Les cahiers de prothèse n° 182 du 01/06/2018

 

Occlusion

A.C. N'DINDIN   D.M. PESSON   K.A. KOUAME   K.M. KOUAME   K. J.-C. N'CHO   K. KOUADIO   E.H.B. M'BODJ   K.B. DJEREDOU   K.D. ASSI   B. GIUMELLI  

La plupart des études sur le plan d'occlusion prothétique font de plus en plus appel à l'usage de la téléradiographie dont les progrès sans cesse croissants garantissent des analyses céphalométriques fiables [1, 2]. Cependant, les avis restent partagés sur les paramètres anatomiques devant servir de référence à la détermination et à la réalisation du plan d'occlusion [

Résumé

Résumé

Le choix du point Xi de Ricketts comme repère anatomique postérieur pour la détermination et la conception du plan d'occlusion prothétique est très controversé. La présente étude se propose d'analyser l'évolution de sa situation par rapport au plan d'occlusion sagittal aux différents stades de la denture qui caractérisent la maturation de l'appareil manducateur, et ce dans le but de contribuer à une meilleure évaluation de son intérêt occluso-prothétique chez le sujet africain mélanoderme.

Pour ce faire, une étude céphalométrique transversale a été réalisée chez 120 sujets répartis en denture temporaire stricte, en denture mixte stable, en denture adulte jeune et en denture adulte permanente (éruption de la dent de sagesse).

Les résultats de cette étude mettent en évidence les observations suivantes :

– d'une part, la tendance évolutive du point Xi de Ricketts par rapport au plan d'occlusion sagittal au cours des différents stades de la denture chez le sujet africain mélanoderme est inversée par rapport au sujet caucasien. Le point Xi de Ricketts est situé en-dessous du plan d'occlusion en denture temporaire puis évolue progressivement pour se retrouver au-dessus de lui chez l'adulte ;

– d'autre part, quel que soit le stade de la denture, sa position est très variable et le plan d'occlusion sagittal ne passe que très rarement par ce point.

De ce fait, il ne peut constituer un repère postérieur fiable pour la détermination du plan d'occlusion en prothèse adjointe ou fixée chez le sujet africain mélanoderme.

La plupart des études sur le plan d'occlusion prothétique font de plus en plus appel à l'usage de la téléradiographie dont les progrès sans cesse croissants garantissent des analyses céphalométriques fiables [1, 2]. Cependant, les avis restent partagés sur les paramètres anatomiques devant servir de référence à la détermination et à la réalisation du plan d'occlusion [3-5].

Il en est ainsi de la position du point Xi dont la situation par rapport au plan d'occlusion est très controversée.

Pour Ricketts, à la courbe de Spee près, les plans occlusaux supérieurs et inférieurs sur lesquels s'exercent les efforts de mastication semblent devoir être assimilés à des parallèles coupant la branche montante mandibulaire plus ou moins près du point Xi et de l'épine de Spix, selon l'âge et le développement du patient. Dans ce sens, de nombreux auteurs [6] en accord avec Ricketts ont soutenu que le plan d'occlusion passe nécessairement par le point Xi et l'ont même proposé comme repère postérieur pour la détermination du plan d'occlusion prothétique.

Pour d'autres auteurs [3, 4], l'usage de ce point comme repère postérieur lors de la conception et du transfert du plan d'occlusion en prothèse paraît contestable. Leurs arguments reposent sur le fait que la position du point Xi est très variable par rapport au plan d'occlusion.

La présente étude se propose d'analyser l'évolution de la position du point Xi de Ricketts par rapport au plan d'occlusion au cours des différents stades de la denture qui caractérisent la maturation de l'appareil manducateur, en vue de contribuer à une meilleure évaluation de son intérêt occluso-prothétique chez le sujet africain mélanoderme.

MATÉRIELS ET MÉTHODES

Population d'étude et échantillonnage

Cette étude a été réalisée au sein d'une population ivoirienne de race noire. Les sujets ont été sélectionnés selon les critères d'inclusion et de non-inclusion suivants.

Critères d'inclusion

– Être en denture complète pour chaque type de denture.

– Être en normoclusion de classe 1 d'angle canine et molaire.

– Ne pas avoir de caries, ni restaurations occlusales.

– N'avoir jamais subi de traitement orthodontique.

