Esthétique
RÉSUMÉ Le traitement esthétique des dents antérieures est un challenge en odontologie. Les traitements restaurateurs tels que les facettes céramiques ou les couronnes tout céramique peuvent être mis en œuvre grâce à l'amélioration des matériaux céramiques. Cet article décrit le traitement esthétique quasiment sans préparation dentaires, pour une patiente avec une usure dentaire. Une planification de traitement et une bonne communication avec le prothésiste aide le clinicien à préserver le maximum d'émail. Le traitement améliore aussi le guidage antérieur et montre tout l'intérêt conservateur des facettes céramique pour rétablir la forme et la couleur des dents antérieures, procurant satisfaction esthétique et préservation de la structure de l'émail.
SUMMARY Complete rehabilitation: association of esthetic, function and biology
The esthetic treatment of anterior teeth is a challenge in dental practice. Restorative options such as ceramic veneers or all-ceramic crowns can be used with the improvement of dental ceramics. This article describes the treatment of improving dental esthetics with all-ceramic restorations without major tooth preparation for patient with anterior dental wear. A treatment planning and a good communication with the dental technician help the clinician to maximize enamel preservation. The treatment also improved the function of the anterior guidance and the conservative use of ceramic veneers to reestablish the form and color of anterior teeth, providing satisfactory esthetic while preserving the enamel structure.
L'érosion des dents est une situation que les cliniciens constatent de plus en plus aujourd'hui ; les habitudes parafonctionnelles et l'essor de la consommation des boissons érosives contribuent à cet accroissement des cas d'usure [1, 2]. Pour de nombreux patients, cette érosion pose non seulement un problème esthétique mais aussi de sérieux problèmes fonctionnels [3].
Le cas clinique ci-après expose le traitement d'une patiente présentant une usure dentaire sévère. Son traitement a demandé la coopération complète du clinicien et du céramiste afin de produire un résultat optimal grâce au transfert entre la clinique et le laboratoire d'une quantité considérable de données et de matériel.
La patiente, âgée de 55 ans, s'est présentée au cabinet avec des doléances esthétiques concernant son sourire (fig. 1). L'érosion des bords libres des incisives maxillaires a rendu « son sourire inesthétique et trop plat » d'après ses propres termes (fig. 2 à 4). De plus, son occlusion n'était pas « confortable » selon ses dires et ses muscles toujours « crispés, jamais détendus » du fait d'un bruxisme (fig. 5). L'examen clinique a confirmé les usures dentaires, principalement au maxillaire (fig. 6 et 7). Après une anamnèse précise, l'attrition due au bruxisme a été identifiée comme la cause principale de l'usure amélaire. L'examen intra-oral a révélé une hygiène bucco-dentaire satisfaisante et aucune pathologie parodontale (fig. 8 et 9). La classification ACE considère que cette patiente est de classe III [4]. La dimension verticale d'occlusion a été jugée insuffisante. Une analyse de l'occlusion dynamique a été faite et la mastication a été évaluée comme inefficace : pour mastiquer, la patiente n'utilisait que ses canines et en partie ses prémolaires.
Le traitement proposé à la patiente était une augmentation de la dimension verticale d'occlusion à l'aide de restaurations en céramique collées sans préparation qui avaient pour but de restaurer l'esthétique simultanément. L'objectif était de remplacer la perte de volume, en l'occurrence l'émail usé par ses habitudes parafonctionnelles, par une approche thérapeutique la moins invasive possible [5-7]. Des overlays ont été proposés sur les prémolaires maxillaires et des facettes palatines sur les canines et les incisives, incluant la restauration des bords incisifs. Les couronnes postérieures ont aussi été renouvelées. L'augmentation de dimension verticale d'occlusion n'a pu être réalisée que par une intervention au maxillaire. Le plan de traitement a été déterminé par l'analyse esthétique avec la technique Digital Smile Design® (DSD) [8]. Ensuite, une occlusion plus physiologique a été déterminée, les facettes palatines et les overlays ont été collés, puis les couronnes postérieures remplacées après une période de validation de tests durant laquelle des mock-up occlusaux ont été portés. Enfin, après le collage de cette partie fonctionnelle, le traitement s'est achevé par la réalisation de 6 facettes esthétiques sur les canines et les incisives maxillaires.
