Les cahiers de prothèse n° 173 du 01/03/2016

 

Esthétique

M. Clément  

Résumé

RÉSUMÉ Modifier un sourire n'est jamais insignifiant et le réussir est un défi imposant au praticien une rigueur tant dans la conception du projet, du « design » du sourire, que dans sa réalisation. L'improvisation ne peut prendre place dans ce type de traitement esthétique. Naturellement, il est capital de connaître les critères objectifs d'un beau sourire avant de concevoir les projets esthétiques. L'étude de différentes situations d'intégration et de restauration met en évidence que la photographie, la vidéo et l'outil informatique sont d'une aide considérable pour la création de chaque projet en collaboration avec le prothésiste, notamment grâce à l'utilisation du Digital Smile Design®. Ces outils facilitent également la communication avec les patients lors des séances d'explication du plan de traitement ou de mock-up. La planification initiale permet aussi la mise en œuvre d'une dentisterie adhésive la moins invasive possible. En effet, seule la quantité de substance nécessaire au prothésiste sera éliminée en fonction du projet final. La prévisibilité de ces traitements permet ainsi d'aborder sereinement les traitements esthétiques.

Summary

SUMMARY Aesthetic project in adhesive dentistry

Modify a smile is never insignificant and obtain a success is a challenge imposing us a rigor both in the design of the project : design of the smile, and in his realization. The improvisation cannot take place in this type of esthetic treatment. Naturally, it is capital to know objective criteria of a beautiful smile before creating our esthetic projects. The study of various situations of integration and rehabilitation highlights that the photography and the computer tool are a considerable help for the creation of every project in association with the prosthetic technician, in particular in association with the use of Design Digital Smile. These tools also allow an easier communication with the patients in particular during the sessions of explanation of treatment plan or mock-up. The initial planning also allows an adhesive dentistry minimaly invasive. Indeed, only the quantity of substance necessary for the prosthetist will be eliminated according to the final project. The predictability of these situations allows to approach serenely our esthetics treatment.

Key words

aesthetic, mock-up, veneer, composite

Le sourire est, à l'heure actuelle, un des centres d'intérêt primordiaux des patients en matière d'esthétique du corps et du bien-être. Il est en effet preuve de jeunesse, de bonne santé, de confiance en soi lorsqu'il est lumineux et harmonieux dans la globalité du visage. Une partie importante de la population exprime donc actuellement un désir de présenter des dents d'une esthétique la plus parfaite et la plus naturelle possible. Parallèlement, les patients bien informés préfèrent des modalités de traitement minimalement invasives. La dentisterie adhésive permet aujourd'hui ces traitements ultra-conservateurs.

Modifier un sourire n'est jamais insignifiant, y parvenir est un défi imposant au praticien une rigueur tant dans la conception du projet (style et esthétique du sourire) que dans sa réalisation. L'improvisation ne peut prendre place dans ce type de traitement. En effet, le sourire est un moyen non verbal d'exprimer les émotions et il est, avec le regard, ce qui caractérise un individu et participe à son attractivité globale. Ainsi, l'analyse rigoureuse du sourire à améliorer, au moyen de photographies et de logiciels très simples, permettra la construction rationnelle du plan de traitement et apportera au praticien rationalité, prédictibilité et sérénité face aux thérapeutiques mises en œuvre. Le patient sera alors en confiance. Le bon suivi des étapes de conception du sourire est donc un pas vers le succès thérapeutique, tant du point de vue biologique que fonctionnel et esthétique.

Naturellement, avant cette analyse et en parallèle de l'écoute du patient, il est capital de connaître les critères objectifs d'un beau sourire afin de proposer la solution la plus adaptée à la situation du patient. Ces différents critères à connaître seront décrits dans la première partie de cet article. Puis la notion de projet prothétique en dentisterie adhésive, termes définis par la suite, sera abordée par l'étude de différentes situations d'intégration et de restauration du sourire, en détaillant leurs spécificités et astuces cliniques.

Analyse esthétique

Après une écoute attentive et la compréhension des doléances et demandes du patient, le cadre de la consultation esthétique est défini. Il est important d'identifier les problèmes d'un point de vue technique et objectif face à la subjectivité du patient. Une démarche d'analyse esthétique précise et rapide [1] est alors entreprise afin d'enregistrer les caractéristiques propres au patient tout en mettant en évidence les éléments disgracieux au niveau du visage, du sourire et de la composition dentaire.

