Prothèses et recherche
M. Galizzi / R. Richert / G. Viguié / J.-C. Farges / M. Fages / M. Ducret
L'empreinte optique et la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) sont déjà très largement présentes dans les laboratoires de prothèses afin de concevoir des restaurations via des logiciels dédiés. Depuis une quinzaine d'années, l'utilisation d'un scanner optique intra-oral (SOIO) se développe dans les cabinets du monde entier, mais l'empreinte optique est encore loin de remplacer l'empreinte conventionnelle, notamment en France [
Résumé
Les scanners optiques permettent aujourd'hui de fournir des empreintes d'une exactitude suffisante pour la fabrication d'éléments prothétiques. Cependant, en ce qui concerne les empreintes d'une arcade complète, il semble exister des variabilités en fonction des études et des technologies. Ainsi, ce travail a mis en place un protocole original permettant d'étudier la justesse et la qualité du maillage d'empreintes numériques issues des scanners. Un modèle d'arcade a été réalisé à l'aide de dents naturelles stérilisées, puis il a été numérisé par les représentants de quatre scanners intra-oraux. Un scanner de laboratoire a permis d'obtenir une empreinte numérique de référence. La superposition des fichiers .stl issus des scanners intra-oraux avec celui du laboratoire a permis de mettre en évidence les erreurs et de révéler le maillage.
À partir de ce protocole, toutes les caméras intra-orales ont été capables de fournir une empreinte numérique de l'ensemble de l'arcade avec plus ou moins de justesse. Une distorsion des secteurs postérieurs est présente pour l'ensemble des caméras. En parallèle, le maillage de chacun des scanners est différent et certains logiciels arrivent à fournir un maillage « intelligent », de routine sur les zones planes (face vestibulaire) et plus dense sur les zones anfractueuses (sulcus, pentes cuspidiennes).
À l'issue de ce travail, il apparaît que les scanners intra-oraux sont suffisamment précis uniquement pour des restaurations unitaires ou de quelques éléments. Cette précision est plus difficile à conserver lorsqu'il s'agit de restaurations importantes, notamment en implantologie. Il semble également que les logiciels associés aux scanners aient un rôle primordial dans la génération du fichier .stl car ils jouent sur la vitesse et la puissance du traitement des images et ils sont capables de générer différentes qualités de maillage.
L'empreinte optique et la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) sont déjà très largement présentes dans les laboratoires de prothèses afin de concevoir des restaurations via des logiciels dédiés. Depuis une quinzaine d'années, l'utilisation d'un scanner optique intra-oral (SOIO) se développe dans les cabinets du monde entier, mais l'empreinte optique est encore loin de remplacer l'empreinte conventionnelle, notamment en France [1]. Ses avantages sur l'empreinte conventionnelle sont pourtant nombreux : visualisation en temps réel de l'empreinte, réintervention rapide en cas d'erreur, reprise et complément de l'empreinte optique dans une zone partiellement enregistrée, suppression de l'étape de désinfection, facilité de stockage (disque dur), confort et communication avec le patient et le prothésiste, possibilité de superposition avec d'autres fichiers numériques pour la planification implantaire ou les projets esthétiques [1].
Il demeure cependant des freins à son développement, comme le coût et la gestion de l'occlusion [2], des limites liées à certains fichiers fermés et de nombreuses interrogations sur la précision réelle de ces empreintes [3, 4]. Cet élément est primordial car l'empreinte est le premier maillon de la chaîne de fabrication aboutissant à « la pose » d'une restauration d'usage pour le patient [1].
D'après la norme ISO 5725, ce que nous nommons couramment précision correspond en fait scientifiquement à l'exactitude. Celle-ci est définie par deux paramètres : la justesse et la fidélité [5] :
– la justesse correspond à « l'étroitesse de l'accord entre la moyenne arithmétique d'un grand nombre de résultats d'essais et la valeur de référence vraie ou acceptée » [5] ;
– la fidélité correspond quant à elle à « l'étroitesse de l'accord entre les résultats d'essais » [5]. Elle permet de mettre en évidence le fait qu'il puisse y avoir des erreurs entre plusieurs mesures effectuées avec le même matériel à cause de sources de variabilités comme l'opérateur, l'étalonnage de l'équipement ou encore l'environnement (température, humidité, luminosité) [6].
