Occlusion
Pendant longtemps, les publications consacrées à la compréhension des mouvements mandibulaires et à l'occlusion ont été dominées par l'importance des déterminants articulaires (ou postérieurs) et par leur primauté sur les déterminants dentaires (antérieurs) et neuromusculaires.
Progressivement, l'évolution des théories et des concepts occluso-prothétiques a relevé l'intérêt du guidage dentaire, en général, et du guide antérieur, en particulier, dans la...
Résumé
L'étude de l'évolution du guide antérieur au cours des différents stades de la dentition, en relation avec la profondeur de la courbe de Spee, chez le sujet africain mélanoderme a permis d'observer que :
– le recouvrement et le surplomb sont presque nuls chez l'enfant en denture temporaire, avec une courbe de Spee inexistante car il y a un rapport occlusal en bout à bout ;
– le guide antérieur se met en place en même temps que la courbe de Spee avec l'éruption des incisives permanentes en denture mixte stable et les deux paramètres évoluent dans le même sens.
D'une façon générale, la faible valeur des paramètres du guide antérieur du sujet mélanoderme observée dans cette étude répond à la valeur réduite de la courbe de Spee permettant d'assurer une harmonie de fonctionnement occlusal dans les mouvements de latéro-propulsion. C'est pourquoi, en cas d'absence ou de déficience du guide antérieur, sa restauration correcte en prothèse amovible ou fixée, chez l'enfant ou l'adulte, doit se faire en tenant compte de la configuration de cette courbe de Spee.
Pendant longtemps, les publications consacrées à la compréhension des mouvements mandibulaires et à l'occlusion ont été dominées par l'importance des déterminants articulaires (ou postérieurs) et par leur primauté sur les déterminants dentaires (antérieurs) et neuromusculaires.
Progressivement, l'évolution des théories et des concepts occluso-prothétiques a relevé l'intérêt du guidage dentaire, en général, et du guide antérieur, en particulier, dans la biomécanique et le fonctionnement de l'appareil manducateur. C'est l'intérêt du concept fonctionnaliste avec la protection de groupe, puis du concept physiologique mettant en évidence la notion de protection de groupe antérieure, pour aboutir finalement au concept actuel de la protection mutuelle ou occlusion mutuellement protégée [1]. Dans ce concept, les dents postérieures protègent les dents antérieures en les déchargeant des contraintes occlusales en intercuspidie maximale. À l'inverse, les dents antérieures protègent les dents postérieures en assurant leur désocclusion au cours du mouvement de propulsion.
L'importance des dents antérieures comme guide du mouvement mandibulaire et de l'occlusion a fait dire à Mac Horris que « les dents antérieures sont la clé de la conservation d'une bonne occlusion ». Ainsi, le guide antérieur, qui est défini comme l'ensemble des rapports statiques et dynamiques qu'entretiennent les dents antérieures maxillaires et mandibulaires, est un paramètre essentiel des déterminants dentaires.
Quand ce guide antérieur se met-il en place ? À quel âge est-il fonctionnel ? Quels sont ses rapports avec les autres déterminants dentaires, notamment la courbe sagittale d'occlusion ?
C'est à ces différentes questions que la présente étude se propose d'apporter un début de réponse à travers l'évaluation des paramètres du guide antérieur et de la courbe de Spee, au cours de l'évolution de la denture temporaire à la denture adulte.
Cette étude a été réalisée au sein d'une population mélanoderme de Côte d'Ivoire. Les sujets ont été recrutés parmi les élèves d'un établissement secondaire de la commune de Cocody et parmi les étudiants de l'université de Cocody, à Abidjan, selon les critères suivants :
– denture complète pour chaque type de denture ;
– normocclusion de classe 1 d'Angle canine et molaire ;
– absence de lésion carieuse et de restauration occlusale ;
– aucun traitement orthodontique en cours ou effectué ;
– absence de reconstruction prothétique ;
– absence de pathologie parodontale ou articulaire.
Sur la base de ces critères, 120 sujets répartis comme suit ont été sélectionnés :
– 30 enfants en denture temporaire stricte ;
– 30 enfants en denture mixte stable (éruption de la première molaire permanente) ;
– 30 adolescents en denture adulte jeune (éruption de la deuxième molaire permanente) ;
– 30 adultes en denture permanente (éruption de la dent de sagesse).