Analyse du visage

Un équilibre entre le regard et le sourire est capital dans l'harmonie globale du visage. En termes de proportion, les trois étages du visage sont quasiment de même hauteur. Dans notre pratique, le besoin d'équivalence entre ces étages peut, par exemple, orienter vers le choix de modifier la dimension verticale pour rendre le tiers inférieur du visage équivalent aux autres étages [2]. Cela n'a pas réellement d'impact clinique dans les traitements sans modification de dimension verticale, comme le montrent les cas présentés dans la deuxième partie de cet article.

Les points et les lignes de référence du visage sont à étudier car ils représentent des outils indispensables à la restauration dentaire esthétique.

Dans le sens horizontal, trois lignes sont décrites :

– la ligne bipupillaire passant par le centre des pupilles des deux yeux ;

– la ligne bicommissurale passant par les deux commissures labiales ;

– la ligne du plan esthétique passant par le bord libre des incisives centrales.

Dans un visage séduisant, la ligne bipupillaire représente la référence esthétique du visage dans 88,4 % des situations [3].

L'analyse de ces lignes permet ainsi de diagnostiquer les dysharmonies horizontales du visage, par exemple une position des dents inclinée par rapport à la ligne bipupillaire due à une usure non symétrique, l'objectif étant de restaurer ensuite les patients selon ces références horizontales.

Dans le sens vertical, le plan sagittal médian est défini par une droite passant par les points situés au niveau de la glabelle, du philtrum et de la pointe du menton. Elle détermine l'axe de symétrie du visage. La perpendicularité de cette ligne avec la ligne bipupillaire et son parallélisme avec la ligne interincisive sont recherchés dans un visage harmonieux. Du point de vue clinique, il faut retenir que la verticalité de la ligne médiane est un paramètre beaucoup plus important que son centrage.

Une analyse du profil du visage est également utile non seulement pour mettre en évidence le type de profil mais aussi pour déterminer le soutien de la lèvre. L'angle naso-labial, formé sur le plan sagittal par l'intersection de la tangente à la base du nez et de la tangente au bord externe de la lèvre supérieure, a une valeur moyenne idéale de 90o chez l'homme et de 100o chez la femme [2]. Cependant, dans les restaurations adhésives, les modifications du profil ne pourront être que minimes.

Analyse du sourire

La ligne du sourire est une ligne imaginaire déterminée par la position des tissus durs par rapport aux tissus mous dans le plan frontal. Elle suit le rebord inférieur de la lèvre supérieure étirée lors du sourire. Elle permet d'apprécier l'importance de l'exposition des dents antérieures et du contour gingival lors du sourire. Un sourire agréable peut être défini comme découvrant complètement les dents maxillaires avec environ 1 mm de tissu gingival [4]. Ce critère objectif est une aide pour la construction d'un plan de traitement esthétique chez un patient présentant un sourire gingival. Par ailleurs, un sourire exclusivement dentaire n'autorise pourtant aucun compromis esthétique de la zone recouverte par la lèvre car il est capital de considérer tous les patients comme des « releveurs de lèvre ».

L'analyse de l'exposition des dents au repos est également un paramètre capital de l'esthétique du visage. Lorsque la mandibule est au repos, les dents ne sont pas en contact et, idéalement, une partie du tiers incisif des incisives maxillaires est visible sur quelques millimètres. Le niveau d'exposition dépend de la hauteur des lèvres, de l'âge et du patient. Il est donc nécessaire d'observer ces paramètres pour chacun des patients.

Le plan incisif observé de face possède par nature une forme de courbe épousant la concavité naturelle de la lèvre inférieure pendant le sourire. Dans certaines situations, cette courbe incisive peut être plate ou inversée, produisant un décalage entre le plan incisif et la concavité de la lèvre inférieure et créant un espace antérieur vide, dysharmonieux visuellement.

