Du côté des internes
Monsieur D., âgé de 64 ans, retraité, se présente à la consultation pour une gêne fonctionnelle et esthétique du fait d'usures dentaires globales et importantes. Il n'évoque aucune douleur (fig. 1 à 9).
Antécédents médicaux : le patient évoque uniquement un diabète de type 2 équilibré.
Antécédents dentaires : absence de suivi dentaire...
Présentation
Dans cette rubrique seront abordées les notions fondamentales qui fondent la pratique clinique de l'odontologie prothétique et de ses rapports avec les autres disciplines. Ces notions s'adressent notamment aux étudiants préparant le concours de l'internat en odontologie mais aussi aux internes en fonction et aux praticiens libéraux. Ils retrouveront l'essentiel de la pratique sous forme de questions/réponses rédigées de manière synthétique et efficace, dans une forme essentiellement pédagogique. Des éléments complémentaires apparaissent sous forme de tableaux synthétiques et une bibliographie utile du type « lectures conseillées » est ajoutée.
Apprendre à observer la clinique, à l'analyser, puis à classer et à organiser ses connaissances et ses idées sont des étapes capitales et essentielles au service de la réalisation d'un plan de traitement cohérent qui s'inscrira dans la pérennité.
Items d'internat en rapport avec cet article
116. Pertes de substance dentaire d'origine non carieuse : érosion, abrasion, abfraction et attrition.
140. Dysfonctions des articulations temporo-mandibulaires.
141. L'occlusion et les rapports dento-dentaires pathogènes.
143. Objectifs thérapeutiques en prothèse.
144. Examen clinique et plan de traitement en prothèse.
Monsieur D., âgé de 64 ans, retraité, se présente à la consultation pour une gêne fonctionnelle et esthétique du fait d'usures dentaires globales et importantes. Il n'évoque aucune douleur (fig. 1 à 9).
Antécédents médicaux : le patient évoque uniquement un diabète de type 2 équilibré.
Antécédents dentaires : absence de suivi dentaire depuis 10 ans, date des dernières avulsions.
À partir de la situation clinique, exposez le diagnostic et les grandes lignes du schéma thérapeutique, sans oublier les étapes pour y parvenir.
Plan de la réponse :
– Introduction
– Examen clinique (questionnaire médical, anamnèse, examen exobuccal, examen endobuccal)
– Diagnostics
– Prise en charge thérapeutique (analyse préprothétique, propositions des plans de traitement, principes de prise en charge et planification)
– Conclusion
– Lectures conseillées
Les lésions non carieuses constituent un motif de consultation fréquent en odontologie. À des stades avancés, la prise en charge de ces pathologies représente un véritable défi pour le chirurgien-dentiste. La décision thérapeutique est rendue souvent complexe en raison non seulement des origines multifactorielles de ces lésions, mais aussi de l'importance de la perte de substance, des perturbations occlusales et du préjudice esthétique. Un plan de traitement issu d'une soigneuse réflexion s'impose. La première consultation reste donc une étape primordiale.
Renseigné par le patient, le praticien répertorie l'ensemble des pathologies dont souffre le patient et établit les risques généraux potentiels d'une intervention odontologique.
D'un point de vue général, les principaux risques sont :
– hémorragiques ;
– infectieux ;
– anesthésiques ;
– médicamenteux.
Dans le cas du patient présenté ici, seul un risque infectieux peut exister en fonction de l'intervention. Il conviendra de vérifier si le diabète de M. D. est équilibré en suivant le taux d'hémoglobine glyquée : la valeur doit être inférieure à 7 %,
L'anamnèse permet de déterminer précisément l'historique dentaire, notamment les causes et anciennetés des édentements, de cerner exactement la demande du patient, d'apprécier son profil psychologique et d'évaluer les étiologies potentielles à l'origine des pathologies dont il souffre. Elle peut également mettre en évidence les facteurs de risque des lésions non carieuses avérés ou supposés :
– diminution salivaire qualitative et/ou quantitative de la salive, baisse de son pouvoir tampon et disparition de son rôle protecteur ;
– reflux gastro-œsophagien ;
– pratique sportive avec consommation régulière et importante de boisson énergétique dont le pH provoque une attaque acide amélaire ;
– pratique de la natation impliquant un contact dentaire fréquent avec l'eau chlorée des piscines ;
– habitudes alimentaires nocives ;
– techniques d'hygiène bucco-dentaire inadaptées avec mauvaise habitude de brossage, utilisation de bains de bouche ou de solutions buccales agressives ;
– problèmes de dépendance à l'alcool ou à certains médicaments ;
– facteurs de stress impliquant bruxisme et parafonctions ;
– anorexie antérieure ou actuelle avec vomissements provoqués (bol alimentaire acide au contact des structures dentaires).
