Les cahiers de prothèse n° 175 du 01/09/2016

 

Prothèses et recherche

C. BATISSE   G. BONNET   M. BESSADET   J.-L. VEYRUNE   E. NICOLAS  

Un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), portant sur des personnes âgées de 65 à 74 ans vivant à domicile dans 21 pays européens, montre une prévalence d'édentés totaux allant de 12,8 à 69,6 % [1]. En parallèle, on observe un recul de l'âge moyen de la perte des dents et une augmentation de l'espérance de vie associée à une augmentation du nombre de personnes très âgées. Ainsi, le chirurgien-dentiste continu...


Résumé

Résumé

La fréquente instabilité des prothèses complètes amovibles mandibulaires est à l'origine d'une altération de la mastication. Une solution thérapeutique novatrice consiste à placer 4 mini-implants symphysaires stabilisateurs. L'étude conduite visait à évaluer l'évolution des paramètres masticatoires chez des sujets traités selon cette procédure. L'objectif secondaire était d'en évaluer les répercussions sur leur qualité de vie orale.

Onze sujets ont été suivis avant (T0) et 2 mois après (T1) la mise en place des mini-implants. Les paramètres cinématiques de la mastication (nombre de cycles, durée de la séquence de mastication et fréquence de mastication) d'aliments modèles (gélatines) et la médiane de la granulométrie du bol alimentaire (D50) de la carotte ont été relevés à chaque temps (T0 et T1). Les résultats du questionnaire de qualité de vie (GOHAI) ont été recueillis parallèlement.

Après la mise en place des mini-implants, une forte diminution des échecs de mastication de l'aliment carotte (évolution de 4 à 8 sujets capables de mastiquer) est observée. Cette amélioration s'accompagne d'une modification des paramètres cinématiques de mastication des différents aliments tests et d'une amélioration générale de la qualité de vie. Cependant, les résultats granulométriques restent élevés par rapport à des sujets normo-dentés (9 186 μm, norme à 4 000 μm).

Ces résultats préliminaires sont encourageants. L'étude doit cependant être poursuivie à plus long terme et l'utilisation d'autres aliments d'évaluation de la nourriture des personnes traitées par ce protocole doit être envisagée.

Un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), portant sur des personnes âgées de 65 à 74 ans vivant à domicile dans 21 pays européens, montre une prévalence d'édentés totaux allant de 12,8 à 69,6 % [1]. En parallèle, on observe un recul de l'âge moyen de la perte des dents et une augmentation de l'espérance de vie associée à une augmentation du nombre de personnes très âgées. Ainsi, le chirurgien-dentiste continu à être confronté au traitement de l'édenté total auquel s'ajoutent les contraintes de prise en charge liées à la gériatrie (fragilité, pathologies chroniques multiples, défaillances cognitives...). C'est une véritable problématique de santé publique [2]. Le chirurgien-dentiste se doit de relever ce défi pour préserver la qualité de vie des seniors.

Chez les patients édentés totaux, les prothèses amovibles complètes (PAC) sont une des options thérapeutiques possibles pour compenser l'absence de dents. C'est la solution thérapeutique la moins onéreuse mais elle présente de nombreuses limites. En effet, le succès ou l'échec d'une restauration prothétique par PAC dépend de nombreux facteurs : conditions anatomiques, habileté de l'opérateur, relation patient-praticien [3]. La majeure partie du temps, une restauration orale par PAC maxillo-mandibulaire ne permet pas de rétablir une fonction masticatoire efficace. Les différentes tentatives d'adaptation des porteurs de PAC conventionnelles (augmentation de l'activité dépensée, diminution de la fréquence de mastication, augmentation de la taille des particules...) conduisent à déglutir un bol alimentaire incomplètement préparé. Ainsi, le profil masticatoire de ces patients est proche de ceux présentant des déficiences neuromotrices [4]. Une déficience de l'efficacité masticatoire se répercute sur la qualité de vie orale : inconfort, modification des comportements alimentaires, dénutrition, évitement des interactions sociales, fausses routes [5-7]...