Pendant la consultation initiale, une discussion s'est engagée avec la patiente sur ses doléances et sur les résultats souhaités. Des empreintes d'études en silicone ont été réalisées, de même qu'un bilan radiographique. Puis des vidéos et des photographies numériques du sourire ont été réalisées, depuis la situation des lèvres au repos jusqu'à un grand sourire. Le fondement de l'étude esthétique est l'emploi de la technique DSD permettant de dessiner virtuellement les bords incisifs, les dents avec des proportions correctes et les dents en bonne situation par rapport aux lèvres. Toutes les données de l'étude esthétique ont été transmises au laboratoire pour guider le traitement futur.
Les objectifs principaux d'une session de neurostimulation transcutanée (TENS, transcutaneous electrical nerve stimulation) sont une déprogrammation proprioceptive et une relaxation musculaire, cela afin de définir une nouvelle occlusion. Dans tous les cas, le patient n'a pas la capacité de déterminer une position mandibulaire correcte par rapport au maxillaire, sur le plan de la dimension verticale d'occlusion, car il adapte en permanence sa position grâce à la proprioception : les récepteurs desmodontaux envoient des informations au système nerveux central afin que ce dernier agisse sur les muscles qui vont positionner la mandibule. Cette étape est désignée par son sigle « TENS » car elle est rendue possible par l'utilisation du TENS J5 Myo-Monitor® couplé au système d'évaluation d'occlusion K7 Evaluation System® (Bisico). Le TENS stimule les nerfs V, VII et XI et détend les muscles, favorisant l'élimination de l'acide lactique tout en facilitant l'arrivée d'oxygène et d'adénosine triphosphate (ATP), ce qui interrompt le cycle anaérobie et favorise un cycle aérobie. Après 1 heure d'action, le TENS neutralise la proprioception du patient et la nouvelle position mandibulaire en occlusion de convenance est enregistrée.
Pour la patiente, la dimension verticale d'occlusion ayant été jugée insuffisante, il a été nécessaire de l'augmenter avant de procéder à la restauration. Cette augmentation a également eu pour but de libérer une nouvelle hauteur, un nouvel espace prothétique, autorisant la mise en place des restaurations sans préparation dentaire. Sur le plan pratique, les électrodes du TENS sont collées au niveau de l'échancrure sigmoïde ou en regard des nerfs V et VII, pour avoir une action sur les muscles masticateurs, et au niveau de la concavité située entre les muscles sterno-cléido-mastoïdiens et trapèzes, en regard du nerf XI qui innerve les muscles paravertébraux. Le TENS a agi pendant 1 heure en envoyant toutes les secondes des impulsions électriques à ultra-basse fréquence. Cela a eu pour effet de provoquer une contraction involontaire des muscles stimulés par les nerfs V, VII et XI. Une stimulation musculaire directe n'était pas recherchée mais plutôt une stimulation nerveuse entraînant par voie de conséquence une stimulation musculaire, l'objectif étant d'obtenir une déprogrammation proprioceptive et une relaxation musculaire.
Au bout de 1 heure, l'activité musculaire a été enregistrée et une relaxation musculaire a été relevée sur l'électromyogramme (fig. 10). Ainsi, à l'aide de l'aimant et du casque, une nouvelle position de repos de la mandibule de la patiente a été déterminée : c'est la base de départ du traitement. L'occlusion d'intercuspidie maximale de la patiente a également été enregistrée à l'aide d'un silicone très dur pour enregistrement de l'occlusion, de type Regidur® (Bisico) (fig. 11). Dans cette situation, l'équilibre transversal de la mandibule doit être constaté, tout comme la stabilité des trajectoires d'élévation et d'abaissement de la mandibule (ouverture-fermeture), sans contact dentaire. L'ensemble de ces données a permis le tracé d'un graphique et il a été décidé de situer la dimension verticale d'occlusion du patient 2 mm au-dessus de la position de repos en situant un point sur la trajectoire d'ouverture et de fermeture du graphique. Puis il a été demandé à la patiente d'ouvrir la bouche, pour permettre d'injecter le silicone d'occlusion sur les faces occlusales mandibulaires, et elle a été guidée de nouveau jusqu'à la position prédéterminée.
Deux empreintes au silicone (Precision® et S4i®, Bisico) ont été effectuées et adressées au laboratoire de prothèses pour montage sur articulateur, fabrication du wax-up maxillaire et d'une clé en silicone. Le wax-up a ainsi intégré l'augmentation de dimension verticale et toutes les modifications occlusales postérieures et antérieures sur les faces palatines. La clé en silicone servira à transposer ce wax-up en bouche en situation réelle : c'est l'étape du mock-up.
