Les cahiers de prothèse n° 174 du 01/06/2016

 

Prothèse et recherche

G. Chemouni / E. Nicolas / M.-V. Berteretche  

Le concept de l'arcade courte introduit et décrit initialement par Käyser en 1981 est un concept bien établi [1]. Une arcade courte est définie comme une arcade dentaire avec l'absence des dents les plus postérieures, au minimum l'absence bilatérale des deuxièmes molaires sur une même arcade maxillaire ou mandibulaire.

Cependant, ce concept n'est pas unanimement reconnu par les praticiens, notamment en prothèse, et plus encore...


Résumé

Présentation

Une nouvelle rubrique « Prothèses et Recherche », pourquoi ? Aujourd'hui recherche clinique et recherche fondamentale sont des acteurs incontournables de notre activité clinique : soutenir nos choix thérapeutiques, renforcer la pérennité des traitements prothétiques et la qualité de vie des patients, autant d'item défendus par la recherche. Cette nouvelle rubrique aura ainsi pour ambition de valoriser les travaux de recherche réalisés en prothèse et replacés au cœur des traitements prothétiques.

Résumé

Résumé

L'absence de restauration prothétique d'un édentement intéressant les dents les plus postérieures est un concept aujourd'hui largement accepté. Un certain nombre d'études ont ainsi pu montrer que le confort des patients est satisfaisant et qu'aucune perturbation intrabuccale significative n'est notée. De plus, la réalisation d'une prothèse amovible partielle ne semble pas une solution adéquate. Cependant, les critères objectifs de la fonction masticatoire et de la qualité de vie des patients dits en arcade courte ne sont pas évoqués.

L'objectif de cette étude est d'évaluer l'impact d'une situation dite en arcade courte sur les capacités masticatoires et la qualité de vie. L'enregistrement des paramètres cinématiques, l'analyse de la granulométrie du bol alimentaire et la qualité de vie orale ont été évalués. Les résultats montrent un déficit fonctionnel des paramètres caractérisant la mastication et une qualité de vie faible. Par conséquent, la restauration prothétique chez les patients en arcade courte doit être discutée et les différentes solutions thérapeutiques doivent être envisagées avec leurs forces et leurs faiblesses.

Le concept de l'arcade courte introduit et décrit initialement par Käyser en 1981 est un concept bien établi [1]. Une arcade courte est définie comme une arcade dentaire avec l'absence des dents les plus postérieures, au minimum l'absence bilatérale des deuxièmes molaires sur une même arcade maxillaire ou mandibulaire.

Cependant, ce concept n'est pas unanimement reconnu par les praticiens, notamment en prothèse, et plus encore par les « occlusodontistes » pour qui une arcade saine, stable et atraumatique pour l'articulation temporo-mandibulaire est une arcade complète. Mais force est de constater que, pour les patients et un certain nombre de praticiens, cette restauration complète des arcades dentaires n'est pas la règle. En effet, pour des raisons financières et/ou de motivations, en raison de contre-indications médicales et/ou chirurgicales (pour des restaurations implantaires), des patients restent avec des arcades dites courtes plus ou moins étendues sans pour autant se sentir « handicapés ».

La plupart des études portant sur l'arcade courte ont été conduites à l'aide de questionnaires remis aux patients et/ou réalisées par des praticiens. Ces études se concentrent sur des données subjectives intéressant le ressenti des patients [2-4]. De plus, en 1992, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a choisi comme indicateur clé de l'état de santé oral le nombre de dents, et le nombre minimum de dents nécessaires sur le plan esthétique et fonctionnel a été défini comme ne devant pas être inférieur à 20 unités (avec 9 ou 10 « paires » de dents antagonistes incluant le secteur antérieur) [5].

Mais qu'en est-il réellement du point de vue objectif des critères de mastication, du ressenti des patients et de leur qualité de vie ?

Le but de l'étude réalisée ici est de mettre en évidence, d'un point de vue objectif, les caractéristiques de la mastication des patients dits en arcade courte, entre autres par une analyse de la granulométrie du bol alimentaire et de la cinématique masticatoire,en les comparant à celles d'un groupe témoin. Simultanément, la qualité de vie de ces patients a été appréciée grâce à un questionnaire de qualité de vie validé : le questionnaire GOHAI (global oral health assessement index) [6].

