Les cahiers de prothèse n° 176 du 01/12/2016

 

Synergie implants et prothèses

R. Noharet   J. Gonzalez   T. Dillies   R. Duvert   C. Pernier  

Madame R., 38 ans, s'est présentée à la consultation avec le désir d'améliorer son sourire qu'elle considérait disgracieux en raison de la présence de plusieurs diastèmes (fig. 1). L'examen initial et un orthopantomogramme ont mis en évidence les agénésies des deux incisives latérales maxillaires. Parallèlement, les incisives centrales 11 et 21 présentaient des malpositions, des diastèmes mésiaux et distaux de...


Résumé

Introduction

Les demandes cliniques quotidiennes des patients imposent d'établir en premier lieu un bon diagnostic pour planifier par la suite le « meilleur » traitement. En effet, poser un diagnostic en fonction du contexte et répondant aux motivations des patients est un impératif essentiel pour élaborer un plan de traitement sur-mesure adapté à la situation clinique toujours singulière.

Ce traitement peut faire appel à différentes disciplines de l'odontologie pour atteindre les objectifs esthétiques et fonctionnels fixés. Dans ce contexte, différentes spécialités sont en mesure d'intervenir, chacune apportant sa pierre à l'édifice, au service du patient et de son sourire. L'objectif de cet article est de préciser le traitement d'une situation clinique assez fréquemment rencontrée : les agénésies d'incisives latérales maxillaires. Pour un résultat conforme aux attentes initiales, la thérapeutique a nécessité l'intervention de plusieurs spécialités de l'odontologie.

Madame R., 38 ans, s'est présentée à la consultation avec le désir d'améliorer son sourire qu'elle considérait disgracieux en raison de la présence de plusieurs diastèmes (fig. 1). L'examen initial et un orthopantomogramme ont mis en évidence les agénésies des deux incisives latérales maxillaires. Parallèlement, les incisives centrales 11 et 21 présentaient des malpositions, des diastèmes mésiaux et distaux de différentes tailles, une perte de symétrie et des résorptions radiculaires de type rhizalyse sans aucune mobilité.

La patiente a précisé avoir bénéficié d'un traitement orthodontique qu'elle n'a pas conduit à son terme (fig. 2 à 4). Différentes options thérapeutiques étaient envisageables :

– ouverture des espaces de 12 et 22 par traitement orthodontique puis traitement implanto-prothétique ;

– fermetures des espaces d'agénésie par mésialisation orthodontique de toutes les dents postérieures puis traitement prothétique par facettes pour optimiser les tailles et les formes coronaires.

Les deux solutions ont été exposées à la patiente (description, avantages, inconvénients) qui a choisi la première option thérapeutique en accord avec sa demande esthétique élevée.

Une mécanique orthodontique spécifique (fig. 5) a été mise en place pour créer les ouvertures d'espaces de 12 et 22 conformément au projet prothétique en accord avec la demande esthétique de la patiente. Une fois ces espaces ouverts, des dents en résine (prothèse adjointe) ont été adaptées sur l'arc orthodontique (fig. 6 à 8) pour valider la taille des espaces qui devaient correspondre aux impératifs chirurgico-prothétiques de l'implantologie : 6 mm minimum entre les faces proximales des dents adjacentes. Des examens radiologiques bidimensionnels ont été réalisés pour valider les bons alignements radiculaires indispensables au traitement implantaire (fig. 9 à 11).

Le recours aux examens tridimensionnels – CT-scanner ou cone beam computed tomography (CBCT) – a été un préalable indispensable à la thérapeutique implantaire pour s'assurer d'un volume osseux correct de départ, notamment en épaisseur, pour les sites 12 et 22 des futurs implants. Ce volume osseux est essentiel pour obtenir une cicatrisation initiale postimplantaire correcte et son maintien dans le temps. Un scanner pré-implantaire est donc réalisé avant la dépose des boîtiers orthodontiques (fig. 12). Le volume osseux ainsi validé doit être corrélé à un projet prothétique. Pour ce faire, une empreinte est réalisée puis coulée. Le laboratoire de prothèse a scanné ce moulage obtenu (scanner Nobel Procera®) afin de créer un modèle .stl (fig. 13). Ce fichier numérique a pu alors être indexé au volume osseux dans le logiciel NobelClinican® (technique smartfusion), par une indexation automatique grâce aux reliefs cuspidiens des dents présentes (fig. 14). La planification implantaire a été envisagée conformément au respect du projet prothétique et en fonction du support osseux (fig. 15 à 17).

Préalablement au traitement chirurgical implantaire, l'arc orthodontique et les boîtiers ont été déposés (fig. 18). La chirurgie avec mise en esthétique immédiate a été programmée le jour même afin d'éviter des déplacements dentaires postorthodontiques et des doléances esthétiques de la patiente. Pour assurer la stabilité des deux incisives centrales, un fil de contention a été collé (fig. 19). La mise en esthétique immédiate a été possible car les volumes tissulaires étaient présents en quantité suffisante (fig. 20).

La chirurgie implantaire a été réalisée avec la technique des mini-lambeaux pour conserver une quantité maximale de tissus mous. Les faibles incisions ont permis de déplacer les tissus mous en vestibulaire par la technique du rouleau dans la mesure où les volumes osseux présents étaient importants et que l'opérateur était expérimenté. Après le premier forage, l'indicateur de direction a été mis en place pour valider l'orientation correcte du forage, donc du futur implant (fig. 21 et 22). Les implants ont ensuite été insérés et bloqués à un couple supérieur à 30 Ncm (fig. 23). La vue occlusale a permis de valider les axes implantaires émergeant en palatin et correspondant au projet prothétique (fig. 24).

