Prothèses et recherche
Les pertes de substance acquises au niveau maxillaire peuvent avoir des étiologies variées (néoplasie bénigne ou maligne, ostéoradionécrose ou ostéochimionécrose, traumatisme, infection...). Cependant, dans la plupart des cas, elles font suite à un acte chirurgical planifié, se concrétisant par une maxillectomie plus ou moins étendue.
Les chirurgies d'exérèse au niveau maxillaire sont souvent mutilantes. Elles peuvent induire une communication bucco-nasale et/ou...
Résumé
Les chirurgies d'exérèse au niveau maxillaire sont souvent mutilantes et ont des répercussions au niveau non seulement esthétique et fonctionnel mais également psychologique. Bien que des techniques de reconstruction chirurgicale aient été mises au point, elles présentent certaines limites. C'est pourquoi les prothèses obturatrices tiennent encore aujourd'hui une place essentielle dans la restauration des patients ayant bénéficié d'une maxillectomie et, en particulier, les prothèses obturatrices immédiates qui permettent de compenser rapidement la perte de substance. Cet article a pour but, à travers l'analyse descriptive comparative d'une petite série de patients, d'étudier la place des prothèses obturatrices immédiates dans la stratégie thérapeutique globale et leur impact sur la qualité de vie des patients.
Les pertes de substance acquises au niveau maxillaire peuvent avoir des étiologies variées (néoplasie bénigne ou maligne, ostéoradionécrose ou ostéochimionécrose, traumatisme, infection...). Cependant, dans la plupart des cas, elles font suite à un acte chirurgical planifié, se concrétisant par une maxillectomie plus ou moins étendue.
Les chirurgies d'exérèse au niveau maxillaire sont souvent mutilantes. Elles peuvent induire une communication bucco-nasale et/ou bucco-sinusienne, la perte des tissus de soutien de la face et de l'œil, la perte du voile du palais ainsi que des pertes dentaires. Les répercussions concernent tant les niveaux esthétique et fonctionnel (phonation, mastication, déglutition) que psychologique [1-3]. Les difficultés, voire l'impossibilité de s'alimenter par voie orale et de communiquer constituent un obstacle à la récupération postopératoire du patient et à la réintégration sociale. De ce fait, la période postopératoire immédiate est marquée par une diminution de sa qualité de vie. La notion de qualité de vie, de plus en plus prépondérante dans notre société et particulièrement dans le domaine médical, suscite logiquement une attention particulière en prothèse maxillo-faciale, comme en témoigne la littérature scientifique récente [4-6].
Bien que des techniques de reconstruction chirurgicale aient été mises au point pour compenser les pertes de substance maxillaires, celles-ci présentent certaines limites (état général du patient, surveillance de récidives locales, reconstruction compliquée par la radiothérapie, geste chirurgical supplémentaire, interventions multiples, prise en charge plus longue, coût élevé, restauration nécessitant souvent d'être couplée à l'implantologie). Par ailleurs, la qualité de vie des patients reconstruits chirurgicalement ne semble pas différer de celle des patients non reconstruits et bénéficiant d'une prothèse obturatrice [6]. C'est pourquoi les prothèses obturatrices tiennent encore aujourd'hui une place essentielle dans la restauration des patients ayant bénéficié d'une maxillectomie.
On distinguera plusieurs types de prothèses obturatrices selon la chronologie du traitement :
– la plaque obturatrice immédiate (ou semi immédiate). Il s'agit d'une plaque en résine réalisée à partir d'une empreinte préopératoire (ou peropératoire) ; elle est mise en place en peropératoire (postopératoire immédiat dans les 24 heures) et nécessite d'être adaptée à la perte de substance avec une résine à prise retardée. Elle ne comporte généralement pas de dents prothétiques. Elle nécessite d'être réadaptée et rebasée au gré de la cicatrisation ;
– la prothèse obturatrice transitoire, qui est issue soit de l'évolution de la plaque obturatrice immédiate (ou semi immédiate), soit d'une empreinte de la perte de substance. Elle comporte généralement des dents prothétiques. Elle est réadaptée et rebasée jusqu'à stabilisation du volume de la perte de substance ;
– la prothèse obturatrice d'usage, issue d'une empreinte de la perte de substance convenablement cicatrisée et dont le volume est stable. Elle comporte des dents prothétiques pour compenser les édentements. Sa base est en résine ou, plus rarement, en métal ; sa partie obturatrice peut être en résine (généralement solidaire de la base) ou en silicone (généralement dissociée de la base).