Il convient :
– de relever précisément la forme et la symétrie du visage, le type de profil (plat, concave, convexe), le parallélisme des plans faciaux (bipupillaire, sous-orbitaire, commissures labiales) ;
– d'apprécier le type squelettique ;
– de recherche une diminution de l'étage inférieur et de la dimension verticale d'occlusion ;
– d'observer les téguments (cicatrice pouvant limiter l'ouverture buccale par exemple) ;
– d'analyser la tonicité musculaire ;
– d'examiner les sillons du visage et les rides d'expression (profondeur), le soutien et la tonicité labiale (recherche de perlèche) ;
– d'examiner les articulations temporo-mandibulaires (ATM) à la recherche de bruits articulaires, de claquements, de douleur à l'ouverture et/ou à la fermeture buccale ainsi qu'à la palpation ;
– d'analyser le trajet d'ouverture/fermeture (amplitude, trajet rectiligne ou dévié, ressauts) (fig. 10).
Calage : cette fonction concerne la stabilité de la position mandibulaire en occlusion d'intercuspidie maximale (OIM). Le calage est lié à la fois à la stabilité intra-arcade (dents naturelles sans mobilité pathologique, points de contact efficients entre les dents de l'arcade, morphologie occlusale conservée) et inter-arcade (points de contact occlusaux répartis, équilibrés, stables et reproductibles induisant un travail musculaire minimal donc non traumatique).
Centrage : il concerne la position mandibulaire dans les trois sens de l'espace :
• dans le sens transversal, l'alignement des points interincisifs est le repère couramment utilisé pour valider le centrage ; un défaut de centrage transversal se traduit par une déviation mandibulaire ;
• dans le sens sagittal, une position légèrement antérieure de la mandibule en OIM par rapport à l'occlusion de relation centrée (ORC) de 0,5 à 1 mm est physiologique ; au-delà de cette valeur, on parle de défaut sagittal ;
• dans le sens vertical, le centrage définit la dimension verticale d'occlusion qui doit être en harmonie avec la hauteur de l'étage inférieur de la face.
Guidage : l'anatomie occlusale détermine les surfaces de contact et de glissement des dents des deux arcades entre elles, véritables surfaces de guidage des déplacements mandibulaires :
• le guidage antérieur doit se faire de façon équilibrée sur les incisives, depuis la position d'OIM jusqu'au bout à bout incisif (en propulsion et rétropulsion), le bout à bout incisif positionnant les incisives mandibulaires en appui simultané sur les incisives centrales maxillaires ;
• le guidage latéral détermine les mouvements de diduction. Selon la ou les dents entrant en jeu dans le mouvement, on parle de fonction canine (prise en charge par la canine et éventuellement l'incisive latérale) ou de groupe (par la canine et une ou plusieurs dents pluricuspidées).
Pour le cas clinique proposé ici et du fait de l'importance des restaurations à effectuer, tous les éléments de l'examen clinique sont importants, particulièrement ceux de l'examen endobuccal :
– aucune sensibilité ni douleur : élément important pour guider la décision thérapeutique ;
– appréciation de l'hygiène buccale : correcte ;
– examen salivaire en quantité et qualité en tenant compte des réponses du patient lors de l'anamnèse ;
– examen dentaire :
• formule dentaire,
• état des dents et des obturations,
• tests de sensibilité et de percussion,
• quantité et types d'alliages dans les restaurations ;
– examen des muqueuses, des crêtes et de la langue ;
– examen des structures osseuses (palais, tubérosités et trigones, ligne oblique interne...) ;
– bilan parodontal (qui peut être complété par un bilan radiographique rétroalvéolaire si nécessaire) :
• appréciation du biotype parodontal, souvent épais chez les patients présentant de fortes abrasions,
• validation de l'absence de maladie parodontale par sondage,
• recherche de signes d'inflammation,
• mesure de la profondeur de poche et de la perte d'attache ;
– bilan carieux : l'examen clinique et des clichés radiographiques rétroalvéolaires valident l'absence de lésions carieuses interdentaires des secteurs sans diastèmes et objectivent les volumes des chambres pulpaires (les dents usées ont souvent une lumière canalaire réduite par stimulation de synthèse de dentine réactionnelle) ;
– bilan des vitalités dentaires à l'aide d'un test de sensibilité (test au froid) et éventuellement d'un test électrique. Le volume pulpaire diminué peut réduire la réponse aux tests avec des « faux négatifs ».