Analyse phonétique

À côté des restaurations esthétiques, l'aspect fonctionnel est un paramètre à inclure impérativement dans le traitement. La phonétique est directement influencée par les rapports entre les dents, les lèvres et la langue. Ceux-ci doivent être satisfaisants pour permettre une phonation correcte. Les tests phonétiques donnent des informations pour déterminer la position et la longueur des dents mais aussi la dimension verticale d'occlusion. L'analyse phonétique consiste en l'étude de différents paramètres lors de la prononciation de certaines lettres. La prononciation du M permet de déterminer la dimension verticale et donc l'exposition des dents au repos, et de valider la bonne position du bord incisif ou de voir s'il est nécessaire d'allonger ou de raccourcir les incisives centrales. La prononciation correcte des phonèmes F et V est produite par un léger contact entre les incisives centrales maxillaires et la ligne vermillon de la lèvre inférieure. Enfin, la prononciation du phonème S est déterminée par le passage uniforme d'une bande d'air large et plate qui est insufflée entre les faces des dents maxillaires et mandibulaires, permettant de déterminer l'espace interarcade [2].

Analyse de la composition dentaire

Cette analyse est essentielle. Elle résulte en partie de l'observation des dents naturelles [5] et permet d'évaluer différents paramètres, notamment la disposition des dents entre elles, les axes dentaires, les formes...

Il est important de comprendre qu'une restauration esthétique est la combinaison de dimensions et d'autres paramètres non quantifiables relevant du domaine de l'art. La partie géométrique est codifiable et peut être mesurée tandis que le sens artistique, lié à l'émotivité, varie selon les individus et s'acquiert par l'expérience, tant pour les praticiens que pour les techniciens de laboratoire. C'est cette complémentarité entre science et art qui caractérise la collaboration entre le praticien et le céramiste.

La proportion des dents entre elles est importante. Certains auteurs ont mis en évidence des liens de proportionnalité de l'incisive centrale à la prémolaire. Ils préconisent des rapports de proportionnalité qui répondent au nombre d'or [6], synonyme d'excellence esthétique : une incisive maxillaire doit être environ 60 % plus large que l'incisive latérale qui sera 60 % plus large que la partie visible de la canine [7]. En termes de proportion dentaire, il est également utile de connaître les dimensions moyennes des dents antérieures pour déterminer s'il existe une anomalie de hauteur ou de largeur. Les incisives maxillaires ont une proportion moyenne idéale de 80 % (rapport hauteur/largeur), contre une proportion moyenne idéale de 70 % pour les incisives latérales et les canines. La dominance des incisives centrales est recherchée dans de nombreuses situations cliniques mais doit être en adéquation avec le visage et le caractère des patients, tout comme la typologie dentaire [8]. La forme des dents peut être classée selon quatre catégories : carrée, triangulaire, ovoïde, rectangulaire, et ce selon l'âge, le sexe et la personnalité du patient. En effet, les formes carrées sont plutôt associées à des personnalités calmes, pacifiques, discrètes, conformistes. Les dents ovales correspondent à un caractère sensible, organisé, artistique et réservé contrairement aux dents de forme rectangulaire qui correspondent à des personnalités au fort caractère, colériques, déterminées, entreprenantes, passionnées. Enfin, les formes triangulaires sont associées au caractère dynamique, sanguin, communicatif, impulsif. La connaissance de ces associations permet de rendre plus pertinents les projets esthétiques en les intégrant dans le cadre plus global qu'est le cadre facial [9].

À côté de la forme, il est capital d'observer l'état de surface des dents (macrogéographie et microgéographie) pour le reproduire. La macrogéographie représente toute variation de surface de grande taille et facilement visible à l'œil nu. Elle correspond à l'anatomie de la dent dans le sens vertical. Elle est constituée de lobes, de sillons et de fosses présents à la surface, résidus de la fusion embryonnaire des lobes. La microgéographie représente les lignes horizontales et/ou verticales (périkymaties, vestiges des stries de croissance) mais aussi les rayures et différents microdéfauts (dépressions, rainures, imperfections) de la surface de la dent. Elle correspond à la texture de surface de la dent. La couleur et ses cinq dimensions que sont la luminosité, la saturation, l'intensité, la caractérisation et l'opalescence [10] sont également des paramètres importants qu'il est nécessaire de prendre en compte dès le stade de l'analyse afin d'anticiper toute difficulté technique au cabinet ou au laboratoire.

