Les cahiers de prothèse n° 180 du 01/12/2017

 

Synergie implants et prothèses

R. Noharet  

Un patient s'est présenté à la consultation à la suite d'un traumatisme causé par un accident de la voie publique. Ce traumatisme a entraîné la fracture d'un fémur et la fêlure du bassin. Au niveau dentaire, le choc a été ressenti au niveau des incisives centrales qui étaient fracturées (fractures amélo-dentinaires), mobiles et douloureuses. Les vitalités pulpaires étaient négatives 3 semaines après le traumatisme (

Résumé

Introduction

La mise en esthétique immédiate est aujourd'hui une technique répandue. Elle peut prendre place avec ou sans extraction préalable. Cette mise en place de la dent provisoire le jour même de l'implantation a pour avantage de créer naturellement le profil d'émergence souhaité. En effet, la dent provisoire va modeler spontanément la gencive par son profil propre. Ce modelage de profil d'émergence est pertinent lorsque l'extraction et l'implantation sont différées. A contrario, lors des techniques d'extraction-implantation immédiate, la mise en esthétique doit servir à conserver la morphologie alvéolaire, garante d'un bon résultat en termes d'émergence prothétique. L'enjeu de cet article est de présenter une technique de conservation de ce profil d'émergence.

Un patient s'est présenté à la consultation à la suite d'un traumatisme causé par un accident de la voie publique. Ce traumatisme a entraîné la fracture d'un fémur et la fêlure du bassin. Au niveau dentaire, le choc a été ressenti au niveau des incisives centrales qui étaient fracturées (fractures amélo-dentinaires), mobiles et douloureuses. Les vitalités pulpaires étaient négatives 3 semaines après le traumatisme (fig. 1). Des traitements endodontiques ont été réalisés en conséquence. Un contrôle a été effectué au bout de quelques semaines : une mobilité de la dent 21 était encore présente avec apparition d'une lésion osseuse apicale (fig. 2).

Diagnostic et Traitement choisi

Un examen tridimensionnel a été programmé (fig. 3), confirmant l'indication d'extraction de la dent. Sur le même scanner, un implant a été planifié de façon idéale, c'est-à-dire en respectant les règles des 3 mm : le col implantaire doit être situé à 3 mm du collet de la future dent et permettre une épaisseur osseuse vestibulaire de 3 mm. La simulation implantaire a répondu aux critères édictés et a donc permis de poser l'indication d'une technique de traitement implantaire en un temps : extraction, implantation, mise en esthétique immédiate (logiciel NobelClinician®) (fig. 4).

Étapes du traitement chirurgical

L'extraction a été réalisée de façon atraumatique afin de conserver l'architecture alvéolaire gingivo-osseuse. Dans le cas présent, elle a été facilitée par la mobilité post-traumatique de la dent 21 (fig. 5). Ensuite, le forage implantaire a débuté par l'utilisation d'un foret de 2 mm dans la corticale palatine afin de s'assurer du bon positionnement implantaire respectant la planification informatique initiale (fig. 6). Ce bon positionnement a également été validé à l'aide d'un indicateur de direction et d'un guide de validation de position implantaire fabriqué par le laboratoire (fig. 7). Puis les forets ont été passés de façon progressive pour élargir le logement implantaire. L'implant (Nobel Active RP, 4,3 × 8,5 mm) a finalement été positionné par un porte-implant spécifique possédant une graduation à 3 mm permettant de s'assurer du bon enfoncement implantaire par rapport à la future dent prothétique (selon la règle des 3 mm présentée plus haut) (fig. 8).

