ÉDENTATION COMPLÈTE ET IMPLANTOLOGIE
V.-E. CAMPILLO B. FITOUCHI S. VIENNOT R. NOHARET M. PERRIAT P. FARGE
Autrefois limité à la prothèse amovible conventionnelle, le traitement de l'édenté complet comprend aujourd'hui plusieurs options complémentaires implantaires. La conférence consensus de McGill de 2002 [1] a constitué un tournant dans l'évolution des thérapeutiques. Il y a été conclu que le traitement de premier choix de la mandibule édentée requiert au minimum la mise en place de 2 implants symphysaires permettant la...
Résumé
Le traitement de l'édenté complet unimaxillaire ou bimaxillaire comprend aujourd'hui plusieurs solutions thérapeutiques prenant en compte les options implantaires. Outre la prothèse amovible complète (PAC) conventionnelle sans implants, il existe plusieurs possibilités de traitement avec implants : la prothèse amovible complète stabilisée sur implants (PACSI), sur piliers ou sur barre, la prothèse télescopique sur piliers coniques et la prothèse complète fixe sur implants. Si cette dernière constitue pour certains le meilleur objectif de traitement, les autres conceptions thérapeutiques répondent à des situations différentes et, en particulier, à celle de patients à besoins spécifiques. À l'aide d'une revue de la littérature scientifique, cet article a pour but d'apporter des éléments d'aide à la décision parmi les multiples solutions prothétiques existantes face à un patient édenté ou en voie d'édentation complète.
Autrefois limité à la prothèse amovible conventionnelle, le traitement de l'édenté complet comprend aujourd'hui plusieurs options complémentaires implantaires. La conférence consensus de McGill de 2002 [1] a constitué un tournant dans l'évolution des thérapeutiques. Il y a été conclu que le traitement de premier choix de la mandibule édentée requiert au minimum la mise en place de 2 implants symphysaires permettant la stabilisation d'une prothèse complète. La combinaison des techniques chirurgicales et prothétiques permet aujourd'hui de proposer des solutions totalement fixes, aboutissant à la prothèse complète transvissée, considérée comme un traitement idéal chez un patient coopérant. D'autres conceptions prothétiques implantaires ont été décrites, en particulier les prothèses dites à complément de rétention implantaire, sur piliers ou sur barre de conjonction, les prothèses de type barre/contre-barre et les prothèses télescopiques sur piliers coniques. Celles-ci permettent notamment de répondre aux situations cliniques pour lesquelles le contrôle de plaque s'avère difficile ou lorsque les déterminants occlusaux sont complexes. À partir d'une analyse de la littérature scientifique du taux de survie en prothèse complète fixe, les critères de succès de ces thérapeutiques seront présentés, illustrés par des cas personnels, réalisés au cours d'un cursus d'internat en médecine bucco-dentaire.
Une revue de la littérature portant sur les taux de survie des prothèses implantaires fixes (de type bridge transvissé ou scellé) a été conduite à partir de sources primaires de la littérature scientifique (base de données PubMed et Medline). La recherche a été faite à partir des mots clés suivants : « Full-arch », « Implant fixed prosthesis », « Edentulism (-ous) », « Follow-up », « Survival rates ». La combinaison des mots clés « Full-arch AND Implant fixed prosthesis AND Survival rates » a retrouvé 84 études. Celle des mots clés « Full-arch AND Implant fixed prosthesis AND Follow-up » a retrouvé 121 études. La période considérée a été 2006-2016.
Les critères d'inclusion retenus pour la sélection des articles ont été les suivants : études de moins de 10 ans, prothèse complète implantaire fixe, édentement complet maxillaire, mandibulaire ou bimaxillaire et protocole de mise en charge tardive ou immédiate. Les critères d'exclusion ont été les suivants : études de plus de 10 ans, prothèses unitaires ou plurales partielles et prothèses non fixes, amovibles (stabilisées ou télescopiques sur éléments dentaires). Ces critères ont conduit à 10 études pour l'analyse des taux de survie. Le facteur d'impact des revues analysées est compris entre 1,782 et 3,589 (Journal Citation Report – Thomson Reuters).
Les taux de survie vont de 87,7 à 100 % pour des périodes de suivi allant de 12 mois à 20 ans. Le tableau 1 présente les résultats de l'ensemble de ces études.
On retrouve 5 revues systématiques, 4 études de cohorte et 1 rapport de consensus. Les revues systématiques de la littérature démontrent des taux de survie élevés à long terme (taux supérieurs à 87,7 % pour des périodes comprises entre 12 mois et 15 ans) [2-5, 8]. Celles de De Bruyn et al. [2] et de Heydecke et al. [3] rapportent des taux de survie supérieurs à 94 % pour des périodes d'observation allant de 12 mois à 10 ans. Enfin, celle de Papaspyridakos et al. [8] relève des taux de survie implantaire et prothétique de 96 % au bout de 10 ans pour les prothèses complètes implantaires fixes. Lambert et al. [5] ont étudié les taux de survie implantaires et prothétiques de prothèses complètes implanto-portées fixes maxillaires. Les taux de survie retrouvés sont de 94 % au bout de 1 an et de 87,7 % au bout de 15 ans. Le design prothétique, le matériau cosmétique et le nombre de prothèses par arcade ne semblent pas influencer le taux de survie prothétique.
