Grand Est
Un patient de 62 ans, en bon état de santé général, est venu consulter pour, selon ses propres termes, « faire quelque chose pour mes dents après de nombreuses années de négligence ».
Sa profession très prenante de gérant de grande surface ne lui a pas laissé le temps de se consacrer à des soins dentaires de longue durée. L'absence de motivation a été confortée par une grande faculté d'adaptation face à la dégradation progressive de sa denture.
Le désir...
Résumé
Un patient présentant d'importants désordres fonctionnels et esthétiques a été pris en charge pour instaurer un traitement pluridisciplinaire. Des déplacements et versions des dents restantes compliqués par une alvéolyse sévère ont nécessité l'indication d'un traitement orthodontique et parodontal avant d'aborder la phase prothétique. Parmi les différentes solutions envisageables pour une restauration des deux arcades, un compromis a été consenti pour aboutir à la réalisation d'un bridge au maxillaire et de contentions pour la mandibule dans le cadre d'arcades raccourcies. Les différents traitements se sont échelonnés sur 3 ans.
Cet article a eu pour but de décrire les différentes séquences ainsi que leur chronologie. Un suivi de 9 ans a assuré la pérennité des prothèses et les contrôles d'imagerie ont justifié les choix thérapeutiques.
Un patient de 62 ans, en bon état de santé général, est venu consulter pour, selon ses propres termes, « faire quelque chose pour mes dents après de nombreuses années de négligence ».
Sa profession très prenante de gérant de grande surface ne lui a pas laissé le temps de se consacrer à des soins dentaires de longue durée. L'absence de motivation a été confortée par une grande faculté d'adaptation face à la dégradation progressive de sa denture.
Le désir de profiter pleinement de sa retraite professionnelle et de s'adonner, avec son épouse, à leur principale passion pour les voyages et les croisières, l'a motivé pour entreprendre une restauration esthétique et fonctionnelle avec la hantise avérée de devoir avoir recours à la prothèse amovible.
Le sourire découvrait peu les dents antérieures mais laissait toutefois entrevoir les malpositions (fig. 1).
Une perte de dimension verticale apparente de l'étage inférieur du visage pouvait être la conséquence de déplacements dentaires et d'importants désordres occlusaux (fig. 2).
Au maxillaire :
– les dents restantes étaient saines (quelques érosions ou caries cervicales), légèrement mobiles excepté pour la 14 présentant une parodontite terminale ayant conduit à une extraction en urgence (fig. 3) ;
– les 16, 24 et 26 étaient absentes depuis plusieurs années (fig. 4).
À la mandibule :
– les dents restantes étaient saines, seule la 37 présentait un amalgame occlusal ;
– les 36, 46 et 47 étaient absentes (fig. 5) ;
– la 42 était fortement abrasée.
Sur l'ensemble des deux arcades, les dents étaient en malposition, rotation, version axiale, avec création de diastèmes...
Il était difficile de trouver une occlusion d'intercuspidie maximale (OIM) stable (fig. 6 à 8).
En relation centrée, le surplomb antérieur était très prononcé, les incisives mandibulaires entraient en contact avec les papilles palatines (fig. 9).
En diduction droite, il a été possible de mettre en évidence le glissement à l'origine de l'abrasion de la 42.
Dans ce contexte de désordre occlusal majeur, le patient ressentait un très grand inconfort fonctionnel.
La présence de dépôts et de biofilm attestait une maîtrise limitée de l'hygiène bucco-dentaire.
Dans un contexte de parodonte épais, il y avait peu de zones inflammatoires excepté pour la 14 qui a été extraite en urgence.
Le sondage révélait des poches en moyenne de 6 à 7 mm et un problème muco-gingival sur la 41.
La radiographie panoramique initiale confirmait l'examen clinique :
– dents saines, réparties irrégulièrement sur les arcades, les 28 et 48 incluses en version mésiale ;
– lyse osseuse horizontale excepté pour le secteur antérieur maxillaire (fig. 10).