À la suite de cela, le transfert de la position de l'implant doit être fourni au prothésiste. Dans ce cas précis, le transfert a été transvissé à l'implant puis un contrôle radiographique a été réalisé afin de s'assurer de la bonne connexion du transfert et de l'implant. Une fois ce contrôle validé, de la résine (Luxabite®) a été injectée sur le transfert et sur les bords libres des dents adjacentes (fig. 9 et 10). Ce dispositif permet le repositionnement de la réplique dans le moulage initial. La chirurgie a poursuivi alors son déroulement : une greffe conjonctive tunnélisée a été réalisée en vestibulaire pour augmenter le biotype afin de s'assurer d'une meilleure stabilité tissulaire dans le temps [1]. Dans cette situation clinique, le prélèvement a été réalisé dans la zone tubérositaire afin d'obtenir un tissu conjonctif très dense, très fibreux et donc très stable (fig. 11). Ensuite, un comblement de l'alvéole a été réalisé afin de maintenir au mieux l'architecture ostéo-muqueuse de l'alvéole d'extraction. Ce comblement a été réalisé avec de l'hydroxyapatite d'origine bovine (Bio-Oss®, Geistlich) (fig. 12). L'intervention chirurgicale était alors terminée.

Étapes prothétiques de réalisation de la couronne provisoire implantaire issue de la dent naturelle

La dent extraite a été nettoyée soigneusement afin de pouvoir trouver aisément la bonne position dans toutes les étapes prothétiques qui ont suivi. La figure 13 montre l'anatomie de cette racine avec le changement de convexité entre la couronne et la racine, illustrant parfaitement la notion de zone critique et subcritique décrite par Su [2]. La zone critique est située immédiatement après la gencive marginale, de façon circonférentielle et sur une hauteur d'environ 1 mm. La zone subcritique est située après la zone critique et jusqu'au col implantaire. Si la zone critique est trop vestibulée, elle induit une récession. Plus lingualée, elle peut induire une croissance muqueuse. La zone subcritique peut être convexe, plate ou concave : dans la mesure où les variations sont raisonnables du point de vue physiologique, cela n'aura que peu de conséquences biologiques.

La dent naturelle a donc été repositionnée dans un moule de duplication obtenu à partir du moulage primaire (fig. 14). Une fois « l'extraction » de la dent faite par le prothésiste, un moulage a été alors obtenu avec l'exact profil d'émergence de la dent naturelle qui facilite le repositionnement ultérieur de la dent évidée, avec reproduction exacte du profil naturel de la dent à restaurer (fig. 15). Une fois ce moulage avec profil d'émergence en fausse gencive en silicone obtenu, le transfert d'empreinte associé à sa réplique a été repositionné dans l'alvéole du moulage en plâtre grâce aux ailettes en résine (fig. 16). La réplique d'implant a été stabilisée au fond de l'alvéole par un matériau rigide (plâtre, résine, etc.) (fig. 17). Ensuite, la fausse gencive en silicone a pu être repositionnée afin d'obtenir toutes les informations nécessaires à la confection de la dent provisoire : position de l'implant au sein de l'alvéole et par rapport aux dents adjacentes mais également forme du profil d'émergence naturel (fig. 18).

La dent naturelle a ensuite été évidée afin de pouvoir la repositionner au mieux dans le profil d'émergence mais également en fonction du cylindre temporaire en titane servant de base rigide à la dent provisoire (fig. 19). L'évidement par rapport au cylindre temporaire a été effectué au plus près du cylindre : plus les structures dentaires sont conservées, plus le résultat esthétique est performant. Il en va de même au niveau cervical : plus les structures dentaires sont présentes, plus la cicatrisation muqueuse est facilitée (fig. 20). Afin d'assembler les deux pièces, des traitements de surface ont été réalisés. Pour la dent, un processus de collage classique a été appliqué (acide orthophosphorique, primer et bonding). Le cylindre temporaire en titane a aussi été traité afin d'optimiser le collage : sablage à l'alumine 50 microns, silanisation du cylindre (Silano Pen®, Bredent), application de 2 couches d'opaque (Bredent) et, enfin, assemblage des deux pièces par de la résine de couleur dentine (Telio Lab®, Ivoclar Vivadent). La dent provisoire implantaire ainsi obtenue a été ensuite polie au niveau des zones de résine (fig. 21 et 22). Celles-ci étaient le moins étendues possible pour respecter la biocompatibilité de la restauration provisoire avec les tissus mous (fig. 23).