Les études de cohorte retrouvent des taux de survie supérieurs à 99 % pour des périodes de suivi allant de 4 à 20 ans [6, 7, 9, 10]. Aucune différence statistiquement significative n'est démontrée entre le maxillaire et la mandibule au regard de la perte osseuse marginale [9]. Toutes les études de cohorte sont rétrospectives et leurs effectifs sont compris entre 21 et 75 sujets.
Les solutions fixes étudiées dans cette revue comprennent à la fois des conceptions transvissées et des conceptions scellées. En 2012, Sailer et al. [12] ont montré de manière conclusive que les conceptions transvissées présentaient moins de complications techniques et biologiques que les prothèses implantaires complètes scellées. La prothèse complète transvissée sur implants constitue aujourd'hui, parmi les méthodes fixes, celle qui peut être considérée comme un gold standard pour le traitement de l'édenté complet. Historiquement mise au point par le Pr. Brånemark [13], sous la forme d'un « bridge sur pilotis », la prothèse complète transvissée comprend le plus souvent une fausse gencive et a été parfois qualifiée de prothèse hybride. Cette thérapeutique, exigeante par de nombreux aspects, doit répondre à des critères spécifiques pour aboutir au succès thérapeutique.
La conception de ce type de prothèse prend en compte différents éléments clés chirurgicaux et prothétiques.
Le premier critère concerne le nombre et la position des implants sur l'arcade qui apparaissent primordiaux. Plusieurs auteurs rapportent des taux d'échecs significativement plus élevés lorsque ce nombre est inférieur à 6 au maxillaire et 4 à la mandibule [2, 5]. En outre, il est préconisé que les implants aient des émergences réparties de façon antérieure et postérieure à la deuxième prémolaire [5]. L'angulation des implants dans une limite de 30o, qui permet ainsi d'éviter des procédures de greffe, est considérée comme une option thérapeutique fiable [14].
La figure 1 illustre l'intérêt de l'angulation des implants postérieurs afin d'éviter les comblements sous-sinusiens.
Ces techniques doivent reposer sur des protocoles de chirurgie guidée permettant un positionnement des implants en adéquation avec le projet prothétique préalablement défini. Les protocoles utilisent la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) et permettent un positionnement des implants avec un haut de degré de précision par rapport à la planification initiale. À l'heure actuelle, aucune différence statistiquement significative n'a été mise en évidence, au regard de la précision peropératoire, entre les guides à appui dentaire, osseux ou muqueux [15].
La figure 2 illustre l'intérêt des procédures de chirurgie guidée à la mandibule afin d'éviter les obstacles anatomiques (le nerf mentonnier).
Le second critère concerne le protocole de mise en charge, qui peut être immédiate, précoce ou tardive. Dans le cadre d'une restauration implantaire complète, il est aujourd'hui admis que la mise en charge immédiate n'altère pas les taux de survie [11, 16]. Elle n'est toutefois pas recommandée lorsque les implants ont été placés dans un site greffé [17].
Dans l'élaboration du projet prothétique, des critères de succès prothétiques clés doivent être pris en compte : l'espace prothétique disponible, le soutien de la lèvre et la ligne du sourire [18]. Il existe aujourd'hui des logiciels de conception du projet prothétique qui constituent une aide dans la communication entre le praticien, le patient et le prothésiste [19].
La conception de la prothèse fait appel aux matériaux répondant aux impératifs mécaniques, esthétiques et biologiques : le titane ou la zircone pour l'armature, la résine acrylique, un composite ou la céramique pour la partie cosmétique.
Concernant le dessin de la prothèse, deux options sont possibles et décrites dans la littérature scientifique : l'aménagement d'un espace entre l'armature et les tissus mous permettant le passage de brossettes ou, au contraire, un contact direct de l'armature avec les tissus évitant ainsi tout passage de salive ou d'aliments [20] (fig. 3).
La prothèse implantaire complète fixe est aujourd'hui une thérapeutique largement validée par la littérature scientifique, de très bon pronostic et pour laquelle les études montrent des taux de survie élevés à long terme (supérieurs à 86 % au bout de 10 ans). Bien que cette conception soit aujourd'hui possible dans un grand nombre de situations cliniques grâce à la chirurgie guidée et aux techniques d'aménagement tissulaire pré-implantaire, l'indication de la prothèse fixe devra toujours être bien réfléchie. En effet, il existe certaines situations cliniques (fortes résorptions tissulaires, état pathologique compliquant l'hygiène, troubles moteurs liés au vieillissement) pour lesquelles le recours à une conception partiellement amovible stabilisée sur implants doit être considéré.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Victor Emmanuel Campillo - Interne en médecine bucco-dentaire
Bruno Fitouchi - Interne en médecine bucco-dentaire
Stéphane Viennot - MCU-PH, discipline prothèses
Renaud Noharet - MCU-PH, discipline prothèses
Michel Perriat - Praticien attaché contractuel
Pierre Farge - PU-PH, discipline odontologie conservatrice-endodontie
Université Lyon 1
Faculté d'odontologie
Centre de soins dentaires, Pôle d'activité médicale d'odontologie
Hospices civils de Lyon
11, rue Guillaume Paradin
69372 Lyon cedex 08