éditorial
Rédacteur en chef
Pour nos voisins européens et anglo-saxons, le Français a la réputation d'un râleur protestataire, s'opposant systématiquement aux modifications proposées par les pouvoirs publics qui prônent pourtant qu'innover, c'est avancer... La réalité montre que cette crispation bien réelle est une réaction logique face à la surabondance de décisions et de réformes « hors sol » non concertées, dont on cherche vainement les conséquences bénéfiques dans la réalité du quotidien....
Pour nos voisins européens et anglo-saxons, le Français a la réputation d'un râleur protestataire, s'opposant systématiquement aux modifications proposées par les pouvoirs publics qui prônent pourtant qu'innover, c'est avancer... La réalité montre que cette crispation bien réelle est une réaction logique face à la surabondance de décisions et de réformes « hors sol » non concertées, dont on cherche vainement les conséquences bénéfiques dans la réalité du quotidien. Notre discipline médicale n'échappe pas à cette règle. Un activisme forcené pousse les décideurs au plus haut niveau à empiler les réformes médicales, universitaires et hospitalières. Le clinicien ne peut plus suivre. Résigné, il consacre toujours plus de temps aux exigences administratives surabondantes, en constatant amèrement que la qualité du soin n'est plus prioritaire. Et cela ne devrait pas s'arranger : « 10 % des étudiants diplômés en Union européenne le sont sans pratique clinique » (La lettre no 150 du Conseil de l'Ordre, septembre 2016).
Cette frénésie à imposer toujours et encore trouve sa source dans un concept hautement « tendance » : le projet. Nul n'y échappe et surtout pas les hauts décisionnaires qui doivent imposer leur projet pour être crédibles et faire passer leur loi qui en découle pour être visibles. Cependant, sans tenir compte des expériences du passé et des désordres du présent, il faut craindre non seulement que ces projets « com » ne résolvent aucun problème mais, plus sûrement, qu'ils en créent d'autres : « Pour savoir où l'on va, il faut savoir où l'on est et savoir d'où l'on vient. » Une grande partie des citoyens pense actuellement qu'en politique, la « société civile » confrontée aux réalités du quotidien pourra, elle seule, revitaliser le pays face aux « professionnels du projet ». En odontologie, des changements bénéfiques ne pourront naître que de l'analyse objective des informations issues du terrain que les responsables élus de nos structures représentatives ont la lourde et difficile charge d'organiser et de faire remonter, pour constituer les vrais sujets. Mais paradoxalement, nos élites surdiplômées (ou pas), qui ont le sens des responsabilités et des priorités (ou pas), persistent à construire leurs projets dans un futur déconnecté. Ils les rêvent constitués de sujets exclusivement innovants et « tendance », très vendeurs sur le plan social pour plaire au plus grand nombre et éloignés de toute défense d'une profession qui n'en aurait pas besoin... C'est donc vrai qu'il faut faire preuve d'abnégation et de courage pour réfléchir et décider « au plus près du terrain ».