Le matériel suivant a été utilisé :
– films Kodak T-MAT G 18 × 24 cm ;
– appareillage radiologique du type Odontorama PC 100 ;
– cassette porte-film type Kodak X-Omatic Regular ;
– bains de développement Kodak X O-Mat.
Pour chaque sujet, il a été réalisé un cliché radiographique de profil en occlusion habituelle d'intercuspidie maximale, la tête orientée par rapport au plan de Francfort. L'incidence en norma lateralis perpendiculaire au plan sagittal médian a été effectuée à une distance focale de 3,5 m pour une distance objet-image fixée à 15 cm.
À cette distance, la déformation est considérée comme suffisamment négligeable, ce qui permet de relever des mesures fiables. Tous les clichés ont été réalisés par le même opérateur avec le consentement éclairé des sujets (ou de leurs parents s'ils étaient mineurs). Le repérage des structures de la base du crâne, du massif facial supérieur et de la mandibule a permis de réaliser les tracés céphalométriques. Tous les tracés ont été effectués par le même opérateur et soumis à vérification.
Le matériel suivant a été utilisé :
– négatoscope ;
– papier-calque transparent de type Kodatrace et ruban adhésif ;
– crayon du type critérium à mine HB de 5/10 mm de diamètre, gomme ;
– règle, équerre et rapporteur transparents.
Ont été utilisés :
– les sommets des cuspides disto-vestibulaires de la 4 et de la 5 inférieures, pour la denture temporaire ;
– le sommet de la cuspide disto-vestibulaire de la 6 inférieure, pour la denture mixte stable ;
– les sommets des cuspides disto-vestibulaires de la 6 et de la 7 inférieures pour la denture adulte jeune ;
– le point incisif inférieur pour tous les types de dentures.
La valeur du guide antérieur (fig. 1) a été appréciée à travers deux paramètres :
– le recouvrement (r), ou overbite, est mesuré dans le sens vertical par la distance qui sépare les bords libres des deux incisives centrales supérieure et inférieure ;
– le surplomb (s), ou overjet, est mesuré dans le sens antéro-postérieur par la distance entre le point incisif supérieur et la face vestibulaire de l'incisive centrale inférieure.
La profondeur de la courbe (fig. 2) est définie par la flèche (F) mesurée à partir du milieu de la corde (longueur d'arcade). Sur une perpendiculaire abaissée à ce milieu de la corde, F mesure la distance de ce point au point dentaire occlusal choisi (voir ci-dessus les points utilisés).
Sur chaque téléradiographie, ont été mesurées :
– en denture temporaire, 4 mesures linéaires (F4, F5, r et s), soit 120 mensurations pour les 30 sujets ;
– en denture mixte stable, 3 mesures linéaires (F6, r et s), soit 90 mensurations pour les 30 sujets ;
– en denture adulte jeune, 4 mesures linéaires (F6, F7, r et s), soit 120 mensurations pour les 30 sujets ;
– en denture adulte, 5 mesures linéaires (F6, F7, F8, r et s), soit 150 mensurations pour les 30 sujets.
Pour l'ensemble de l'échantillon, 480 mesures ont été effectuées.
Les données recueillies ont été saisies et traitées sous Epi Info 6. Chaque variable a été soumise à une analyse statistique descriptive qui a permis de dégager les valeurs minimale et maximale et de calculer l'amplitude, la moyenne et l'écart type.
En ce qui concerne le recouvrement (fig. 3) :
– denture temporaire : r moyen = 0,9 ± 0,8 mm ;
– denture mixte stable : r moyen = 1,7 ± 0,8 mm ;
– denture adulte jeune : r moyen = 1,9 ± 0,6 mm ;
– denture adulte : r moyen = 1,9 ± 0,7 mm.
En ce qui concerne le surplomb (fig. 4) :
– denture temporaire : s moyen = 1,1 ± 0,1 mm ;
– denture mixte stable : s moyen = 1,5 ± 0,7 mm ;
– denture adulte jeune : s moyen = 2,08 ± 0,7 mm ;
– denture adulte : s moyen = 2,1 ± 1,1 mm.
