Évolution technologique
La chirurgie et la prothèse maxillo-faciale existent depuis l'Antiquité. En effet, à toute époque, l'homme a toujours désiré réparer ou masquer les atteintes de l'extrémité céphalique. Si les grandes idées directrices de la réhabilitation de ces atteintes ont très vite été posées, les moyens et les techniques mis en œuvre sont restés relativement les mêmes jusqu'au début du XXe siècle.
Une première révolution est apparue lors de...
Résumé
Les pertes de substance et traumatismes de la face tant endo-cavitaires qu'extra-orales sont pris en charge depuis l'Antiquité et particulièrement depuis la Première Guerre mondiale, date à laquelle le nombre de blessés de la face a été particulièrement important, réveillant le milieu médical à cette prise en charge.
Si les pertes de substance peuvent être d'origine congénitale ou acquise, les traumatismes quant à eux sont acquis. Depuis l'époque des Gueules cassées les différentes évolutions technologiques – industrielle, chimique et informatique – ont modifié les réhabilitations prothétiques non pas dans leur objectif mais dans leur constitution et réalisation.
La chirurgie et la prothèse maxillo-faciale existent depuis l'Antiquité. En effet, à toute époque, l'homme a toujours désiré réparer ou masquer les atteintes de l'extrémité céphalique. Si les grandes idées directrices de la réhabilitation de ces atteintes ont très vite été posées, les moyens et les techniques mis en œuvre sont restés relativement les mêmes jusqu'au début du XXe siècle.
Une première révolution est apparue lors de la Première Guerre mondiale, qui a été marquée par une évolution importante des technologies guerrières, puis le milieu du siècle a vu une seconde révolution, industrielle et chimique. Ces deux périodes ont vu une modification des atteintes corporelles et une évolution des techniques de réhabilitation.
Ainsi, jusqu'au début des années 1900, les combats se déroulaient en terrain découvert et les armes utilisées étaient soit des armes blanches, soit des canons utilisant des boulets générant des atteintes à l'ensemble du corps. Le conflit de la Première Guerre mondiale a modifié la donne. Les troupes se sont enterrées dans les tranchées, ne laissant dépasser que la tête qui est devenue un siège important de blessures. De même, l'évolution des armes dans l'infanterie avec les balles conique à haute vitesse, les shrapnells, les grenades et obus à fragmentation, les lance-flammes, les obus à fusée retard ont été également à l'origine des nombreuses atteintes céphaliques. Ainsi, sur les 3,5 millions de soldats français blessés (40 % du contingent français), 500 000 l'ont été au visage. Ces blessures comportent des atteintes des parties molles, laissant des béances au niveau des cavités naturelles, ainsi que des structures osseuses avec des surinfections liées aux conditions d'hygiène sur le front.
Devant cette évolution, le service de santé des armées s'est réorganisé pour s'adapter à cette nouvelle situation en adaptant son circuit d'évacuation des blessés, dès 1914, avec la mise en place sur le front des Postes de Premiers Secours où étaient pris en charge les urgences vitales et le déchoquage après transport par les brancardiers puis, à quelques kilomètres du front, des Ambulances de l'avant (1915) comportant de 300 à 500 lits, lieu de triage, de prise de décision et d'orientation ; c'est également là qu'est pris en charge le traitement des infections. Toutefois, des équipes spécialisées en réparation maxillo-faciale n'y seront incorporées qu'en 1918.
Le blessé est ensuite évacué vers les hôpitaux d'origine d'étapes où les équipes spécialisées en maxillo-faciale ne seront incorporées qu'à partir de 1916. Les blessés relevant d'une spécialité médicale ou chirurgicale sont ensuite dirigés vers les hôpitaux spécialisés de l'avant, structures de 2 000 à 3 000 lits.