Une fois la stabilité initiale des implants validée, la mise en esthétique immédiate a été confirmée pour les deux sites. Une empreinte implantaire à ciel ouvert a été envisagée pour enregistrer les positions implantaires et celles des tissus mous (fig. 25). Les couronnes provisoires transvissées calquées sur le projet prothétique ont été confectionnées et fournies par le laboratoire en quelques heures. Un matériau composite maquillé a été utilisé afin d'améliorer le résultat esthétique (fig. 26 et 27).

Le soutien papillaire et le feston gingival ont été obtenus grâce au profil d'émergence des prothèses provisoires, dès leur mise en place. Le sourire de la patiente le jour même de la mise en place des implants était pleinement satisfaisant avec une intégration esthétique immédiate grâce aux dents provisoires et à la conservation du volume gingival (fig. 28 et 29). Au bout de 2 semaines, la cicatrisation complète des tissus mous péri-implantaires a été constatée (fig. 30). Au bout de 6 mois, les tissus étaient pleinement cicatrisés : le profil d'émergence était créé, l'os était fonctionnel (fig. 31). Dès lors, la prothèse d'usage a été réalisée.

Afin de transmettre la totalité des éléments nécessaires au prothésiste (position des implants, points de contact, profil d'émergence, niveau gingival), la technique du transfert personnalisé a été utilisée :

– la dent provisoire a été vissée sur sa réplique, la zone importante étant la partie cervicale à l'origine du modelage du profil d'émergence péri-implantaire pendant les 8 mois de cicatrisation (fig. 32) ;

– l'ensemble provisoire et analogue a été inséré dans du silicone lourd jusqu'au rebord cervical (fig. 33) ;

– au dévissage, le berceau prothétique a été reproduit dans le bloc de silicone (fig. 34) et a pu être reproduit à l'identique sur un transfert d'empreinte ;

– le transfert a été alors vissé sur son analogue (fig. 35) ;

– de la résine fluide (Duralay®) a été injectée dans les espaces libres entre le silicone et le transfert (fig. 36) ;

– une fois effectuée la polymérisation complète de la résine, les transferts ont été retirés et la partie cervicale des dents provisoires a été reproduite à l'identique sur son transfert d'empreinte : le transfert personnalisé a donc été obtenu (fig. 37).

Ces transferts ont alors été vissés en bouche sur chaque implant correspondant et un contrôle radiographique a permis de valider leur insertion maximale. Les tissus mous péri-implantaires ont alors été soutenus par un matériau rigide (fig. 38) et aucun risque de déformation n'a été possible lors de la compression du matériau à empreinte. L'empreinte à ciel ouvert classique a été réalisée par une technique double mélange silicone (S4, Bisico) (fig. 39) puis coulée en plâtre extra-dur.

Une fois le moulage de travail réalisé, il a été scanné au laboratoire et des piliers anatomiques en zircone ont été créés numériquement : ils sont une réduction homothétique de la dent définitive. Créés par usinage grâce au système NobelProcera (fig. 40), ils ont été essayés cliniquement (fig. 41) et la relation intermaxillaire a été validée. Puis la céramique a été stratifiée directement sur ces piliers (fig. 42 et 43) ; l'épaisseur homothétique de céramique a été permise par l'usinage précis. Les prothèses monoblocs ont été essayées et validées par la patiente. Pour les dents 12 et 22, la muqueuse péri-implantaire était parfaitement soutenue, avec une émergence naturelle des couronnes (fig. 44). Le sourire de la patiente 1 mois après la pose des restaurations transvissées a confirmé la réussite du plan de traitement (fig. 45).

Conclusion

Parmi les différentes options thérapeutiques pour remplacer des incisives latérales, la mise en œuvre couplée de l'orthodontie et de la chirurgie implantaire s'est imposée comme la solution la plus adaptée pour aboutir au meilleur résultat esthétique et fonctionnel à long terme. Le fil conducteur d'un traitement orthodontico-chirurgico-prothétique est le respect du projet prothétique établi en adéquation avec les souhaits thérapeutiques. De fait, la communication entre les différents spécialistes est capitale. Ainsi, le projet prothétique utilisé lors de la planification implantaire (indexation du modèle), associé à la réalisation d'une mise en esthétique immédiate, permet de rendre le résultat prédictible et reproductible. Le transfert personnalisé autorise lui aussi la transmission au laboratoire de toute l'information nécessaire pour concevoir une prothèse qui s'intégrera parfaitement dans son environnement gingival. Ce dernier a été préalablement modelé par les 8 mois de temporisation pour répondre idéalement aux enjeux esthétiques considérables de ces traitements.

Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Remerciements

Les travaux prothétiques ont été confectionnés au laboratoire Bienfait sous la direction d'Alexandre Bienfait.

Auteurs

Renaud Noharet - MCU-PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Département de prothèse

Faculté d'odontologie de Lyon

Exercice libéral (Lyon)

Julien Gonzalez - Étudiant en chirurgie dentaire (6e année-T1)

Faculté d'odontologie de Lyon

Typhaine Dillies - Étudiante en chirurgie dentaire (6e année-T1)

Faculté d'odontologie de Lyon

Romain Duvert - Interne en DES d'ODF

Claire Pernier - MCU PH, docteur en chirurgie dentaire, ancien interne en odontologie

Responsable du Département et de l'UF d'ODF

Faculté d'odontologie de Lyon

Exercice privé (Caluire)