Cette étude va tenter de répondre aux questions suivantes : un patient ayant une arcade courte présente-t-il un déficit objectif de mastication ? Y a-t-il un réel intérêt à réaliser une restauration prothétique ? Et si oui, à quel type de restauration (prothèse amovible partielle ou prothèse fixée sur implants) faut-il faire appel ? Cette dernière question n'est par ailleurs pas dénuée de considérations d'un point de vue de l'économie de la santé.

Matériels et méthodes

Sujets de l'étude

Les sujets inclus dans l'étude sont des patients qui ont consulté au sein du pôle Odontologie de l'hôpital Rothschild (75012 Paris) pour des soins et/ou une restauration prothétique, et présentant une arcade dite courte.

Pour cette étude pilote, 7 sujets ont été inclus. Les résultats ont été analysés par rapport à ceux d'un groupe témoin constitué de sujets complètement dentés, dont l'âge moyen coïncidait avec celui des sujets inclus.

Aliments tests

Les aliments naturels testés sont des carottes et des cacahuètes. Les aliments sont calibrés et standardisés : un morceau de carotte de 4 ± 0,5 g de section arrondie et un échantillon de 4 g de cacahuètes non grillées et non salées.

Les aliments modèles comestibles testés sont des gélatines à base de gélatine, d'eau et de bonbons en gélatine du commerce (Haribo Schtroumpf®). Ils sont préparés au laboratoire du Centre de recherche en odontologie clinique (CROC), Équipe d'accueil 3847, de l'Université d'Auvergne. Les échantillons sont de forme et de taille standardisées (cylindre de 1 cm de haut et de 2 cm de diamètre). Leur dureté est croissante (de H1 à H3), correspondant respectivement à 3 couleurs : bleu, vert, violet, alors que la constance de leurs propriétés rhéologiques est contrôlée (fig. 1).

Tests de mastication

Les tests de mastication réalisés consistent, d'une part, à évaluer la cinématique de la mastication et, d'autre part, la granulométrie du bol alimentaire préparé (pour les aliments naturels).

Étude de la cinématique de la mastication (analyse vidéo)

Pendant la mastication des aliments tests (carottes, cacahuètes et gélatines), les patients sont filmés à l'aide d'une caméra vidéo pour évaluer la cinématique de la mastication. Cette technique d'enregistrement vidéo permet de comptabiliser simplement et a posteriori le nombre de cycles masticatoires (N) et la durée de la mastication (T) [7]. La fréquence de mastication, rapport entre le nombre de cycle et la durée de la séquence (N/T), peut ainsi être calculée.

Cette technique est validée comme une alternative aux enregistrements électromyographiques et permet une évaluation clinique des capacités masticatoires des patients inclus dans l'étude [7]. Dans un premier temps, le sujet est invité à mastiquer, puis à avaler le premier échantillon de carottes et de cacahuètes pour se familiariser avec son seuil de déglutition (moment où le sujet est prêt à déglutir). Puis, pour les échantillons suivants, le sujet est invité à mastiquer successivement 3 bols de carottes et 3 bols de cacahuètes et à recracher le bol formé au seuil de déglutition. Après la mastication des deux aliments naturels, les sujets sont invités à mastiquer les aliments modèles (gélatines) ; 3 séries de 3 échantillons selon une séquence randomisée.

Les enregistrements vidéo sont ensuite séquencés en clip correspondant à chaque échantillon pour permettre leur lecture et leur analyse.

Étude de la granulométrie des bols recrachés

Les différents aliments naturels testés, recrachés par les patients, ont été conservés congelés. Afin de réaliser l'analyse, ces bols sont décongelés, rincés pour éliminer la salive, puis déshydraté dans une étuve (fig. 2 et 3). Ces échantillons sont ensuite étalés sur des films transparents puis numérisés grâce à un scanner optique (fig. 4).

L'analyse de ces images est réalisée grâce à un logiciel PowerShade® qui va permettre le calcul du nombre de particules (taille comprise entre 100 μm et 10 cm) ainsi que leur distribution. L'indicateur de la granulométrie du bol alimentaire est la valeur D50 : c'est la taille d'un tamis virtuel à travers lequel passeraient 50 % des aliments mastiqués (largeur médiane des particules). Plus le D50 est petit, plus la taille médiane des particules est réduite et meilleure est l'efficacité masticatoire.

