Plans de traitement
C. FRATTA B. CHAMPION F. DESTRUHAUT A. HENNEQUIN
La gestion des édentements terminaux est un problème généralement épineux pour le chirurgien-dentiste. En l'absence de pilier postérieur, une prothèse plurale dento-portée n'est envisageable que dans une minorité de cas cliniques. Lorsque les solutions implantaires ne sont pas possibles, à cause d'obstacles anatomiques, de facteurs de risque généraux ou de la volonté du patient, le praticien a alors souvent recours à une prothèse partielle amovible (PPA).
Mais cette...
Résumé
La complexité anatomique des secteurs postérieurs et le rôle fonctionnel des dents cuspidées absentes font que les édentements terminaux sont parmi les édentements les plus complexes à gérer. Si l'implantologie représente aujourd'hui une solution fiable, efficace et confortable, elle présente encore beaucoup de limitations. La prothèse plurale fixée étant impossible sans pilier postérieur, ces cas sont donc souvent traités par prothèse partielle amovible, avec tous les défauts que cela implique. Selon les études, près d'un tiers des patients traités par prothèse partielle adjointe s'en plaignent, voire arrêtent de les porter. L'alternative d'une arcade courte, entre 20 et 24 dents en occlusion, est proposée depuis les années 1980. Elle apparaît, d'après une revue de la littérature, comme une alternative fonctionnellement satisfaisante, à condition de respecter certaines règles et d'accepter les limitations qui en découlent.
La gestion des édentements terminaux est un problème généralement épineux pour le chirurgien-dentiste. En l'absence de pilier postérieur, une prothèse plurale dento-portée n'est envisageable que dans une minorité de cas cliniques. Lorsque les solutions implantaires ne sont pas possibles, à cause d'obstacles anatomiques, de facteurs de risque généraux ou de la volonté du patient, le praticien a alors souvent recours à une prothèse partielle amovible (PPA).
Mais cette solution, si elle a le mérite d'être peu onéreuse et relativement simple à mettre en œuvre, est loin d'être parfaite pour les patients. Sans éléments postérieurs stabilisant, les selles en extension sont particulièrement soumises à des mouvements lors de la fonction occlusale. Tabet a décrit, en 1961, six mouvements possibles pour ces selles, trois translations et trois rotations. Ces mouvements peuvent alors entraîner des désinsertions de la prothèse, des tassements alimentaires sous les selles et une instabilité occlusale qui nuisent au confort du patient.
Ainsi, lors d'études sur des sujets porteurs de PPA bilatérales postérieures, Witter et al. notent près de 40 % des patients insatisfaits de leurs prothèses partielles [1]. Jepson et al., eux, relèvent une proportion de patients ne portant plus leurs prothèses de 25 % parmi leurs 273 patients [2].
Face à des constats similaires d'absence de port des prothèses chez leurs patients, des auteurs se sont alors penchés sur la possibilité de fonctionner avec une table occlusale raccourcie.
Les concepts d'arcade courte (AC ou SDA pour shortened dental arch) ont été décrits pour la première fois par Kayser en 1981 [3]. Il s'agit de la possibilité de fonctionner avec une table occlusale réduite à 20 dents fonctionnelles. Ce chiffre a, depuis, été repris par l'Organisation mondiale de la santé en 1992, comme objectif de santé bucco-dentaire à 80 ans [4].
Pour classifier les différentes arcades courtes, Kayser s'est appuyé sur le concept d'unités occlusales (UO ou OU pour occlusal units) (fig. 1). Un couple de prémolaires en occlusion représente 1 UO, tandis qu'un couple de molaires représente 2 UO. Les arcades courtes s'échelonnent alors entre 3 et 6 UO.
Logiquement, une diminution du nombre d'unités occlusales entraîne une diminution des capacités masticatrices des patients. Toutefois, cette diminution n'est pas linéaire, et se fait de façon plus rapide en dessous de 4 UO.