Dans ce cadre, les implants constituent une autre option thérapeutique pour les patients édentés totaux, soit grâce à une restauration fixe (bridge implanto-porté [8]), soit à l'aide d'une prothèse amovible retenue par 2 implants symphysaires. Ce dernier traitement a été validé en tant que traitement minimal de référence pour la restauration de l'édentement total mandibulaire lors de la conférence de consensus de McGill en 2002 [9]. En France, la Haute Autorité de santé définit également cette thérapeutique comme un minimum [10]. Cependant, des contre-indications médicales, anatomiques et/ou économiques restreignent son utilisation. En effet, les édentés totaux sont souvent des patients âgés, édentés depuis longtemps et polymédiqués, et la mise en place de 2 implants symphysaires n'est pas toujours possible.

Devant cette situation, le Service d'odontologie de Clermont-Ferrand a proposé un nouveau protocole utilisant des implants de petite taille, ou « mini-implants », de 2,7 mm de diamètre et de 9 à 15 mm de longueur en titane de grade V (implants OBI®, commercialisés par ETK®) [11]. Cette méthode consiste à placer 4 mini-implants symphysaires à l'aide d'un protocole chirurgical restreint (un seul foret est nécessaire) mis en fonction immédiatement sous la PAC mandibulaire grâce à un système d'attache (fig. 1 et 2).

Ce système O'Ring est constitué d'une partie mâle, une boule métallique présente sur l'implant, et d'une partie femelle, un joint torique inséré dans un anneau métallique solidarisé à la PAC. Ce protocole novateur décrit par Huard et al. en 2013 [11], présente l'avantage d'être moins invasif, moins coûteux et plus simple à réaliser qu'un protocole « classique » et semble fiable à moyen terme [11]. Les études évaluant l'utilisation de mini-implants pour stabiliser la PAC mandibulaire [12-16] rapportent une amélioration de la qualité de vie et de la satisfaction des patients ainsi qu'une meilleure capacité masticatoire. Cependant, la plupart de ces études utilisent des outils d'évaluation subjectifs. Or, pour mesurer l'impact fonctionnel des restaurations prothétiques, il est indispensable d'évaluer la fonction de mastication.

Pour rappel, la fonction masticatoire est une étape essentielle de la prise alimentaire et de la digestion. Cette phase orale va permettre de préparer l'aliment ingéré à la déglutition. Ainsi, l'aliment est dégradé en particules de petite taille et insalivé pour former un bol alimentaire plastique et cohésif [17-19]. La mastication d'une bouchée se déroule au cours d'une séquence constituée de plusieurs cycles de mastication. Un cycle correspond à l'ouverture suivie de la fermeture de la cavité buccale [18, 20, 21]. La dynamique de la mastication peut être évaluée via un électromyogramme, la mesure de la cinématique [22, 23] ou une vidéo [24]. Ces outils vont permettent d'évaluer la force musculaire, l'amplitude des cycles masticatoires de la mandibule, la durée d'un cycle de mastication, le nombre de cycles par séquence ou encore la fréquence de mastication. L'efficacité masticatoire correspond à la réduction d'un aliment en particules de petite taille aptes à être dégluties [25]. Ce paramètre peut être évalué par l'analyse de la granulométrie du bol alimentaire. Dans ce cadre, la carotte est un aliment d'étude. Chez un sujet normo-denté, la valeur de référence est définie par le MNI (masticatory normative indicator, 4 mm), qui correspond à la médiane de la taille des particules de carotte (aliment test) prêtes à être dégluties [21]. Chez les patients présentant une déficience de l'efficacité masticatoire, la taille des particules du bol est plus importante, entraînant un risque de fausse route lors de la déglutition [21].

