Prothèse amovible complète
M. GUEYE A.C. NDINDIN P.I. KAMARA K. BADJI E.B. MBODJ
L'édentement total constitue un véritable handicap physique et psychique. C'est un phénomène dont la fréquence augmente dans le monde à mesure que l'espérance de vie s'allonge [1]. Dans les pays en développement, les progrès odontologiques enregistrés dans la prévention et le traitement des affections dento-parodontales n'ont pas encore permis la réduction de la prévalence des édentements.
La prothèse implanto-portée...
Résumé
La prothèse amovible complète (PAC) conventionnelle demeure le moyen de réhabilitation le plus accessible pour améliorer la qualité de vie orale des patients édentés totaux. L'objectif de cette étude est d'évaluer le taux de survie des PAC réalisées au département d'Odontologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
La population d'étude est constituée de 55 patients présentant au total 90 PAC. 31 sont de sexe masculin (56,4 %). Vingt-deux prothèses n'ont pas été portées. Le taux de survie à 5 ans est de 75,6 %. Les prothèses rebasées représentent 58,8 % des prothèses portées. 51 prothèses, soit 75 %, reposent sur des muqueuses d'appui présentant des lésions. Les dents abrasées sont retrouvées sur 79,4 % des prothèses portées.
La planification de séances régulières de contrôle pourrait constituer un moyen de préserver les chances de succès des restaurations prothétiques.
L'édentement total constitue un véritable handicap physique et psychique. C'est un phénomène dont la fréquence augmente dans le monde à mesure que l'espérance de vie s'allonge [1]. Dans les pays en développement, les progrès odontologiques enregistrés dans la prévention et le traitement des affections dento-parodontales n'ont pas encore permis la réduction de la prévalence des édentements.
La prothèse implanto-portée demeure le moyen de réhabilitation le plus adéquat pour pallier les pertes dentaires. Cependant, son accessibilité est très limitée du fait des coûts de réalisation élevés, des délais de traitement assez longs, et de certaines contre-indications [2, 3]. Devant ces contraintes, la prothèse amovible complète (PAC) conventionnelle devient la thérapeutique la plus accessible pour réhabiliter les praxies et l'esthétique perturbées, et par conséquent améliorer la qualité de vie orale des patients édentés totaux.
La survie de la restauration prothétique dépend autant des conditions anatomo-physiologiques bucco-faciales du patient que de la compétence du praticien et du prothésiste. Tout de même, près de la moitié des PAC réalisées devraient être remplacées après cinq années de port [4]. La détermination de la durée de vie d'une PAC n'a pas encore fait l'objet d'un consensus, mais la plupart des auteurs s'accordent sur l'intérêt d'un suivi prothétique régulier au cabinet [5].
L'objectif primaire de cette étude était d'évaluer le taux de survie à 5 ans des prothèses amovibles complètes réalisées au Département d'Odontologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. L'objectif secondaire était d'obtenir des informations sur l'état des prothèses.
L'étude rétrospective descriptive transversale et analytique s'est déroulée de novembre 2013 à février 2014 auprès des patients réhabilités par PAC au département d'Odontologie de la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odontologie de Dakar entre les années 2008 et 2011. Les prothèses amovibles complètes (uni ou bimaxillaires) ont été réalisées par des étudiants en Master sous la supervision des enseignants de Prothèse. Le protocole de réalisation a toujours été le même et consistait en la prise d'empreinte primaire, la prise d'empreinte secondaire, la détermination de la dimension verticale d'occlusion, l'enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire, le choix et le montage des dents et la pose de la prothèse suivie de séances de contrôle. L'inclusion des patients a été conduite selon le protocole consistant à établir d'abord un contact téléphonique pour expliquer les objectifs de l'enquête, puis une convocation téléphonique en vue de procéder à l'enquête. Les patients volontaires et consentants, hommes ou femmes, ont été inclus dans l'étude. Une fiche d'enquête a été conçue pour évaluer les données de l'étude.
Les évaluations ont été faites par un seul praticien. Une étude pilote préalable a permis d'une part de former et de calibrer l'enquêteur, d'autre part d'éprouver et de valider le questionnaire. Les contrôles comprenaient un entretien et un examen clinique de la prothèse et de l'arcade la supportant. Les variables observées étaient l'âge, le sexe, la profession du patient, la localisation, le port et le rebasage de la prothèse, l'état des dents prothétiques et celui de la muqueuse sous-prothétique. Les dents prothétiques pouvaient être intactes, ou abrasées avec une morphologie occlusale aplatie par l'usure des cuspides, ou encore fracturées avec une solution de continuité affectant les rapports occlusaux. La muqueuse était qualifiée d'inflammatoire si elle présentait une prolifération hyperplasique ou un érythème localisé ou diffus associé à un œdème. La muqueuse ulcérée quant à elle était caractérisée par une blessure ou une lésion traumatique localisée présentant un contour net et un fond jaunâtre.
