Implantologie
J. Perrin / J. Sui / H. Plard / Y. Bedouin / Y. Gastard / F. Clipet
RÉSUMÉ La restauration des patients totalement édentés à l'aide de prothèses sur implants transvissées de type bridge sur pilotis est une solution durable et bien séquencée. En revanche, la démarche conduisant au choix du design de la suprastructure implantaire en fonction de la situation clinique est mal codifiée. Ce choix doit s'effectuer au cas par cas, en tenant compte de facteurs tels que le largeur de la crête, l'espace interarcade disponible et le comportement du patient (hygiène, dextérité).
SUMMARY Decision criteria for the conception of the implant suprastructure of trans-screwed complete dentures
The rehabilitation of totally edentulous patients with trans-screwed complete dentures is reliable and the treatment plan is well established. However, the process leading to the design of the implant framework, that depends on the clinical situation, is poorly codified. This choice must be done case by case, taking into account factors such as the width of the ridge, the interarch available space and the patient's oral hygiene habits and dexterity.
La restauration des patients totalement édentés avec un bridge supra-implantaire de type « sur pilotis » constitue une alternative thérapeutique à la prothèse amovible complète particulièrement intéressante car elle permet d'éviter les doléances liées au port des prothèses amovibles complètes. Elle permet de rétablir les fonctions de l'appareil manducateur et l'esthétique de manière très sécurisante pour le patient. La réalisation de ces prothèses suit un protocole bien établi tant sur le plan chirurgical que sur le plan prothétique.
Cependant, l'une des étapes de ces traitements fait souvent s'interroger l'équipe formée du clinicien et du prothésiste de laboratoire en charge de la réalisation prothétique. Le choix et la conception de la suprastructure implantaire, communément appelée « barre supra-implantaire » sont mal définis et généralement choisis de manière aléatoire ou selon les habitudes du prothésiste.
À partir d'un cas clinique, les critères de choix du design de la barre sont exposés et justifiés.
Une patiente de 58 ans est venue consulter pour envisager une solution prothétique permettant d'améliorer son confort masticatoire et l'esthétique de son sourire. Lors de l'entretien initial, elle a fait part de ses difficultés à supporter sa prothèse amovible partielle maxillaire et a exprimé le souhait d'une prothèse fixée.
Les examens clinique et radiologique ont révélé :
– une absence de calage postérieur ;
– une parodontite chronique généralisée modérée à sévère ;
– une alvéolyse importante au maxillaire ayant entraîné une vestibulo-version du bloc antérieur avec l'apparition d'un diastème entre 11 et 12 ;
– des récessions tissulaires marginales multiples entraînant une absence d'alignement des collets ;
– un biotype parodontal épais (fig. 1) ;
– une atrophie du bas-fond du sinus maxillaire gauche (fig. 2) ;
– un contrôle de plaque correct.
Le pronostic à court terme des dents maxillaires est apparu défavorable.
Après étude des moulages montés sur articulateur (fig. 3), le plan de traitement pour l'arcade maxillaire a été établi de la manière suivante :
– extraction des dents maxillaires postérieures, réalisation d'une prothèse amovible partielle à une dimension verticale d'occlusion (DVO) réévaluée ;
– extraction des dents maxillaires antérieures restantes, régularisation de la crête édentée à l'aide d'un guide chirurgical et pose d'une prothèse amovible complète (PAC) immédiate à la même DVO ;
– réévaluation après une période de cicatrisation de 3 mois ;
– après validation esthétique et fonctionnelle de la PAC, utilisation d'une réplique en résine transparente radio-opaque comme guide d'imagerie puis chirurgical ;
– mise en place de 6 implants au maxillaire et transformation de la PAC en bridge provisoire transvissé avec mise en charge immédiate (fig. 4) ;
– après une période de cicatrisation et d'ostéo-intégration, réalisation d'une restauration implanto-portée de type sur pilotis sur 6 implants (prothèse méthacrylo-métallique ostéo-ancrée) (fig. 5) [1].
La restauration prothétique de l'arcade mandibulaire a été réalisée avant celle de l'arcade maxillaire par des prothèses fixées dento-portées et implanto-portées, pour rétablir un schéma occlusal en adéquation avec la solution maxillaire : occlusion bilatéralement équilibrée [2].
Les extractions maxillaires en deux temps ont facilité à la fois l'acceptation psychologique de l'édentement total, la cicatrisation osseuse et muqueuse des secteurs postérieurs et la vérification de la nouvelle DVO.
