CFAO et prothèses cliniques
S. Felenc - J. Lethuillier - M. Jaisson
Le cas clinique présenté ici illustre l'utilisation d'un nouveau matériel permettant l'analyse dynamique de l'occlusion du patient pour un traitement géré par CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur).
Le dispositif utilisé est en cours d'élaboration et en attente de mise sur le marché, il sera présenté à l'international Dental Show (IDS) de Cologne, en mars 2017. Sa technique, encore confidentielle, ne peut être détaillée. L'intérêt est de présenter...
Préambule
En mars 2017 aura lieu l'IDS à Cologne, où seront présentées toutes les avancées du monde industriel et de la recherche dentaire. Un cas clinique réalisé par CFAO est présenté dans les Cahiers de prothèse, son originalité tient au fait qu'il s'appuie sur les possibilités d'analyse occlusale d'un système français confidentiel qui ne sera dévoilé qu'en mars à Cologne.
Ce cas clinique a 3 ans de recul et son modus operandi informatique serait encore amélioré aujourd'hui. Il illustre de nouvelles perspectives et approches de travail, faisant encore davantage entrer le praticien dans « la boucle numérique ».
Résumé
La CFAO a produit depuis des décennies la révolution que nous connaissons en matière de prothèse dentaire. Les premières évolutions ont concerné essentiellement la fabrication des pièces prothétiques, particulièrement les intrados et la gestion de l'espace dento-prothétique, faisant basculer les chaînes prothétiques du monde artisanal vers le monde industriel. La seconde évolution va concerner les extrados, la gestion des faces occlusales et des rapports antagonistes. Nos diagnostics et thérapeutiques vont gagner en pertinence, l'aspect médical de notre profession sera potentialisé par ces nouveaux outils. Les QR codes peuvent être scannés pour visualiser les animations en vidéo.
Le cas clinique présenté ici illustre l'utilisation d'un nouveau matériel permettant l'analyse dynamique de l'occlusion du patient pour un traitement géré par CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur).
Le dispositif utilisé est en cours d'élaboration et en attente de mise sur le marché, il sera présenté à l'international Dental Show (IDS) de Cologne, en mars 2017. Sa technique, encore confidentielle, ne peut être détaillée. L'intérêt est de présenter en avant-première cette seconde révolution dans la CFAO et la médecine dentaire en général. Pour chacune des étapes du traitement, l'outil informatique est utilisé au maximum de son potentiel.
L'objectif de cet article est de présenter l'utilisation d'outils informatiques novateurs qui permettent au praticien d'affiner son diagnostic et de le guider vers la réalisation d'extrados prothétiques à faces occlusales parfaitement adaptées à la situation clinique.
La situation clinique était celle d'un patient de sexe masculin de 32 ans, en bonne santé générale (fig. 1 à 3) et présentant des érosions de classe II ACE [1] sur tous les secteurs postérieurs maxillaires et mandibulaires (fig. 4 à 6), des douleurs articulaires, des tensions musculaires et des céphalées de tension.
À la palpation, le ptérygoïdien latéral droit et le masséter droit étaient douloureux.
Par ailleurs, le patient se plaignait de douleurs dorsales au niveau des lombaires.
Du point de vue strictement dentaire, le parodonte était sain et d'un biotype épais.
Les secteurs molaires mandibulaires étaient fortement érodés et de larges plages d'exposition dentinaire étaient source d'inconfort et de douleurs lors de la mastication et du brossage dentaire.
L'objet de la consultation du patient concernait les érosions amélo-dentinaires mais aussi une demande plus générale de traitement postural.
À la consultation, ses propres mots étaient : « Je ne me sens pas confortable en bouche, je n'arrive plus à mastiquer. »
Le diagnostic était orienté en faveur d'érosions amélo-dentinaires de classe II multifactorielles [2] due à :
– une composante chimique en raison de la consommation intensive de sodas à l'origine d'un pH acide chronique ;
– une composante mécanique due à un bruxisme nocturne.
S'y ajoutaient les conséquences de l'effet iatrogène d'un brossage puissant et répété par un patient appliqué soucieux de son hygiène. Sous l'effet de l'abrasion, le calage en position d'intercuspidie maxillaire avait disparu, la dimension verticale avait diminué et la fonction s'était altérée, ce qui avait eu pour conséquence des douleurs musculaires et, par extension, des douleurs squelettiques et posturales.
L'objectif du traitement était double : restauration de la fonction et préservation des organes dentaires.