La mise en place de prothèses obturatrices immédiates a donc pour but de compenser rapidement la perte de substance maxillaire occasionnée par la chirurgie d'exérèse, d'en limiter les répercussions fonctionnelles et esthétiques et de favoriser la récupération du patient et son retour à domicile. Cependant, ces restaurations requièrent une organisation pluridisciplinaire réactive (en particulier dans le cas de néoplasies malignes qui nécessitent une prise en charge rapide) en préopératoire avec l'intervention d'un odontologiste spécialisé au bloc opératoire. Ce contexte spécifique ne permet donc pas d'envisager systématiquement cette thérapeutique.
Mais le recours à une prothèse obturatrice immédiate présente-t-il un intérêt dans la préservation de la qualité de vie des patients bénéficiant d'une maxillectomie ?
Cette étude prospective préliminaire a pour objectif d'évaluer la qualité de vie d'une série de patients ayant ou non bénéficié d'une prothèse obturatrice immédiate après une exérèse chirurgicale au maxillaire.
Les patients inclus dans cette étude proviennent des Services d'odontologie et de chirurgie maxillo-faciale de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Au moment de l'étude, la mise en place de prothèses obturatrices immédiates n'était pas systématisée dans cette structure, les patients bénéficiant alors directement d'une prothèse obturatrice transitoire, avec une période postopératoire de quelques jours sans restauration.
Les patients sont vus en premier lieu en consultation de chirurgie maxillo-faciale (fig. 1 et 2). Dès lors qu'un contexte pathologique nécessite une maxillectomie, ils sont orientés vers une consultation odontologique préopératoire donnant lieu à des empreintes préliminaires à l'alginate, des photographies ainsi que des explications concernant la prise en charge odontologique et plus particulièrement prothétique. La proposition de participation à l'étude est faite au patient ; une lettre d'information expliquant le but et le déroulement de l'étude ainsi qu'un formulaire de recueil de consentement lui sont remis. En cas de consentement, un premier questionnaire de qualité de vie lui est soumis.
Lorsque les délais et l'organisation au sein du service le permettent, une plaque obturatrice immédiate est envisagée. La base de la prothèse obturatrice immédiate est réalisée à partir des empreintes préliminaires. À l'issue de l'intervention au bloc opératoire, elle est adaptée à la perte de substance et retouchée afin que le patient puisse en bénéficier dès son réveil (fig. 3 à 5).
Si une plaque obturatrice immédiate n'a pu être envisagée avant l'intervention, une empreinte de la perte de substance est prise en postopératoire ; la plaque obturatrice est alors mise en place après la première semaine postopératoire (environ J8-J10).
À 7 jours et à 1 mois postopératoires, les patients doivent répondre au même questionnaire ainsi qu'à 11 questions supplémentaires concernant la prothèse obturatrice (seuls les patients ayant eu une prothèse obturatrice immédiate sont appareillés à 7 jours et répondent aux 11 questions en plus). À 1 mois postopératoire, tous les patients ont une prothèse obturatrice transitoire et répondent donc aux 11 questions supplémentaires.
Dans le cadre du traitement de certaines tumeurs malignes, des séances de radiothérapie externe cervico-faciale sont envisagées. Pendant les mois qui suivent la résection chirurgicale, la plaque obturatrice est réadaptée aux contours de la perte de substance qui varient au cours de la cicatrisation. Des dents prothétiques peuvent être adjointes pour optimiser l'aspect esthétique de la restauration transitoire (fig. 6 et 7). Après la fin des traitements ionisants et la stabilisation de la morphologie de la perte de substance, une prothèse d'usage peut être réalisée (fig. 8 à 11). Un examen minutieux de la cavité buccale et de la perte de substance est réalisé à chaque rendez-vous à la recherche d'une récidive locale ou d'une seconde localisation de tumeur maligne.
Les différentes étapes dans le cas d'un patient présentant une néoplasie maligne sont résumées sur la figure 12.