Ensuite, dans le cadre d'un sourire présentant un aspect naturel, l'embrasure incisale entre les deux incisives centrales est la plus étroite de toutes les embrasures incisales. La taille de ces embrasures incisales est croissante. Cette progression crée un rythme participant à l'esthétique du sourire. En parallèle, les axes dentaires ne sont pas identiques et verticaux dans un sourire harmonieux et naturel. En effet, inclinés de distal en mésial dans le sens apico-incisal, ils s'accentuent en vue frontale depuis les incisives centrales jusqu'aux canines.

Enfin, une étape importante de l'analyse esthétique consiste à examiner la taille de l'arcade maxillaire au sein du sourire : si cette arcade semble petite avec des dents d'aspect « resserré », des espaces latéro-dentaires sombres et disgracieux apparaîtront lors du sourire et il conviendra de favoriser des positions et formes dentaires tendant à réduire ces « couloirs » latéraux. Cette notion est aussi primordiale lors d'une restauration antérieure maxillaire à but esthétique : il faudra, dans certains cas, restaurer au-delà des six dents antérieures pour améliorer l'aspect esthétique du sourire au niveau des couloirs latéraux vestibulaires.

Analyse de la composition gingivale

La santé gingivale constitue une priorité pour parvenir à un résultat esthétique. En effet, la présence d'une gencive libre rose, d'une gencive attachée de surface piquetée « en peau d'orange » et l'absence de saignement sont des signes de bonne santé gingivale. Donc, lorsque cela est nécessaire, un traitement parodontal est à réaliser avant le traitement de restauration esthétique.

En termes d'architecture gingivale, il est d'abord impératif d'avoir un profil symétrique au niveau des incisives centrales. En effet, toute asymétrie à proximité de l'axe médian est à éviter car elle nuit à l'esthétique. Ensuite, le bord gingival de l'incisive latérale doit être idéalement situé de 1 à 1,5 mm en dessous de la droite qui unit le bord gingival de l'incisive centrale et celui de la canine. Enfin, la présence de papilles interdentaires joue également un rôle important dans l'esthétique du secteur antérieur, leur absence laissant place à un espace noir dysharmonieux. Les techniques de chirurgie mucogingivale ne sont pas en mesure de recréer toutes les papilles. Dans ce cas, le recours aux composites ou aux facettes en céramique peut se justifier en fonction de la situation clinique.

D'une façon générale, une certaine symétrie entre le côté droit et le côté gauche est recherchée tant dans le sourire que dans le visage des patients. Cependant, une symétrie parfaite n'est pas indispensable. Au mieux, un équilibre visuel sera recherché entre les deux côtés, ce qui permet de rétablir une harmonie naturelle du sourire et du visage des patients [5]. Néanmoins, il faut préférer les légères asymétries gingivales plutôt au collet des incisives latérales et canines qu'au niveau des incisives centrales.

En plus des informations à connaître concernant l'esthétique globale, il est indispensable, avant toute restauration esthétique, d'étudier la fonction en complément de l'analyse radiographique.

Le résultat idéal pour un traitement d'intégration et de restauration antérieure nécessite de systématiser une approche diagnostique pour une meilleure analyse, une meilleure compréhension et l'exécution idéale d'un plan de traitement [11]. Cette démarche thérapeutique se déroule en plusieurs étapes grâce à différents outils innovants. Le praticien est aujourd'hui capable d'exposer au patient le résultat final du traitement avant même de l'avoir commencé : c'est le projet esthétique.

Situations cliniques d'intégration

L'intégration consiste à associer un élément à d'autres afin d'aboutir finalement à un résultat homogène et harmonieux. Concernant la modification du sourire d'un patient, l'intégration peut donc consister en l'ajout d'un ou de plusieurs éléments à ce sourire, qu'il s'agisse de restaurations directes ou indirectes au moyen de pièces prothétiques en céramique.

Intégration en technique adhésive directe

L'intégration d'une restauration en composite au niveau d'une incisive est un procédé délicat à appréhender et qui nécessite une méthodologie clinique permettant d'obtenir des résultats fiables et reproductibles. Le cas clinique suivant décrit la procédure.