Indicateur de qualité de vie en relation avec la santé orale (GOHAI)

Le GOHAI est un questionnaire comportant 12 questions [6]. Il a été validé en français et est proposé à chacun des sujets inclus pour permettre de mettre en évidence des éventuelles limitations fonctionnelles (mastication, déglutition, phonation) (questions 1 à 4), des conséquences psychosociales (questions 6 et 7, 9 à 11), la présence de phénomènes douloureux ou d'inconfort (questions 5 et 8) [8].

La dernière question concerne la sensibilité thermique ou la sensibilité aux aliments sucrés des dents naturelles. Elle a été rattachée à la notion de confort ou d'inconfort.

La méthode additive (GOHAI ADD) est adoptée, elle consiste à additionner les scores obtenus à chacune des 12 questions. Le score attribué à chaque item va de 1 à 5 et le total varie entre 12 et 60.

Un score inférieur ou égal à 50 traduit une mauvaise qualité de vie orale, un score entre 51 et 56 correspond à un état modéré et un score entre 57 et 60 représente une bonne qualité de vie orale.

Méthode statistique

L'ensemble des données est recueilli à l'aide du logiciel Excel®.

L'analyse statistique est réalisée avec le logiciel SPSS®. Les données démographiques sont présentées de manière descriptive. Pour cette étude, les données obtenues pour l'ensemble des patients sont comparées à celles d'un groupe témoin de l'UFR d'odontologie de Clermont-Ferrand, constitué de volontaires d'âge équivalent, présentant des arcades maxillaire et mandibulaire complètement dentées mais ayant réalisé les mêmes tests pour les aliments naturels uniquement [9]. L'impact de la situation arcade courte par rapport à des arcades complètement dentées est analysé par le test t sur échantillon unique (alpha = 0,05).

Résultats

Description générale de la population

Sept sujets ont été inclus dans l'étude : 6 femmes et 1 homme (âge moyen : 70 ± 13 ans) sans problème de santé générale, présentant une arcade dite courte maxillo-mandibulaire, mais dont le nombre et la position des dents absentes ne sont pas similaires. On note une moyenne de 5,6 ± 2,3 dents absentes et des édentements pouvant être définis comme asymétriques.

On comptabilise la perte de dents par les unités occlusales ou fonctionnelles (UF) manquantes. Ce concept d'unités fonctionnelles a été établi par Käyser en 1981, pour classifier les différents types d'arcades courtes : pour un couple de molaires interarcades perdu, 2 unités fonctionnelles perdues sont comptées et, pour un couple de prémolaires ou d'incisives interarcades, on compte 1 unité fonctionnelle [1].

Les sujets ayant perdu le plus d'unités fonctionnelles sont les sujets 1, 2 et 6 avec un nombre de dents absentes différent. En revanche, les sujets 3, 4, 5 et 7 ont perdu le même nombre de dents mais le nombre d'unités fonctionnelles perdues est inférieur pour le sujet 3 (fig. 5).

Indicateur de qualité de vie en relation avec la santé orale : questionnaire GOHAI

Le score moyen du GOHAI obtenu est de 47,14 ± 5,2 (moyenne ± écart).

On constate que seuls 2 patients ont un score supérieur ou égal à 50 (score modéré), les 5 autres ont un score faible compris entre 42 et 48 (fig. 6).

Par ailleurs, on constate qu'il n'y a pas de lien entre le nombre d'unités fonctionnelles perdues et le score du GOHAI (fig. 6). Ainsi, par exemple, les patients 1 et 2 qui présentent respectivement les scores de GOHAI les plus élevés (51 et 56), donc un niveau de satisfaction modéré, sont ceux qui ont perdu le plus d'unités fonctionnelles (à savoir 9 et 7 unités fonctionnelles absentes). A contrario, le patient ayant perdu le moins d'unités fonctionnelles (4 UF absentes) présente un score de GOHAI parmi les plus faibles (score = 42), c'est-à-dire un niveau de satisfaction très bas.