En clinique, après polissage parfait des dents et séchage, la résine composite de type Provitemp® (Bisico) a été injectée dans la clé en silicone grâce à son pistolet applicateur, puis elle a été positionnée sur les dents (fig. 12). Après polymérisation, les excès ont été éliminés (fig. 13). À ce stade, l'intrados vestibulaire de la clé devait être en contact intime avec les faces vestibulaires des dents (qui n'étaient pas concernées par le wax-up), attestant le bon positionnement de la clé (fig. 14). Aucune préparation dentaire n'a été réalisée à cette étape car le wax-up n'était conçu que par addition sur les faces occlusales et palatines [9].
L'occlusion a ensuite été ajustée en statique en recherchant un maximum de contact cuspide/fosse (fig. 15) puis en dynamique en vérifiant les cycles de mastication pendant que le patient mastiquait le papier articulé comme un chewing-gum (fig. 16 et 17). Enfin, le guide antérieur et la fonction canine ou groupe ont été contrôlés (fig. 18). Puis des photographies du visage et du sourire ont été prises pour vérifier la position correcte de ces bords libres (modifiés par la résine composite du mock-up palatin) et pour s'assurer de leur intégration esthétique parfaite et harmonieuse dans le visage de la patiente.
Ces contrôles et équilibrations ont été réalisés le jour de la pose du mock-up, puis au bout de 2 jours, 8 jours, 15 jours et 1 mois. Après 3 mois de port, 2 empreintes du mock-up ont été effectuées et montées sur articulateur, avec pour but :
– de confectionner une table incisive pour optimiser la création des futurs éléments en céramique ;
– de fabriquer une clé en silicone pour la réalisation des provisoires ;
– d'aider le laboratoire de prothèses dans le design des céramiques, en copiant le mock-up.
À la suite de cela, le mock-up est sectorisé pour enregistrer l'occlusion. Il est tout d'abord sectionné entre les première et seconde molaires et les incisives centrales. Puis la partie de mock-up « de l'incisive centrale à la première molaire » est retirée, les dents sous-jacentes sont polies, les angles vifs arrondis et un silicone d'occlusion est déposé sur les dents à la place de cette section de mock-up. L'opération est répétée du côté opposé puis au niveau des secondes molaires.
Enfin, les couronnes postérieures sont déposées.
Aucune préparation dentaire n'a été réalisée car il existait un espace prothétique suffisant dévolu aux futurs éléments en céramique. (Dans le cas contraire, il faudrait procéder aux préparations directement à travers le mock-up pour fraiser des épaisseurs contrôlées.) Des empreintes effectuées et transmises au laboratoire de prothèses, accompagnées des couleurs respectives des dents supports et des éléments en céramique à réaliser.
Avant de libérer la patiente, les éléments provisoires ont été confectionnés avec les clés en silicone, en utilisant la même technique que le mock-up.
Le technicien monte le moulage maxillaire (dents avec mock-up) sur articulateur à l'aide d'une table de montage HIP® (Hamular notches-incisive papilla, Centre GAD). Puis le moulage mandibulaire est monté en occlusion. Grâce au montage des moulages sur articulateur, le technicien réalise une table incisive qui enregistre les mouvements fonctionnels. Dans un second temps, le moulage maxillaire précédent est déposé de l'articulateur et le moulage de travail sur lequel seront confectionnées les facettes palatines, les couronnes et les overlays est monté sur le même articulateur grâce au mordu d'occlusion, sur le moulage mandibulaire laissé en place (technique des montages croisés). Les éléments sont réalisés en cire (fig. 19) puis en céramique e.max® pressée (Ivoclar Vivadent) pressée puis maquillée [10] (fig. 20).
Les éléments provisoires ont été déposés, les dents nettoyées (fig. 21) puis les éléments en céramiques essayés. Leur intrados a été traité comme suit :
– acide fluorhydrique 9,5 % pendant 20 secondes ;
– rinçage, séchage ;
– application de silane pendant 60 secondes puis chauffage.
Après pose du champ opératoire (digue), les surfaces dentaires ont été à leur tour conditionnées :
– acide orthophosphorique 37 % pendant 30 secondes sur l'émail ;
– rinçage, séchage ;
– mise en place d'adhésif.
Les céramique e.max® ont été assemblées avec le composite de collage Choice 2® (Bisico) (fig. 22). L'élimination des excès a été faite avec un scalpel lame 12 (fig. 23). À ce stade, aucun changement n'était visible en vestibulaire, à part une modification de la longueur des bords libres par les facettes palatines (fig. 24 et 25). L'occlusion a été ajustée à l'aide de papier à articuler de 40 μm d'épaisseur, en occlusion statique, dynamique et fonctionnelle.
