Prothèse adjointe totale
Chez le patient édenté total, en dehors des fonctions (mastication, déglutition, etc.), la restauration de l'esthétique est un objectif majeur de la réhabilitation prothétique.
L'élément principal qui intervient dans la restauration du sourire demeure la situation des bords libres des incisives centrales maxillaires et, plus particulièrement, du point interincisif (Pi) dans les trois plans de l'espace. De plus, cet élément détermine le niveau du plan occlusal, participe au...
Résumé
En prothèse adjointe totale, le montage des dents antérieures répond à des règles cliniques, ou guides biométriques, parfaitement codifiées. Le but de cette étude a été de comparer la position de dents antérieures mises en place selon ces guides avec les critères et les repères céphalométriques. Les analyses céphalométriques confirment que la position du point interincisif, entre les deux incisives centrales maxillaires, obtenue cliniquement, répond aux critères céphalométriques, avec cependant une tendance à la protrusion. De plus, si la ligne esthétique de Downs s'avère la plus fiable, la ligne esthétique de Ricketts peut être utilisée comme repère antérieur et sans cliché céphalométrique.
Chez le patient édenté total, en dehors des fonctions (mastication, déglutition, etc.), la restauration de l'esthétique est un objectif majeur de la réhabilitation prothétique.
L'élément principal qui intervient dans la restauration du sourire demeure la situation des bords libres des incisives centrales maxillaires et, plus particulièrement, du point interincisif (Pi) dans les trois plans de l'espace. De plus, cet élément détermine le niveau du plan occlusal, participe au soutien antéro-postérieur de la lèvre et contribue à la phonation.
Pour cela, différentes techniques ont été proposées : les repères anatomiques (distance entre la papille rétro-incisive et le point interincisif), le soutien de la lèvre, la phonation, l'esthétique et la céphalométrie [1-12]. Les quatre premières techniques, regroupées sous l'expression guide biométrique, se complètent car elles sont purement cliniques. En revanche, la céphalométrie est d'une approche différente car elle nécessite un matériel onéreux et impose une irradiation [13].
Le but de la recherche présentée ici a été de comparer la position du point interincisif obtenue selon les techniques classiques avec certaines références esthétiques céphalométriques utilisées dans la littérature scientifique : distance plan palatin-bord libre, points de référence nasion-tragus et lignes esthétiques : APo (Downs), NA (Steiner), ligne E (Ricketts) [14-19].
L'étude a porté sur 47 patients édentés totaux dont la moyenne d'âge était de 61 + 10,77 ans (22 femmes et 25 hommes). Y étaient inclus les patients édentés totaux, appareillés ou non sans considération de durée pour ce dernier point. En étaient exclus les patients présentant une très importante asymétrie faciale, une ouverture buccale limitée ou une pathologie osseuse (fractures). Tous les patients ont été informés de la nature de l'étude et ont signé un consentement éclairé. Cette recherche avait recueilli l'aval du Comité d'éthique des instances hospitalo-universitaires de l'université Badji Mokhtar (Annaba). Les clichés céphalométriques ont été réalisés à l'aide d'un appareil ORTHOPHOS XG 5/Ceph (Sirona). Les données ont été réunies dans un tableau Excel. Les différents tracés ont été effectués à l'aide du logiciel AutoCAD 2006 (Autodesk).
Les prothèses ont été élaborées selon les protocoles habituels : empreintes primaires, secondaires, enregistrement des différents paramètres occlusaux (plan occlusal, dimension verticale d'occlusion, relation centrée), mise en articulateur (articulateur FAG Master®).
Après le choix des dents antérieures, les incisives maxillaires ont été montées selon les quatre critères préalablement cités : 8 mm en avant de la papille rétro-incisive, évaluation du soutien de la lèvre, tests phonétiques (F, V), appréciation de l'esthétique. Après les contrôles habituels, les prothèses ont été polymérisées puis insérées. Un mois plus tard, le cliché céphalométrique a été réalisé. Afin de les repérer parfaitement, les points essentiels ont été rendus radio-opaques à l'aide de cônes de gutta-percha. Au niveau de la prothèse, un cône a été placé dans l'espace interproximal entre les deux incisives centrales, son extrémité se situant au niveau du point interincisif, un autre cône fin (0,15 mm) a été placé dans le sillon central de la première molaire postérieure gauche. Sur le patient, afin de matérialiser le plan de Camper, un cône de gutta a été collé sur la peau du patient, son extrémité distale se situant au niveau inférieur du tragus.
Dans un premier temps, le type morpho-squelettique des patients a été déterminé en évaluant la position relative des maxillaires par rapport à la base du crâne (analyse de Downs) et par rapport au plan de Francfort (fig. 1 à 3).