Les résultats du GOHAI selon ses 3 items (fonction, confort et aspect psychosocial) sont représentés par la figure 7.

La moyenne pour l'ensemble des sujets pour l'item « fonction » (notée sur 20) est de 15,85 ± 1,9. Les valeurs sont comprises entre 14 pour le plus faible et 20, soit le score maximal. Les résultats pour l'item « confort » (noté sur 15) donnent des scores allant de 8 à 15 avec une moyenne de 11± 2,6. Pour l'item « aspect psychosocial » (noté sur 25), les scores sont compris entre 18 et 23 avec pour moyenne 20,3 ± 2,8.

Étude de la cinématique

Cinématique avec les aliments naturels

Les résultats comparés à ceux du groupe témoin (volontaires d'âge équivalent, présentant des arcades maxillaire et mandibulaire complètement dentées) ont montré une différence significative uniquement pour la durée des cycles de mastication avec les carottes et les cacahuètes (p < 0,05, test t sur échantillon unique). Sinon, les variations concernant le nombre de cycles moyen ou la fréquence masticatoire (N/T) restent non significatives (test t sur échantillon unique) (tableau I).

Données cinématiques avec les aliments modèles

Les résultats obtenus avec les aliments modèles (gélatines de dureté croissante) montrent une augmentation du nombre de cycles et de la durée de mastication avec l'élévation de la dureté des gélatines (fig. 8 et 9). Chaque patient étant considéré comme son propre témoin, cette augmentation apparaît significative entre les gélatines 1 et 2 (p < 0,05, test t de Student). En revanche, la différence est non significative entre les gélatines 2 et 3.

Concernant la fréquence (N/T), il n'y a quasiment pas de variation entre les gélatines 1 et 2, la différence est non significative ; alors que pour la gélatine 3, dont la dureté est la plus élevée, la fréquence est beaucoup plus faible, la différence est statistiquement significative (p < 0,05 ; test t gélatine 1 versus gélatine 3 et gélatine 2 versus gélatine 3) (fig. 10).

Étude de la granulométrie du bol recraché

Pour l'ensemble des sujets inclus, les mesures de la granulométrie (D50 en microns) pour les aliments naturels sont :

– pour les carottes de 4 717,5 ± 716,5 μm ;

– pour les cacahuètes de 4 739 ± 656,1 μm .

Une valeur moyenne « normale » du D50 pour les carottes a pu être établie, valeur répondant à une mastication efficace et normale. Celle-ci a été proposée par Woda et al. [10] comme un indicateur nommé MNI (masticatory normative index), la valeur normale du D50 devant être inférieure à 4,0 mm. On constate donc que pour les carottes, le D50 global moyen est au-dessus de cet indice. De plus, la différence par rapport aux témoins (D50 respectivement de 2 598 et 1 691 pour les carottes et les cacahuètes) est statistiquement significative (p < 0,001, test t sur échantillon unique).

En considérant les patients individuellement, on note également qu'il n'existe pas de nette différence interindividuelle pour le D50 (fig. 11).

Seul un patient est en dessous de l'indice de référence pour les carottes (patient 2 avec un D50 à 3 840,67 μm) et un patient nettement au-dessus de cet indice également pour les carottes (patient 5 avec un D50 à 6 095,67 μm).

Discussion

Les résultats d'un certain nombre d'études montrent que la restauration d'un édentement distal molaire dans une situation dite d'arcade courte par une prothèse adjointe partielle n'apporte pas une réelle satisfaction au patient [11]. De même, le maintien de cette arcade courte ne semble pas influer sur la qualité de vie des patients [12] ni même engendrer de perturbations au niveau intrabuccal (versions, égressions des dents collatérales et antagonistes, problèmes parodontaux...) ou locorégional (impact au niveau de l'articulation temporo-mandibulaire) [13].

Cependant, l'impact physiologique de la perte d'un certain nombre de dents sur la fonction masticatoire et la capacité d'adaptation des patients à ces situations en arcade courte ne sont pas pris en compte. Ainsi, l'objectif de cette étude était d'appréhender l'impact de ce type d'édentement partiel sur la fonction masticatoire grâce à des indicateurs de la mastication (préparation et granulométrie du bol alimentaire, cinématique de la mastication et fréquence masticatoire) associés à un indicateur de qualité de vie en santé orale (le questionnaire GOHAI).