– Examen occlusal des relations interarcades : recouvrement, surplomb, classe d'Angle, alignement des points interincisifs.
– Examen occlusal du calage et du centrage (statique).
– Examen des fonctions de guidage : guidage antérieur, diduction, guide antirétrusif
– Examen des courbes de compensation.
– Évaluation de l'usure et de la compensation alvéolo-dentaire en rapport avec l'appréciation exobuccale de la dimension verticale (égression compensatrice).
– Estimation de la perte de dimension verticale.
– Recherche de la relation centrée en relevant les éventuelles difficultés à l'obtenir.
À la suite de l'examen occlusal endobuccal, le clinicien peut poser l'indication d'une analyse occlusale sur simulateur.
– Maxillaire : toutes les dents sont présentes, avec égression des secteurs postérieurs du fait de secteurs édentés antagonistes. Les pertes de substance coronaires sont très importantes au niveau du secteur antérieur. On note l'existence de 23 incluse dont la position exacte devra être précisée par des examens complémentaires si besoin. Il y a persistance de la racine de la canine temporaire 63.
– Mandibule : 48, 47, 46, 45, 36 et 37 sont absentes. Il convient d'interroger le patient sur les raisons des avulsions. Migration mésiale de 38 (secondaire à l'absence de 36 et 37), lésions d'usures très marquées sur les dents restantes, notamment au niveau du secteur incisivo-canin.
– Étiologies des usures (fig. 11 et 12) : elles sont probablement dues à un phénomène d'attrition par contacts et frottements dento-dentaires interarcades répétés, liés à la fonction manducatrice perturbée par des édentements non compensés et aggravés par l'âge, le bruxisme et les parafonctions.
– Édentements anciens non compensés (principalement mandibulaires).
– Présence de racines résiduelles partielles.
– Présence d'une canine incluse avec persistance de la racine de la dent temporaire.
– Migrations et versions dentaires.
– Lésions d'usure généralisées aux secteurs antérieurs.
– Soins conservateurs et endodontiques à réaliser ou à reprendre.
– Parodonte apparemment sain.
– Occlusion à rétablir (perte d'un guidage antérieur équilibré, perte du calage postérieur).
– Dimension verticale à restaurer.
– Courbes de compensation à restaurer.
L'analyse occlusale sur articulateur est un moyen d'étude des moulages du patient, permettant d'observer les contacts occlusaux existants ou absents et d'établir un diagnostic occlusal lorsque le seul examen intra-buccal est insuffisant :
• dysfonctionnement de l'appareil manducateur potentiellement lié à une malocclusion pathogène ;
• défaut de calage en rapport avec une occlusion d'intercuspidie maximale non reproductible et instable ;
• défaut de centrage avec un décalage entre l'occlusion de relation centrée et l'OIM visualisé à l'examen clinique ;
• défaut de guidage dans les mouvements de propulsion et de diduction : les guidages dentaires fonctionnels ou pathogènes sont difficiles à mettre en évidence en bouche ;
• analyse de la dimension verticale (DV) : le différentiel entre la DV en ORC et la DV en OIM peut être objectivé au niveau de la tige incisive, ainsi que la dimension verticale antérieure (après démontage des secteurs postérieurs dentés du moulage mandibulaire).
L'analyse occlusale est également indiquée lors de reconstructions prothétiques complexes, fixes, amovibles ou implanto-portées, modifiant ou restaurant un ou plusieurs paramètres occlusaux. Elle permet au praticien d'évaluer l'impact tissulaire, fonctionnel et esthétique des modifications envisagées et de prendre une décision thérapeutique qui sera validée à moyen et long termes par le port de prothèses transitoires.
– Réalisation de moulages d'étude en plâtre de type IV.
– Montage du moulage maxillaire sur articulateur par utilisation d'un arc facial.
– Enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire (RMM) en relation centrée à l'aide d'une base d'occlusion mandibulaire.
– Montage du moulage mandibulaire sur articulateur à l'aide de la cire de RMM.
– Analyse occlusale clinique et sur articulateur – évaluation de la dimension verticale d'occlusion thérapeutique.
– Confections au laboratoire de cires diagnostic (wax-up) à la dimension verticale d'occlusion déterminée. Les morphologies dentaires et l'esthétique peuvent être déterminées par une analyse de type Digital Smile Design® (DSD) et l'utilisation du dispositif Ditramax®.
– Analyse de la faisabilité technique et clinique
– Séance de discussion au fauteuil avec le patient pour expliquer et valider le projet prothétique sur la base des cires de diagnostic (forme, esthétique...).
– Explication des différentes solutions thérapeutiques possibles à partir de ce projet. Au maxillaire : prothèses fixées. À la mandibule : prothèse fixée dento-portée et prothèse amovible ou prothèses fixées dento-portée et implanto-portée.
– Devis détaillés.
– Décision thérapeutique finale avec séquençage et étapes du traitement.
– Pronostic.
– Correction des facteurs de risques : habitude d'hygiène, alimentation, explications comportementales.
– Mise en place des prothèses provisoires selon les validations esthétiques et fonctionnelles.
– Temporisation puis réévaluation des choix thérapeutiques.
– Réalisation des restaurations d'usage.
– Confection d'une gouttière de protection nocturne de port obligatoire, indispensable à la pérennité des restaurations.
Quelles que soient les restaurations prothétiques envisagées, la réussite du traitement sera soumise à l'analyse rigoureuse des éléments cliniques positifs et négatifs de départ et à une période de transition et de réévaluation plus ou moins longue, indispensable pour valider les choix occlusaux et esthétiques qui seront reconstruits en totalité pour le cas clinique présenté.
L'usure est un phénomène physiologique normal accompagnant le vieillissement des organes dentaires. Elle est due aux frottements fonctionnels et entraîne une destruction non carieuse des surfaces dentaires (émail tout d'abord, puis dentine et enfin cément). Mais elle peut également être pathologique lorsque sa survenue ou son importance est disproportionnée par rapport à l'âge du patient.
Trois étiologies sont possibles :
• l'attrition crée des facettes lisses, brillantes, aux contours bien définis, atteignant le bord libre et/ou occlusal des dents avec lésion en miroir de la dent antagoniste. C'est une usure mécanique normale aggravée par les parafonctions (bruxisme) ;
• l'abrasion est une usure mécanique due à des contacts répétés avec un corps abrasif (brossage agressif, abrasivité alimentaire ou de particules aéroportées comme le sable). Elle est située principalement dans le tiers cervical de la couronne dentaire avec un dépassement possible au-delà de la jonction amélo-cémentaire ;
• l'érosion est provoquée par une attaque chimique des tissus dentaires entraînant une dissolution de l'émail. Les lésions sont de forme concave et peu profondes, d'aspect mat : les atteintes sont amélaires et ne franchissent pas la jonction amélo-cémentaire (avec présence d'un bandeau d'émail sain). Les localisations sont cervicales, vestibulaires, linguales ou occlusales selon l'étiologie polymorphe : alimentaire, reflux gastro-œsophagien (RGO), alcoolisme, traitements médicamenteux, troubles du comportement alimentaire (TCA). Dans le cas d'érosion occlusale, les cuspides sont usées en forme de cupule responsable d'une perte des reliefs occlusaux.
Les différentes formes d'usure peuvent se combiner, se succéder dans le temps ou se superposer, rendant le diagnostic étiologique primaire difficile.
Le phénomène d'abfraction peut être évoqué, il se définit comme une perte localisée de l'intégrité de la surface de la dent, à cause d'un phénomène de fatigue. Les lésions ont un aspect cunéiforme mais leur origine fait encore débat. C'est l'aspect clinique des lésions associé à l'interrogatoire du patient qui orientera le diagnostic.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Mathilde Jacquemont - Interne MBD
CHU de Bordeaux
Unité de médecine bucco-dentaire (XavierArnozan)
Odile Laviole - MCU-PH
UFR d'odontologie de Bordeaux
Unité de médecine bucco-dentaire (XavierArnozan)