Pluridisciplinarité : essentielle en 2018
C. DE BATAILLE F. DESTRUHAUT P. POMAR E. TOULOUSE E. VIGARIOS
La prothèse maxillo-faciale (PMF) est une composante de la réhabilitation maxillo-faciale (RMF). Le champ d'activité de la RMF est large, compte tenu de la diversité des pertes de substances (PDS) acquises (traumatologique ou oncologique) ou congénitales du massif facial. La réhabilitation des PDS carcinologiques constitue tout particulièrement un défi, nécessitant une approche globale du patient.
Au travers de cet article, nous nous intéresserons aux thérapeutiques...
Résumé
Les thérapeutiques oncologiques spécifiques (chirurgie-radiothérapie-chimiothérapie-thérapie ciblée et immunothérapie) sont en évolution permanente. Ceci implique une formation continue des praticiens sur les modalités et les toxicités de ces thérapeutiques afin de les prendre en considération lors des réhabilitations.
Parallèlement, les soins oncologiques de support sont omniprésents pendant tous les temps thérapeutiques. Ils représentent ainsi un moyen de communication et de coordination entre les différents intervenants, améliorant la prise en charge oncologique des patients.
La prothèse maxillo-faciale doit s'intégrer totalement dans les soins oncologiques de support pour assurer une continuité thérapeutique.
La prothèse maxillo-faciale (PMF) est une composante de la réhabilitation maxillo-faciale (RMF). Le champ d'activité de la RMF est large, compte tenu de la diversité des pertes de substances (PDS) acquises (traumatologique ou oncologique) ou congénitales du massif facial. La réhabilitation des PDS carcinologiques constitue tout particulièrement un défi, nécessitant une approche globale du patient.
Au travers de cet article, nous nous intéresserons aux thérapeutiques oncologiques spécifiques des voies aéro-digestives supérieures et à leurs toxicités, puis à l'articulation de la RMF au sein des soins oncologiques de support et aux perspectives en RMF.
Les thérapeutiques oncologiques spécifiques dans les cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS) font intervenir différentes techniques pouvant être associées ou non (fig. 1). Les modalités de ces traitements (fréquence, durée, posologie, voie d'administration) ainsi que le contexte d'administration (curatif ou palliatif) doivent être connus avant toute prise en charge. Elles sont décidées en réunion de concertation pluridisciplinaire en fonction notamment du siège tumoral, de son volume, de son extension aux structures voisines, de la possibilité d'exérèse (complète ou non), de l'existence de métastase et du contexte général du patient [1-3].
Une communication avec l'ensemble des professionnels (oncologue, radiothérapeute, chirurgien, etc.) doit être établie avant, pendant et après la prise en charge oncologique spécifique afin d'anticiper au mieux les toxicités et la réhabilitation.
Les toxicités de ces thérapeutiques atteignent différents tissus. Elles peuvent être précoces ou tardives et persister dans le temps avec des répercussions sur la sphère oro-faciale [1, 2, 4-6]. La réhabilitation doit considérer l'ensemble de ces toxicités (tableau 1).
Les soins oncologiques de support (SOS) se définissent comme l'ensemble des soins et soutiens nécessaires aux patients atteints de cancer en parallèle des traitements oncologiques spécifiques lorsqu'il y en a, du diagnostic à « l'après-cancer ». Ils permettent une coordination entre les différents intervenants autour du patient pour assurer une continuité dans leur prise en charge. La RMF intervient dans tous les temps thérapeutiques.
La RMF endo-buccale est présente lors des différents temps opératoires, notamment :
– en préopératoire pour discuter avec le chirurgien d'une chirurgie prothético-consciente ;
– en peropératoire pour confectionner des prothèses transitoires (par exemple lors de PDS maxillaire associée à une communication avec d'autres cavités, pour assurer une étanchéité et permettre au patient de retrouver une alimentation par voie orale plus rapidement et donc diminuer le temps d'hospitalisation) ;
– en postopératoire pour réaliser des réhabilitations provisoires et d'usage après obtention d'une cicatrisation complète (fig. 2 à 5) [7-9].
Les épithèses interviennent essentiellement à distance des thérapeutiques lorsqu'une cicatrisation complète des tissus est obtenue (fig. 6 à 10) [9-12]. Certaines situations cliniques présentent des PDS qui ne peuvent être réhabilitées (fig. 11 à 13).
Ainsi, la RMF doit faire partie intégrante des SOS (fig. 14) pour répondre au mieux aux besoins des patients, en assurant une réalisation en coordination avec les autres professionnels et ainsi permettre une continuité thérapeutique [13, 14].