Le « marché » de l'empreinte optique étant en plein développement, chaque praticien souhaite pouvoir évaluer rapidement et efficacement la précision d'un SOIO avant de l'intégrer dans son arsenal thérapeutique. Il est ainsi nécessaire d'élaborer un protocole d'évaluation simple et fiable.
L'objectif de cette étude est de créer un modèle d'arcade formé de dents naturelles de manière à évaluer la justesse des SOIO. Ce modèle est plus complexe en termes d'optique qu'un modèle en plâtre uniforme, mais il est beaucoup plus proche de la réalité clinique. Après avoir présenté cette méthodologie simple et facilement mise en œuvre d'analyse de la justesse, une méthode d'évaluation complémentaire de la qualité des fichiers au travers des maillages a été créée.
Ce travail a aussi pour objectif d'éclairer les praticiens sur des notions clés permettant d'évaluer objectivement les SOIO et d'éviter ainsi certains raccourcis susceptibles de les influencer négativement lors de l'achat d'un nouvel équipement.
Une arcade maxillaire a été reconstituée à l'aide de dents extraites et stérilisées. Celles-ci ont ensuite été placées dans un moule en forme d'arcade au sein duquel une résine transparente a été coulée afin de solidariser les dents. La gencive a été remplacée par de la cire à modeler rose (fig. 1).
Lors du congrès de l'Association dentaire française de 2016, nous avons proposé à quatre distributeurs de SOIO (3Shape TRIOS® 3, Carestream CS 3600, CEREC® Omnicam, Planmeca PlanScan®) de réaliser un scan de l'arcade à partir de leurs scanners. Aucune limite de temps n'a été exigée et l'opérateur (un membre de l'équipe du distributeur) a pu compléter ou reprendre les empreintes autant de fois qu'il l'estimait nécessaire. Une empreinte optique de référence a été réalisée en parallèle avec un scanner de laboratoire (scanner 3Shape D1000) (fig. 1). Chaque empreinte a permis d'obtenir un fichier .stl qui a ensuite été traité selon le protocole décrit ci-après. Le fichier .stl déjà largement utilisé en CFAO décrit la surface d'un objet 3D par un maillage de triangles (fig. 1).
Les fichiers .stl ont été tout d'abord partiellement détourés avec le logiciel Netfabb® afin que le recalage ne soit pas biaisé par des surfaces non dentaires (fig. 2). Ils ont ensuite été superposés selon un procédé de recalage manuel par sélection de points (fig. 3), puis ils ont été traités à l'aide du logiciel Cloud Compare® par un algorithme de minimisation des distances entre les nuages de points des deux fichiers (fig. 4). La justesse a été quantifiée après superposition du fichier .stl à comparer et de celui du scanner de laboratoire. Les résultats ont été exprimés sous forme d'histogramme et via un code couleur : bleu pour les zones sous-estimées, vert clair pour les zones « proches » et rouge pour les zones surestimées (fig. 5 et 6). En fonction des écarts, le logiciel propose une échelle cohérente pouvant être modifiée manuellement. La justesse a été étudiée à deux niveaux pour les fichiers : en calibrant le bleu à – 150 μm et le rouge à + 150 μm (ce qui correspond, pour information, à l'intervalle de justesse de l'alginate). Le maillage a été mis en évidence grâce à la fonction Wireframe du logiciel.
L'analyse du fichier .stl 1 présente une majeure partie des valeurs autour de – 20 μm par rapport au fichier de référence ainsi qu'une faible dispersion (fig. 7). Le fichier reconstruit est donc légèrement sous-calibré par rapport au fichier de référence. Les quelques zones d'imprécisions plus marquées sont visibles en bleu sur les faces vestibulaires de 25 et 26 (fig. 11) et correspondent à une erreur de l'ordre de – 50 μm. Ce fichier ne semble pas subir de surévaluation de la dimension transversale.
L'analyse du fichier .stl 2 révèle des valeurs autour de + 35 μm ainsi qu'une faible dispersion. Les secteurs postérieurs semblent mal retranscrits (zones rouges au niveau molaire) et correspondent à une surévaluation de la largeur d'arcade dentaire d'environ 100 à 150 μm (fig. 8) (étoile blanche, fig. 12).