– N'avoir aucune reconstruction prothétique coronaire.

– Ne présenter aucune pathologie parodontale et articulaire.

Critères de non-inclusion

N'ont pas été retenus pour cette étude, les sujets :

– non de race noire ;

– de race noire :

• dentés, en classe II ou III d'Angle,

• dentés, ayant subi un traitement de correction orthodontique,

• dentés, présentant des caries et ou des restaurations, ou des reconstructions prothétiques occlusales,

• dentés, présentant des troubles articulaires et des pathologies parodontales,

• édentés ou porteurs de prothèses adjointes.

Sur la base de ces critères, 120 sujets répartis comme suit ont été sélectionnés :

– 30 enfants en denture temporaire stricte ;

– 30 enfants en denture mixte stable (éruption de la première molaire permanente) ;

– 30 adolescents en denture adulte jeune (éruption de deuxième molaire permanente) ;

– 30 adultes en denture permanente (éruption de la dent de sagesse).

Les enfants et les adolescents ont été recrutés dans un établissement secondaire de la commune de Cocody à Abidjan et les adultes ont été retenus au sein d'une population d'étudiants de l'université de Cocody.

Moyens radiographiques

Matériel

– Films Kodak T MATG 18 cm x 24 cm.

– Appareillage radiologique de type Odontorama PC 100.

– Cassette porte – film type Kodak X – Omatic Regular.

– Bains de développement Kodak X.O MAT.

Protocole

Pour chaque sujet, il a été réalisé un cliché radiographique de profil en occlusion habituelle d'intercuspidation maximale, la tête orientée par rapport au plan de Franckfort.

L'incidence en norma lateralis perpendiculaire au plan sagittal médian a été effectuée à une distance focale de 3,5 m pour une distance objet-image fixée à 15 cm. À cette distance, la déformation est considérée comme suffisamment négligeable pour y relever des mesures fiables. Tous les clichés ont été réalisés par le même opérateur. Le repérage des structures de la base du crâne, du massif facial supérieur et de la mandibule a permis de réaliser les tracés céphalométriques. Tous les tracés ont été effectués par le même opérateur et soumis à vérification.

Tracés céphalométriques

Matériel

– Négatoscope.

– Papier calque transparent de type Kodatrace, ruban adhésif.

– Crayon type critérium à mine HB de 5 / 10e mm de diamètre, gomme.

– Règle, équerre, et rapporteur transparents.

Points et plan

– Sommet des cuspides disto-vestibulaires de la 4 et de la 5 inférieures, pour la denture temporaire.

– Sommet de la cuspide disto-vestibulaire de la 6 inférieure, pour la denture mixte stable.

– Sommet des cuspides disto-vestibulaires de la 6 et de la 7 inférieures pour la denture adulte jeune.

– Point incisive inférieure pour tous les types de denture.

– Plan d'occlusion (PO) : droite passant par le milieu de recouvrement des premières molaires et des incisives centrales.

– Xi : Point Xi de Ricketts ; c'est un point construit qui correspond au centre géométrique de la branche montante de l'os mandibulaire.

Mesure de la distance Xi – plan d'occlusion (Xi-PO)

Xi-PO donne la situation du point Xi de Ricketts par rapport au plan d'occlusion. Lorsque Xi est au-dessus de PO, la valeur Xi-PO est positive. Elle est négative lorsque Xi est en dessous de PO (fig. 1).

Sur chaque téléradiographie, nous avons mesuré Xi-PO : 

– en denture temporaire, soit 30 mensurations pour les 30 sujets ;

– en denture mixte stable, soit 30 mensurations pour les 30 sujets ;

– en denture adulte jeune, 30 mensurations pour les 30 sujets ;

– en denture adulte, soit 30 mensurations pour les 30 sujets.

Pour l'ensemble de l'échantillon, 120 mensurations ont été effectuées.

MÉTHODES STATISTIQUES

Les données recueillies ont été saisies et traitées sous EPI INFO 6. Chaque variable a été soumise à une analyse statistique descriptive qui a permis de dégager :

– les valeurs minimale et maximale qui sont respectivement la plus petite et la plus grande valeur de la série statistique ;

– l'amplitude : différence entre le maximum et minimum ;

– la moyenne et l'écart type.