Le contexte pathologique des patients inclus dans cette étude nécessite une maxillectomie conduisant à une perte de substance acquise de classe I à III (classification de Pomar et Bentahar) [7], intéressant donc l'infrastructure ou la méso-structure de l'étage moyen de la face. Pour ces patients, une restauration par prothèse maxillo-faciale sans reconstruction chirurgicale est prévue.
Les patients dont la perte de substance maxillaire est d'origine congénitale et traumatique ont été exclus de l'étude, de même que ceux présentant une perte de substance maxillaire de classe IV ou intéressant la suprastructure (classification de Pomar et Bentahar), ou dont la perte de substance fait intervenir une reconstruction chirurgicale.
Plusieurs techniques de conception de la prothèse immédiate sont décrites dans la littérature scientifique. La technique de Benoist, qui a été utilisée pour cette étude, est la plus employée et décrite dans la littérature [7-10]. Ses étapes de réalisation sont les suivantes :
– prise d'empreinte à l'alginate des arcades maxillaire et mandibulaire lors de la consultation préopératoire ;
– enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire, si possible et si nécessaire ;
– obtention de moulages en plâtre que l'on modifie ensuite (meulage des dents devant être extraites, élimination de toute voussure due à la tumeur et tracé des futures limites d'exérèse définies avec le chirurgien maxillo-facial) ;
– confection d'une plaque palatine en résine acrylique transparente (visualisation d'éventuelles zones de compression) sur le modèle modifié.
Le patient déjà porteur d'une prothèse amovible constitue un cas spécifique : une modification de celle-ci est possible pour remplir le rôle d'un obturateur immédiat.
La définition de la qualité de vie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1993 [11] couvre un champ très vaste : « Perception qu'un individu a de sa place dans la vie, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C'est un concept très large qui peut être influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique et son niveau d'indépendance, ses relations sociales et sa relation aux éléments essentiels de son environnement. »
Cette définition prend en compte les domaines physique (autonomie et activités physiques), psychologique (anxiété, dépression, émotion), relationnel (familial, social, professionnel), symptomatique (répercussion de la maladie et de son traitement) ainsi que des aspects plus particuliers tels que la sexualité ou l'image de soi. Ces nombreux aspects montrent que l'évaluation de la qualité de vie est un exercice difficile [12].
Le questionnaire destiné aux patients en englobe en fait plusieurs :
– 3 questionnaires standardisés parmi les plus répandus dans la littérature scientifique et validés dans leur version francophone, mais non spécifiquement liés au contexte de maxillectomie : l'EORTC-QLQ-H & N35, le deglutition handicap index (DHI, indice du handicap de déglutition) et le voice handicap index (VHI, indice du handicap de phonation). Une déglutition et une phonation de bonne qualité participent en effet à la qualité de vie ;
– 1 questionnaire élaboré en 2002 dans la thèse Mise au point d'une étude clinique visant à évaluer l'intérêt de l'utilisation précoce de prothèses obturatrices après maxillectomie (ou questionnaire de Simon) [13]. Dans le cadre de cette étude, il semble intéressant d'utiliser un outil réservé à ce contexte clinique spécifique puis de le mettre en rapport avec les questionnaires traditionnellement utilisés dans la littérature scientifique.
Il s'agit d'un module spécifique de l'EORTC-QLQ-C30 conçu pour les patients atteints de cancers de la sphère ORL et maxillo-faciale. Il comprend 35 questions avec échelle de Likert portant sur le ressenti durant la semaine passée, réparties en 7 domaines d'auto-évaluation : douleur, déglutition, troubles sensoriels, phonation, aspect social des repas, vie sociale et sexualité. Chaque réponse est cotée de 1 à 4 (1 = pas du tout ; 2 = un peu ; 3 = assez ; 4 = beaucoup) et le score maximal est de 140. Plus le score est élevé, plus l'altération de la qualité de vie est importante [14].
Il s'agit d'une échelle d'auto-évaluation de la voix mise au point par Jacobson et al. en 1997 [15]. Elle est née de la nécessité de quantifier l'aspect invalidant qu'un trouble vocal peut provoquer sur la qualité de vie et de mesurer les conséquences psychosociales des troubles vocaux. Le VHI comporte 30 items (avec échelle de Likert cotée de 0 à 4 : 0 point = jamais, 1 point = presque jamais, 2 points = parfois, 3 points = presque toujours, 4 points = toujours) groupés en trois catégories : aspects fonctionnel, émotionnel et physique.