Une étude récemment publiée [26] a été menée afin d'évaluer l'incidence physiologique de la mise en place de 4 mini-implants symphysaires stabilisant une PAC mandibulaire. À cet effet, l'évolution des paramètres de la mastication avant et après la phase chirurgicale implantaire a été évaluée par une analyse de la granulométrie du bol alimentaire et de la cinématique masticatoire. Simultanément, la qualité de vie des patients de l'étude a été évaluée selon un questionnaire de qualité de vie orale, le questionnaire GOHAI (global oral health assessement index) [27].

Cette étude [26], sur laquelle se fonde cet article, avait pour objectifs de répondre aux questions suivantes : la mise en place de 4 mini-implants stabilisant la PAC mandibulaire modifie-t-elle la granulométrie du bol alimentaire prêt à être dégluti ? Permet-elle d'améliorer les paramètres cinématiques de la mastication des patients âgés porteurs de PAC conventionnelles ? Influence-t-elle la qualité de vie en relation avec la santé orale de ces patients ?

Matériel et méthodes

Forme de l'étude

Ce travail est une étude de suivi observationnelle, menée en monocentrique au sein du Centre de recherche en odontologie clinique (CROC, EA4847) de la faculté d'odontologie de Clermont-Ferrand. Il fait partie d'une large étude observationnelle (impact des restaurations orales sur les paramètres de la mastication) qui a fait l'objet d'un accord des autorités de tutelle et d'éthique (CECIC-GREN-06-12).

Population étudiée

Les sujets de l'étude sont des édentés totaux pour lesquels une PAC maxillo-mandibulaire a été faite dans le Service d'odontologie du CHU de Clermont-Ferrand dans les 6 mois précédant leur inclusion. Les PAC ont été réalisées à l'aide de dents en résine avec un angle cuspidien de 20o (SR Orthotyp PE, Ivoclar Vivadent) montées en occlusion balancée bilatérale. Après une période d'intégration des PAC, si les sujets rapportaient des difficultés fonctionnelles, la mise en place de 4 mini-implants symphysaires leur était proposée. Ainsi, leur PAC mandibulaire devenait une prothèse supra-implantaire. Les critères d'inclusion suivants ont été utilisés : patient majeur, coopérant, capable de comprendre et de participer à l'étude, porteur de PAC maxillo-mandibulaire adaptée et intégrée avec une prothèse mandibulaire instable, ne présentant pas de contre-indications à l'implantologie mais ne pouvant recevoir une restauration avec des implants « standard ». Par conséquent, les sujets inclus dans l'étude sont des personnes âgées, voire très âgées, présentant initialement une fonction masticatoire déficiente.

Outils d'évaluation et modalités de mesure

Aliments tests

Pour cette étude, deux aliments modèles (gélatines) comportant une viscoélasticité différente et un aliment naturel (carotte) ont été utilisés. Les aliments modèles sont de dureté croissante (aliment modèle mou : bleu ; aliment modèle medium : vert). Ils possèdent des propriétés rhéologiques différentes, ce qui oblige le sujet à modifier sa stratégie de mastication [21].

Les gélatines sont préparées à partir d'un mélange de gelée et de gélatine. L'intérêt de ces aliments modèles a été validé par Lassauzay et al. [23]. Lors du test, deux portions de chaque catégorie d'aliment modèle sont présentées au sujet. À chaque fois, l'aliment modèle est mastiqué puis dégluti (fig. 3).

Les portions de carotte sont réalisées avec un emporte-pièce de 20 mm de diamètre et pesées pour obtenir des morceaux ayant une masse de 4 g (fig. 4). Lors du test, trois portions de carotte sont présentées au sujet. Chaque fois, la première portion est mastiquée puis déglutie ; les deuxième et troisième portions sont mastiquées puis recrachées au moment où le sujet sent qu'il est prêt à déglutir. Les échantillons recueillis sont utilisés pour l'analyse granulométrique.

Tests de mastication

Les tests de mastication réalisés permettent, d'une part, d'évaluer la cinématique de mastication et, d'autre part, d'obtenir la granulométrie du bol alimentaire recraché (pour l'aliment naturel).