RÉSULTATS

– En denture temporaire, la distance moyenne de Xi-PO est de – 2,2 mm ± 2,7 ;

– En denture mixte stable, la distance moyenne de Xi-PO est de – 1,9 mm ± 2,3 ;

– En denture adulte jeune, la distance moyenne de Xi-PO est de – 0,9 mm ± 2,8 ;

– En denture adulte, la distance moyenne de Xi-PO est de – 2,5 mm ± 2,9 (fig. 2 et tableau 1).

Discussion

Les résultats de cette étude permettent de faire les observations suivantes (fig. 3) :

– en denture temporaire, 10 % des plans d'occlusion passent par Xi, 13,3 % au-dessus de Xi et 76,7 % en dessous de Xi ;

– en denture mixte stable, le plan d'occlusion ne passe pas par Xi, 20 % des plans d'occlusion passent au-dessus de Xi et 80 % en dessous de Xi ;

– en denture adulte jeune, 76,7 % des plans d'occlusion passent par Xi, 36,6 % au-dessus de Xi et 56,6 % en dessous de Xi ;

– en denture adulte, 10 % des plans d'occlusion passent par Xi, 70 % des plans d'occlusion sont au-dessus de Xi et 20 % en dessous de Xi.

Sinan [7], en 1994, a rapporté les mêmes proportions en denture adulte, avec 69 % des plans d'occlusion de son échantillon (N = 100) situés au-dessus du point Xi, 24 % en dessous, et 7 % passant par ce point. Il en est de même chez Djeredou [8] en 1997 avec respectivement 70 %, 23,3 % et 6,7 % (N = 30). Ake [4], en 1997, avec 54,3 %, 41,4 % et 4,3 % (N = 22), puis Acka [9] en 2001, avec 56 %, 40 % et 4 % (N = 50), ont confirmé cette tendance chez le sujet africain mélanoderme. Il importe de préciser que les sujets de l'échantillon de Sinan [7], Djeredou [8] et Acka [9] étaient tous en denture naturelle complète comme les sujets de la présente étude. Tandis que l'échantillon de Ake [4] était constitué exclusivement de sujets édentés complets.

D'une façon générale, le point Xi chez le sujet africain mélanoderme est situé en dessous du plan d'occlusion :

– en denture temporaire, avec une moyenne de Xi-PO égale à – 2,2 mm ;

– en denture mixte, avec une moyenne de Xi-PO égale à – 1,9 mm ;

– en denture adulte jeune, avec une moyenne de Xi-PO égale à – 0,9 mm. 

Par contre, en denture adulte, le point Xi est situé au-dessus du plan d'occlusion avec une moyenne de Xi-PO égale à 2,6 mm. Ce résultat se situe dans l'intervalle des valeurs de Djeredou (2,4 mm) [8] et de Sinan (2,7 mm) [7].

Tous ces résultats inspirent plusieurs remarques.

D'abord, de toute évidence, la position du point Xi évolue au cours de la dentition. Toutefois, la tendance évolutive observée dans notre échantillon n'est pas la même chez le sujet caucasien. En effet, Ricketts cité par Andrew a montré que la distance Xi-PO varie au cours de la croissance de 0,5 mm par ans, et que le point Xi se situe au-dessus du plan d'occlusion à 8 ans, passe par ce plan à 10 ans, et se retrouve en dessous de lui après 12 ans. De ce fait, à l'âge adulte, le point Xi chez le sujet caucasien est situé en dessous du plan d'occlusion fonctionnel, contrairement au sujet africain où il se retrouve au-dessus de lui comme le montrent nos résultats, attestés par les études antérieures [7, 8].

Ensuite, c'est à PO = Xi que les plus faibles pourcentages sont enregistrés à tous les stades de la denture dans notre étude, mais aussi par tous les auteurs qui ont étudié les relations entre les points Xi et le plan d'occlusion chez l'adulte africain mélanoderme [4, 8]. Ce qui montre que le plan d'occlusion ne passe pas systématiquement par Xi comme l'ont rapporté certains auteurs [10].

Enfin, quel que soit le stade de la denture, il y a une importante variation individuelle de la situation du plan d'occlusion par rapport au point Xi. En denture adulte particulièrement, plusieurs auteurs l'ont également observé [3, 7].