Pour le VHI et le DHI, le score maximal est de 120. Plusieurs grades sont établis : un score entre 0 et 30 correspond à un handicap léger, un score entre 31 et 60 à un handicap modéré et un score entre 61 et 120 à un handicap sévère. Un score élevé révèle donc un impact important du handicap.
Cet auto-questionnaire de qualité de vie spécifique à la déglutition a été créé en 2006 sur le modèle du VHI (30 items avec échelle de Likert cotée de 0 à 4). Il explore également 3 domaines contenant chacun 10 items : les domaines physiques, fonctionnel et émotionnel [16, 17].
Il s'agit d'un questionnaire francophone, actuellement non validé, permettant d'évaluer la qualité de vie des patients après maxillectomie et les aspects liés à leur prothèse/plaque obturatrice. Il comporte 2 questions notées respectivement sur 2 et 3 points maximum, puis 28 questions à échelle visuelle analogique (EVA) notées de 0 à 10 et, enfin, 11 questions à EVA portant sur la restauration prothétique. Son score varie entre 0 et 285 (questionnaire sans les 11 items prothétiques) ou 395 (questionnaire avec les 11 items prothétiques).
Un questionnaire de 5 questions à EVA (évaluées de 0 à 10, score les plus défavorables), réservé au praticien qui réalise les prothèses obturatrices, permet d'évaluer la qualité technique de ces prothèses selon 5 critères techniques : étanchéité, stabilité, rétention, esthétique et facilité d'insertion/désinsertion de l'obturateur. Il est intéressant de confronter ces données à celles obtenues par l'instrument de qualité de vie car les critères de réussite d'une prothèse pour le praticien ne sont pas forcément les mêmes que ceux évoqués par le patient [18, 19].
Les patients remplissent le questionnaire de qualité de vie à trois reprises : en préopératoire, à 7 jours et à 1 mois postopératoires. Aucune limite de temps ne leur est imposée pour y répondre. Ils y répondent seuls.
Une fois remplis, les questionnaires sont analysés afin d'établir des données comparables sous la forme de scores chiffrés (chaque réponse correspond à un nombre de points). Tous les scores ont été saisis et répertoriés dans un tableau créé grâce au logiciel Microsoft Excel®. Les données obtenues sont confrontées aux informations médico-sociales figurant dans le dossier médical du patient (âge, sexe, étiologie, chirurgie, durée d'hospitalisation, présence d'une sonde naso-gastrique...) et aux données cliniques (classification de la perte de substance, édentement, atteinte du voile).
Seule une analyse descriptive comparative pour chaque patient est présentée dans cet article.
Sept patients (2 hommes et 5 femmes) de 46 à 84 ans (âge moyen : 69 ans) ont pu être inclus dans l'étude préliminaire ; 2 patients (patients 1 et 4) n'ont pas bénéficié de plaque obturatrice immédiate contrairement aux 5 autres. Les principales informations cliniques sont mentionnées dans le tableau 1.
Les scores obtenus dans les questionnaires standardisés (EORTC-QLQ-H & N35, VHI, DHI) et le questionnaire de Simon sont présentés sous forme de graphiques. Les résultats sont présentés sous forme de courbes (en pointillé pour les patients sans prothèse obturatrice immédiate) représentant les scores de chaque patient en préopératoire, à J7 et au bout de 1 mois (les scores les plus faibles correspondent à la qualité de vie la meilleure).
Les scores obtenus (fig. 13) permettent de constater que les patients présentent individuellement des profils de courbes très similaires avec une diminution de la qualité de vie à J7 puis une amélioration au bout de 1 mois, mais sans retour au score initial préchirurgical. Cependant, des résultats variés et parfois surprenants sont notés, en particulier le cas du patient no 1 qui n'a pas bénéficié d'une restauration immédiate et qui a pourtant les meilleurs scores pour quasiment chaque item, et le cas de la patiente no 4 dont le score a continué de s'aggraver malgré la mise en place de la plaque obturatrice transitoire.
Les scores obtenus avec ce questionnaire semblent reprendre les mêmes tendances que celles de l'EORTC-QLQ-H & N35, ce qui en confirme la pertinence (fig. 14). Lorsque l'on compare les scores moyens de tous les patients pour ces deux questionnaires, il semblerait que le questionnaire Simon sous-estime l'altération de la qualité de vie par rapport à l'EORTC-QLQ-H & N35 (fig. 15).