Une jeune patiente de 14 ans s'est présentée à la consultation, adressée par son orthodontiste, afin d'améliorer son sourire (fig. 1). En effet, elle se plaignait de taches blanches qu'elle trouvait disgracieuses et de ses dents « cassées ». Elle avait subi un traumatisme dentaire à l'origine de trois fractures : une fracture amélo-dentinaire sur la dent 11 et deux fractures amélaires sur les dents 12 et 21 (fig. 2). Le traitement proposé a consisté, selon le respect du gradient thérapeutique [12], en la réalisation de restaurations directes en composite après un traitement d'érosion-infiltration.

Le succès de la future restauration réside en partie dans l'observation des dents restantes. Afin de réussir au mieux les restaurations, l'étape d'analyse préopératoire est donc un préalable fondamental. L'astuce clinique réside dans la réalisation de photographies lors de la consultation, après une observation clinique et radiographique, permettant une analyse de la forme, de l'état de la surface et de la couleur. Pour ce faire, l'utilisation d'un dispositif photoghaphique spécifique (boîtier reflex, objectif macro 105 mm et système de flash) permet d'obtenir des images qualitatives du même type que celles présentées ici [13]. L'utilisation d'écarteurs et de contrasteurs noirs (Flexipalette Set, Smile Line) permet de se placer en situation et au plus près des éléments souhaités, au sein de la cavité buccale. La forme et l'état de surface des dents peuvent donc être analysés précisément (contour externe, lignes de transition, macrogéographie et microgéographie). S'agissant des caractéristiques chromatiques, la lumière polarisée (cross polarized light) (Smile Lite ou Polar- Eyes) permet d'identifier très facilement les différents effets à l'intérieur de la dent [14]. Le relevé de couleur (saturation et luminosité) est également réalisé en parallèle lors de cette consultation, au moyen d'un teintier. L'utilisation de la photographie associée à l'outil informatique permet une analyse encore plus pertinente et la réalisation d'une cartographie très précise. En effet, l'image polarisée, en augmentant le contraste et en diminuant l'exposition, permet une analyse objective des trois autres dimensions de la couleur que sont les intensifs, les opalescents et les caractérisations en facilitant ainsi le choix de masses de composite associées [14]. Dans cette situation clinique, il a fallu imaginer les opalescents et caractérisations présents sous les intensifs blancs qui seront éliminés lors du traitement d'érosion-infiltration. Cette cartographie avec le contour externe des dents a servi à la fois de support visuel lors de la stratification et de guide pour la réalisation du wax-up au laboratoire (fig. 3). Le wax-up diagnostic réalisé par le prothésiste selon le schéma informatique a permis la confection d'une clé en silicone autorisant la reproduction clinique la plus fidèle du projet esthétique (fig. 4). Lors du deuxième rendez-vous, l'ensemble des éléments d'analyse ayant été réalisés précédemment, la séance clinique s'est déroulée sous champ opératoire en deux temps : érosion-infiltration (Icon®, DMG) (fig. 5) [15] puis réalisation des composites selon le projet esthétique (composites de stratification HRI : dentine UD4, émail UE2, opalescent bleuté OBN, Micerium) (fig. 6). Les caractéristiques citées dans l'analyse esthétique préalable, notamment en termes de forme et d'état de surface, sont reproduites au plus près de la nature (fig. 7 et 8). Du papier à articuler frotté sur les dents permet de mettre en évidence ces reliefs [16].

Même si cela peut sembler simple, l'intégration d'une ou de plusieurs restaurations directes en composite dans un sourire nécessite donc une analyse préopératoire rigoureuse à l'aide de photographies et de l'outil informatique afin de planifier au mieux le projet esthétique pour obtenir un résultat satisfaisant (fig. 9).

Intégration en technique adhésive indirecte

L'intégration d'une restauration en céramique au niveau d'une ou de plusieurs dents antérieures est une thérapeutique complexe tant pour le praticien que pour le prothésiste, car il convient de recréer une harmonie avec les éléments déjà présents. Les facettes en céramique offrent des résultats esthétiques excellents à long terme. Néanmoins, il est capital de bien analyser la situation clinique et de comprendre les demandes et attentes du patient pour le satisfaire.

La situation clinique suivante est celle d'un patient âgé de 20 ans qui souhaite améliorer son sourire avec un résultat durable à long terme. Il présentait des incisives latérales maxillaires riziformes, des canines maxillaires avec une forme très conoïde et une légère vestibulo-mésio-version de la dent 21. Il a exprimé clairement son souhait de conserver ses canines « pointues » afin de préserver la ressemblance familiale.