Dans un second temps, la position du point interincisif, résultant du montage selon les critères prothétiques préalablement décrits, a été évaluée avec des valeurs angulaires et linéaires dans les sens antéro-postérieur et vertical selon trois approches :
– valeurs angulaires :
- η = point interincisif (Pi)-tragus (T)-nasion (N),
- γ = point interincisif-tragus-épine nasale antérieure (ENA) (fig. 4) ;
– valeurs linéaires crâniennes : les distances séparant le point interincisif du plan palatin (PP), du nasion (N) et du tragus (T), ainsi que la distance tragus-nasion ont été mesurées (fig. 5) ;
– valeurs linéaires esthétiques. Les distances entre Pi et les lignes de référence esthétique – lignes APo (Downs), NA (Steiner) et E (Ricketts) – ont été mesurées de manière orthogonale par rapport à la ligne APo et NA. Trois mesures ont été réalisées : L1 (distance Apo-E), L2 (distance APo-Pi) et L3 (distance Pi-E), et de manière similaire par rapport à la ligne de Steiner (fig. 6 et 7).
L'analyse statistique a été conduite à l'aide du logiciel Epi Info™ 2012 (CDC). Elle a comporté une description du type morpho-squelettique de la population étudiée et une évaluation de la position du point interincisif. Dans un premier temps, les moyennes des différentes mesures angulaires et linéaires ont été établies. Dans un second temps, des corrélations (tests de Pearson) ont permis de comparer les résultats obtenus avec les données des analyses céphalométriques. Le seuil p < 0,05 a été choisi comme niveau significatif [20].
L'étude a porté sur 47 édentés totaux dont la moyenne d'âge était de 61 + 10,77 ans : 22 sujets de sexe féminin (46,8 %) et 25 sujets de sexe masculin (53,2 %).
Le nombre de sujets étudiés dépassait 30, ce qui a permis d'utiliser les lois statistiques relatives au grand nombre.
Les valeurs moyennes suivantes ont été relevées.
La position du maxillaire a été évaluée par rapport à la base du crâne (SNA : 82,914 9 ± 4,23) et au plan de Francfort (Na-FH : 91,744 7 ± 3,726 9). La position de la mandibule a été évaluée selon les mêmes critères par rapport à la base du crâne (SNB : 79,34 ± 4,23) et au plan de Francfort (NPo-FH : 89,19 ± 4,02). Les positions relatives sont données par l'angle ANB (3,404 3 ± 2,968 4) et par l'angle de convexité (5,106 4 ± 6,840 5). Les comparaisons ont été faites par rapport aux valeurs de l'analyse de Downs. Trois mesures montrent une différence significative : angle NA-PF (p = 0,000 13), angle ANB (p = 0,020 2) et angle AC (p = 0,003 8) (tableau 1).
La valeur de l'angle γ (Pi-T- ENA) est de 15,89 ± 1,57 et celle de l'angle η (PI-T-N) est de 53,13 ± 4,12 (tableau 2).
Les évaluations linéaires de la position du point incisif se sont faites successivement en fonction de trois groupes de points ou lignes de référence.
Les distances sont respectivement les suivantes : Pi-PP = 29,87 + 3,57 mm, Pi-nasion = 81,45 + 5,754 9 mm, Pi-tragus = 90,541 1 ± 6,222 3 mm, tragus-nasion = 91,81 ± 5,90 mm. Le test t entre les moyennes des distances Pi-T et T-N ne montre aucune différence significative (p = 0,3071) (tableau 3).
Le test ξ2 ne montre aucune différence significative entre les moyennes entre les distances Pi-T et T-N. En revanche, le test de Pearson met en évidence une forte corrélation entre celles-ci (r = 0,72 ; p < 0,000 001) (fig. 8).
Par rapport à la ligne APo (Downs), les distances sont respectivement de L1 = 21,21 mm, L2 = 4,64 mm et L3 = 16,66 mm (tableau 4).
La comparaison entre les moyennes de la distance Pi-APo issue de notre étude (4,64 ± 2,36 mm) et les normes de Downs (2,7± 3,05 mm) montre une différence significative (p = 0,006 2).
La recherche de corrélations entre la position du point incisif et les lignes de Downs et Ricketts met en évidence deux corrélations négatives dont une particulièrement significative (p = 0,000 8) entre la position de Pi et l'angle ANB (tableau 5).
Par rapport à ligne NA (Steiner), les distances sont les suivantes : NA-E (L1 = 19,54 ± 4,41 mm), NA-Pi (L2 = 2,01 ± 3,47 mm), Pi-E (L3 = 17,01 ± 3,16 mm) (tableau 5).
La recherche de corrélations entre la position du point incisif et les lignes de Steiner et de Ricketts met en évidence deux corrélations négatives significatives entre la distance ligne de Steiner-Pi et l'angle ANB (r = – 0,36 ; p = 0,011) et entre la distance ligne de Ricketts-Pi et l'angle ANB (r = 0,33 ; p = 0,021) (tableau 6).
Les caractéristiques squelettiques de la population étudiée diffèrent des valeurs caucasiennes sur trois points : les angles NA-PF, ANB et AC. Le maxillaire est en harmonie avec les données de Downs (SNA = 82,91 ± 4,23) mais, par rapport au plan de Francfort, il se situe en avant (NA-PF = 91,74) de manière statiquement significative (p = 0,000 13). De même, les angles ANB et AC augmentent de manière significative. Le profil de la population étudiée semble présenter un type squelettique plus convexe. Ces résultats sont confirmés par les études de Bishara qui montrent une augmentation des structures osseuses et cutanées avec l'âge [21].
