Prothèse fixée
Maxime Ducret * Stéphane Viennot **
*AHU Lyon, chirurgien-dentiste
**MCU-PH Lyon, chirurgien-dentiste
***Faculté d'odontologie, 11, rue Guillaume-Paradin, 69372 Lyon cedex 08
En odontologie, certains actes quotidiens, comme le collage, le scellement ou la prise d'empreinte, imposent la mise en œuvre d'une « mise en condition gingivale » dont l'action doit être immédiate, provisoire et réversible. Le but de cet article est de proposer une synthèse des différentes solutions de mise en condition gingivale en répondant à quatre questions clés : quelles sont les différentes techniques, quels sont leurs mécanismes d'action, quels sont leurs effets sur le parodonte et quelles sont leurs indications cliniques ?, l'objectif final étant de choisir la technique qui offre le meilleur rapport entre efficacité et respect du parodonte.
In daily dentistry, some actions require a “gingival conditioning” which must be immediate, temporary and reversible. The objective of this paper is to propose a synthesis of the various solutions of gingival conditioning by answering four key questions: what are the different techniques, what are their mechanisms of action, what are their effects on periodontal tissues and what are their clinical indications? The objective is to choose the technique that provides the best ratio between efficiency and respect of periodontal tissues.
En odontologie, certains actes quotidiens comme le collage, le scellement ou la prise d'empreinte, imposent la mise en œuvre d'une action immédiate, provisoire et réversible sur le parodonte. C'est, littéralement, une « mise en condition gingivale ». Une étude réalisée en 1999 aux États-Unis révélait que 98 % des praticiens utilisaient un cordonnet pour en réaliser une avant l'empreinte [1], mais cette utilisation systématique semble être remise en cause depuis quelques années [2].
En effet, des solutions « mixtes », associant action chimique et action mécanique, sont désormais disponibles. Leur but est d'exploiter les avantages des deux solutions pour faciliter le protocole clinique et réduire les effets nocifs sur le parodonte. Ces techniques permettent une mise en condition gingivale « mécanico-chimique ».
Aujourd'hui, 14 ans après la commercialisation d'Expasyl® (Acteon), première technique mécanico-chimique sous forme de pâte de déflexion, il nous a semblé intéressant de faire un bilan. Ainsi, le but de cet article est de proposer une synthèse des différentes solutions de mise en condition gingivale en répondant à quatre questions clés : quelles sont les différentes techniques, quels sont leurs mécanismes d'action, quels sont leurs effets sur le parodonte et quelles sont leurs indications cliniques ?
Les approches chirurgicales par curetage rotatif ou électrochirurgie ne semblent pas vraiment adaptées à la mise en condition gingivale « immédiate ». En effet, elles imposent le plus souvent une période de temporisation a posteriori, elles offrent une moindre efficacité et elles apparaissent comme peu prédictibles [1,3, 4]. De ce fait, ces techniques ne seront pas abordées dans cet article.
De nombreuses solutions sont utilisables pour agir chimiquement sur le parodonte [4–6]. Elles sont généralement à base de chlorure d'aluminium de différentes concentrations (Racestyptine®, Septodont ; Hemodent®, Dental Product), de sulfate ferreux (Astringedent®, Bisico) ou d'adrénaline (Hemalin®, Voco) et sont très souvent associées à l'imprégnation d'un cordonnet pour une technique hybride.
À l'interface entre les techniques mécaniques et chimiques, deux types de protocoles ont vu le jour : les solutions tout en un et les techniques hybrides.
La première solution sous forme de pâte a été créée et mise au point à partir de kaolin (argile médicale) et de chlorure d'aluminium [7]. Une multitude de produits a été commercialisée. Ces techniques se caractérisent par la mise en place d'un « fluide plus ou moins visqueux » dans le sulcus grâce à une seringue ou un applicateur. Ces produits offrent une hémostase et/ou un assèchement chimique. L'action mécanique est principalement fournie par la consistance du produit. En fonction de leur viscosité, il existe trois types de techniques mécanico-chimiques sous forme de « pâte de déflexion » :
– liquide ou gélatineuse (fig. 2c) (faible viscosité) comme le Racegel® (Septodont) ou l'Hémostal® gel (Prevest DenPro) ;
– pâteuse (fig. 2d) (viscosité intermédiaire) comme le Traxodent® (Itena) ou le GingiTrac® (Centrix) ;
– pseudo-plastique [8] (fig. 2e et 2f) (forte viscosité) comme l'Expasyl® (Acteon) ou l'ARP Cap® (3 M ESPE).
Les techniques hybrides associent une approche mécanique à une solution chimique. C'est le cas par exemple du cordonnet imprégné d'une substance chimique [9,10] (fig. 3a et 3b) ou des techniques associant une solution sous forme de pâte de déflexion avec une force mécanique supplémentaire (contre cap ou count-cap, couronne provisoire ou cordonnet) (fig. 3c et 3d).
Cette catégorie regroupe les techniques qui ont une action physique sur le parodonte, comme les cordonnets rétracteurs (Ultrapack® ou Stay-Put®) [11], les strips poreux (Merocel®) [12], les caps occlusaux ou les silicones expansifs comme le Magic FoamCord® (Coltène Waledent) [13].
Les substances chimiques ont des conséquences locales ou locorégionales sur le parodonte [4–6]. Elles provoquent des effets asséchants, astringents (chlorure d'aluminium), vasoconstricteurs (adrénaline), antiseptiques ou hémostatiques (sulfate ferreux ou chlorure d'aluminium).