La restauration de la fonction s'est faite en trois étapes :
– sédation des douleurs musculaires ;
– recherche d'une position de calage confortable et reproductible ;
– conception d'anatomies dentaires pertinentes en fonction.
La préservation des organes dentaires s'est décidée par une approche a minima et l'apport de techniques adhésives.
La stratégie prothétique déterminée et mise en œuvre dans le plan de traitement était la suivante :
– propulsion mandibulaire de +1 mm et augmentation de la dimension verticale d'occlusion ;
– calage postérieur par la réalisation de couronnes sur les secteurs mandibulaires postérieurs ;
– correction des guidages latéraux par des facettes vestibulaires sur les canines mandibulaires ;
– équilibration occlusale et suivi.
La mise en œuvre du plan de traitement a obéi à une série d'étapes :
– analyse détaillée des déterminants de l'occlusion ;
– sédation des douleurs musculaires par le port d'une gouttière de décompression neuromusculaire ;
– recherche d'une position thérapeutique mandibulaire et validation de cette position par une gouttière anatomique usinée puis par la mise en place d'un mock-up postérieur ;
– préparation a minima à travers le mock-up postérieur en vue la réalisation de facettes occlusales (table-top)s en céramique ;
– utilisation de la CFAO de laboratoire pour la production des prothèses par programmation et usinage ;
– fixation des prothèses par collage ;
– équilibration et suivi ;
– port d'une gouttière nocturne de protection.
Cette étude a été réalisée grâce à l'analyse préopératoire avec Modjaw (système informatique d'analyse occlusale) :
- réalisation d'une axiographie numérique afin de pouvoir programmer précisément un articulateur numérique,
- identification d'un éventuel ressaut articulaire,
- choix d'une position thérapeutique d'occlusion d'intercuspidie maximale pour réaliser la gouttière de relaxation neuromusculaire ;
– nouveautés du fait de la composante numérique du dispositif : au-delà de la simplicité d'utilisation du dispositif qui sera présenté plus loin, c'est le recueil des données numériques qui est facilement exploitable grâce à la procédure. Ces données sont des enregistrements vidéo en direct des trajets mandibulaires. Il est donc possible de demander au patient tous types de mouvements, de les contrôler directement et de les enregistrer. Il peut être ensuite aisé de revenir sur les enregistrements vidéo pour rechercher les détails à analyser.
Une position mandibulaire a été déterminée pour la réalisation d'une gouttière de relaxation et le choix d'une position thérapeutique mandibulaire a pu se faire sur le trajet de fermeture enregistré lors d'une manipulation en relation centrée, par une lecture au ralenti de la vidéo et en stoppant celle-ci lors de l'apparition de l'information attendue. Cette position a été choisie en fonction du choix thérapeutique, que ce soit avant une subluxation ou pour permettre un espace prothétique suffisant (fig. 9). Les représentations informatiques ont donné l'animation en 4 dimensions (3D + temps) de fichiers .stl des arcades du patient. La relation intermaxillaire choisie a été directement exportée vers un logiciel de conception de gouttière (ici, logiciel 3 Shape), respectant ainsi une boucle numérique complète (fig. 10 à 14).
La levée des tensions musculaires a été acquise grâce à la gouttière de relaxation neuromusculaire avec extraction de la dent de sagesse responsable de la prématurité.
Pour les étapes suivantes, en partant du principe que les gouttières de relaxation provoquent une relation intermaxillaire surévaluée, il a fallu diminuer cette dimension verticale d'occlusion lors de la réalisation d'une gouttière fonctionnelle puis du mock-up postérieur, en se servant de la perception du patient pour valider les étapes (fig. 15 et 16).
L'articulateur virtuel a été programmé avec les valeurs enregistrées au départ, puis les anatomies occlusales ont été conçues en position statique. Une des limites actuelles de l'occlusion en CFAO est atteinte : les articulateurs numériques ne sont que des répliques des articulateurs physiques, loin de la réalité [3]. Il est souhaitable d'aller plus loin que la simple axiographie pour programmer l'articulateur. Pour ce cas clinique, les trajets du patient réellement enregistrés seront utilisés pour la technique FGP (functionally generated path) [4] : le fichier .stl du « pré-wax-up » a été réimporté sur la plateforme Modjaw et il a été animé des mouvements mandibulaires. Cela permet de créer un FGP (fig. 17 à 19). Il convient de préciser que depuis l'élaboration de ce cas clinique, les logiciels de CAO ont évolué et les fonctions « wax-up numériques » sont plus pertinentes qu'avant.