Enfin, la dernière structure à prendre en charge éventuellement le blessé de la face si nécessaire est le Centre spécialisé de l'arrière. Pour la spécialité maxillo-faciale, ceux-ci sont créés par une circulaire ministérielle du 10 novembre 1914. Les deux premiers centres sont créés à Paris, au Val-de-Grâce dirigé par le Dr Hippolyte Morestin, et à Lariboisière, dirigé par le Dr Pierre Sebileau. Puis suivront Lyon, dirigé par le Dr Albéric Pont, et Bordeaux, dirigé par le Dr Cavalier, en 1916 puis par le Dr Émile Moure à partir de 1917. Devant le faible montant des pensions et de la reconnaissance du préjudice lié à la défiguration, Bienaimé Jourdain et Albert Jugon fondent le 21 mai 1921 l'Association des blessés de la face sous la présidence du Colonel Yves Picot qui deviendra par la suite l'Association des Gueules cassées [1].
Après cette période durant laquelle les praticiens ont amélioré leurs techniques, une seconde révolution a vu le jour avec la chimie grâce à l'industrialisation des résines de polyméthacrylate de méthyle puis, dans le milieu des années 1950, la mise au point des silicones par J.F. Hyde en 1938. Les appareillages endo-buccaux qui, jusqu'alors, étaient constitués de métal, de vulcanite ont été progressivement fabriqués avec ces nouveaux matériaux permettant une réalisation plus facile, plus légère et mieux adaptée. Pour les appareillages extra-oraux, ce sont également les résines et silicones qui ont remplacé le papier, les chiffons et la colle qui constituaient les épithèses.
Parallèlement à cette évolution, les pathologies justiciables d'une prise en charge maxillo-faciale, qu'elles soient prothétiques, chirurgicales ou mixtes, ont changé. Ce recrutement a fortement diminué du fait de la législation automobile et de la diminution du nombre de conflits, la guerre moderne reposant plus sur la technologie que sur l'humain. A contrario, la cancérologie, de par l'augmentation de l'espérance de vie, est désormais le pourvoyeur majoritaire des pertes de substance tant endo-cavitaires qu'extra-orales.
Lors des différents conflits du XXe siècle et avant l'avènement de la ceinture de sécurité pour les automobiles et du casque intégral pour les 2 roues, la traumatologie représentait un domaine important de l'activité maxillo-faciale. La prise en charge était essentiellement orthopédique avec des systèmes d'immobilisation externes tels que le casque pour la réduction puis la contention d'une fracture nasale (fig. 1). Ces traumas sont actuellement pris en charge dans leur grande majorité par une approche chirurgicale avec une réduction manuelle sous anesthésie générale et contention par mini-plaque de synthèse. Seule la fracture condylienne reste une indication orthopédique (fig. 2 et 3), même si les traitements orthopédiques restent utilisables dans les autres localisations des fractures tant maxillaires que mandibulaires (fig. 4) [2, 4].
Jusque vers le milieu du XXe siècle, l'appareillage des divisions palatines et des fentes labio-maxillaires utilisait l'or pour la réalisation du châssis métallique et la vulcanite pour la partie vélaire de la prothèse (fig. 5), puis la résine et la silicone ont progressivement remplacé ces matériaux. Malgré les tentatives de reconstructions chirurgicales dans le début des années 1900, les échecs étaient nombreux, dus aux connaissances chirurgicales naissantes dans ce domaine, à une anesthésie générale peu développée et à l'absence d'antibiothérapie. Malgré cela, les opérateurs, qui souvent réalisaient tout à la fois la chirurgie et la prothèse, n'hésitaient pas à se lancer dans les reconstructions comme Léon Dufourmentel (1884-1957) qui opéra Mme D. en 1911 d'une division vélo-palatine associée à une double fente labio-maxillaire (fig. 6). Le renouvellement de la prothèse dans les années 2000 fait appel aux techniques actuelles de la prothèse amovible complète et de la prothèse maxillo-faciale, avec un obturateur en silicone souple participant à la rétention de la prothèse complète maxillaire dont la rétention est altérée par l'absence de vestibule et la présence de la communication bucco-nasale, donc l'impossibilité d'obtenir une étanchéité par le joint périphérique (fig. 7 et 8) [3].