La fidélité des fichiers .stl 3 et 4 est moins importante que celle des deux premiers fichiers et comprise entre þ 300 μm (fig. 9 et 10). Le fichier .stl 3 présente une surévaluation transversale qui se traduit par des zones très imprécises au niveau des faces vestibulo-distales et au niveau des collets des dents (fig. 13). Le fichier .stl 4 se caractérise par un élargissement plus important dans le plan horizontal, mais uniquement sur une moitié de l'arcade. En effet, l'autre moitié de l'arcade présente un niveau de justesse de qualité au moins équivalent à celui des fichiers .stl 1 et 2 (fig. 14).
L'analyse d'un maillage repose sur plusieurs critères : nombre, surface moyenne et qualité des triangles du fichier ainsi que leur répartition. La qualité des triangles peut être analysée au travers de l'angulation des sommets, l'objectif étant d'obtenir des triangles parfaitement équilatéraux. Ainsi, lorsque le nombre de triangles est important, que ces triangles sont de forme régulière et de petite surface, le fichier sera de qualité pour le prothésiste car les phénomènes de « lissage » informatique entre les triangles seront moins étendus.
Au vu de ces premières acquisitions, il semble exister des différences entre les maillages des fichiers .stl issus des quatre scanners, que ce soit en termes de densité, de qualité ou de taille des triangles (fig. 15 à 18). Le fichier .stl 1 présente des triangles d'une surface plus importante que les fichiers .stl 2, 3 et 4. L'analyse des triangles du fichier 1 révèle une plus grande homogénéité des triangles (en grande partie de type équilatéral), alors que les fichiers 2, 3 et 4 présentent visuellement une alternance plus marquée de triangles équilatéraux et isocèles (fig. 19 à 22).
Cette première analyse révèle également que certains algorithmes présents dans le logiciel des scanners permettent d'adapter la densité des triangles en fonction de la complexité de la surface dentaire. Ce phénomène, appelé « maillage adaptatif », semble se retrouver au niveau des fichiers 1 et 2 (fig. 19 et 20) avec une densité de triangles bien plus importante au niveau des zones anfractueuses correspondant aux limites de préparation ou aux faces occlusales qu'ailleurs.
L'objectif principal de ce travail était de mettre au point un protocole original permettant à chacun d'analyser rapidement et de manière reproductible la précision des scanners proposés par les industriels. Il en ressort que les SOIO sont de très bons dispositifs médicaux avec un degré de précision proche de celui des techniques d'empreinte traditionnelles [6-9]. Cependant, même si les quatre scanners de cette étude sont capables de générer un fichier .stl, il existe de réelles disparités que ce soit en termes de justesse ou au niveau du maillage des fichiers.
Ces résultats préliminaires vont dans le sens de ce qui est décrit dans la littérature scientifique, qui rapporte presque systématiquement un phénomène de distorsion postérieur pour les SOIS [6-10]. L'analyse du maillage des fichiers .stl est une méthode encore très récente, mais les résultats présentés ici vont là aussi dans le sens de la littérature scientifique qui rapporte des différences de nombres et de densités en fonction des scanners [11]. Le caractère préliminaire de cette étude (n = 1) impose de limiter pour l'instant l'interprétation des résultats et de futurs travaux sont en cours pour élargir cette étude à de plus nombreux échantillons et caméras. Toutefois, les valeurs de justesse obtenues dans ce travail apparaissent un peu élevées par rapport à celles de la littérature scientifique sur modèle en plâtre mais similaires à celles des travaux sur dents naturelles [12]. Cette différence peut être en partie expliquée par l'originalité d'un modèle de travail en dents naturelles qui présente des phénomènes de réflexion et de capture imprécise là où le plâtre est soit moins réfléchissant, soit plus facile à scanner. Une récente étude rappelle en effet que la précision des SOIO est influencée par la translucidité du support à numériser [13].