De tout ce qui précède, il est possible de déduire que le point Xi ne peut pas constituer un repère anatomique postérieur fiable pour la détermination du plan d'occlusion prothétique chez le sujet africain mélanoderme.

Conclusion

L'étude de l'évolution de la position du point Xi de Ricketts par rapport au plan d'occlusion au cours des différents stades de la denture chez le sujet africain mélanoderme met en évidence deux observations intéressantes.

D'une part, la tendance évolutive de ce point chez le sujet africain mélanoderme est inversée par rapport au sujet caucasien. Il est d'abord situé en dessous du plan d'occlusion en denture temporaire, puis évolue progressivement pour se retrouver au-dessus de lui chez l'adulte.

D'autre part, quel que soit le stade de la denture, sa position est très variable et le plan d'occlusion ne passe que très rarement par ce point.

En outre, Bae et al. [11] en 2014 ont montré que la position du point Xi de Ricketts diffère selon le sexe.

De ce fait, il ne constitue pas un repère postérieur fiable pour la détermination du plan d'occlusion prothétique chez le sujet africain mélanoderme.

Bibliographie

  • 1 Affentranger M. La courbe sagittale d'occlusion ; profondeur et orientation céphalométrique : enquête statistique. Thèse 3e Cycle en Science Odontologiques Montpellier. 1988.
  • 2 Mangamana BK. Contribution à l'étude céphalométrique de l'orientation du plan d'occlusion prothétique sur une population Africaine. Thèse Chir Dent, Dakar, 1983.
  • 3 N'Dindin AC, Guinan JC, N'Dindin BA, Assi KD, Lescher J. Étude statistique et céphalométrique du plan référentiel d'occlusion de l'édenté total négro-africain de Côte d'Ivoire. Rev Iv Odontol Stomatol 2006;4:21-29.
  • 4 Ake A. Contribution à l'étude du plan d'occlusion référentiel chez l'édenté total négro-africain de Côte d'Ivoire. Rev Iv Odonto Stomat 2005;1:14-20.
  • 5 Matysiak M. Étude des paramètres influençant la position de la ligne d'occlusion dans le plan sagittal. Bull group Int Rech Science Stomatol Odontol 2005;28:95-118.
  • 6 Migozzi J. Le plan d'occlusion référentiel. Quint Clin Inter 1987;3:189-197.
  • 7 Sinan AA. Contribution à l'étude du plan occlusal référentiel chez le sujet négro-africain de Côte d'Ivoire. Thèse Chir Dent, Univ. Cocody-Abidjan, 1994.
  • 8 Djeredou KB. Aspects morphologique et fonctionnel de la courbe de SPEE d'une population de type négro-africain : Étude céphalométrique de 30 sujets adultes en classe I d'angle. Rev Iv Odonto Stomat 2006;2:10-18.
  • 9 Acka MM. Le point Xi de Ricketts. Sa valeur comme élément référentiel dans l'orientation du plan d'occlusion chez le sujet noir africain. Rev Iv Odonto Stomat 2006;3:34-40.
  • 10 N'Dindin AC, N'Dindin BA, Guinan JC. Apport de la téléradiographie dans la détermination du plan d'occlusion chez l'édenté total. Rev. Iv. Odonto. Stomat. 2007;1:12-19.
  • 11 Bae EJ, Kwon HJ, Kwon OW. Changes in longitudinal craniofacial growth in subjects with normal occlusions using the Ricketts analysis. Korean J Orthod 2014;44:77-87.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Assiéhué Claude N'Dindin, Delon Müller Pesson, Koffi Alexandre Kouame, Kouassi Mathieu Kouame, Kamon Jean-Claude N'Cho, Kouadio Benjamin Djeredou, Koffi Delman Assi

Département de prothèses et occlusodontie

UFR d'odonto-stomatologie

Université Félix Houphouët-Boigny

22 BP 612 Abidjan 22, Côte d'Ivoire

El Babacar M'Bodj

Département d'odontologie

Service de prothèses dentaires

Faculté de médecine

Université Cheick-Anta-Diop

BP 5005 Dakar-Fann, Sénégal

Kouakou Kouadio, Bernard Giumelli

Département de prothèses

UFR d'odontologie

Université de Nantes

1, place Alexis-Ricordeau

44042 Nantes cedex 1