L'action mécanique est réalisée par l'insertion d'un dispositif adapté plus ou moins rigide dans le sulcus et qui, laissé en place pendant plusieurs minutes, va produire un écartement physique du parodonte. Ce « stress » mécanique se caractérise par un blanchiment significatif de la gencive lors de sa mise en place dans le sulcus, qui doit persister face au comportement élastique des tissus. Une manipulation inadaptée peut venir limiter les performances mécaniques [8].
Toutes ces techniques destinées à réaliser une déflexion gingivale entraînent un stress pour le parodonte qui s'exprime quasi systématiquement par une inflammation tissulaire [14]. Cela peut perturber la cicatrisation postopératoire mais aussi être le point de départ d'une pathologie parodontale.
La pression exercée sur l'attache épithéliale est le critère qui se révèle le plus pathogène pour le parodonte. En effet, une force de 1 N/mm2 peut entraîner une blessure de l'attache épithéliale et même une destruction lorsqu'elle dépasse 2,5 N/mm2 [8,15, 16]. Il convient donc de faire particulièrement attention à la pression exercée lors de la mise en place. Les techniques sous forme de pâte appliquent une force proche de 0,1 N/mm2 [7] alors que cette force pourrait être 37 fois plus importante avec un cordonnet [8].
Pour les techniques hybrides utilisant la couronne provisoire ou des caps occlusaux, la pression exercée sur l'attache épithéliale est inconnue. Les effets semblent modérés mais des études devraient être réalisées pour quantifier précisément cette pression [4,17].
L'utilisation d'un cordonnet peut s'accompagner parfois d'une sensibilité lors de la mise en place [4,18], avec sécrétion d'un fluide sulculaire réactionnel plus important qu'avec d'autres techniques [19]. Même si le cordonnet est imprégné, son utilisation expose l'attache à un risque de nécrose irréversible lorsqu'il est laissé en place plus de 4 minutes [20,21].
Toutes les techniques à base de chlorure d'aluminium (comme l'Expasyl® ou l'ARP Cap®) peuvent laisser stagner des débris dans le sulcus [22] et, dans de rares cas, entraîner des réactions allergiques locales. De même, des colorations tissulaires peuvent apparaître par suite de l'utilisation de chlorure de fer.
Enfin, des fibres ou des microfilaments peuvent persister dans le sulcus après retrait du cordonnet [12].
À la suite de l'agression peropératoire, la santé parodontale peut être perturbée pendant les jours suivants. L'indice d'inflammation gingivale est augmenté au bout de 24 heures pour l'Expasyl®, le Magic FoamCord® et le cordonnet. Cela peut persister pendant 1 à 2 semaines [4]. L'utilisation d'un cordonnet peut favoriser une inflammation parodontale entraînant des zones de récession de 0,1 à 0,2 mm [4,23]. Enfin, de légères sensibilités postopératoires peuvent survenir temporairement après utilisation de l'Expasyl® [4].
La gestion de l'hémostase peut être réalisée par une technique à base de chlorure de fer ou d'aluminium, alors qu'un assèchement sulculaire précédant le collage (facette en céramique ou bracket orthodontique) peut être obtenu avec des solutions à base d'argile (fig. 4a, 4b et 4c) [7].
Lors de la réalisation d'une préparation infra-gingivale en prothèse fixée, un cordonnet peut être laissé en place pour éviter de blesser le parodonte (fig. 4d et 4e) [24]. Enfin, lors du scellement d'une couronne, un cordonnet peut faciliter le retrait du ciment (fig. 4f) [25].
Le traitement d'une carie juxta-gingivale de classe III ou V nécessite un accès cervical qui oblige à écarter provisoirement la gencive libre. La réalisation d'une déflexion mécanique peut permettre de restaurer la dent dans de meilleures conditions tout en facilitant la mise en place du champ opératoire [7].
En prothèse fixée, l'enregistrement des limites cervicales représente une étape clé. Lorsque les limites sont infra-gingivales, elles sont plus difficiles à enregistrer, ce qui impose au praticien d'effectuer une déflexion gingivale avant d'utiliser un matériau à empreinte [6,26]. Les techniques sous forme de pâte sont indiquées en présence d'un parodonte fin ou intermédiaire, car elles offrent une ouverture sulculaire de 0,2 mm pendant plusieurs minutes (fig. 4g et 4h) [7]. Face à un parodonte épais, plus fibreux et plus résistant, l'utilisation d'un cordonnet imprégné est alors préférable [22,27].
Enfin, l'étape du rebasage de la couronne provisoire nécessite aussi une adaptation précise aux limites cervicales. Pour faciliter l'ajustage de la résine et gérer des situations parodontales inflammatoires ou traumatiques, des techniques mécanico-chimiques peuvent être utilisées [28].
Face à la diversité des situations cliniques nécessitant une mise en condition gingivale, il semble qu'il n'existe aucune solution « miracle » capable de tout gérer. Il est donc nécessaire d'analyser chaque contexte clinique (type de parodonte, état inflammatoire…) pour bien déterminer les objectifs que l'on souhaite atteindre. Parmi les techniques disponibles, un choix est ensuite réalisé (tableau I) pour offrir le meilleur rapport entre efficacité clinique et respect du parodonte.
La mise en condition gingivale reste et restera certainement un sujet d'actualité, que ce soit dans la gestion plus technique des empreintes dans le cadre de la CFAO (fig. 4i et 4j) [29], dans l'étude de nouvelles techniques de substitution (laser) ou dans la proposition d'approches transversales originales (utilisation de l'Expasyl® pour la gestion de l'hémostase lors des chirurgies péri-apicales [30]).