Étude de la cinématique de la mastication par analyse vidéo

Lors de l'enregistrement des séances de mastication, le sujet est assis sur une chaise et filmé à l'aide d'une caméra numérique. Son cou doit être dégagé et visible. Le cadrage de la caméra comprend le sommet de la tête (en haut), la ligne des épaules (en bas) et la largeur des épaules (sur les côtés). Chaque séquence de mastication est ainsi filmée.

Les paramètres retenus et analysés ont été validés par Hennequin et al. [24]. Il s'agit du nombre de cycles par séquence, de la durée de la séquence, de la fréquence de mastication et de l'échec de mastication lorsque le sujet tente de mastiquer l'aliment proposé mais qu'il n'y parvient pas. Cette technique est validée en tant que solution de remplacement des enregistrements électromyographiques.

Étude de la granulométrie des bols recrachés

Le jour de l'analyse, chaque portion de carotte recrachée est rincée, séchée puis répartie sur des feuilles transparentes pour être scannée avec un scanner qui enregistre les images avec une définition de 600 dpi (dots per inch). L'évaluation de la granulométrie des particules du bol recueilli est réalisée avec un logiciel informatique d'analyse d'images : PowerSHAPE®. La valeur retenue est la médiane de la taille des particules appelée également D50. Cette valeur caractérisera la granulométrie du bol.

Indicateur de qualité de vie en relation avec la santé orale (GOHAI)

La qualité de vie orale est évaluée par le GOHAI, proposé par Atchison et al. [27] et validé en français [28]. Il comprend 12 items répartis en 3 sous-groupes :

– un groupe relatif au domaine fonctionnel (items 1, 2, 3 et 4) ;

– un groupe relatif au domaine psychosocial (items 6, 7, 9, 10 et 11) ;

– un domaine relatif à la douleur et à l'inconfort (items 5, 8 et 12).

À chaque question correspond un score de 1 à 5. Le score maximum est de 60. D'après l'étude de Tubert-Jeannin et al. [28], un score de 57 à 60 correspond à une qualité de vie liée à une santé orale satisfaisante, un score compris entre 51 et 56 correspond à une qualité moyenne et un score inférieur à 50 correspond à une mauvaise santé buccale. Pour cette étude, la version française du questionnaire a été utilisée. Cependant, pour les édentés totaux, le score maximal pouvant être obtenu est de 55 car le score attribué à l'item 12 (« Vos dents ou gencives ont-elles été sensibles au froid, chaud, aux aliments sucrés ? ») est automatiquement nul. Ce score est rapporté à un score sur 60 en ajoutant 5 points pour l'item 12 comme cela a déjà été fait par d'autres auteurs pour pouvoir comparer les résultats publiés [29].

Plan expérimental de l'étude

Afin de répondre aux objectifs de l'étude, les mesures ont été faites avant et après la mise en place des mini-implants. L'étude se compose de deux phases de mesure : T0 (avant la mise en place des mini-implants) et T1 (2 à 3 mois après cette mise en place). Le déroulement de l'étude est synthétisé à la figure 5.

Stratégie d'analyse des données

L'ensemble des résultats sont présentés de manière descriptive. Les moyennes et écarts types sont proposés pour les variables continues. Les tests statistiques sont réalisés avec un risque α = 0,05. L'ensemble des données sont traitées et analysées par le logiciel SPSS® 20. Pour chaque paramètre étudié, une analyse de variance est réalisée afin de confirmer l'absence de variation entre les répétitions pour chaque aliment.

Au cours de l'étude, les sujets sont leur propre témoin. Un test de Wilcoxon est utilisé pour comparer le nombre de sujets capables de mastiquer ou non l'aliment carotte avant et après la pose des mini-implants de stabilisation. En complément, l'évolution de la granulométrie du bol est analysée selon une série de tests t de Student appariés. En seconde analyse, il a été choisi d'attribuer une valeur indicative calculée (moyenne du paramètre pour tous les sujets de l'échantillon pour l'aliment étudié au temps de l'étude additionnée de deux fois l'écart type) en cas d'échec de la mastication.