Granulométrie

L'évaluation de l'efficacité masticatoire peut être appréhendée par une évaluation de la granulométrie des aliments tests mastiqués par les patients. Cette étude montre que pour les aliments naturels testés (carottes et cacahuètes), la taille des particules récupérées chez les sujets étudiés était largement supérieure à celle des sujets du groupe témoin. La qualité du bol préparé est donc insuffisante. Par ailleurs, les résultats obtenus sont également supérieurs à la valeur de référence du D50 (4 mm), qui correspond à une mastication saine et à la préparation d'un bol prêt et non dangereux pour la déglutition [14]. On peut ainsi affirmer que les patients en arcade courte ne peuvent préparer un bol alimentaire qualifié de « normal ». Cela confirme l'importance du nombre des unités fonctionnelles présentes pour la mastication, ces patients pouvant ainsi être considérés comme handicapés en matière de fonction de la mastication.

Certaines études n'ont cependant pas constaté de différence significative entre des patients totalement dentés et des patients en arcade courte [15, 16]. Si une approche similaire existe dans ces études quant à la mesure de la taille des particules recrachées avant déglutition, en revanche l'aliment test utilisé n'est pas un aliment naturel mais un silicone (cubes standard de polysiloxane à haute viscosité). Kreulen et al. établissent un X50 (pour le silicone) équivalent du D50 et si la différence entre les deux groupes testés n'est pas significative, les particules recrachées par les patients en arcade courte restent néanmoins d'une taille 20 % supérieure à celle des témoins [16].

La différence des « aliments » testés et, par conséquent, la sensation de texture différente permet d'émettre une réserve sur la comparaison des résultats de notre étude avec les données présentées préalablement.

Notion de symétrie et d'unité fonctionnelle de l'arcade courte

Les différences très significatives du D50 obtenues en comparant les sujets aux témoins peuvent aussi être liées aux différents schémas dentaires des sujets inclus. En effet, bien que le nombre d'unités fonctionnelles absentes soit peu important en moyenne, on peut constater que tous les patients présentent des asymétries d'édentement. Or, dans les études citées préalablement [11, 15, 16], les patients inclus présentaient une arcade maxillaire complète et une absence des 4 molaires mandibulaires, c'est-à-dire un édentement symétrique et réduit aux molaires mandibulaires.

Selon Käyser et al. [2], le ressenti des patients concernant le confort et une « bonne » mastication est lié à la présence d'au minimum 10 unités fonctionnelles avec les dents antérieures comprises obligatoirement, ce qui signifie qu'au niveau postérieur, 4 unités fonctionnelles et de préférence symétriques sont nécessaires. À défaut, dans une situation asymétrique, 6 unités fonctionnelles seraient nécessaires.

L'impact non seulement du nombre de dents absentes mais aussi de la répartition des dents restantes est très net à la fois sur le plan fonctionnel et sur le plan du confort. Les études de Chauncey et al. [17] et de Wayler et al. [18] avaient déjà mis en évidence une relation directe entre le nombre de dents absentes et les performances masticatoires, lesquelles diminuent avec l'augmentation du nombre de dents absentes. L'étude de Sarita et al. [19], au travers de résultats de questionnaires, a pu établir que les plaintes des patients concernant la mastication étaient maximales lorsque seulement 2 unités fonctionnelles prémolaires étaient présentes, mais minimales en présence des 4 unités fonctionnelles prémolaires et 1 unité fonctionnelle molaire. De plus, cette étude a confirmé qu'un édentement asymétrique entraînait une mastication perturbée avec des difficultés accrues pour des aliments plus « durs ».

Dans les études de Witter et al. [20-22], les résultats sont un peu moins catégoriques : en moyenne, 10 % des sujets en arcade courte inclus avaient une fonction masticatoire perturbée et seuls 8 % rapportaient des difficultés à la mastication.

L'ensemble de ces études met ainsi en évidence l'importance de la notion de symétrie ou d'asymétrie de l'édentement. Les résultats obtenus dans notre étude doivent être replacés dans cette problématique et ils confirment que l'asymétrie d'un édentement impacte plus sévèrement la fonction masticatoire que sa symétrie.