Les pertes de substance maxillaire et mandibulaire acquises sont, quelle que soit l'époque, la conséquence :
– d'accidents balistiques et de la voie publique ;
– de causes infectieuses d'origine chimique ou radiothérapique ;
– de causes tumorales bénignes et malignes.
La réhabilitation consécutive aux autolyses et aux atteintes balistiques liées aux conflits (fig. 9) continue à associer le plus souvent la chirurgie à la prothèse. À l'époque des Gueules cassées et jusqu'au milieu du XXe siècle, ces pertes de substance nécessitaient un appareillage lourd utilisant le métal associé à des systèmes de rétention du type ressort lorsque l'anatomie résiduelle ne permettait pas d'obtenir une rétention de l'appareillage mandibulaire (fig. 10). De nos jours, l'apport de l'implantologie permet de s'affranchir de ce type de réhabilitation (fig. 11 et 12).
Les étiologies infectieuses ont aussi évolué depuis le début du XXe siècle puisque les pertes de substance liées aux fusées arsenicales ont disparu, remplacées par des pertes de substance liées à la consommation de drogue telle que la cocaïne ou à des atteintes osseuses suite aux traitements d'irradiation ou aux biphosphonates. Ces infections sont très invalidantes et peuvent être à l'origine d'un geste curatif extensif de résection osseuse importante pouvant intéresser tout ou partie de la structure (fig. 13).
C'est l'étiologie la plus courante de nos jours, liée très probablement à des facteurs divers interagissant de façon complexe entre eux avec l'augmentation importante de l'espérance de vie depuis le début des années 1900, la consommation d'alcool, de tabac et les facteurs environnementaux.
Les tumeurs bénignes comme de volumineux kystes peuvent être à l'origine d'une perte de substance plus ou moins importante nécessitant une réhabilitation par prothèse maxillo-faciale (fig. 14) au même titre que les pertes de substance consécutives à l'exérèse d'une tumeur maligne.
L'objectif n'a pas changé depuis les Gueules cassées : la réhabilitation prothétique vise à redonner au malade une fonctionnalité et une apparence lui permettant de se réinsérer dans la société. La technologie quant à elle a évolué, dans un premier temps, avec les résines et les silicones souples permettant l'exploitation des zones de contre-dépouille (fig. 15 à 17). De nos jours, elle bénéficie de l'apport de l'informatique dans la planification (fig. 18) et, dans le futur, elle fera de grands progrès avec la bio ingénierie.
Les réhabilitations des organes de la face – nez, oreilles, région oculo-palpébrale – ont longtemps été réalisées en papier, colle, métal puis l'avènement des résines et des silicones a permis de fabriquer ces épithèses dans ces matériaux permettant une meilleure longévité et une bonne tenue dans le temps. Les moyens de rétention de ces épithèses pour les « Gueules Cassées » étaient les lacets, le velcro, la colle ou les lunettes (fig. 19). L'implantologie a, dans ce domaine aussi, été une vraie révolution quant à la qualité et la sécurité de la rétention de ces épithèses (fig. 20). L'avenir sera, après le bioprinting qui bientôt permettra l'impression 3D d'une épithèse, la bio ingénierie qui verra l'impression d'un organe à partir des cellules souches du malade, cet organe étant ensuite greffé sur le sujet, voire directement imprimé sur le site à restaurer [5, 6].
La prothèse maxillo-faciale, après avoir vécu une période d'évolution lors de la Première Guerre mondiale riche en essais thérapeutiques, a évolué avec la révolution industrielle et chimique du milieu du XXe siècle puis avec l'introduction de l'implantologie. Elle connaît actuellement une autre période de mutation en commun avec la chirurgie reconstructrice avec l'informatique et les planifications et se prépare à aborder le futur avec le bioprinting et la bio ingénierie.
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Didier Maurice - MCU-PH UFR Odontologie Paris 7
Unité fonctionnelle Odontologie / Prothèse Maxillo-Faciale
Pôle de Neurosciences Tête et Cou
Hôpital Lariboisière 75010 Paris
Nathalie Dufour - Praticien hospitalier contractuelle
Centre de diagnostic et thérapeutique
Hôtel Dieu 75001 Paris