Pour chaque aliment, les paramètres issus des enregistrements vidéo (nombre moyen de cycles, temps moyen de mastication et fréquence moyenne de mastication) entre T0 et T1 sont comparés selon une série de tests t de Student. La capacité d'adaptation entre les deux gélatines de dureté différente est évaluée individuellement à T0 et T1 par des tests t appariés.

L'évolution du score du GOHAI et de ses différents composants (fonctionnel, confort et psychosocial) est analysée par des tests t appariés.

Résultats

Description générale de la population

L'étude se compose de 11 participants : 2 hommes et 9 femmes âgés de 58 à 96 ans dont la moyenne d'âge est de 71,64 ± 11,03 ans.

Résultats de mastication de l'aliment carotte

Capacité à mastiquer l'aliment et granulométrie du bol recraché

Il est observé une augmentation du nombre de sujets capables de mastiquer l'aliment carotte entre T0 et T1. En effet, à T0, 4 sujets sur 11 ont réussi à mastiquer la portion de carotte contre 8 sur 11 à T1 (fig. 6).

Ces observations sont confirmées par les résultats statistiques issus du test non paramétrique de Wilcoxon entre T0 et T1 qui révèlent (p < 0,05) :

– rangs négatifs, N = 0 ;

– rangs positifs (échec devenu succès), N = 4 ;

– ex aequo, N = 7.

Cinématique de mastication de l'aliment carotte (étude vidéographique)

Le nombre de cycles de mastication et la durée de la séquence de mastication diminuent significativement entre T0 et T1 (p < 0,001) (tableau 1). En revanche, il n'y a pas de variation de la fréquence entre T0 et T1.

Résultats de mastication des gélatines

Influence de la dureté de l'aliment modèle

Les résultats des comparaisons par test t de Student des paramètres de mastication entre la gélatine bleue (aliment mou) et la gélatine verte (aliment plus dur) sont récapitulés dans le tableau 2. Ainsi, lors du passage de la gélatine bleue à la gélatine verte, il est noté :

– une augmentation statistiquement significative du nombre de cycles à T0 (p < 0,01) et T1 (p < 0,001) ;

– une augmentation statistiquement significative de la durée de la séquence à T0 et T1 (p < 0,001) ;

– une diminution de la fréquence de mastication à T0 (p < 0,01), mais aucune différence significative à T1.

Influence de la mise en place des mini-implants pour stabiliser la PAC mandibulaire

Le nombre de cycles masticatoires entre T0 et T1 diminue significativement (p < 0,05 pour les gélatines bleues ; p < 0,01 pour les gélatines vertes) (fig. 7).

La durée de la séquence entre T0 et T1 diminue significativement (p < 0,05 pour les gélatines bleues ; p < 0,01 pour les gélatines vertes) (fig. 7).

Aucune différence significative de fréquence entre T0 et T1 pour les gélatines bleues n'a été mise en évidence. On note une différence significative (p < 0,01) de fréquence entre T0 et T1 pour les gélatines vertes (fig. 7).

Résultats concernant la qualité de vie en relation avec la santé orale : questionnaire GOHAI

Entre T0 et T1, il est observé une augmentation statistiquement significative des différents scores du GOHAI (fig. 8).

Avant la mise en place des mini-implants, le GOHAI moyen est de 37/60 ± 9,9. Tous les sujets présentent une mauvaise qualité de vie orale (score inférieur à 50).

Environ 2 mois après la mise en place des mini-implants (à T1), le GOHAI moyen est de 55,4/60 ± 3,6. On a une augmentation de son score pour tous les sujets : 10 % des sujets restent néanmoins avec un GOHAI inférieur à 50 ; 50 % d'entre eux évoluent vers un GOHAI modéré et 40 % acquièrent une qualité de vie satisfaisante avec un score compris entre 57 et 60 (fig. 9).