Une analyse esthétique globale et précise a été réalisée grâce à la photographie. Actuellement, cet élément est incontournable pour la réalisation d'un projet esthétique, en restauration directe ou indirecte (fig. 10). La majorité des paramètres de l'analyse esthétique peut être étudiée sur les différentes vues du visage, du sourire et intrabuccales, qui peuvent être complétées par des vidéos, diminuant considérablement le temps d'analyse esthétique au fauteuil. En effet, la vidéo est un outil supplémentaire permettant d'observer en mouvement les paramètres répertoriés dans l'analyse et d'avoir accès à des sourires beaucoup plus naturels, grâce à la fonction « arrêt sur image ». La dynamique des tissus mous, du visage et de la sphère orale joue un rôle principal dans le rendu esthétique. Grâce à la connaissance de l'ensemble des paramètres vus précédemment, notamment la composition dentaire dans le sourire et les différentes proportions, il a été possible de proposer deux solutions thérapeutiques à ce patient : une solution d'intégration pour les dents 12 et 22 (fig. 11) et une solution de restauration pour toutes les dents de 13 à 23 (fig. 12), afin qu'il puisse faire un choix en connaissance de cause, sans que ni lui ni le praticien risquent d'être déçus.

L'astuce clinique est ici d'obtenir une réelle participation du patient dans le choix de son traitement en lui faisant « essayer » les deux projets esthétiques matérialisés par l'intermédiaire d'un mock-up. Celui-ci constitue la solution la plus adaptée pour valider un projet esthétique en consistant à réaliser en bouche, lorsque cela est possible, une préfiguration du résultat final. Le mock-up est donc un outil de validation esthétique et fonctionnelle du projet esthétique au moyen d'une maquette en résine confectionnée en bouche grâce à une clé en silicone. La clé est fabriquée à l'aide d'un silicone de très haute viscosité sur le duplicata du montage en cire, ou wax-up. De la vaseline est appliquée sur les dents du patient et la gencive environnante, puis elle est délicatement étalée et amincie à l'aide d'un jet d'air et d'une microbrosse. Une résine composite autopolymérisable bis-acryl (Provi Temp K-A1, Bisico) est injectée dans la clé en silicone puis celle-ci est pressée sur les dents du patient. Le matériau en excès est éliminé facilement en vestibulaire au niveau des découpes de la clé dès le durcissement du composite.

Le prothésiste (Sébastien Mosconi) a confectionné les deux wax-up en fonction des deux projets esthétiques informatiques réalisés à l'aide des photos et vidéos, et deux clés en silicone en sont issues. Après la réalisation en bouche du premier mock-up, puis des photographies et vidéos, la résine bis-acryl a été ensuite facilement retirée en détachant le matériau à l'aide d'une sonde, d'une curette ou d'un autre instrument manuel avant de confectionner le second mock-up. Le composite bis-acryl est un matériau très cassant, donc il se retire assez simplement en se fracturant. Ce wax-up, ou cire diagnostique, est capital et demande au prothésiste une grande précision par rapport au projet, mais il nécessite également un sens artistique avec un travail poussé des formes et des états de surface dès cette étape, permettant l'intégration la plus naturelle possible.

Le mock-up positionné directement en bouche a permis ainsi une communication facilitée avec le patient à propos du projet de traitement. Le patient est souvent rassuré de voir le résultat thérapeutique visé avant même les préparations dentaires. Dans cette situation clinique, il était plus sûr de faire valider au patient le choix entre l'intégration ou la restauration. L'essayage des deux mock-up (fig. 13 et 14) l'a orienté plus facilement vers une décision en faveur de l'intégration des deux incisives latérales uniquement.

Enfin, après validation du mock-up diagnostic, les différentes étapes du traitement ont été réalisées avec mise en œuvre, selon le projet final, de préparations dentaires minimalement invasives [17]. La réduction de substance nécessaire pour le matériau de restauration choisi a été déterminée non pas par la position actuelle de la dent mais par les dimensions extérieures des futures restaurations [8, 9]. Les préparations dentaires ont été réalisées directement au travers du mock-up pour s'assurer des bonnes épaisseurs des préparations (fig. 15) [18] pour la réalisation, dans cette situation, de facettes en céramique feldspathique sur dies réfractaires. Après collage de ces deux facettes sur les dents 12 et 22 (fig. 16), le patient a été satisfait du résultat final (fig. 17). Ce résultat a été finalement prévisible grâce à l'analyse des photos et des vidéos, grâce au projet esthétique mais aussi grâce à la validation à l'aide du mock-up.

