Prothèse amovible
C. Mense / P. Tavitian / O. Hüe / M. Ruquet
La réhabilitation d'une mandibule totalement édentée, fortement résorbée, avec des thérapeutiques classiques de prothèses amovibles constitue un défi très difficile à relever pour le praticien et donne souvent de mauvais résultats en termes de satisfaction, de confort, de stabilité et d'efficacité masticatoire [1].
Par le passé, ces problèmes pouvaient être amoindris grâce à la conservation de racines sous-prothétiques...
Résumé
Les mini-implants représentent une alternative thérapeutique aux implants classiques tels qu'ils ont été proposés suite au consensus de Mc Gill. Leur mise en place est plus rapide, relativement plus simple, réduisant les suites opératoires. Cliniquement, leur utilisation améliore la mastication et le confort. À long terme, les complications sont assez comparables à celles rencontrées avec les prothèses faisant appel à des compléments de rétentions à l'aide d'implants conventionnels. En conclusion, cette solution thérapeutique représente une alternative aux implants classiques, qui peut être proposée en réponse aux difficultés éprouvées par les patients porteurs de prothèses amovibles instables.
La réhabilitation d'une mandibule totalement édentée, fortement résorbée, avec des thérapeutiques classiques de prothèses amovibles constitue un défi très difficile à relever pour le praticien et donne souvent de mauvais résultats en termes de satisfaction, de confort, de stabilité et d'efficacité masticatoire [1].
Par le passé, ces problèmes pouvaient être amoindris grâce à la conservation de racines sous-prothétiques servant de moyen de rétention complémentaire [2]. Puis, peu à peu, suite à la publication du consensus de Mc Gill de 2002, les thérapeutiques implantaires sont apparues et sont devenues incontestables et incontestées [3]. Elles permettent de diminuer la résorption osseuse, d'augmenter l'efficacité masticatoire et d'accroître le confort des patients.
Cependant, chez certains patients, la mise en place d'implants dits standard se révèle être impossible du fait de la lourdeur des protocoles, des suites chirurgicales, parfois d'une quantité insuffisante d'os ou encore pour des raisons économiques.
Dans ce contexte, l'existence de mini-implants offre une alternative thérapeutique intéressante chez les patients édentés totaux bi-maxillaires, porteurs de prothèses amovibles complètes maxillaires et uniquement dans ces cas [2, 4].
Quelles sont les caractéristiques des mini-implants ? Quel protocole chirurgical et prothétique le praticien doit-il appliquer ? Quels sont les résultats les concernant rapportés dans la littérature ?
Les mini-implants, parfois appelés mini-implants boules, diffèrent des implants standards par leur forme et leur diamètre. Leurs caractéristiques générales sont les suivantes :
• ils sont constitués le plus souvent d'alliages de titane (Ti), d'aluminium (Al) et de valadium (V) ;
• forme : le plus souvent monobloc, ils se composent d'une seule pièce comprenant à la fois l'implant, avec son col prolongé par une boule, et la patrice, qui offrira la rétention [2]. La patrice est le plus souvent orientée dans l'axe de l'implant mais certains fabricants proposent des patrices inclinées à 15o par rapport à l'axe de l'implant. Ils peuvent être également bi-composants (corps indépendant de la superstructure prothétique).
Ils sont destinés à la mise en charge immédiate ; les caractéristiques intra-osseuses sont :
• des filetages asymétriques destinés à améliorer la stabilité primaire et, pour certains types d'implants, un filetage différent juxta-cervical de manière à favoriser une stabilisation primaire au niveau de la corticale ;
• un état de surface rugueux obtenu par sablage et mordançage afin d'augmenter la surface de contact os/implant ;
• un col transmuqueux usiné lisse et évasé permettant une meilleure maturation des tissus mous péri-implantaires ainsi qu'une meilleure adhésion de la muqueuse sur le col implantaire. D'autres mini-implants présentent au niveau cervical une forme type plateform-switching ;
• dimension : on parle de mini-implants pour un diamètre inférieur ou égal à 3 mm. Le diamètre peut varier de 1,8 à 3 mm, les longueurs de 7 à 18 mm, selon les marques (fig. 1 à 3). Conçu pour recevoir des attachements O'Ring, le diamètre de l'extrémité « boule » est de 2,25 mm.