Les radiographies rétroalvéolaires montraient :
– pour 11-21, une cavité pulpaire très calcifiée, une alvéolyse horizontale très marquée, une lyse verticale en distal de 12 (fig. 11) ;
– pour 12-15, une alvéolyse horizontale, le site de 14 étant en cours de cicatrisation (fig. 12) ;
– pour 32-42, une alvéolyse angulaire marquée (fig. 13).
Au maxillaire, la base des cavités sinusales était très proche du sommet de la crête osseuse.
Globalement, le patient présentait une situation occlusale et parodontale préoccupante.
L'abcès parodontal sur la première prémolaire maxillaire droite a accéléré le processus de prise de conscience de la nécessité d'entreprendre un traitement global.
La migration et les versions de nombreuses dents sur les deux arcades, compliquées par la parodontite, avaient d'emblée limité le choix de solutions conservatrices ou de recours à l'implantologie : seul une thérapeutique parodontale et orthodontique pouvait permettre d'envisager un traitement par prothèse fixée. La question qui se posait alors était d'évaluer les chances de réussite d'un tel traitement dans ce contexte occlusal et parodontal.
Un bilan pré-orthodontique a été effectué.
Le Dr Christian Palot a pris en charge cette séquence orthodontique. Les arguments plaidant en faveur d'un pronostic favorable étaient les suivants :
– les mouvements dentaires à exécuter seront essentiellement des mouvements de version en direction palatine et linguale ;
– ces mouvements seront peu nocifs pour ce parodonte réduit, ils iront dans le sens d'une amélioration de la direction des forces occlusales et ne nécessiteront que des forces orthodontiques de très bas niveau ;
– les mouvements envisagés seront volontairement limités pour permettre une reconstruction prothétique, sans chercher à supprimer totalement les triangles sombres interdentaires (fig. 6 à 8, 14 et 15).
Un projet prothétique a été soumis au patient pour aboutir à son consentement éclairé avec les réserves qui s'imposaient face aux aléas thérapeutiques pouvant survenir lors des séquences orthodontiques et parodontales.
Dans l'hypothèse d'une issue favorable, des prothèses fixées au maxillaire seraient réalisées au maxillaire.
Ainsi, avec l'accord du patient, les différents traitements ont pu être programmés avec une estimation de durée d'environ 3 ans.
Le diagnostic établi était le suivant :
– typologie brachyfaciale sans réelle perte de dimension verticale et sans décalage squelettique antéro-postérieur ;
– proalvéolie maxillaire marquée due à l'interposition labiale.
Il convient de noter que ce diagnostic ne confirmait pas l'impression de perte de dimension verticale donnée par l'examen exobuccal initial.
Un traitement multibagues a intéressé toutes les dents de 15 à 25 et de 35 à 44.
Après 8 mois de traitement, un assainissement parodontal par curetage profond a été effectué pour préparer la phase chirurgicale (fig. 16).
Après 1 an de traitement orthodontique, durant la phase de contention, un assainissement parodontal chirurgical a été effectué : lambeau de pleine épaisseur au maxillaire en ménageant les papilles et curetage profond à la mandibule (fig. 17).
La maintenance a été mise en œuvre durant 1 an tous les 2 mois environ.
À l'issue de la période de contention et de stabilisation de l'état parodontal, soit 2 ans après le début du traitement orthodontique, une radiographie panoramique a permis de faire le point de la situation (fig. 18) et de juger opportune la réalisation des prothèses provisoires fixées solidarisées transitoires peu après la dépose des appareillages orthodontique au maxillaire (fig. 19).