D'après les résultats d'une étude sur 850 patients menée par Sarita en 2003, la difficulté à mastiquer les aliments durs, pour les patients, augmente très nettement à partir de l'absence totale de molaires fonctionnelles (SDA II, soit 3 à 4 UO), ou en cas d'édentements asymétriques (fig. 2) [6].
La question peut se poser sur une éventuelle nocivité de fonctionner en arcade courte, au niveau de l'appareil manducateur ou des dents restantes.
Sur le plan articulaire, aucune étude n'a pu prouver qu'une arcade courte apportait un risque supplémentaire de trouble des articulations temporo-mandibulaires [7-9].
Sur le plan dentaire, en l'absence de molaires, deux conséquences occlusales majeures ont été décrites : une augmentation des contacts antérieurs en OIM et un allongement des arcades par migration des dents postérieures. Dans les cas les plus extrêmes d'arcade courte, chez les sujets atteints de parodontopathies ou chez les patients les plus âgés, cette surcharge antérieure peut s'accompagner d'un espacement des dents du bloc antérieur maxillaire voire d'une perte de DVO. Toutefois, chez le sujet jeune (avant 40 ans), ces phénomènes sont considérés comme minimes [3, 5, 7, 10, 11]. La présence de diastèmes plus importants, et donc le risque de tassements alimentaires, augmente néanmoins le risque carieux et parodontal chez ces patients.
Sur le plan cérébral, deux études, de Shoi et al. et Kamiya et al. [12, 13], ont démontré une activité cérébrale différente, lors de la mastication, chez les patients présentant des molaires et chez ceux en AC. La présence d'une zone du cortex, au niveau du gyrus frontal moyen, qui n'est activée que si des molaires subsistent, pourrait expliquer pourquoi la mastication est beaucoup plus difficile en dessous de 4 UO.
Face à ces données, on constate la nette diminution des performances masticatrices en arcade courte. Pour comprendre où est l'intérêt de ces solutions, il faut observer l'impact du port d'une PPA sur ces performances.
Les performances masticatrices d'un patient dépendent de deux facteurs : la force occlusale générée, et la fréquence masticatoire. Plus ces valeurs seront élevées, plus la réduction du bol alimentaire sera efficace.
Sur le plan de la force occlusale (FO), Aras et al. et Kamiya et al. ont montré une très nette diminution des forces occlusales exercées par les patients en arcade courte (FO = 304,8 þ 104,2 N) par rapport aux patients en arcade complète (FO = 1200,7 þ 642,3 N). Toutefois, ils n'ont pas pu montrer de différence significative quant à l'amélioration des performances masticatrices apportée par le port de la PPA. En effet, le port de celle-ci permet une augmentation significative des forces occlusales (FO = 638,7 þ 127,0 N), mais ne permet pas de récupérer la force d'un patient en arcade complète [13, 14].
Au niveau des cycles masticatoires, là encore les études montrent que le port d'une prothèse adjointe ne permet qu'une mince augmentation des performances par rapport à une arcade courte. D'après Bessadet et al., la fréquence masticatoire des patients aurait même tendance à diminuer avec le port de la PPA. Ces résultats sont confirmés par ceux de Kamiya et al., qui montrent une augmentation significative de la durée de contraction des muscles masticateurs chez les patients porteurs de PPA, par rapport aux patients en arcade courte ou complète. De plus, avec PPA ou en arcade courte, la taille des particules du bolus en fin de mastication reste dans la norme [13, 15].
Si l'on se base sur les performances masticatoires pures, en termes de force occlusale développée, les études s'accordent sur une diminution des performances en arcade courte, de l'ordre de 50 %. La réhabilitation par prothèse amovible permettant une amélioration de ces performances, on peut se poser la question de l'intérêt d'une solution alternative, telle que l'arcade courte [3, 6, 13-16].