Les extractions pilotées et la cicatrisation postérieure ont permis la mise en place d'implants angulés sans chirurgie d'augmentation sous sinusienne pour les implants en position de 16 et 26.
Après ostéo-intégration et cicatrisation des tissus mous, l'empreinte implantaire a pu être effectuée. Il s'agit ici d'une empreinte associant plâtre et polyéthers [3-6].
L'empreinte et son traitement ont été validés par un test de passivité, concrétisé par la réalisation d'une clé en plâtre sur le moulage (fig. 6) suivi du contrôle clinique (fig. 7) [7].
Un montage directeur a été réalisé, en s'inspirant fortement de la PAC immédiate qui donnait pleine satisfaction à la patiente. Il est été ensuite essayé en bouche pour en contrôler et valider l'esthétique et la fonction (fig. 8) [8].
Après ces étapes volontairement décrites succinctement, la problématique du choix de la suprastructure implantaire s'est posée. Ce choix a pris en compte :
– le projet prothétique ;
– l'axe des implants ;
– la situation des émergences implantaires ;
– le décalage dans les trois plans de l'espace entre les émergences implantaires et le projet prothétique ;
– le comportement de la patiente (hygiène, musculature, occlusion).
La synthèse de ces données a permis d'optimiser le choix du design de la superstructure [9].
Trois techniques de réalisation de la barre étaient envisageables. La technique de coulée à la cire perdue (coulées sectorielles avec brasures secondaires) et la technique de copy milling (réalisation par le laboratoire de la suprastructure en résine ou en cire puis scannage et envoi du fichier au centre d'usinage) ont été rejetées au profit des techniques de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO). La passivité et le design sont apparus beaucoup plus simples à gérer par la CFAO car les étapes de fonderie, aux résultats parfois aléatoires, étaient ainsi évitées.
Ce travail se limite aux infrastructures Nobel Biocare® en raison de l'équipement du laboratoire (logiciel Procera® et scanner 2G®) et de la nature des implants de la patiente (implants NobelReplace®, Nobel Biocare®).
Les barres ont été usinées dans un bloc de titane de grade 4 (alliage : titane 90 %, aluminium 6 %, vanadium 4 %) permettant un polissage optimum et une résistance élevée aux fractures.
Les principales barres Procera® pouvant être choisies pour des bridges de type « sur pilotis » sont :
– la barre Montréal® (fig. 9) ;
– la barre Montréal avec bandeau lingual métallique® (fig. 10) ;
– la barre Wrap Around®, ou barre d'enrobage (fig. 11) ;
– la barre Hybride® (fig. 12).
Les barres Montréal® et Montréal avec bandeau lingual métallique® présentent un contact du titane avec la muqueuse (fig. 13a), contrairement aux barres Wrap Around® et Hybride® complètement enrobées par de la résine (fig. 13b). L'avantage de ces deux dernières réside dans le fait d'une plus grande facilité de gestion dans les ouvertures (accès prophylactique) et/ou compressions. En revanche, l'état de surface de la résine est moins favorable que le titane pour l'accroche du biofilm, ce qui plaiderait en faveur d'une prophylaxie plus aisée pour les intrados en titane.
L'âge des patients et leur dextérité manuelle peuvent aussi influencer le choix de la restauration pour faciliter les techniques d'hygiène.
Le faible encombrement de la barre Wrap Around® est parfaitement adapté aux espaces interarcades réduits. Cette barre est également préconisée lorsque les accès aux vis implantaires sont à l'aplomb du couloir prothétique ou très proches. Pour la barre Hybride®, les indications sont identiques.
En revanche, dans les cas de résorption importante ou de décalage interarcade très marqué, la barre Montréal avec bandeau lingual métallique® est plus indiquée, sous réserve d'un comportement occlusal « raisonnable » (absence de bruxisme, puissance musculaire dans les normes). En effet, la configuration de cette barre avec son retour palatin ou lingual en titane poli, compensant le décalage entre les émergences implantaires et le cosmétique, peut être affinée de façon plus importante que les barres en résine, offrant ainsi un confort et une rigidité optimaux aux patients.
La barre Montréal® avec ou sans bandeau lingual métallique nécessite des crêtes larges.
Les barres Wrap Around® et Hybride® tolèrent toutes les situations cliniques.