Cinématique masticatoire

Parmi les paramètres d'analyse de la mastication, les caractéristiques de la cinématique masticatoire renseignent de façon intéressante sur les performances des sujets, sur leur capacité d'adaptation à différents types d'aliments et sur d'éventuelles déficiences de la fonction masticatoire.

Les résultats obtenus dans cette étude avec les aliments naturels n'ont pas mis en évidence de différence significative avec le groupe témoin. Cependant, il est important de noter que la fréquence (N/T) est inférieure chez les sujets par rapport aux témoins. Or, la fréquence est un des facteurs clés dans l'évaluation de la mastication, des variations minimales sont enregistrées pour un aliment donné, et ce même associée à des variations de dureté [23]. Avec l'âge, il n'y a pas de modification mais une adaptation à travers un changement du nombre de cycles et du temps de mastication, la fréquence restant constante [24]. La fréquence enregistrée pour les sujets en arcade courte, un peu inférieure à celle des témoins, pourrait ainsi être un signe d'une mastication altérée.

Avec les aliments modèles (gélatine de dureté croissante), il a été observé une augmentation du nombre de cycles et du temps de mastication avec l'accroissement de la dureté. Cependant, les différences ne sont significatives qu'entre les gélatines de duretés faible et intermédiaire. Le passage à la dureté la plus élevée constitue ainsi un seuil que les patients ne « franchissent » pas : ils sont incapables de s'adapter à la dureté la plus élevée. De même, la fréquence est significativement réduite pour la dureté la plus élevée, confirmant encore le déficit masticatoire des patients en arcade courte. Cette diminution d'adaptation ne semble cependant pas perçue négativement par les patients puisque l'item « fonction » du GOHAI a été bien noté.

Ainsi, l'analyse des différents items du GOHAI permet d'aborder la discussion sur l'incidence du ressenti des patients par rapport aux résultats fonctionnels et sur le choix d'une éventuelle restauration prothétique.

GOHAI

Les scores du GOHAI obtenus dans l'étude sont faibles, seuls deux sujets ont atteint un score modéré, ce qui apparaît en contradiction avec les études précédemment citées.

Cependant, si les scores enregistrés sont détaillés, les items « fonction » et « facteur psychosocial » montrent des valeurs relativement satisfaisantes. C'est au niveau du score du confort que les résultats obtenus sont inférieurs. Ce résultat peut être analysé par rapport à l'âge des patients et à leur capacité d'adaptation, qui est moins bonne. Peyron et al. [25] ainsi que Mishellany et al. [23] ont démontré que la fonction masticatoire et son adaptation étaient en relation avec l'âge du patient. Plus le patient était âgé et avec des unités fonctionnelles manquantes et plus sa capacité de mastication et son pouvoir d'adaptation étaient diminués.

De plus, Sarita et al. [26] ont pu démontrer que plus le nombre d'unités fonctionnelles absentes était important au niveau des prémolaires, avec une notion de symétrie, et plus le patient avait des difficultés à mastiquer et à s'adapter. On retrouve donc ici encore l'impact de l'asymétrie des édentements sur la notion de confort des patients.

Apport d'une restauration prothétique et son type

Face à ces résultats mettant en évidence un handicap fonctionnel évident et un inconfort des sujets en situation dite d'arcade courte, il semble important de poser la question des conséquences locorégionales de cette situation et de l'apport d'une restauration prothétique.

Intuitivement, il est communément admis que la perte des dents engendre des déséquilibres occlusaux, des déplacements dentaires avec un affaiblissement du parodonte, incitant alors les praticiens et les patients à remplacer les dents absentes.

Concernant l'apparition de troubles liés à l'absence des dents les plus distales, quelles sont les données publiées ?

Au niveau de l'articulation temporo-mandibulaire, il n'a pas été mis en évidence une apparition ou une augmentation de la prévalence de troubles musculaires ou articulaires [27]. Hattori et al. [28] ont pu déterminer, grâce à un modèle d'éléments finis, que les patients en arcade courte avaient une charge occlusale plus importante que les autres sur les dents présentes, mais sans interférences au niveau de l'articulation temporo-mandibulaire. L'organisme aurait un système d'autorégulation pour ne pas créer de surcharge au niveau de cette articulation.