Pour y répondre, il faut regarder les résultats des études se basant sur des critères subjectifs de confort, et non des mesures objectives. En étudiant la qualité de vie des patients édentés, avec ou sans prothèse adjointe, la plupart des études ne montrent pas de différences significatives entre le port des PPA ou la mastication en arcade courte. L'amélioration partielle des performances masticatoires ne semble pas suffisante pour compenser l'inconfort dû aux mouvements de la prothèse, à l'encombrement qu'elle représente en bouche, etc. [1, 14, 17-23].
Malgré les résultats favorables à l'arcade courte, il ne semble pas envisageable d'éliminer les prothèses adjointes de notre arsenal thérapeutique. En présence d'édentements antérieurs ou d'édentements postérieurs de longue étendue, on peut observer que la demande des patients pour une réhabilitation prothétique augmente, ainsi que l'acceptation d'une solution adjointe [19, 24, 25].
De plus, l'arcade courte est une solution qui s'intéresse principalement à la fonction, et qui doit donc toujours être envisagée sur les deux arcades en même temps. La gestion des dents antagonistes aux édentements, s'il y en a, fait partie intégrante de la réflexion nécessaire à cette solution thérapeutique.
Maintenir une dent terminale sur arcade, sans antagoniste, entraînera inévitablement son égression [26]. Cette égression, au fil du temps, entraînera une dégradation du pronostic de la dent, par l'apparition d'interférences occlusales et par la diminution du point de contact proximal qui augmentera les tassements alimentaires, et donc le risque carieux et parodontal. Ne pas réhabiliter un édentement qui fait face à des dents au bon pronostic, en particulier chez le patient jeune, pourrait donc se transformer en perte de chance à moyen ou long terme, quand la solution implantaire pourrait être envisagée. Par contre, face à des dents de piètre qualité, ou chez le patient âgé, procéder à des avulsions pour atteindre une arcade courte semblera plus intéressant.
La conclusion que l'on peut tirer de ces études est que la réhabilitation en arcade courte est, aujourd'hui, une solution thérapeutique tout à fait convenable, à condition de respecter ses indications et que le patient soit prêt à certains compromis.
La solution implantaire apparaît, lorsqu'elle est possible, comme supérieure aux arcades courtes, car elle permet de rétablir une arcade complète. Il est toutefois bon de noter qu'une arcade raccourcie aux premières molaires présente des performances quasi-identiques à une arcade complète, et semble donc être l'objectif thérapeutique au meilleur rapport bénéfice/risque/coût.
Lorsqu'une solution amovible est envisagée, par contre, il paraît judicieux d'analyser la situation pour déterminer si une arcade courte ne serait pas plus bénéfique pour le patient (fig. 3).
Pour permettre une fonction acceptable, un nombre suffisant d'unités occlusales doit être présent, avec une nette amélioration des performances si un couple de molaires peut être maintenu. Les notions de symétrie et d'antagonisme sont aussi à prendre en compte.
Enfin, le patient doit être conscient de la diminution de la force occlusale en arcade courte, et être prêt à faire des compromis sur la durée de mastication de certains aliments. Si le compromis n'est pas possible pour lui, les solutions amovibles ne permettront pas, non plus, une compensation totale des performances et seules les solutions implantaires permettront une réelle amélioration sur ces problématiques.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Cyril Fratta – ancien attaché à la faculté de chirurgie dentaire de Toulouse, service de prothèses
Bertrand Champion – AHU
Service de prothèses
Faculté de chirurgie dentaire
Toulouse
Florent Destruhaut – MCU-PH
Expert près la Cour d'Appel de Toulouse, co-responsable du DUORAM (DU d'occlusodontologie et réhabilitation de l'appareil manducateur)
Toulouse
Antonin Hennequin – Exercice privé, AHU, co-responsable du DUORAM (DU d'occlusodontologie et réhabilitation de l'appareil manducateur)
Toulouse