Ces prothèses ont d'abord intéressé les six dents antérieures pour être, dans un second temps, prolongées jusqu'aux prémolaires. Ces dents 15 et 25 ont dû être préalablement dépulpées compte tenu de leur axe oblique incompatible avec l'insertion d'un bridge monobloc (fig. 20 à 23). Elles sont restées en place durant 8 mois pour poursuivre la contention et contrôler l'état parodontal. Lors d'un contrôle radiographique intermédiaire, le pronostic parodontal de la 11 s'est révélé défavorable et la décision d'extraction a été prise (fig. 24). La couronne provisoire a été modifiée en intermédiaire de bridge en respectant une morphologie capable de maintenir la forme et la position des papilles (fig. 25).
Quatre mois après l'intervention, la réalisation des prothèses fixées a pu débuter.
Compte tenu de la satisfaction apportée par la prothèse transitoire, du souhait de limiter l'investissement financier et de ne plus prolonger le temps de traitement, le patient a retenu l'une des options proposées : la réalisation d'une prothèse fixée maxillaire et d'une contention des prémolaires mandibulaires par collage en se limitant à une occlusion sur arcade raccourcie. La seconde option aurait consisté à intégrer les deux molaires maxillaires dans un bridge complet et à restaurer l'arcade mandibulaire par des prothèses sur implants.
Les séquences prothétiques se sont succédées de façon conventionnelle :
– transfert des moulages sur articulateur ;
– enregistrement des données occlusales des prothèses transitoires ;
– empreinte maxillaire (wash technique) et report du moulage sur articulateur ;
– réalisation de la prothèse céramo-métallique en référence à la prothèse transitoire (fig. 26 et 27) ;
– essais esthétiques et fonctionnels (fig. 28 à 30) ;
– scellement provisoire pour une durée de 15 jours ;
– dépose, contrôles et scellement au ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine.
À partir de la pose de la prothèse effectuée 3 ans après le début du traitement, des contrôles réguliers ont été programmés et respectés par le patient toujours satisfait de son sourire et de son confort fonctionnel.
Les figures 31 à 34 illustrent un bilan d'imagerie réalisée 2 ans après la pose de la prothèse.
La stabilité occlusale et l'état parodontal ont été préservés.
Le dernier bilan clinique et d'imagerie a été effectué 9 ans après la première consultation. Sur le secteur antérieur, les récessions gingivales (sans incidence esthétique) ont très peu évolué. L'OIM est correctement calée (fig. 35).
L'aspect du parodonte présentait un aspect normal et les faces occlusales des céramiques sont exemptes de surfaces d'abrasion (fig. 36).
La vue en propulsion révélait un parodonte sain sur les deux arcades (les photographies ont été prises avant la séquence de détartrage-polissage) (fig. 37).
Le patient était toujours satisfait de son sourire (fig. 38 et 39).
Un bilan radiographique a été réalisé 6 ans après l'insertion des prothèses (fig. 40 à 43).
Cette situation clinique caractérisée par une dégradation très marquée de l'esthétique et de la fonction liée à une parodontite sévère et à des déplacements dentaires a posé de nombreux problèmes de prise en charge. L'écoute du patient et une réflexion rationnelle ont permis de proposer des solutions thérapeutiques écartant le recours à la prothèse amovible.
Un traitement orthodontique a été considéré comme un préalable incontournable. Sa réussite a permis de procéder à un assainissement parodontal. Grâce à une communication permanente avec le patient, le facteur temps, primordial pour garantir une stabilisation ainsi qu'un équilibre tissulaire et prothétique, a pu être accepté et intégré comme un facteur de motivation.
Il aurait été plus valorisant pour le praticien de réaliser une restauration plus complète mais la prise en compte de la durée des traitements et des contraintes économiques ont permis d'aboutir à un compromis raisonnable qui s'est révélé, au fil des années, une solution pertinente donnant satisfaction à l'ensemble des participants à cette « aventure » thérapeutique.
Au Dr Christian Palot, orthodontiste (Reims, christian.palot51@gmail.com).
Au laboratoire de prothèses Maxime Genestin (Reims, labo.genestin@gmail.com).
Jean Schittly - DCD, DSO
Ancien professeur, faculté d'odontologie de Reims
jean.schittly@wanadoo.fr
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.