La situation au contrôle était comparée à celle existant lors de la pose à partir des données fournies par les différents éléments du dossier du patient.
Le critère d'échec retenu était le renouvellement précoce d'une prothèse ou l'abandon de son port pour des raisons liées à la conception ou à la réalisation prothétique. Les prothèses remplacées pour des raisons de perte ou de fracture par chute n'étaient pas comptabilisées dans les échecs. Le test de Khi2 a été utilisé pour étudier l'association potentielle entre les variables qualitatives sur les prothèses portées.
L'examen des dossiers du service de prothèse a permis de répertorier 107 patients réhabilités par PAC. Parmi les patients contactés par téléphone, 7 vivaient à l'étranger, 2 n'ont pas accepté de participer à l'étude parce qu'ils avaient remplacé leur prothèse suite à une fracture par chute. 43 patients n'ont pu être joints par téléphone pour cause de décès (5 d'entre eux) ou de changements d'adresse (38 patients). Ainsi, la population d'étude était composée de 55 patients, ce qui représente un taux de rappel de 51,4 % (fig. 1). Ils portaient au total 90 PAC réalisées entre 2008 et 2011 (tableau 1). L'échantillon était constitué de 31 hommes (56,4 %) et 24 femmes (43,6 %), soit un sex-ratio de 1,29. La moyenne d'âge était de 64,2 ans avec un écart-type de 10 ans. Au total, 45,5 % des sujets avaient un âge compris entre 42 et 62 ans et 54,5 % entre 63 et 84 ans. Parmi eux, 34,5 % étaient sans emploi et 47,3 % à la retraite. Les prothèses localisées au maxillaire représentaient 56,7 % du total et les prothèses mandibulaires 43,3 %. 20 prothèses unimaxillaires (16 maxillaires et 4 mandibulaires) et 35 bimaxillaires étaient dénombrées (tableau 2).
Sur le total de 90 prothèses réalisées, 68 étaient régulièrement portées par 42 patients, représentant 76,4 % de l'échantillon. Le taux de survie des prothèses à 5 ans était de 75,6 % pour l'ensemble de l'échantillon (tableau 3). Les prothèses unimaxillaires du haut enregistraient un taux de survie de 81,25 % avec 13 prothèses portées sur les 16 réalisées. Les 22 PAC restantes (soit 24,4 %) n'étaient pas portées au contrôle. Parmi celles-ci, 12 n'ont jamais été portées et 10 ont été remplacées. Les raisons de ces échecs précoces évoquées par les patients sont l'absence ou la perte de rétention et l'instabilité des prothèses lors de la mastication.
Les prothèses rebasées étaient au nombre de 40, représentant 58,8 % des prothèses réussies et 44,4 % du total de prothèses réalisées. Le rebasage intéressait 73,1 % des PAC bimaxillaires portées et 15,4 % des PAC maxillaires (tableau 4).
51 prothèses réussies, soit une proportion de 75 %, reposaient sur des muqueuses d'appui enflammées ou ulcérées retrouvées chez 69,05 % des patients portant toujours leurs prothèses. Parmi elles, 84,6 % des prothèses bimaxillaires étaient impliquées et 52,9 % étaient situées à l'arcade maxillaire (tableau 5).
Les dents abrasées étaient retrouvées sur 79,4 % des prothèses portées par 78,6 % des patients et des dents fracturées observées sur 7,3 % des prothèses réussies (tableau 6). Ces anomalies intéressaient 88,5 % des prothèses bimaxillaires et la totalité des prothèses mandibulaires (unimaxillaires du bas) réussies.
Parmi les patients réhabilités par PAC, la moitié a pu constituer l'échantillon définitif. Vanzeveren et al. [6, 7] ont rapporté un taux de rappel (40,4 %) moins élevé que celui de cette étude. La taille limitée de l'échantillon est liée au fait que certains patients n'étaient plus joignables au téléphone compte tenu de coordonnées erronées et que d'autres convoqués n'étaient pas assez motivés pour participer à l'enquête à cause de l'éloignement de leur domicile. De plus, les procédures de rappel pour les contrôles des patients réhabilités ne font pas l'objet d'un protocole intégré dans le plan de traitement.
Les hommes constituent la proportion la plus importante de l'échantillon, contrairement à la réalité de la population sénégalaise qui a un sex-ratio de 0,92 [8]. De même, les données ne reflètent pas les tendances démographiques retrouvées dans certaines études [9, 10] réalisées auprès de sujets réhabilités par prothèse amovible. La prépondérance masculine dans l'échantillon peut être attribuée au fait que les femmes fréquentent plus que les hommes les centres de soins odontologiques [11, 12]. Elles sont plus soucieuses de leur état de santé dentaire et perdraient moins des dents du fait de leur prise en charge précoce.
La moyenne d'âge de l'échantillon se rapproche de celles de N'Dindin et al. [13] et de Mbodj et al. [10, 14], dont les résultats oscillent entre 62 et 67 ans. Ces données confirment les conclusions d'autres travaux [15, 16] selon lesquelles la restauration des édentements par prothèse augmente avec le vieillissement.