Discussion

Par cette étude, l'impact sur la mastication et la qualité de vie orale des sujets âgés porteurs de PAC a été évaluée avant et après la mise en place de 4 mini-implants symphysaires stabilisant la PAC mandibulaire. Les principaux résultats de l'étude sont les suivants :

– la mise en place de 4 mini-implants symphysaires a amélioré la capacité des patients à « mâcher » des aliments durs tels que de la carotte en morceaux ;

– les paramètres cinématiques des séquences de mastication ont été modifiés après le placement des mini-implants ;

– la qualité de vie orale a été améliorée.

Néanmoins, la médiane de la taille des particules du bol de carotte recraché juste avant déglutition est restée élevée, supérieure à 4 mm, seuil pour lequel la déglutition est considérée comme sûre [21].

Certaines limites de l'étude peuvent être décrites. Il est noté que les sujets de l'étude étaient des personnes édentées âgées avec une importante déficience de mastication probablement installée depuis longtemps et accompagnée de stratégies de compensation. L'impact du placement des mini-implants sur la mastication a été évalué quelques semaines après la transformation de la PAC mandibulaire en prothèse implanto-retenue. À ce stade de l'étude, on ignore si l'observation 6 mois après la mise en charge des mini-implants aurait donné un résultat similaire. Il est possible que les sujets aient besoin de plus de temps pour adapter leur fonction masticatoire et modifier les stratégies de compensation acquises. En effet, certains auteurs ont montré que les adaptations motrices cérébrales intervenaient au minimum 3 mois après la mise en place des prothèses [30, 31]. Une période de suivi à plus long terme de ces sujets a été mise en place afin de confirmer les résultats présentés dans cette étude.

À T0, avant la restauration implantaire, seuls 4 sujets sur 11 étaient capables de mastiquer l'aliment carotte. Ces difficultés masticatoires chez les patients porteurs de prothèses amovibles ont été révélées dans de nombreuses études [32, 33] et conduisent généralement à une modification du comportement alimentaire, notamment à l'exclusion des aliments les plus durs. Les résultats montrent qu'après la mise en place des mini-implants, la majeure partie des sujets (8/11) était capable de mastiquer la portion de carotte proposée. Ainsi, cette alternative thérapeutique semble être une première réponse à l'incapacité totale de mastiquer certains aliments.

Lors de l'observation des paramètres de mastication de l'aliment carotte, il a été constaté une diminution du nombre de cycles et de la durée de mastication entre T0 et T1. Une étude précédente a montré que les personnes âgées porteuses de prothèses amovibles ont un nombre de cycles masticatoires supérieur à celui des personnes âgées dentées pour un aliment donné [17]. Ainsi, les résultats de la cinématique de la mastication semblent indiquer que la mise en place des mini-implants permet à ces sujets de se rapprocher des paramètres masticatoires des personnes âgées dentées. Cependant, ce résultat est à nuancer car le D50 moyen entre T0 et T1 varie peu et il demeure, à T1, nettement supérieur à la normale (4 000 μm). Enkling et al. [16] ont obtenu le même résultat en observant l'évolution de l'efficacité masticatoire chez les patients édentés traités avec des implants de diamètre étroit durant la première année de traitement. Ainsi, l'optimisation de la rétention par l'adjonction de mini-implants semble faciliter la mastication (nombre de cycles et durée diminués) mais ne semble pas améliorer la granulométrie du bol alimentaire de ces sujets.

Par ailleurs, l'échantillon étudié s'inscrit peut-être dans une population particulière au sein des édentés totaux. Ses membres sont capables de modifier leurs paramètres cinématiques, mais pas de manière suffisante pour que le bol soit de granulométrie correcte : l'adaptation du seuil de déglutition semble déficiente. Néanmoins, les indications des mini-implants élargissent les possibilités de traitement chez des patients qui ne pouvaient recevoir que des prothèses complètes conventionnelles.