La barre Wrap Around® est dépourvue de système de rétention, elle présente uniquement un profil rectangulaire, profil qui sera sablé et mordancé avant l'injection de la résine. Les autres types de barres présentent des rétentions pour les composants à vocation esthétique : rétentions de type ergots métalliques à double étage pour la Montréal avec bandeau lingual métallique®, « picots » pour l'Hybride® ou perforations du titane pour la Montréal®. Le sablage et le mordançage sont également impératifs pour optimiser la liaison avec le complexe résine/dents prothétiques. En cas d'interférence avec la base des dents, les rétentions du type ergots à double étage peuvent être réduites, voire dévissées (fig. 14), laissant apparaître un filetage offrant une rétention en négatif.
Les bridges sur pilotis sont transvissés. Les puits de vissage entièrement dans le titane (fig. 15) sont à privilégier, les puits mixtes titane-résine présentant des zones sensibles du point de vue mécanique et prophylactique. Aussi, le recours aux piliers Multi-Unit angulés permet, d'une part, de réorienter ces accès vers l'armature privilégiant les puits entièrement dans le titane et, d'autre part, de préserver les dents prothétiques. L'utilisation de dents composite est fortement déconseillée lorsque l'évidement de la dent est indispensable, le recours aux dents du type résine DCL est judicieux [11].
Les systèmes de résine injectée semblent être également un gage supplémentaire de qualité, en termes de comportement mécanique, de faible taux résiduel de monomères et de densité réduisant la rétention bactérienne [12].
Les puits seront obturés après avoir protégé les vis (coton vaseliné, Téflon, gutta-percha, etc.) avec des résines composites traditionnelles.
Les principales caractéristiques et indications des barres sont représentées dans le tableau I.
Dans le cadre de la prise en charge du cas clinique présenté ici, une barre du type Montréal avec bandeau lingual métallique® a été choisie en raison de l'espace interarcade important matérialisé sur l'articulateur (fig. 16) et de la forte résorption antéro-postérieure.
Le bandeau lingual a été choisi pour situer les puits de vissage dans le titane plutôt que dans la résine. Ce retour poli est aussi plus agréable et bien accepté par les patients.
En revanche, une barre Wrap Around® aurait été totalement inadaptée aussi bien en hauteur (espace important) qu'en largeur (dents montées en avant de la crête et résine prothétique abondante).
Après numérisation (fig. 17), une simulation des différentes barres possibles a été effectuée à l'aide du logiciel de modélisation pour matérialiser les volumes de titane et de résine correspondants (fig. 18 à 21).
La barre choisie a été modélisée en 3D par le prothésiste puis envoyée au centre d'usinage. À son retour, l'infrastructure a été replacée sur l'articulateur pour visualiser l'espace réservé à la fausse gencive et aux dents prothétiques. Ce contrôle peut nécessiter quelques retouches sélectives en regard de la base des dents, des accès prophylactiques et des lignes de finition (fig. 21).
Après validation clinique de la barre « nue » (contrôle des compressions...) (fig. 22) puis de la barre et du montage, la prothèse a été finalisée [11] (fig. 23) et insérée (fig. 5).
L'ensemble a ensuite été polymérisé avec le système SR IvoBase® (Ivoclar Vivadent) [12, 13].
La restauration de patients édentés ou en passe de l'être nécessite une réflexion dès les étapes pré-implantaires.
Le projet prothétique guide la mise en place d'implants dans le couloir prothétique, ce qui facilite l'élaboration de la prothèse implanto-portée provisoire puis d'usage.
Le choix et le design de la suprastructure des restaurations sur pilotis ne sont cependant pas anodins. Ils sont réfléchis et guidés par les exigences cliniques. Un peu à l'image du tracé des schémas de plaque métallique des prothèses amovibles, le praticien est l'architecte de la restauration prothétique et guide le prothésiste dans son travail. La communication entre la clinique et le laboratoire optimise la thérapeutique engagée.
Enfin, l'implication du patient est indispensable : il doit assurer une hygiène quotidienne de bonne qualité et se soumettre à des visites de maintenance régulières.
Jérémie Perrin - Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant hospitalo-universitaire, praticien attaché (sous-section prothèses)
Jean Sui - Interne en odontologie
Hervé Plard - Docteur en chirurgie dentaire, assistant hospitalo-universitaire (sous-section prothèses)
Yvan Bedouin - Docteur en chirurgie dentaire, maître des conférences des universités (sous-section prothèses), praticien hospitalier
Yves Gastard - Prothésiste dentaire, responsable du laboratoire de prothèses
Fabrice Clipet - Docteur en chirurgie dentaire, maître des conférences des universités (sous-section chirurgie orale), praticien hospitalier
Pôle d'odontologie et de chirurgie buccale du CHU de Rennes, 2, place Pasteur, 35033 Rennes cedex 9
Liens d'intérêts : les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts concernant cet article.