Avec le VHI, il a été possible de mettre en évidence que les patients présentent une dégradation des scores au bout de 7 jours, puis une amélioration au bout de 1 mois (à l'exception du patient no 4, malgré la mise en place d'une prothèse transitoire), sans retour au niveau initial (fig. 16). Les patients ayant subi une dégradation plus marquée à J7 ont pourtant bénéficié d'une restauration prothétique obturatrice immédiate (patients no 5, 6 et 7). Néanmoins, on constate que, pour ces patients, le voile du palais a été chirurgicalement altéré alors que ceux pour lesquels ça n'a pas été le cas (patients no 1, 2 et 3) ont subi une dégradation moins importante de la phonation.
On peut donc formuler l'hypothèse que la résection, même partielle, du voile du palais lors de la chirurgie pourrait être un facteur plus déterminant dans la phonation que la présence d'une restauration prothétique obturatrice immédiate.
Tous les patients montrent une dégradation de la déglutition mais avec des profils différents : dégradation importante au bout de 7 jours (patients no 2, 4, 5, 6 et 7) avec une récupération partielle au bout de 1 mois faible (patients no 2 et 5) à modérée (patients no 1, 3, 6 et 7). La patiente no 4 diffère par une dégradation malgré la mise en place de la plaque obturatrice transitoire. L'intérêt de ces restaurations prothétiques obturatrices immédiates n'est donc pas ici mis en évidence lorsque l'on compare les patients n'ayant pas eu d'obturateur immédiat par rapport aux autres (fig. 17).
La prothèse obturatrice immédiate est supposée faciliter l'alimentation par voie orale et, donc, limiter le recours à une sonde naso-gastrique pour s'alimenter. La prise de poids du patient et donc son alimentation figurent parmi les facteurs conditionnant la fin de la période d'hospitalisation. Les résultats ne montrent pas de lien entre la présence d'une restauration prothétique obturatrice immédiate et la durée d'hospitalisation ou la durée de port de la sonde naso-gastrique. Ces deux paramètres semblent liés entre eux et associés à l'âge du patient, que l'on peut supposer être un facteur déterminant dans la récupération. La patiente no 3, âgée de 66 ans, n'a été hospitalisée qu'une seule journée, vraisemblablement du fait de son étiologie différente (une ostéoradionécrose), à la différence de tous les autres patients opérés pour la résection d'une tumeur maligne (fig. 18).
Les résultats des 5 questions ayant trait à l'esthétique dans le questionnaire de Simon ont été isolés sur la figure 19 (score maximal de 50, correspondant à un paramètre esthétique le plus altéré). Tous les patients présentent une dégradation des scores au bout de 7 jours puis une amélioration au bout de 1 mois sans retour au niveau initial. Chaque patient ayant une perception différente de ce paramètre en préopératoire, on considérera que les scores les moins satisfaisants à J7 seront ceux qui auront subi la plus forte augmentation. Les patients no 5 et 6 semblent les plus affectés, malgré la présence d'une restauration prothétique obturatrice immédiate. L'intérêt de ces restaurations n'est donc pas ici mis en évidence.
On peut se demander si ces « mauvais » scores sont associés à la perte de dents antérieures maxillaires (de canine à canine) lors de la résection chirurgicale. On observe que les patients no 5 et 6 (dont la dégradation de l'esthétique est la plus importante) n'ont perdu aucune dent antérieure pendant l'intervention (à la différence des patients no 1, 2, 3 et 5), et que toutes leurs dents antérieures étaient présentes avant l'intervention. On ne peut donc pas supposer de relation entre ces deux paramètres.
La figure 20 illustre une relative adéquation de l'évaluation de la plaque obturatrice par le praticien et par le patient (malgré le fait que le praticien a tendance à sous-évaluer les paramètres insatisfaisants de l'obturateur par rapport au patient). Cela confirme le rôle important de l'écoute du patient en prothèse maxillo-faciale : le praticien ne peut se fier à son seul sens clinique pour relever le défi de la qualité de vie de ces patients.
