Implantologie
RÉSUMÉ L'avulsion-implantation-temporisation immédiate est une technique implantaire visant à rendre service aux patients sur les plans psychologique, esthétique et fonctionnel. Cependant, l'échec implantaire ou prothétique est possible si les indications ne sont pas respectées et si le projet prothétique n'est pas à la base du plan de traitement. Cet article présente un cas clinique antérieur complet, de l'élaboration du projet prothétique à l'assemblage des piliers et couronnes tout céramique.
SUMMARY Clinical example of immediate avulsion-implantation-temporisation in the anterior region
Immediate implant placement and loading is a technique that allows to please the patient on three levels: psychological, esthetical and functional. However, prosthetic or implant failure may happen if indications are not respected, or if the prosthodontic planning is not the cornerstone of the treatment plan.
This article describes a complete clinical case of anterior restorations, from the elaboration of the prosthodontic plan to the set-up of the abutments and the all-ceramic crowns.
Pour les patients, la perte d'une ou de plusieurs dents, notamment dans le secteur antérieur, est toujours une épreuve psychologique, fonctionnelle et esthétique difficile à accepter.
Parmi les solutions de remplacement, la mise en place d'implant(s) est celle qui se rapproche le plus de la situation naturelle, en respectant au maximum les dents adjacentes.
Depuis quelques années, les techniques implantaires ont évolué pour répondre au plus vite aux attentes des patients devant subir une ou plusieurs avulsions.
Aux dogmes initiaux de Brånemark (dont, notamment, la mise en charge différée de plusieurs mois et le recouvrement des implants par la muqueuse après sa mise en place) [1], une possibilité thérapeutique s'est progressivement développée : l'avulsion-implantation-temporisation immédiate. Cela consiste à mettre en place un implant dans l'alvéole postextractionnelle et d'y fixer une prothèse non fonctionnelle dans les 48 heures [2-4].
Psychologiquement, pour le patient, tout est réalisé en une seule intervention chirurgicale (extraction, mise en place de l'implant, aménagement parodontal et péri-implantaire) et la temporisation a lieu le jour même à l'aide d'un élément provisoire.
L'encombrement, bien entendu plus réduit pour une couronne provisoire supra-implantaire temporaire que pour une prothèse amovible partielle, est apprécié par le patient (fig. 1).
Sur le plan biologique, on combine la cicatrisation implantaire avec la mise en condition tissulaire de la muqueuse péri-implantaire. La prothèse provisoire guide la cicatrisation alors que la mise en place d'une prothèse amovible « écrase » le parodonte. En secteur esthétique, la préservation et la stimulation des papilles sont importantes pour le résultat final. La position des points de contact, même en prothèse temporaire, va influencer le maintien ou la formation des papilles [5, 6].
Au niveau esthétique, le profil d'émergence est déjà façonné à ce stade, il pourra être retravaillé puis enregistré lors de la confection de la prothèse d'usage. Le patient évite les désagréments de la prothèse amovible : crochets disgracieux, difficulté au brossage, encombrement (fig. 1). Il n'y a pas l'apparition d'un espace entre la prothèse amovible et la muqueuse à mesure que la cicatrisation intervient. Autre point remarquable, la chirurgie se fait sans lambeau, aucune cicatrice postopératoire sur le versant gingival ne viendra altérer le résultat esthétique final.
Pour l'acte opératoire, l'alvéole déshabitée guide le forage (le point d'impact se fait toutefois dans la paroi palatine) [7] et limite les erreurs de positionnement. La réalisation d'un guide chirurgical aide également le chirurgien dans ses gestes.
Enfin, à la différence d'une prothèse amovible qu'il faut rebaser dans le temps, la prothèse transvissée temporaire supra-implantaire n'est plus retouchée pendant la phase d'ostéo-intégration (le profil d'émergence peut toutefois être modifié après cette phase).
Les inconvénients sont moins nombreux mais existent toutefois : la confection et l'insertion de ces prothèses temporaires allongent la durée de la séance de soin pour le patient comme pour le praticien. L'anesthésie de la phase chirurgicale peut perturber les étapes prothétiques.
Pour un praticien qui ne prend en charge que la partie prothétique, cela nécessite d'accompagner le patient chez le correspondant implantologiste pour réaliser l'empreinte et de le reconvoquer quelques heures plus tard pour mettre en place la prothèse au cabinet dentaire. En revanche, le patient se sent accompagné et apprécie la présence de son praticien habituel.
Il convient de respecter les critères de réussite de l'implantologie « classique », notamment de sélectionner un patient non fumeur, sans problème de santé générale (diabète non équilibré, radiothérapie cervico-faciale...) et d'obtenir une hygiène bucco-dentaire adéquate de sa part.
L'avulsion-implantation-temporisation immédiate, étant indiquée principalement pour le secteur antérieur, il convient de respecter le projet prothétique [13].
La mise en place de l'implant doit être optimale dans les 3 dimensions, notamment en respectant la « zone de danger », et il faut le placer dans la « zone de confort », décrite par Buser [12].