La fin du traitement a consisté en la réalisation de 6 facettes maxillaires. Après collage des céramiques de l'étape précédente, qualifiée de « fonctionnelle », des photographies du visage, du sourire et des empreintes ont été réalisées. Un nouveau wax-up a été conçu par addition de cire de canine à canine, suivi d'un enregistrement par une clé en silicone double mélange. Comme cela a été décrit précédemment, la clé silicone a été placée en position, garnie de résine composite du type Provitemp® (Bisico) (fig. 26). Après désinsertion (fig. 27), la patiente a validé l'esthétique du nouveau sourire mock-up en place, en demandant une retouche de la longueur des incisives, ce qui a imposé la réalisation d'une nouvelle empreinte pour transférer cette nouvelle donnée au laboratoire de prothèses (fig. 28 à 30).
Une fois le mock-up validé par la patiente et le praticien, les préparations pour les facettes ont débuté, par fraisage contrôlé à travers le mock-up (fig. 31). Cette technique a permis la réalisation d'une préparation a minima, l'objectif étant de mutiler le moins possible les tissus dentaires avec des préparations restant dans l'émail. Sur le plan technique, des rainures de pénétration contrôlée ont été réalisées avec une fraise boule calibrée [11] (fig. 32). Le fond de ces rainures a été marqué par le passage d'une mine graphite (fig. 33) puis le mock-up a été retiré à l'aide d'une curette universelle CK6 (fig. 34). La quantité de tissu dentaire à fraiser est apparue ainsi clairement (fig. 35). Les préparations ont été finalisées et les limites cervicales marquées avec une fraise à congé sous loupe Surgitel® 6,5 (Bisico) (fig. 36 et 37) [12]. L'épaisseur des préparations a été vérifiée à l'aide des clés en silicone fabriquées à partir du wax-up, afin de laisser suffisamment de place au céramiste pour la réalisation des facettes. Pour achever cette séance clinique et après mise en condition gingivale (fig. 38), 2 empreintes en silicone double mélange des préparations ont été réalisées puis transmises au laboratoire avec des renseignements pour les futures facettes : couleur, état de surface, caractérisations, formes souhaitées, sans oublier la transmission des photographies du sourire mock-up en situation.
Les facettes provisoires ont été confectionnées par la même technique que celle du mock-up. Pour favoriser leur rétention, quelques gouttes d'acide de mordançage ont été déposées sur les dents puis rincées, avant la réalisation des provisoires (fig. 39 à 41).
Après la coulée des empreintes et le montage des moulages sur articulateur, le technicien de laboratoire a réalisé les chapes pressées en e.max® (disilicate de lithium). Le choix des lingotins a été fonction de la couleur de la dent support mais aussi de la couleur souhaitée pour la restauration finale en céramique. Enfin, la stratification a été réalisée avec un soin particulier et méticuleux pour les états de surface.
Après dépose des facettes provisoires et nettoyage des préparations (fig. 42), les facettes en céramique ont été essayées avec chacune une goutte d'eau dans l'intrados pour les réhydrater (fig. 43). Après approbation par la patiente, le champ opératoire de type digue caoutchouc a été posé pendant que l'intrados des facettes a été préparé. Les étapes cliniques sont les mêmes que pour le collage des facettes palatines et des onlays lors de la première étape. La patiente a été pleinement satisfaite de son nouveau sourire (fig. 44 à 46).
La dentisterie a énormément évolué ces dernières années. La photographie numérique associée à la vidéo permet un diagnostic esthétique plus fiable ainsi qu'une communication avec le laboratoire de prothèse et le patient plus simple qu'avant. L'adhésion permet de proposer des traitements sans préparation ou très peu mutilants, donc de préserver un maximum de tissu dentaire et d'améliorer le pronostic à long terme des restaurations. Les traitements sont donc moins agressifs, plus biologiques et plus éthiques qu'auparavant.
Remerciements : Au laboratoire Global Esthetics et à Jérôme Bellamy pour la réalisation prothétique.
Cyril Gaillard – Docteur en chirurgie dentaire. Cofondateur et président du centre de formation Global Advanced Dentistry (www.gad-center.com)
Exercice libéral
14, rue Montesquieu
33000 Bordeaux
Jérôme Bellamy – Prothésiste dentaire
Laboratoire Global Esthetics
14, rue Montesquieu
33000 Bordeaux
Liens d'intérêts : les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.