Les cahiers de prothèse n° 178 du 01/06/2017

 

éditorial

Stéphane Viennot  

Rédacteur en chef

Tout faire « avec modération » devient une conduite de vie, un nouveau commandement que le bon citoyen doit s'appliquer et faire appliquer.

Depuis plus de vingt-cinq ans, « avec modération ! » reste l'expression-symbole de la Loi Évin qui ponctue publicités et discours de prévention pour inciter les Français à limiter leur consommation d'alcool, de tabac et maintenant, d'aliments gras et sucrés.

De nos jours, il est permis de douter de l'efficacité de ce slogan tant il est usé et employé avec un systématisme navrant.

Par analogie, les politiques nous recommandent de choisir notre bulletin de vote « avec modération » ; face aux horreurs du terrorisme qui ne peuvent qu'inspirer des sentiments de haine, ils nous incitent à réagir « avec modération », voire à ne pas réagir du tout. Les exemples peuvent être multipliés à l'envi car tout faire « avec modération » devient une conduite de vie, un nouveau commandement que le bon citoyen doit s'appliquer et faire appliquer.

Privé de son libre-arbitre, guidé dans ses sentiments et ses réactions face aux évènements, il ne posera ainsi aucun problème ! Cette perte d'autonomie, cette « mise sous tutelle » est finalement assez confortable pour beaucoup, qui s'en accommodent de peur de tomber de Charybde en Scylla, si une décision importante était à prendre. Ils suivent, guidés comme un troupeau. Mais pour l'épisode des moutons de Panurge, conté par Rabelais, tout s'est achevé dans le drame. L'Histoire reste source d'exemples : fallait-il conclure « avec modération » les accords de Munich en 1938 ? Quel aurait été notre destin si, à côté de la majorité des Français modérés, certains résistants ne s'étaient dressés, bien souvent au prix de leur propre vie ?

Chacun est libre de la manière dont il conduit son existence, mais si l'évolution des choses est d'agir et réagir en « modéré », nos espaces de vie et nos libertés de professionnels libéraux seront contraints et de plus en plus limités, sans espoir d'évolution. Corsetés, nous n'en pourrons plus de nous retenir. Jusqu'à quand ?...