Situations cliniques de restauration

Restauration adhésive maxillaire temporaire

Une jeune patiente de 13 ans a été adressée au cabinet par son orthodontiste pour la restauration transitoire de son sourire avant celle, définitive, qui ne pourra prendre place que lorsque sa croissance sera terminée. La patiente présentait des agénésies multiples et des dents de forme conoïde rendant son sourire disgracieux (fig. 18). Précisons aussi que des composites avaient été apposés sur les incisives et les canines avant le traitement orthodontique. À ce stade initial, il était capital de définir un projet esthétique précis pour réaliser les finitions orthodontiques avant la restauration temporaire maxillaire. Pour cela, en complément de l'analyse esthétique, le Digital Smile Design® [19] est un outil clinique très intéressant pour l'analyse des patients et la communication entre les différents protagonistes du traitement [20]. En effet, l'objectif de ce protocole de photographies et d'analyses associées est de tracer informatiquement les grandes lignes du projet prothétique destiné au patient. Le protocole est précis : quatre photographies sont nécessaires : deux vues frontales du visage du patient, une vue occlusale de l'arcade et une vue dite « à 12 heures ». Ensuite, il s'agit de positionner le patient dans le cadre établi avec différents outils sur un logiciel type Keynote ou PowerPoint, accessible sur tous les ordinateurs. Aucun autre logiciel n'est nécessaire. L'objectif est de suivre une analyse progressive du patient selon les différentes caractéristiques esthétiques vues dans la première partie de cet article. Sur ces photographies, les éléments comme la ligne du sourire, la ligne bipupillaire, la relation gingivale et les dimensions des dents sont reportées et apparaissent précisément, permettant une réflexion globale pour la réfection d'un sourire. Les proportions dentaires peuvent également être appréciées, donc améliorées. Dans un premier temps, ce concept permet de transmettre des mesures précises, au dixième de millimètre près, dans les modifications orthodontiques à effectuer. Dans un second temps, le Digital Smile Design® apportera un maximum d'informations au laboratoire de prothèses. Cet outil est particulièrement adapté aux situations de restauration : il va en effet permettre de tracer aisément, sur les différentes photographies, les principales modifications à apporter au sourire de chaque patient pour atteindre le projet prothétique imaginé selon les proportions idéales et harmonieuses. Il sert donc de tuteur à l'élaboration du projet.

Le projet esthétique présenté ici (fig. 19) est donc transféré à l'orthodontiste (Dr Filippi) avec les demandes associées, si cela est possible, de légers déplacements afin de se calquer au mieux au projet : mésialer la dent 11 (0,5 mm) et extrêmement légèrement la dent 21 (0,25 mm), puis faire ensuite déplacer dans ce mouvement les dents 22, 23, 12 (virtuelle car agénésie) et 13. Une fois ces modifications réalisées (fig. 20), la dépose de l'appareil a été associée à la mise en place d'une contention amovible par gouttière pour maintenir les dents dans leur bonne position et remplacer les dents manquantes dans la gouttière. À ce stade, le projet esthétique établi grâce au Digital Smile Design® est envoyé, avec les empreintes maxillaire et mandibulaire, au laboratoire de prothèses pour la confection d'un wax-up (fig. 21) pour la validation du projet prothétique esthétique. Ce wax-up a été essayé à la patiente par la réalisation d'un mock-up. Cela a donc permis d'apprécier cliniquement le projet de la thérapeutique proposée à la patiente (fig. 22). Immédiatement, de nouvelles photographies et vidéos ont été réalisées « à distance sociale » puis montrées à la patiente et à ses parents. Après cette séance, ces derniers ont été en mesure de décider si le projet esthétique leur convenait, avant de procéder à la restauration. Ce traitement temporaire servira également de projet esthétique pour la future restauration définitive, d'où l'importance de sa précision dès cette étape initiale.