En denture temporaire, la profondeur moyenne de la courbe de Spee est la suivante (tableau I) :
– à la première molaire temporaire, F4 = 0 mm ;
– à la deuxième molaire temporaire, F5 = 0,72 mm.
En denture mixte stable, la profondeur moyenne de la courbe de Spee à la première molaire permanente est la suivante : F6 = 1,7 ± 0,2 mm.
En denture adulte jeune, la profondeur moyenne de la courbe de Spee est la suivante (tableau II) :
– à la première molaire permanente, F6 = 1,5 ± 0,1 mm ;
– à la deuxième molaire permanente, F7 = 2,3 ± 0,1 mm.
En denture adulte, la profondeur moyenne de la courbe de Spee est la suivante :
– à la première molaire permanente, F6 = 1,21 ± 1 mm ;
– à la deuxième molaire permanente, F7 = 1,9 ± 1,1 mm ;
– à la troisième molaire permanente (dent de sagesse), F8 = 3,9 ± 1 mm.
En denture temporaire, le recouvrement est très faible, voire inexistant (0,9 ± 0,8 mm). Plus de 50 % des sujets ont un recouvrement nul, c'est-à-dire des rapports incisifs en bout à bout. À ce stade, la courbe de Spee est absente ou presque : F4 = 0 mm et F5 = 0,72 mm.
En denture mixte stable, la valeur moyenne du recouvrement est de 1,7 mm alors que la courbe de Spee se met en place : F6 = 1,3 ± 1 mm.
C'est à ce stade que l'enfant acquiert, avec l'éruption des dents antérieures permanentes, la fonction de guidage antérieure. À ce propos, Koua [2] a montré, dans une étude sur le guidage antérieur chez l'enfant mélanoderme de Côte d'Ivoire en denture mixte stable, qu'en propulsion, 90 % des incisives centrales étaient sollicitées contre 76 % des incisives latérales. Pour Valentin [3], les paramètres et les valeurs de ce guidage qui conditionnent l'activité fonctionnelle des dents en denture adulte sont significativement les mêmes qu'en denture mixte.
En denture adulte jeune, le recouvrement passe à 1,9 ± 1,3 mm. À ce stade de la denture, caractérisé par l'éruption de la deuxième molaire permanente, la courbe de Spee est marquée. Dans cette étude, F7 est de 2,3 mm chez l'adulte jeune. Elle va s'accentuer avec l'éruption de la dent de sagesse (F8 = 3,9 mm) en denture adulte alors que le recouvrement se stabilise à 1,9 ± 1,5 mm. La valeur moyenne du recouvrement qui a été déterminée en denture adulte est proche de celle de Djeredou [4] (2,1 ± 0,5 mm), mais inférieure à celle obtenue chez le sujet caucasien (2,5 mm) d'après l'étude de Ricketts.
En denture temporaire, le surplomb est faible ; sa valeur moyenne (s) est de 1,1 ± 0,1 mm. À ce stade, la profondeur de la courbe de Spee est nulle ou presque : F4 = 0 mm et F5 = 0,72 mm.
En denture mixte stable, la valeur moyenne du surplomb a augmenté (1,5 ± 0,7 mm) et, à ce stade, la courbe de Spee se met en place : F6 = 1,3 ± 1 mm.
En denture adulte jeune, la valeur moyenne du surplomb passe à 2,08 ± 0,7 mm et, en même temps, la profondeur de la courbe de Spee s'accentue avec F7 = 2,3 mm. À ce stade, le guide antérieur a acquis sa maturité morphologique et apparaît significativement fonctionnel comme l'ont montré Koua [2] chez les sujets africains mélanodermes et Valentin [3] chez les sujets caucasiens.
En denture adulte, le surplomb évolue très peu et se stabilise à 2,1 ± 1,1 mm. Ce résultat est également proche de celui de Djeredou [4] (2,3 ± 0,8 mm) mais inférieur (2,5 mm) à celui des sujets caucasiens d'après l'étude de Ricketts.
Il importe d'observer par ailleurs que à ce stade de la denture chez le sujet caucasien, la courbe de Spee est plus marquée avec une profondeur à F7 qui est de 3,66 mm selon Ghezzy et al. [5] là où, chez les sujets africains mélanodermes, elle n'est que de 1,9 mm.