La téléradiographie est une méthode peu répandue en prothèse adjointe complète en raison des difficultés inhérentes à sa réalisation. En revanche, cette technique s'avère d'un grand secours non seulement pour contrôler la position des dents prothétiques mais aussi pour déterminer le plan d'occlusion et la dimension verticale. Les doses d'irridiation pour les radiographies panoramiques numériques et les clichés céphalométriques s'élèvent respectivement à 21,5 et 4,5 μSv (temps d'exposition de 26,9 s) (SureSmile, OraMetrix, États-Unis) [13, 22]. Cette donnée doit être comparée au taux d'irradiation médicale moyen annuel en France de 2,4 mSv et au taux d'irradiation naturelle moyen annuel en France, de 3,7 mSv [23, 24].
Les valeurs angulaires obtenues, dans le sens vertical, par rapport au plan de Camper (15,89 ± 1,57o) et à l'angle T-Pi-N (53,127 7 ± 4,12o) ne sont pas retrouvées dans la littérature scientifique ; il est donc difficile d'en déduire une quelconque constante mais simplement d'en faire la constatation. En revanche, on doit souligner que ces références sont purement crâniennes et donc indépendantes de la mandibule, de ses modifications de forme inhérentes à la résorption et au vieillissement ainsi qu'à la dimension verticale.
Les distances point interincisif-tragus et tragus-nasion sont comparables avec une forte corrélation. Les valeurs trouvées ici (Pi-N = 81,45 ± 5,75 mm) sont à rapprocher de celles de Budai (Pi-N = 83,2 ± 6,8 mm pour les hommes et 78,2 ± 6,2 mm pour les femmes) [25]. Mais ces valeurs ne sont pas statistiquement comparables donc seule une constatation peut être faite et reste peu exploitable. De même, la distance Pi-PP (29,87 ± 3,57 mm) est difficile à comparer avec les normes caucasiennes (30 ± 2,9 mm pour les femmes et 33 ± 3,2 mm pour les hommes), car il n'existe aucune moyenne pour ces données. Mais il est important de remarquer que le plan palatin est souvent considéré comme étant parallèle au plan occlusal et que la longueur de la lèvre, liée indirectement à l'épine nasale antérieure, est une référence esthétique, le bord libre des incisives maxillaires se situant entre 22 et 24 mm du plancher nasal.
Par rapport à la ligne de Downs, le point incisif prothétique se situe à 4,64 ± 2,36 mm alors que, selon les données de Downs, il se situe à 2,7 ± 3,05 mm. Statistiquement, la position du point interincisif par rapport à la ligne APo est en relation directe avec les rapports maxillo-mandibulaires (ANB). Si cet angle augmente, tendance classe II, la distance entre le point interincisif et APo augmente. Cela est confirmé par Downs qui déclare que plus le profil est convexe et plus les dents s'éloignent de la ligne APo, créant un équilibre entre le profil et la position des dents antérieures. Pour Riedel, chez les reines de beauté de Seattle, la position du point interincisif par rapport à la ligne APo est de 4,63 mm avec une étendue de – 1 à + 10 mm [26]. Ces valeurs semblent semblables à celles de l'étude présentée ici, de 4,64 mm avec une étendue de – 3,21 à + 8,68 mm. Mais il est impossible de les comparer statistiquement en raison du manque de données de l'étude de Riedel [26]. La ligne de référence esthétique de Downs semble être un bon repère pour évaluer la position du point interincisif, mais elle nécessite la réalisation d'un cliché téléradiographique.
Se pose la question de la validité de la ligne esthétique de Ricketts. Les deux éléments suivants confirment sa valeur :
– les distances point interincisif-ligne de Ricketts sont équivalentes quelles que soient les lignes de référence (APo-NA) ;
– les corrélations entre l'angle facial, l'angle ANB, la distance Pi-E et les lignes de référence esthétique sont pratiquement identiques.
Dans la limite de cette étude, les conclusions suivantes peuvent être émises :
– les guides biométriques donnent une position correcte mais légèrement protrusive du point interincisif prothétique dans le plan sagittal, par rapport à la ligne APo, selon les normes de Downs ;
– la distance du point interincisif au bord inférieur du tragus est équivalente à la distance entre le bord inférieur du tragus et le nasion, ce qui donne une valeur spécifique au patient ;
– la ligne APo est le meilleur repère pour évaluer la position des dents antérieures maxillaires ;
– la ligne E peut être retenue comme repère antérieur pour l'évaluation des dents antérieures maxillaires parce qu'elle est objectivable avec ou sans téléradiographie.
Malika Hamlaoui - Docteur en sciences médicales, faculté de médecine dentaire, département de médecine dentaire, université Badji Mokhtar, Annaba (Algérie)
Olivier Hüe - Professeur des universités émérite, UFR d'odontologie, Aix-Marseille Université