L'avulsion se doit d'être atraumatique avec l'utilisation d'un périotome si nécessaire et une fragmentation radiculaire plutôt qu'une alvéolectomie du rebord vestibulaire.
Il faut procéder à un nettoyage méticuleux de l'alvéole (curetage, rinçage à la Bétadine®).
La présence de foyer infectieux apical n'est pas une contre-indication à cette technique dans la mesure où le défaut osseux, après curetage, ne nuit pas à la stabilité primaire de l'implant. En revanche, de nombreux auteurs cités par Arnal déconseillent de l'appliquer en présence d'un foyer infectieux actif (fistule, pus) [14].
Un biotype gingival plutôt épais est plus adapté à cette technique, mais une modification de celui-ci est possible au même stade que la mise en place de l'implant au moyen d'une greffe de conjonctif enfoui [15].
Hormis Tarnow qui ne comble pas systématiquement les défauts alvéolaires de moins de 2 mm après la mise en place de l'implant, la plupart des autres auteurs préconisent de combler le site avec de l'os de forage ou des substituts osseux.
Il faut choisir des implants de 10 mm [16] au minimum, à surface rugueuse ou active [17, 18], car des implants plus courts seraient moins stables et plus sensibles à l'échec implantaire.
Il n'est pas nécessaire de prendre des implants de gros diamètre. Les premières techniques décrivaient des implants au diamètre équivalent à celui de la racine, mais l'emploi de ces diamètres importants augmenterait le risque de récession tissulaire marginale [19].
La mise en place des implants doit permettre d'obtenir une stabilité primaire suffisante (de 30 à 35 Ncm) ou d'un ISQ supérieur à 62 [20, 21].
La mise en place des prothèses sur les implants non ostéo-intégrés doit se faire à un couple maximal de 15 Ncm pour ne pas transmettre de contraintes supplémentaires aux implants.
Dernière caractéristique implantaire à prendre en compte : les implants intégrant un platform switching maintiennent le niveau osseux [22] et sont par conséquent plus indiqués que les autres dans ces situations esthétiques.
Antoun et Guillot [23] ont préconisé un enfouissement à plus de 3 mm de l'apex pour renforcer la stabilité primaire.
Pour les édentements pluraux, la prothèse temporaire doit réaliser une contention des implants pour limiter les mouvements axiaux et transversaux (c'est cette contention qui permet notamment la mise en charge immédiate de prothèses sur implants sur des arcades complètes).
Pour poser l'indication de cette technique, la sélection des patients est primordiale. Il convient en effet d'éviter de proposer cette thérapeutique à des patients parafonctionnels (bruxisme, onychophagie) ou à ceux dont l'occlusion est instable [24].
Le patient devra suivre des recommandations strictes et respecter les conseils alimentaires : aucune sollicitation de l'implant ne doit perturber son ostéo-intégration.
Le respect de tous ces critères conduit au succès thérapeutique. Une revue de la littérature médicale récente, portant sur 19 études recensant un total de 792 implants, donne un taux de succès à 20 mois de 96,2 % [14].
Une étude rétrospective à 8 ans de Malo, Rangert et Nobre donne le même pourcentage de taux de succès (96% de succès sur les 302 implants de l'étude) [25].
La prothèse temporaire (unitaire ou plurale) peut être vissée ou scellée et réalisée en technique directe ou indirecte.
La technique directe consiste à réaliser en bouche la prothèse sur le site opéré.
La technique indirecte nécessite une empreinte et un prothésiste pour confectionner la prothèse transitoire.
Pour protéger au maximum le site opéré, le choix d'une prothèse vissée évite tout débordement de ciment sur des berges à peines suturées.
Pour ne pas agresser la gencive, la technique indirecte paraît la mieux adaptée car l'application de résine dégage de la chaleur et des résidus de monomère ou de la résine elle-même peuvent polluer le site.
De la même manière que l'emploi de résine n'est pas simple sur le site opératoire, celui de la pâte à empreinte pose également des problèmes : certains produits sont plus cytotoxiques que d'autres : les polyéthers, par exemple, le sont plus que les polyvinylsiloxanes [28, 29]. De plus, on risque des fusées sous-gingivales de matériau en raison de sutures encore lâches. C'est pour cette raison que l'emploi d'un polyvinylsiloxane stérile et radio-opaque (Elite Implant®) permet d'intervenir en toute tranquillité. En effet, des études, certes in vitro, mais sur des fibroblastes humains, étudiant sa cytotoxicité directe et indirecte montrent qu'il n'affecte pas la prolifération et la viabilité cellulaire [30].
La mise en contact de ce matériau n'affectera pas le succès de la chirurgie. Une radiographie de contrôle permet, de plus, de s'assurer de l'absence de fusée sous-gingivale.
Le praticien fait une empreinte en fin d'intervention et la confie à son laboratoire de prothèses qui réalise la prothèse dans la demi-journée.
Le patient quitte le cabinet de chirurgie avec une vis de cicatrisation qui sera remplacée par la prothèse quelques heures après l'intervention.
Un patient a consulté pour le remplacement de ses deux incisives centrales maxillaires, mobiles (fig. 2 et 3).