De cette étude, on retient que le surplomb augmente au cours des différents stades de la denture. Cette observation est en accord avec les travaux de Foster et Grundy [6] qui ont montré que la valeur moyenne du surplomb incisif augmentait au cours de la croissance. Il serait de 3,2 mm à 5 ans et de 4,3 mm à 12 ans chez le sujet caucasien. Nanda [7] observe que cette augmentation est de 1,5 mm en moyenne entre 5 et 13 ans et demi. Toutefois, Pourreyron [8] remarque que cette augmentation n'est pas généralisée. Pour certains enfants, elle reste inchangée tandis que, pour d'autres, elle diminue. C'est ce qui fait dire à Nanda [7] que l'augmentation du surplomb ne représente pas une règle absolue. Pourreyron [8] note d'ailleurs que, lors de la modification du surplomb, la direction de ce changement n'est pas prévisible, de même que le pourcentage d'enfants dont le surplomb n'augmente pas. En fait, en denture temporaire, les incisives sont perpendiculaires au plan d'occlusion et perpendiculaires entre elles, tandis que les incisives permanentes occupent d'emblée une situation plus vestibulée. Elles se redresseront jusqu'à l'âge adulte, d'après Fraudet.
En fin de compte, les paramètres du guide antérieur évoluent dans le même sens que la profondeur de la courbe de Spee. Nanda [7] explique cette liaison par le fait que la courbe d'occlusion serait la résultante de la rotation de la mandibule au cours de sa croissance. Cette rotation induit une béance antérieure qui serait compensée par la croissance vers le haut des incisives inférieures, accompagnées de leurs procès alvéolaires, et par la croissance vers le bas des incisives supérieures et de leurs cryptes osseuses.
Pour Broderson, l'origine de la verticalisation des incisives se trouve dans ces explications. Dans le même sens, Veli et al. [9] affirment que l'éruption verticale des dents antérieures a une influence significative sur la profondeur de la courbe de Spee chez les sujets en classe I et III d'Angle. Ainsi, les dents antérieures formeront une pente suffisamment inclinée pour permettre une désocclusion immédiate des dents cuspidées dès l'amorce du mouvement antéro-postérieur de la mandibule [10]. Cela a fait dire à Djeredou [4] que la faible valeur des composants du guide antérieur du sujet africain mélanoderme semble répondre à la faible profondeur de la courbe de Spee permettant une harmonie de fonctionnement occlusal au cours des mouvements de latéro-propulsion.
Le guide antérieur est presque nul chez l'enfant en denture temporaire qui présente un rapport occlusal en bout à bout en rapport avec une courbe de Spee inexistante. Ce guide antérieur se met en place en même temps que la courbe de Spee, avec l'éruption des incisives permanentes en denture mixte stable. Ces deux éléments évoluent dans le même sens. La faible valeur des paramètres du guide antérieur du sujet mélanoderme observée dans cette étude répond à la valeur réduite de la courbe de Spee pour assurer une harmonie de fonctionnement occlusal dans les mouvements de latéro-propulsion. Ainsi, en cas d'absence ou de déficit du guide antérieur, sa restauration prothétique ou orthodontique, chez l'enfant ou chez l'adulte, doit tenir compte de la configuration de la courbe de Spee. Ahammed et al. [11] précisent d'ailleurs qu'il existe une corrélation entre la courbe de Spee et les différents paramètres dentaires et squelettiques.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Assiéhué Claude N'Dindin
Nambé Yacouba Konaté
Kamon Jean-Claude N'Cho
Koffi Alexandre Kouamé
Kouadio Benjamin Djérédou
Koffi Delman Assi
Département de prothèse et occlusodontie
UFR d'odontostomatologie
Université Félix Houphouët-Boigny
22 BP 612 Abidjan 22, Côte d'Ivoire
El Babacar M'Bodj
Département d'odontologie
Service de prothèses dentaires
Faculté de médecine
Université Cheick-Anta-Diop
BP 5005 Dakar-Fann, Sénégal
Kouakou Kouadio
Bernard Giumelli
Département de prothèses
UFR d'odontologie
Université de Nantes
1, place Alexis-Ricordeau