Dès lors, ce dispositif test sous la forme d'une gouttière anatomique a préfiguré la réalisation finale en précédant la confection du mock-up postérieur. La gouttière a validé le confort du patient dans cette nouvelle position : elle pouvait être conservée pendant la mastication. Réalisée en résine PMMA, la gouttière s'est classiquement fracturée au bout de 10 jours d'utilisation, mais le patient trouvait que sa nouvelle position était confortable avec une dimension verticale d'occlusion moins importante que celle déterminée par la gouttière de relaxation.
Validation faite, le wax-up final, très similaire au précédent, a été réalisé avec l'objectif de limiter le nombre et les épaisseurs des restaurations, notamment sur les incisives mandibulaires. Tous les secteurs postérieurs pouvaient être concernés sauf les deuxièmes molaires mandibulaires. Ce wax-up numérique a ensuite été imprimé et les clés en silicone transparent (Mémosyl) ont permis de le reproduire en bouche en résine composite, selon la technique de Vailati [5] (fig. 20). À partir de cette étape, débutait en bouche le test clinique masticatoire et fonctionnel. Le patient a porté ce mock-up postérieur pendant 3 semaines. En l'absence de signes cliniques défavorables, le passage à l'étape de réalisation des prothèses d'usage a été validé.
Cette étape est illustrée par les figures 21 à 23.
Après les préparations a minima et l'empreinte, la suite des étapes prothétiques a suivi un chemin plus conventionnel. Le maître moulage a été scanné puis le fichier .stl a été superposé au fichier des fax numériques. Les restaurations supragingivales ont été usinées en disilicate de lithium (e.max CAD, Ivoclar Vivadent) puis maquillées. L'ensemble a fait l'objet d'un double contrôle sur articulateur physique (fig. 24). Le contrôle sur articulateur associé à des retouches manuelles si nécessaire est un complément indispensable et une assurance de pérennité pour les réalisations finales.
Déjà décrites par Shillingburg dans son ouvrage référence [7], les limites de ces prothèses ont été établies en supra-gingival et passant par la ligne de plus grand contour. Elles ont été fixées sous digue par une interface de résine collée [8] en utilisant un adhésif MR 3 (Optibond® FL, Kerr) et une résine composite duale Variolink® II (Ivoclar Vivadent), en respectant un protocole de collage rigoureux [9] (fig. 25).
Le calage en position d'intercuspidie maxillaire a été assuré par les restaurations en céramique sur les dents postérieures mandibulaires et les deux premières molaires maxillaires. Les résines composites issues du mock-up ont été conservées sur les prémolaires maxillaires, afin de les retirer ultérieurement en favorisant l'éruption passive des dents (fig. 26).
Les guidages latéraux ont été réalisés par deux facettes vestibulaires en céramique sur les canines inférieures (fig. 27). Une occlusion mutuelle protégée est le concept occlusal qui a été choisi. Il impliquait des contacts de groupe en latéralité et une diminution maximale de l'espace libre postérieur lors des cycles masticatoires entrants [10] (fig. 28) pour limiter les contraintes sur les articulations temporo-mandibulaires à la mastication.
Le cas clinique présenté dans cet article a été traité en 2013 et 2014. Les contrôles cliniques effectués depuis la pose valident la pertinence du traitement et l'intérêt de l'outil informatique tant dans la phase d'analyse et de diagnostic que dans celle du traitement.
Depuis 2013, les matériaux de restauration ont encore évolué, pendant que l'informatique et la robotique ont fait l'objet d'avancées exponentielles. C'est une évidence que la CFAO couplée aux éléments diagnostiques et prospectifs informatiques permettra rapidement la gestion des cas complexes aussi simplement que la CFAO « au fauteuil » ou « directe » permet aujourd'hui la gestion des cas unitaires. Rendez-vous à Cologne en mars 2017 !
Maxime Jaisson est le concepteur du dispositif Modjaw, il a donc un lien d'intérêt concernant cet article.
Les autres auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Les auteurs remercient le laboratoire Creadent pour l'excellence de ses travaux et sa parfaite collaboration.
Sébastien Felenc – docteur en chirurgie dentaire
Josselin Lethuillier - docteur en chirurgie dentaire, Master en sciences
Maxime Jaisson - docteur en chirurgie dentaire, Master en sciences, Thèse d'Université