Près de la moitié des patients sont retraités. Cette fréquence est liée au fait que l'échantillon a un âge moyen assez avancé dans un pays où le départ à la retraite se fait à 60 ans au plus dans la fonction publique. Un patient sur trois est sans emploi. Le taux des sans-emploi pourrait s'expliquer par leurs conditions socio-économiques précaires et les moyens financiers insuffisants pour prendre en charge le coût des traitements prothétiques. Ce statut socioprofessionnel reflète les valeurs retrouvées au niveau national [17].
L'étude a retenu comme critère d'échec le renouvellement d'une prothèse ou le non port de la prothèse. La survie implique une prothèse toujours portée par les patients, qu'elle ait fait ou non l'objet d'une réparation ou d'un rebasage. De même, pour Vanzeveren et al. [6], les prothèses ayant subi une intervention de type réparation, adjonction d'une ou de plusieurs dents, et/ou rebasage entre la date de la pose et celle du contrôle doivent être prises en compte dans le taux survie. En effet, si ces interventions sont bien réalisées, elles ne peuvent qu'avoir une influence bénéfique sur la pérennité de la restauration prothétique. Sur une période de 5 ans, le taux de survie est de 75,6 %. Une comparaison avec les résultats publiés dans la littérature est difficile compte tenu des divergences rencontrées aussi bien dans le nombre des prothèses contrôlées que dans la durée des périodes d'observation. De plus, les critères d'échec ne sont pas clairement définis de façon consensuelle. Alors que le remplacement des prothèses peut être lié à des facteurs indépendants de la conception et de la réalisation, le pourcentage de prothèses non portées est à mettre en rapport avec les aléas de l'intégration prothétique. En effet, l'adaptation des prothèses est un processus complexe influencé par plusieurs facteurs dont le vieillissement qui se manifeste à des niveaux physiologique, pathologique et pharmacologique. Il provoque des conditions orales défavorables qui participent à l'échec de la réhabilitation prothétique conventionnelle [18]. De même, quand la prothèse est inadaptée, elle occasionne des doléances. Ces plaintes relatives à des manifestations douloureuses ou à des troubles fonctionnels peuvent provoquer le rejet total de la prothèse [19].
Pour remédier à cette inadaptation, plus de la moitié des prothèses réussies ont été rebasées. Il s'agit d'une adjonction d'une couche de résine à l'intrados prothétique afin de réadapter la surface d'appui. Cette technique, plus rapide et moins onéreuse que la réfection totale de base et le renouvellement prothétique, permet d'améliorer les qualités biomécaniques de la prothèse [11, 13]. Son choix peut être justifié par les conditions socio-économiques précaires des patients et par les limites techniques imposées par le matériau exclusivement en résine des dents prothétiques montées.
La fréquence élevée de prothèses portant des dents abrasées est en rapport avec les déséquilibres occlusaux liés à l'absence de suivi prothétique régulier. Ces désordres sont susceptibles d'entraîner une surcharge des tissus ostéo-muqueux de soutien responsable de la résorption osseuse et de l'instabilité prothétique. Il en résulte des lésions des muqueuses soutenant les trois quarts des prothèses portées. Les hyperhémies observées peuvent être liées à une dimension verticale surévaluée ou à une stomatite prothétique due à un déficit salivaire ou à une infection fongique pouvant faire soupçonner la porosité de la résine de la plaque base prothétique [20-22]. Les lésions muqueuses sous-prothétiques, stomatites ou hyperplasies, sont corrélables avec le déficit d'informations et de recommandations concernant l'entretien des prothèses et de leurs tissus de soutien [20].
Les prothèses amovibles complètes peuvent être considérées comme des restaurations fiables lorsqu'elles sont portées immédiatement après la pose, même si des altérations des tissus de soutien ou des prothèses peuvent être constatées après 2 à 5 ans d'usage. L'analyse des échecs observés montre qu'il est indispensable de veiller à une coopération plus active du patient tout au long du traitement afin de le conduire à l'appropriation de la future prothèse. La planification de séances régulières de contrôle à court et moyen terme pourrait constituer, dans le cadre de la structure hospitalière de cette étude, un moyen efficace d'élever le taux de survie de ces restaurations prothétiques.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Moctar Gueye - DCD, DSO, Maître de Conférences Agrégé, Service de Prothèse, Département d'Odontologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Assiehue Claude Ndindin - DCD, DSO, Maître de Conférences Agrégé, UFR d'Odonto-Stomatologie, Université Felix Houphouët-Boigny d'Abidjan
Papa Ibrahima Kamara - DCD, Assistant Service de Prothèse, Département d'Odontologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Khady Badji - DCD, Assistante, Service de Prothèse, Département d'Odontologie, Université Cheikh Anta Diop
El Hadj Babacar Mbodj - DCD, DSO, Professeur, Service de Prothèse, Département d'Odontologie, Université Cheikh Anta Diop de Dakar