Après des empreintes d'étude à l'alginate, l'indication d'avulsion-implantation et temporisation immédiate a été posée.
Une fois le projet prothétique (avec dents du commerce) validé (fig. 4), les avulsions a et la mise en place des implants c ont été effectuées en respectant le projet prothétique reproduit sur le guide chirurgical d.
Les implants choisis étaient des Bone Level RC (Straumann®) de 10 mm de long chacun, la mise en place étant effectuée à un couple de 35 Ncm.
Une greffe de conjonctif enfoui a permis d'épaissir le rempart vestibulaire.
Les conditions pour une mise en place de la prothèse immédiatement étaient remplies.
Après la chirurgie, l'empreinte (fig. 6 et 7) a été réalisée avec un matériau stérile et radio-opaque de type polyvinylsiloxane (Elite Implant® Medium, Zhermack). Le patient a été libéré après la mise en place des vis de cicatrisation.
Après un délai de quelques heures (fig. 8), la prothèse transitoire a été transvissée (fig. 9), en prenant soin de s'assurer de l'absence de toute participation fonctionnelle aussi bien en occlusion statique que dynamique.
Le contrôle au bout de 15 jours attestait de la non-participation de la prothèse à l'occlusion (fig. 10) et de la bonne santé gingivale (fig. 11).
Au terme de l'ostéo-intégration, les prothèses d'usage ont été réalisées, des éléments unitaires favorisant l'hygiène.
L'intérêt principal de cette technique d'avulsion-implantation-temporisation immédiate est de pouvoir exploiter le rôle joué par les prothèses transitoires dans la maturation des tissus mous conduisant à une morphologie optimale pour l'édification du profil d'émergence des prothèses.
La difficulté clinique est de pouvoir donner au pilier implantaire une forme reproduisant celle des prothèses provisoires.
Dès 1997, Hinds [31] a été l'un des auteurs qui a décrit une technique désormais largement utilisée et permettant d'atteindre cet objectif. Les principales séquences en sont les suivantes :
– déposer les éléments transitoires transvissés a ;
– mettre en place au plus vite les vis de cicatrisation ;
– solidariser les analogues d'implants aux prothèses transitoires ;
– remplir une cupule de matériau à empreinte du type silicone (par exemple Elite Glass®, Zhermack) ;
– enfoncer les éléments transitoires et les analogues dans la masse de silicone b ;
– après polymérisation, remplacer les éléments transitoires par des transferts d'empreinte c ;
– injecter du composite flow autour des transferts dans la cavité formée par la réplique des parois muqueuses. Ainsi, le pilier réalisé par conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) sera la réplique de la partie transmuqueuse des prothèses transitoires d ;
– après polymérisation, mettre en place ces transferts au profil personnalisé e pour réaliser une empreinte globale conventionnelle (porte-empreinte ouvert) enregistrant la situation des implants et la forme des parois muqueuses f.
Les piliers choisis étaient en zircone [32] (Straumann Cares®) destinés à recevoir des couronnes tout céramique scellées. Ils ont été essayés et leur intégration à l'occlusion d'intercuspidie maximum (OIM) a été validée par un apport de résine spécifique (résine bisacrylate : Luxabite®, Pred) (fig. 13).
Les implants étant ostéo-intégrés, le couple de serrage appliqué a tenu compte de celui préconisé par la firme : 35 Ncm. Des couronnes tout céramique ont été réalisées (chape en disilicate de lithium puis stratification) [33] (fig. 14).
Le recours à la zircone favorise généralement l'édification d'une papille interincisive dans le temps, mais le patient, compte tenu de la perte tissulaire avant l'intervention, a été prévenu de la difficulté de cette reconstruction papillaire (fig. 15).
Un contrôle radiographique a permis de juger la précision d'adaptation et l'absence d'excès de ciment (fig. 16).
Le résultat final (fig. 17) lui a donné satisfaction immédiatement. Il a été prévu de restaurer les secteurs postérieurs dans un second temps.
L'avulsion-implantation-temporisation immédiate est une technique fiable lorsque l'indication est posée en respectant les critères définis.
Le recours à une empreinte avec un produit stérile radio-opaque et non cytotoxique pour réaliser la couronne transitoire permet de combiner la cicatrisation alvéolaire et implantaire tout en sculptant le parodonte marginal.
Quand cette technique n'est pas indiquée (le plus souvent en raison d'implants mis en place avec une stabilité primaire insuffisante), le recours à un bridge collé ou à une prothèse amovible peut satisfaire le patient mais retarde la création d'un profil d'émergence à vocation esthétique.
Remerciements : les auteurs remercient le Dr Matthieu Conan, spécialiste en chirurgie buccale, qui a mené les phases chirurgicales et implantaires.
Liens d'intérêts : les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt concernant cet article.
Jérémie Perrin - Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant hospitalo-universitaire, praticien attaché - Centre de soins dentaires, CHU de Rennes, 2, place Pasteur, 35033 Rennes cedex 9
Nicolas Laferté - Prothésiste dentaire - LDL (Laboratoire dentaire Laferté) 11, rue Houvenagle, 22000 Saint-Brieuc
Liens d'intérêts : les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt concernant cet article.