La dent provisoire a été mise en place par vissage sur l'implant, évitant la gestion difficile des éventuels excès d'un ciment de scellement néfaste pour les tissus mous péri-implantaires. Immédiatement après l'insertion, la dent apparaissait plus lumineuse que les dents controlatérales : la déshydratation que subit la dent naturelle pendant le travail du prothésiste est inévitable (fig. 24). Cette dyschromie disparaît naturellement en quelques heures. Après 8 mois d'ostéo-intégration, le traitement par prothèse définitive en céramique a pu prendre place (fig. 25).

Étapes prothétiques de confection de la dent définitive en céramique

Une fois le délai de maturation tissulaire passé, le dévissage de la dent provisoire a été effectué, permettant l'observation d'un profil d'émergence qui a été maintenu par la dent provisoire naturelle. Ce profil d'émergence n'est finalement que la conservation de l'architecture ostéo-muqueuse de l'alvéole initiale (fig. 26). Une empreinte de situation implantaire a été réalisée de façon classique en silicone double mélange ; elle a été assortie d'une technique de transfert personnalisé (fig. 27). Cette technique a été décrite initialement par Hinds [3], puis elle a été validée par de nombreux autres articles [4] et détaillée dans un article précédent de cette rubrique [6].

Le prothésiste, grâce à cette technique, possède l'ensemble des éléments nécessaires à une réalisation prothétique finale optimale. Une restauration en zircone (Nobel Procera) sur une embase en titane (Nobel Biocare) a été confectionnée. Le point clé de ce type de restauration est la correspondance, au niveau du profil d'émergence, d'un matériau biocompatible (zircone) qui stabilise les tissus mous. La surface de zircone est donc importante en termes de surface visible, elle répond finalement à la surface du profil d'émergence. Ce matériau sert également de soutien à la céramique cosmétique : cela explique la surface de zircone visible dans les zones interproximales (fig. 28 à 31). Une fois l'armature obtenue, le technicien de laboratoire a pu stratifier la céramique cosmétique par-dessus. La dent prothétique a pu alors être insérée (fig. 32). Le composite de restauration sur la 11 pourra être finalisé par la suite.

Conclusion

La présence in situ de la dent naturelle lors des techniques d'extraction-implantation est une opportunité à ne pas négliger. Il faut, dans la mesure du possible, la conserver et l'adapter aux exigences implantaires (conservation de la forme et de la couleur pour la future dent provisoire) afin de garder l'architecture alvéolaire qui est déterminante pour un résultat implanto-prothétique de qualité.

Bibliographie

  • 1 Linkevicius T, Apse P, Grybauskas S, Puisys A. The influence of soft tissue thickness on crestal bone changes around implants : a 1-year prospective controlled clinical trial. Int J Oral Maxillofac Implants 2009;24:712-719.
  • 2 Su H, Gonzalez-Martin O, Weisgold A, Lee E. Considerations of implant abutment and crown contour: critical contour and subcritical contour. Int J Periodontics Restorative Dent 2010;30:335-343.
  • 3 Hinds KF. Préparation d'une chape de transfert personnalisée pour l'enregistrement exact du tissu cicatrisé en vue d'une restauration esthétique sur implant. Rev Int Parod Dent Restaur 1997;17:585-591.
  • 4 Alshiddi IF, Dent DC. Accurate registration of peri-implant soft tissues to create an optimal emergence profile. Contemp Clin Dent 2015;6 (suppl. 1):S122-S125.
  • 5 Lops D, Bressan E, Cea N, Sbricoli L, Guazzo R, Scanferla M et al. Reproducibility of buccal gingival profile using a custom pick-up impression technique: a 2-year prospective multicenter study. J Esthet Restor Dent 2016;28:43-55.
  • 6 Noharet R, Gonzalez J, Dillies T. Traitement des agénésies : optimisation par une synergie thérapeutique orthodontico-chirurgico-prothétique. Cah Prothèse 2016;176:8-14.

Liens d'intérêts

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteur

Renaud Noharet - MCU-PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Exercice libéral (Lyon)