• En présence d'une crête édentée fortement résorbée, si la quantité osseuse disponible est insuffisante à la pose d'implants standards.
• Lors de contre-indications médicales à la réalisation de greffe en onlay.
• Pour des raisons économiques.
Ces implants sont auto-taraudants et la trousse nécessaire à leur mise en place est réduite, comprenant souvent un forêt unique (fig. 4 et 5).
D'après la littérature, la pose de ces implants peut s'effectuer avec ou sans décollement muqueux. Les fabricants conseillent la pose sans lambeau et la décrivent comme un atout majeur des mini-implants. Du fait de l'application d'un protocole chirurgical restreint, avec l'utilisation d'un foret le plus souvent unique, le temps dévolu à l'intervention est plus rapide, ce qui réduit les suites opératoires.
Si ce protocole peut trouver son indication en présence de crêtes résorbées (classes V et VI), l'expérience du praticien demeure le facteur essentiel dans la réussite de cette technique. En effet, les risques chirurgicaux demeurent et l'utilisation d'un guide chirurgical semble s'imposer (fig. 6 à 10).
A contrario, en présence de crêtes très fines (classe V et IV et V de Atwood et de Cawood), la chirurgie avec un lambeau devrait être privilégiée, voire s'imposer. Cela permet d'avoir un accès direct à la crête, d'évaluer sa morphologie, de pratiquer éventuellement une ostéoplastie et d'éviter tout risque de fenestration osseuse ainsi que les obstacles anatomiques (artère linguale) (fig. 11 à 21).
Les études préconisent la pose de 4 implants inter-foraminaux, répartis de façon symétrique par rapport au plan sagittal médian. Les implants distaux sont placés, en premier, au niveau des canines ou des premières prémolaires : leur position antéro-postérieure va dépendre de la position de la partie antérieure de la crosse du nerf alvéolaire inférieur en tenant compte des distances de sécurité. Quant aux deux implants centraux, ils sont placés de façon symétrique au niveau des incisives latérales [5, 6].
Du fait de leur diamètre réduit, leur longueur intra-osseuse doit être maximale, associée à un couple de serrage suffisant sur l'ensemble des implants si une mise en charge immédiate est prévue [5].
La mise en charge immédiate des implants stimule l'ostéogenèse en assurant la transmission des forces de mastication au niveau osseux [7]. La néoformation de capillaires sanguins osseux sur le site chirurgical est favorisée et la densité de l'os péri-implantaire est accrue par rapport à une mise en charge différée [8]. La suppression de la phase d'attente, entre la pose des implants et la pose de la prothèse, évite le port d'une prothèse transitoire, améliore le confort du patient, permet une meilleure mastication et donc une meilleure acceptation du traitement [7].
Lors de la phase chirurgicale, 4 paramètres doivent être pris en compte.
• Le parallélisme : les implants doivent être positionnés le plus parallèlement possible. Les attachements axiaux faisant partie intégrante de l'implant, aucune erreur d'axe ne pourra être tolérée, au risque d'une usure rapide et importante des attachements ou, même, de l'impossibilité d'insérer la prothèse en bouche.
• La répartition : limitée postérieurement par la crosse du canal dentaire, la place des implants distaux est « fixée ». Il incombe au chirurgien de répartir les deux autres de manière la plus équilibrée possible.
• La hauteur : idéalement, dans le sens vertical, les têtes des implants devraient se situer au même niveau. Cependant, dans la mesure où ces implants sont de type monobloc, il est très difficile de répondre à cette exigence biomécanique. De plus, si le choix de l'enfoncement de l'implant est lié à un ajustement au « niveau muqueux », le corps de l'implant ne sera pas entièrement intra-osseux ; a contrario, si le « niveau osseux » est choisi comme référence, la patrice se trouvera trop enfouie dans la muqueuse (fig. 22 à fig. 24).
• L'orientation : pour limiter les forces subies par les mini-implants, ceux-ci doivent être, dans la mesure du possible, positionnés dans l'axe des forces de mastication.
Pour stabiliser une prothèse amovible complète conventionnelle mandibulaire, les auteurs conseillent la mise en place de 4 mini-implants dans la zone symphysaire. Ces implants sont connectés à la prothèse soit par des attachements O'Ring, soit par un silicone de type « base molle » [2-4].