L'analyse de la bibliographie montre que les résultats de cette étude préliminaire se rapprochent de ceux de Türkaslan [20] incluant 3 patients ainsi que de Goiato [21] incluant 1 patient seulement. Notons que le type des questionnaires et le moment où ils sont utilisés pour évaluer la qualité de vie des patients restent imprécis dans ces études. Néanmoins, ces auteurs suggèrent que les obturateurs immédiats permettent au patient de récupérer rapidement les fonctions après la chirurgie d'exérèse et limitent les séquelles esthétiques et psychologiques. La faible quantité d'articles scientifiques pouvant être comparés à cette étude préliminaire confirme son originalité, encore à l'heure actuelle.
Le faible échantillon de patients et la forte inhomogénéité des groupes à ce stade de l'étude ne permettent pas de conclure concernant l'existence d'un lien entre la qualité de vie des patients et les restaurations prothétiques obturatrices immédiates. De multiples facteurs interviennent dans la qualité de vie et certains d'entre eux semblent prépondérants par rapport au rôle de la restauration obturatrice immédiate. Ainsi, on peut faire l'hypothèse que d`autres paramètres aussi variés que l'âge, l'étendue du geste chirurgical, l'état psychologique initial du patient ou la présence d'un entourage familial et social priment sur les aspects plus « techniques » comme les restaurations prothétiques obturatrices immédiates.
Cependant, si l'impact des restaurations obturatrices immédiates n'a pas pu être déterminé, tous les patients déclarent que la restauration obturatrice immédiate ou transitoire constitue une aide pour eux, qu'elle est portée quotidiennement et qu'ils peuvent difficilement s'en passer. On peut dès lors considérer qu'il y a un intérêt pour les patients à être appareillés le plus tôt possible après l'intervention, bien que cela ne transparaisse pas par le biais des questionnaires de qualité de vie.
Les chirurgies d'exérèse au niveau maxillaire engendrent des séquelles fonctionnelles et esthétiques importantes et ont un retentissement psychologique majeur. La restauration chirurgicale est parfois impossible ou non souhaitable ; les restaurations prothétiques restent donc encore largement utilisées.
L'amélioration de la qualité de vie des patients pousse à optimiser les propositions thérapeutiques, comme la mise en place de prothèses obturatrices immédiates. La littérature scientifique suggère, sans en apporter la preuve, que leur utilisation pourrait contribuer à une amélioration de la qualité de vie en restituant les fonctions et l'esthétique du patient immédiatement après l'intervention, ce qui faciliterait sa réinsertion sociale et limiterait les répercussions psychologiques.
Contrairement à l'hypothèse envisagée, les résultats de cette étude préliminaire ne suggèrent aucun bénéfice clair en matière de qualité de vie associé à l'utilisation de prothèses obturatrices immédiates. Plusieurs éléments peuvent expliquer cela. Outre la faible quantité de patients étudiée, d'autres facteurs peuvent être évoqués :
– hétérogénéité des formes cliniques et des contextes cliniques associés à une maxillectomie ;
– champ étendu de réalités associées à la notion de qualité de vie dépassant largement le cadre de la restauration dentaire ;
– existence de facteurs prépondérants plus déterminants que la restauration prothétique (radiothérapie, pertes de substance musculaire ne pouvant être compensées efficacement par un obturateur, entourage social et familial...).
L'utilité des prothèses obturatrices (immédiates ou non) pour les patients n'est certes pas remise en question (chaque patient préférant systématiquement utiliser sa prothèse), mais on peut supposer que leur impact sur la qualité de vie globale du patient pendant le mois qui suit la maxillectomie semble limité, au vu des données scientifiques actuellement disponibles.
Pour tenter d'établir ou non l'intérêt des plaques obturatrices immédiates en termes de qualité de vie, il apparaît donc nécessaire de prolonger cette étude afin de disposer de groupes de patients plus comparables et équilibrés en ce qui concerne de nombreux paramètres (âge, antécédents médicaux, étendue de la perte de substance, nombre de dents résiduelles, aspects psychosociaux), ainsi que d'une taille d'échantillon de patients plus importante.
L'auteur déclare n'avoir aucun liens d'intérêt concernant cet article.
Benjamin Pomes – AHU
UFR Odontologie Garancière, Université Paris Diderot-Paris 7
Service d'odontologie, hôpital de La Pitié-Salpêtrières, Paris