La RMF doit prendre en compte un certain nombre d'éléments pour être intégrée biologiquement, fonctionnellement et psychologiquement.
Il est important de considérer notamment :
– la perte de substance : son étendue, sa localisation avec la présence ou non d'une communication avec une autre cavité (sinus, fosses nasales ou orbitaires, etc.) ;
– la surface d'appui assurée par l'anatomie restante et/ou recréée : les crêtes, les versants vestibulaires exploitables (afin d'apporter une stabilisation et une rétention), une épaisseur et un aspect homogène des tissus de recouvrement adhérant aux structures sous-jacentes. Les éléments pouvant gêner la stabilité de notre réhabilitation (tels que la présence de brides, d'insertion en toile de tente, de zone saillante) doivent être éliminés ;
– les dents restantes sur l'arcade : leurs valeurs extrinsèques et intrinsèques sont à évaluer ainsi que leurs stratégies prothétiques et leur pronostic ;
– le trajet mandibulaire pour évaluer s'il présente une déviation. Par ailleurs, la limitation d'ouverture buccale est à prendre en considération pour évaluer sa compatibilité avec un accès pour notre réhabilitation et pour l'hygiène bucco-dentaire ;
– le rapport inter-arcades pour évaluer s'il est modifié, reproductible et stable ;
– les thérapeutiques oncologiques spécifiques et leurs toxicités (le type de chirurgie et les traitements associés : radiothérapie, chimiothérapie, thérapie ciblée, immunothérapie) ;
– l'état de la pathologie : en rémission ou évolutive ;
– l'état de l'intoxication alcoolo-tabagique (ou autres drogues) : poursuivie ou arrêtée ;
– le contexte général du patient et sa motivation pour une réhabilitation [9].
L'analyse de ces différents éléments fait partie de l'examen clinique en RMF et permettra de guider le moment ainsi que le type de réhabilitation au sein d'une équipe pluridisciplinaire [3, 7, 9, 10, 13, 15-18] La diversité des pertes de substances (par leur localisation, leur étendue et la possibilité de reconstruction) entrainera des répercussions sur les fonctions oro-faciales (mastication, déglutition, phonation) avec un fort impact sur la qualité de vie des patients (tableau 2) [3, 15, 16, 19].
La RMF s'intègre totalement dans les SOS à travers trois composantes essentielles :
– fonctionnelle, pour anticiper et prévenir les conséquences des thérapeutiques oncologiques spécifiques en agissant sur les tissus ;
– prothétique, pour reconstruire la morphologie de l'organe manquant ou défectueux, afin de rétablir une fonction et une esthétique ;
– psycho-sociale, pour établir une relation de confiance et accompagner le patient et ses proches dans l'acceptation de sa nouvelle identité [9].
Le système implantaire est un moyen de rétention mécanique à notre disposition en chirurgie dentaire. Il permet notamment d'apporter une stabilité et une rétention supplémentaires dans des situations cliniques complexes [9, 12]. L'implantation en terrain irradié n'est plus une contre-indication mais son indication doit être décidée lors d'une concertation pluridisciplinaire. Il n'y a actuellement pas de consensus pour le protocole de réalisation qui reste très centre dépendant [20-24].
La CFAO (confection et fabrication assistées par ordinateur) (fig. 15) commence à émerger lentement dans la discipline mais nécessitera encore des technologies plus avancées afin de répondre aux impératifs de nos réhabilitations [25].
Ainsi, la CFAO et le système implantaire sont des moyens supplémentaires dont nous disposons pour optimiser nos réhabilitations dans ces situations cliniques souvent complexes.
La prise en charge des patients en réhabilitation maxillo-faciale (RMF) dans le cadre de la cancérologie des VADS est complexe et nécessite une approche globale. Ainsi, le praticien doit se tenir informé des thérapeutiques oncologiques spécifiques et de leurs toxicités pour assurer une réhabilitation cohérente. Parallèlement, la RMF doit être réalisée au sein d'une équipe pluridisciplinaire pour permettre une continuité thérapeutique et répondre au mieux aux besoins des patients, faisant ainsi partie intégrante des soins oncologiques de support.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Caroline de Bataille - Chirurgien-dentiste
Florent Destruhaut - MCU-PH,
CHU Rangueil,
Toulouse
Philippe Pomar - PU-PH,
Doyen de la Faculté d'Odontologie,
CHU Rangueil,
Toulouse
Eric Toulouse - Épithésiste,
CHU Rangueil,
Toulouse
Emmanuelle Vigarios - MCU-PH,
Médecine bucco-dentaire à l'Institut Claudius Régaud –
Institut Universitaire du Cancer Toulouse-Oncopôle