Pour la réalisation de la prothèse, deux situations sont envisageables :
• soit la prothèse est réalisée de manière conventionnelle après l'ostéo-intégration des implants. Cette éventualité est rare car ce type d'implant est souvent utilisé dans un deuxième temps ;
• soit la prothèse amovible complète conventionnelle a été préalablement réalisée en respectant les règles de l'art ; dans la mesure où la mise en charge immédiate est possible, sa transformation en prothèse supra-implantaire peut se faire de manière directe ou indirecte.
Technique directe. La solidarisation se réalise directement in situ. Les attachements étant positionnés sur les parties rétentives, l'intrados prothétique est évidé puis la prothèse est replacée sur sa surface d'appui pour contrôler sa parfaite mise en place, sans aucune interférence avec les matrices rétentives. Afin d'isoler la surface d'appui muqueuse et d'éviter toute fusée de la résine de solidarisation, de la feuille d'étain est découpée puis appliquée sur les implants et la muqueuse. La feuille d'étain présente l'avantage de pouvoir être plaquée, voire « brunie », contrairement à la feuille de digue qui demeure par essence même élastique. Garnie de résine chémopolymérisable, la prothèse est remise en place, l'occlusion est contrôlée et les excédents sont éliminés. La polymérisation terminée, la prothèse est retirée, l'intrados est nettoyé et les aspérités sont éliminées. La prothèse est remise en place et le patient est libéré (fig. 25 à 29).
Technique indirecte. La technique consiste à prendre l'empreinte des patrices supra-implantaires à l'aide de la prothèse existante, d'obtenir un modèle de travail puis, au laboratoire, de solidariser les matrices à la prothèse. Dans un premier temps, la prothèse est évidée en regard des implants. La partie évidée est enduite de l'adhésif adapté au matériau à empreinte choisi, puis l'empreinte des patrices est réalisée, sous pression occlusale. Les polyéthers, tel l'Impregum®, sont les mieux adaptés en raison de leur rigidité. Après prise du matériau, les analogues ou répliques d'implants sont placés dans l'empreinte, puis la phase de laboratoire se déroule selon les séquences habituelles : coulée du modèle, solidarisation des attachements à la résine et, surtout, polymérisation qui s'effectue sous une pression de 2 bars dans une cocotte à pression (fig. 30 à 37).
La transformation de la prothèse au laboratoire et non in situ, directement dans la cavité buccale, présente plusieurs avantages.
• Lors d'une solidarisation directement au fauteuil, il y a un risque majeur de fusée de résine sous les attachements, dans les zones de contre-dépouilles. Cela rendrait impossible la désinsertion de la prothèse, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer (meulage plus ou moins important de la prothèse, recherche d'une fracture de la base, etc.). La protection des contre-dépouilles à l'aide d'une feuille de digue répond à ces risques mais l'élasticité de cette dernière peut provoquer le déplacement des matrices.
• Positions des matrices : dans la cavité buccale, les matrices posées sur les patrices peuvent avoir un mouvement d'oscillation autour des sphères de rétention lors de la mise en place de la prothèse garnie de résine. Ces déplacements peuvent interférer avec l'axe d'insertion et générer une usure prématurée [9]. Au laboratoire, les attachements sont positionnés et surtout fixés de manière parfaite, évitant tout déplacement lors de la mise en place de la résine.
• Les propriétés mécaniques et physico-chimiques de la résine chémopolymérisable sont différentes de celles de la résine thermopolymérisable. Il en est de même concernant la résistance à la rupture, la mouillabilité, la rétraction de prise et l'exothermie de polymérisation. La composition chimique, le volume du mélange poudre-liquide et la préparation de la résine interviennent sur ces paramètres. De plus, la présence inévitable de la salive lors de la mise en œuvre risque de polluer le mélange de résine pendant toute la durée de la polymérisation [10].
• Le polissage de la résine est difficile et, de ce fait, elle est plus facilement colonisable par les Candida du fait de sa porosité [10].
Les avantages sont nombreux [2, 7].
• La rapidité de la séquence chirurgicale entraîne une réduction des suites opératoires.
• On évite les greffes osseuses en onlay, ce qui réduit la durée, le coût du traitement ainsi que les complications qui y sont associées.
