus important dans nos restaurations céramiques ? Réalités Cliniques 2010;21:1-10. Le Gall M, Lauret JF. La fonction occlusale, implications cliniques. 3e édition. Rueil-Malmaison : Editions CdP, Coll. JPIO, 2011. Monnet-Corti V, Barrin A, Goubron C. Apport de la parodontologie dans l'esthétique du sourire. Orthod Fr 2012;83(2):131-142. Monnet-Corti V, Borghetti A. Chirurgie plastique parodontale et péri-implantaire. 3e édition. Rueil-Malmaison : Editions CdP, Coll. JPIO, 2017. Noharet R, Clément M. Communication digitale en odontologie : rigoureusement indispensable ! Cah Prothèse 2016;173. Noharet R, Clément M, Gaillard C, Coachman C. Analyse diagnostique d'un traitement esthétique : Digital Smile Design. Information Dentaire 2015;22:18-21. Tirlet G, Attal JP. Le gradient thérapeutique : un concept médical pour les traitements esthétiques. Information dentaire 2009;41/42:2561-2568.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article

Auteurs

Alexandra Nganou Koutouzi - Interne en médecine buccodentaire

CHU de Montpellier

Matthieu Renaud - Assistant hospitalier-universitaire

DES Médecine Bucco-Dentaire

Service de Prothèse

CHU de Montpellier