Restauration adhésive bimaxillaire définitive

Une restauration complète de la cavité buccale est un traitement complexe intégrant une composante non seulement esthétique mais également fonctionnelle. Lors de la réalisation d'un tel traitement, il est indispensable de planifier pour le simplifier et l'optimiser du point de vue technique et permettre aussi une bonne compréhension de la part du patient.

Une patiente a consulté pour une restauration bimaxillaire. En effet, elle était atteinte d'une amélogenèse imparfaite (forme hypomature). L'émail était d'épaisseur normale, relativement dur, ne présentant qu'un faible contraste avec la dentine (voire aucun contraste) et avec des colorations allant du blanc crayeux au jaune brun [21]. Dans ce type de situations, l'émail mal formé peut s'altérer rapidement après l'éruption dentaire. La patiente a donc souhaité, à la suite de son traitement orthodontique et après la fin de sa croissance, restaurer et protéger l'ensemble de ses dents (fig. 23 à 25).

Ce traitement a nécessité l'élaboration d'un projet prothétique esthétique. L'analyse initiale et l'ensemble des photographies et vidéos de la patiente ont permis d'établir un Digital Smile Design® précis (fig. 26) autorisant une planification des différentes étapes du traitement et une validation du projet esthétique avec la patiente par l'intermédiaire du mock-up. Le prothésiste (Sébastien Mosconi) a pu réaliser un wax-up en fonction des informations transmises par le Digital Smile Design® en tenant compte de sa sensibilité personnelle, de sa connaissance des formes, des dimensions, des états de surface et des compositions dentaires naturelles (fig. 27). Le mock-up complet maxillaire et mandibulaire a été validé par la patiente (fig. 28 et 29) et a permis de lui expliquer les différentes étapes du traitement pour aboutir à l'objectif final validé. En effet, la motivation des patients est très importante à l'issue de l'étape du mock-up et leur compréhension est plus facile. Ainsi, la patiente a pu facilement comprendre que pour arriver à l'objectif fixé, il était nécessaire de réaliser des gingivectomies et des chirurgies parodontales d'élongation coronaire au niveau de certaines dents, afin de recréer une architecture gingivale harmonieuse et des espaces biologiques suffisants avec des courbes d'occlusion correctes en postérieur. Le Digital Smile Design® et le mock-up ont donc autorisé l'établissement d'un plan de traitement très précis concernant aussi bien le « rose que le blanc », tout en facilitant la communication avec la patiente.

Le traitement proprement dit a été réalisé en deux étapes : restauration des dents postérieures à l'aide de restaurations collées en céramique afin de compenser la perte de substance d'émail abîmé et éliminé puis, dans un second temps, restauration des dents antérieures au moyen de restaurations collées en céramique permettant de n'éliminer que les tissus atteints par l'amélogenèse imparfaite.

Le résultat final (fig. 30 et 31) s'est inscrit dans une totale prévisibilité par rapport aux différentes étapes initiales de validation du projet esthétique [22].

Conclusion

L'étape de réflexion et d'élaboration du plan de traitement est capitale dans la dentisterie adhésive contemporaine. Elle constitue l'élément principal d'une restauration réussie. L'intégration d'un sourire dans un visage ne peut être improvisée et ne peut dépendre uniquement du sens artistique du praticien ou du prothésiste. Un ensemble de règles esthétiques s'impose pour élaborer le projet esthétique personnalisé de chaque patient, auxquelles il conviendra d'associer le sens artistique indispensable à un résultat le plus naturel possible. La photographie et l'outil informatique sont d'une aide considérable pour la création de chaque projet esthétique en collaboration avec le prothésiste, notamment par l'utilisation du Digital Smile Design®. Ces outils facilitent également la communication avec les patients, notamment lors des séances d'explication du plan de traitement ou lors des étapes de mock-up. La planification initiale permet également une dentisterie adhésive la moins invasive possible : seule la quantité de substance nécessaire au prothésiste sera éliminée en fonction du projet final. La prévisibilité de ces traitements permet ainsi d'aborder sereinement les traitements esthétiques.

Marie Clément - Docteur en chirurgie-dentaire. Ancienne AHU, attachée d'enseignement (faculté d'odontologie de Lyon), attachée des hôpitaux de Lyon, Service de prothèse, Pôle esthétique, exercice libéral

8, avenue Maréchal-Foch

69006 Lyon

Liens d'intérêts : l'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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