Cette étude semble donc montrer que la stabilisation de la PAC mandibulaire met le sujet en confiance : il n'a plus besoin de trier les aliments. Cette idée est confirmée par les résultats obtenus pour le questionnaire de qualité de vie orale. La composante fonctionnelle du score du GOHAI a la plus forte amélioration. Aussi, entre T0 et T1, le score du GOHAI augmente pour s'établir finalement en moyenne à 55/60. Cette augmentation du GOHAI vers une qualité de vie estimée comme moyenne s'observe également dans l'étude de Veyrune et al. [8] : un GOHAI moyen de 56 est obtenu après restauration globale à l'aide d'un bridge implanto-porté avec mise en fonction immédiate (prothèse fixée).

Ce protocole des mini-implants est une solution de remplacement intéressante pour la prise en charge des patients édentés totaux âgés, vulnérables et insatisfaits de leurs prothèses complètes actuelles. Huard et al. [11] synthétisent les avantages de ce protocole. L'utilisation d'une structure monolithique (pas de pilier) diminue le risque de contamination à l'interface de l'implant. Aussi, la mise en charge immédiate des mini-implants permet la stimulation endo-osseuse. Ces deux facteurs peuvent favoriser l'ostéogenèse. Par ailleurs, l'élimination du délai entre le placement de l'implant et la restauration prothétique améliore le confort, en particulier pour des patients fragiles. Toutefois, il faut noter que l'implant monolithique est recommandé chez la personne âgée car les piliers ne peuvent pas être changés. La perte d'un mini-implant ou l'usure de l'attachement boule n'a pas, à ce jour, compromis négativement le maintien de la prothèse. Cependant, une étude à long terme est nécessaire afin de confirmer la fiabilité du placement de mini-implants comme un élément de rétention pour les prothèses complètes mandibulaires.

Malgré des résultats encourageants (amélioration des capacités masticatoires, de la qualité de vie orale et de la satisfaction des sujets), il semble que les limites de la thérapeutique implantaire chez certains édentés totaux soient atteintes. Il serait intéressant d'envisager chez ces patients, après une période d'intégration des prothèses, une rééducation fonctionnelle. En effet, il est observé que la mise en place des mini-implants chez ces patients apporte une amélioration générale de la fonction masticatoire, mais il persiste un déficit masticatoire important. À titre d'exemple, l'insertion d'une prothèse de la hanche nécessite une rééducation de la marche par une équipe pluridisciplinaire. Certaines études ont montré que, même lorsque la fonction masticatoire est améliorée, seuls quelques changements dans le régime alimentaire ont lieu [36]. Ainsi, des programmes alimentaires spéciaux comprenant des conseils diététiques spécifiques devraient être mis en œuvre pour obtenir des changements de régime alimentaire après une restauration prothétique [37, 38]. Pourquoi ne pourrait-on pas envisager une rééducation fonctionnelle pour des patients édentés totaux porteurs de PAC ?

Conclusion

La mise en place de 4 mini-implants symphysaires pour stabiliser la PAC mandibulaire a un impact positif sur la fonction masticatoire et la qualité de vie orale des patients même si les résultats granulométriques restent élevés par rapport à des sujets normo-dentés. Ces résultats suggèrent que cette procédure peut devenir une solution thérapeutique chez la personne âgée lorsque la mise en place d'implants « conventionnels » est contre-indiquée. Il est donc indispensable de poursuivre l'étude pour pouvoir confirmer ces premiers résultats. En parallèle, une étude de suivi clinique des mini-implants à moyen et long termes est en cours.

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Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteurs

Cindy Batisse - Assistant hospitalo-universitaire

Guillaume Bonnet - Assistant hospitalo-universitaire

Marion Bessadet - MCU-PH

Jean-Luc Veyrune - PU-PH

Emmanuel Nicolas - PU-PH

Département de prothèse

Service d'odontologie

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