Par ailleurs, diverses études ont émis l'hypothèse qu'une faiblesse du parodonte résulterait de la perte d'un certain nombre d'unités dentaires, voire entraînerait plus rapidement la perte des dents restantes [29-31]. Ces études sont toutefois contestées car l'augmentation du risque de développer une maladie parodontale dans ces situations d'arcade courte reste faible pour justifier le remplacement des dents manquantes les plus postérieures [32, 33].

Malgré ces études « rassurantes » sur l'équilibre bucco-dentaire, le déficit fonctionnel mis en évidence dans l'étude conduite pose cependant la question de la restauration prothétique envisageable. Deux solutions thérapeutiques seulement sont en fait possibles : la solution implantaire ou la prothèse amovible partielle.

Solution implantaire

Il est admis que la pose d'implants est la meilleure solution. En effet, elle se rapproche le plus de la denture naturelle au niveau du confort, et même si l'ostéoperception, venant prendre le « relais » de la proprioception, entraîne une différence sensible, l'efficacité masticatoire est maintenue [34]. Malheureusement, il n'est pas toujours possible de mettre en œuvre cette solution car l'implantologie présente des contraintes d'ordre général (état de santé du patient) et locorégional (anatomiques en particulier) qui peuvent constituer une contre-indication absolue ou compliquer certainement l'intervention. Enfin, bien évidemment, il faut mentionner la contrainte d'ordre financier.

Solution par prothèse amovible partielle

Cette solution est toujours envisageable mais de nombreuses études ont montré qu'il n'y avait pas de différence significative au niveau de la performance masticatoire entre un patient en arcade courte et un patient avec une arcade courte restaurée avec une prothèse amovible partielle [3, 11]. Cependant, des études récentes ont montré qu'une telle restauration permettait une récupération partielle de l'efficacité masticatoire [35]. Les résultats concernant la qualité de vie des patients restent en revanche contradictoires [4, 36].

Conclusion

Si le concept de l'arcade courte a été défini il y a plus de 30 ans, il ne fait pas consensus.

L'analyse d'un certain nombre d'études montre que cette situation est pourtant bien acceptée par les patients. Cependant, les résultats de l'étude présentée ici semblent mettre en évidence un déficit fonctionnel objectif intéressant la fonction masticatoire. Ils révèlent également que le confort de ces patients est réduit. Cette étude soulève ainsi de nouveau la question de l'impact d'une restauration prothétique. Celle-ci doit être replacée dans le cadre d'un examen clinique attentif du nombre de dents absentes et de la répartition des édentements ; elle doit aussi être envisagée en fonction des plaintes du patient. Selon le type de restauration prothétique envisagé (implantaire ou prothèse amovible partielle), l'apport fonctionnel et l'amélioration de la qualité de vie seront différents. C'est pourquoi l'information du patient sera essentielle pour répondre au mieux aux déficits exprimés lors de la consultation. Dans ce contexte, l'abstention thérapeutique peut alors rester une solution envisageable.

Étude réalisée dans le cadre d'un Master 2 Recherche-« Exercice, Sport, Santé, Handicap » Université J Monnet St Étienne. Centre de Recherche en Odontologie Clinique (CROC)-EA 4847, Clermont Université, Université d'Auvergne.

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Liens d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Auteurs

Gil Chemouni - Chirurgien-dentiste, ancien assistant à l'UFR d'odontologie, université Paris-Diderot-Paris 7

Hôpital Rothschild, Pôle odontologie, Paris

CROC-EA 4847, université d'Auvergne, Clermont-Ferrand

Emmanuel Nicolas - PU-PH, Département de prothèse, Service d'odontologie, CHU Clermont-Ferrand

CROC-EA 4847, université d'Auvergne, Clermont-Ferrand

Marie-Violaine Berteretche - PU-PH, Département de prothèses, UFR d'odontologie, université Paris-Diderot-Paris 7

Hôpital Rothschild, Pôle odontologie, Paris

CROC-EA 4847, université d'Auvergne, Clermont-Ferrand