De même, certains autres points pourraient influencer les valeurs de précision d'un SOIO, par exemple :
– la méthode de mesure de la justesse. Elle peut se faire soit par superposition des fichiers .stl, soit par mesure de la distance entre 2 points [14]. Ce dernier procédé conduit à l'obtention de valeurs souvent plus importantes car il est influencé par l'opérateur et par sa capacité à mesurer manuellement des distances [3] ;
– la méthode d'analyse des résultats. Elle peut aussi modifier la réalité des données. Certaines études retirent parfois les valeurs extrêmes [7-9] ou certains auteurs rapportent des moyennes de valeurs non absolues [15]. En effet, le retrait de ces valeurs peut modifier fortement la moyenne rapportée dans les articles et engendrer des risques de biais lors de l'interprétation des résultats ;
– la version du logiciel de modélisation. Un même logiciel a généralement différentes versions. Celle-là n'est que rarement mentionnée alors qu'elle peut grandement influencer l'exactitude des SOIO. Par exemple, Ender et al. [8] montrent une fidélité de 34,2 μm pour la caméra Bluecam (CEREC® Sirona) avec le logiciel 4.0, mais la fidélité est de 43,3 μm pour la version 4.2 du logiciel. De même, l'étude de Shim et al. [16] montre une influence significative de la version du logiciel de la caméra Bluecam sur l'adaptation des couronnes ;
– la géométrie et le volume de la surface à enregistrer. En effet, certaines études portent sur des empreintes de préparation unitaire [17, 18], d'autres sur des bridges, un groupe de dents adjacentes [6, 19, 20] ou encore sur des arcades entières. Certaines caméras peuvent avoir d'excellents résultats sur de petites surfaces (dents unitaires) mais de moins bons lorsqu'il s'agit de secteurs plus importants. De même, certaines caméras peuvent avoir du mal à enregistrer avec précisions certaines géométries (arêtes, contre-dépouilles) ;
– l'expérience du manipulateur et sa stratégie de scannage. Il est généralement précisé que les expérimentateurs se sont entraînés à la prise d'empreinte mais sans fournir d'information sur le temps de formation préalable [16]. Par exemple, une semaine de formation préalable justifie d'un niveau de praticien expérimenté dans l'étude de Patzelt et al. [21] alors qu'il faut avoir réalisé 200 scans en pratique clinique dans l'étude de Liu et Huang [22] pour atteindre ce même niveau. La manière dont le SOIO est utilisé est également rarement précisée dans l'étude ; pourtant, le travail d'Ender et al. [15] montre des écarts de justesse allant du simple au double en fonction de la stratégie de scannage (de 46 à 90 μm pour la 3M True Definition et de 2 à 53 μm pour la CEREC® Bluecam).
Enfin, la plupart des études sont actuellement réalisées dans des conditions in vitro sur des modèles en plâtre. De fait, il convient de rester prudent en termes de précision : les expériences in vitro sont une approche méthodologique permettant de tester la technique en se concentrant sur quelques paramètres mais ne reflètent la réalité que de manière imparfaite. En effet, en situation clinique, plusieurs paramètres vont augmenter les sources d'erreur comme la langue, la buée, la mobilité du patient, les conditions de lumière variables (génération d'ombres), la présence de surfaces dentaires ou prothétiques réfléchissant différemment la lumière (comme les restaurations métalliques) ou les phénomènes de réfraction à la limite entre la salive et l'air [6, 23].
L'empreinte optique est à la base de chaque restauration fabriquée par un système de CFAO. Ainsi, le fichier .stl doit impérativement présenter une précision maximale afin d'obtenir l'erreur finale la plus faible possible. Ce travail a illustré un protocole permettant d'analyser rapidement la précision des fichiers .stl générés par les principaux SOIO. Même si tous les scanners sont capables de générer un fichier numérique correct, il existe des disparités notamment quant à leur justesse. Cette information, indépendante de tout conflit d'intérêts, doit permettre au praticien de faire le bon choix lors de l'acquisition ou du renouvellement d'un SOIO.
Ces informations peuvent et doivent être complétées régulièrement par une lecture active de la littérature scientifique nationale et internationale. Cependant, il faut rester extrêmement attentif dans ce travail de lecture car la diversité des protocoles opératoires et la multiplication des conflits d'intérêts (parfois non déclarés) empêchent pour l'instant toute forme de consensus scientifique en termes de supériorité technique ou industrielle de l'un ou l'autre des produits proposés.
À Cécile Bourret pour la fabrication du modèle. Au laboratoire Labotech pour sa collaboration et pour l'utilisation de son scanner de laboratoire.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Maëlle Galizzi - Chirurgien-dentiste
Raphaël Richert - Ingénieur diplômé de l'École des mines de Saint-Étienne
Interne en odontologie
Gilbert Viguié - Chirurgien-dentiste
MCU-PH
Jean-Christophe Farges - Chirurgien-dentiste
PU-PH
Michel Fages - Chirurgien-dentiste
MCU-PH
Maxime Ducret - Chirurgien-dentiste
MCU-PH
Faculté d'Odontologie, université Claude Bernard-Lyon 1, 11, rue Guillaume Paradin - 69372 Lyon cedex 08