• Les mini-implants sont souvent utilisables dans des conditions cliniques extrêmes, en particulier dans les cas de crêtes fortement résorbées et étroites.
• La possibilité de réaliser un protocole de mise en charge immédiate se traduit par un bénéfice immédiat pour le patient. La fonction, le confort et l'esthétique sont ainsi améliorés dès le premier jour.
• L'amélioration du confort et de l'efficacité masticatoire va également avoir des conséquences, non négligeables, sur la qualité de vie du patient.
• Les mini-implants peuvent être proposés à un coût plus faible que celui des implants conventionnels.
Un certain nombre d'inconvénients peuvent être mentionnés [2].
• Ils ne sont pas indiqués en présence d'os de faible densité.
• L'utilisation d'un seul foret lors de la chirurgie implique que l'axe des implants doit être correct du premier coup. Aucune erreur de parallélisme ne pourra être tolérée.
• La chirurgie dite « sans lambeau » implique une expérience accrue de la part du praticien. La pose de mini-implants ne doit pas être considérée comme un acte facile par lequel on peut débuter en implantologie.
• Les mini-implants sont des implants de type monobloc. Le pilier prothétique étant intégré à l'implant, la partie mâle de l'attachement ne peut être changée en cas d'usure. Il faut donc jouer sur la taille et la dureté de l'anneau en caoutchouc O'Ring®. De ce fait, il serait peut-être souhaitable de trouver un autre système de connexion implant/prothèse plus facile à gérer au niveau des forces de rétention, par exemple le système d'attachement Locator®.
La pose de 4 ou 6 mini-implants peut être considérée comme une bonne option thérapeutique complémentaire pour réhabiliter, respectivement, une arcade mandibulaire édentée, plus rarement maxillaire, avec une prothèse complète amovible quand les thérapeutiques conventionnelles ne peuvent pas être proposées [7, 11].
Les mini-implants ont pendant longtemps été considérés comme des implants de transition. Cependant, avec leur taux de survie très important, ils ont prouvé qu'ils pouvaient être bien plus que des implants provisoires [12]. En effet, plusieurs études montrent des taux de survie variant de 93 % à 100 % avec des reculs allant de 1 à 7 ans. De même, les résultats sont bons aux niveaux de la perte osseuse péri-implantaire, de satisfaction des patients et de qualité de vie [11].
D'un point de vue chirurgical, il est conseillé de réaliser un décollement a minima, afin d'avoir une vue directe sur la crête édentée. Il peut exister une différence entre ce que le praticien voit sur l'imagerie en 3D et la réalité clinique. Cette pratique permet, si nécessaire, d'améliorer la morphologie de la crête avant la pose des implants.
Quand les conditions osseuses et la stabilité primaire des implants le permettent, il est préférable de réaliser un protocole de mise en charge immédiate. En plus d'améliorer le confort du patient, cela entraîne une stimulation osseuse alors que le frottement d'une prothèse amovible complète conventionnelle pendant l'ostéo-intégration des implants peut entraîner leur perte.
D'un point de vue prothétique et pour toutes les raisons citées précédemment, il faudra privilégier la transformation de la prothèse au laboratoire et non directement en bouche avec de la résine auto-polymérisable [10].
Les mini-implants constituent une alternative de traitement supplémentaire dans l'arsenal thérapeutique de l'édentement total. Ils offrent la possibilité au praticien de traiter des cas pour lesquels il n'existait pas de solutions satisfaisantes dans le cadre de thérapeutiques standards (état de santé, critères anatomiques et financiers). Les indications pour ce type de traitement sont précises chez l'édenté complet et la mise en place de ces implants nécessite une certaine expérience de la part du praticien.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Chloë Mense – AHU
Service d'odontologie Hôpital de la Timone, UFR d'odontologie, Aix-Marseille Université
Patrick Tavitian – MCU-PH
Service d'odontologie Hôpital de la Timone, UFR d'odontologie, Aix-Marseille Université
Olivier Hüe – Professeur des Universités « Émérite »
UFR d'odontologie, Aix-Marseille Université
Michel Ruquet – Professeur des Universités, Praticien hospitalier
Service d'odontologie Hôpital de la Timone, UFR d'odontologie, Aix-Marseille Université