Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/12/2014

 

éditorial

Jean Schittly  

rédacteur en chef

Je viens d'en apprendre une bien bonne : cela fait près de cinquante années que j'exerce en qualité de chirurgien-dentiste sans savoir que ma profession était « réglementée ». La radio le matin au réveil, les journaux télévisés puis la presse professionnelle m'ont permis, au fil des semaines, de comprendre l'évolution de la situation. Nous faisons partie des 37 professions réglementées qu'il convient de réformer d'urgence car elles...


Je viens d'en apprendre une bien bonne : cela fait près de cinquante années que j'exerce en qualité de chirurgien-dentiste sans savoir que ma profession était « réglementée ». La radio le matin au réveil, les journaux télévisés puis la presse professionnelle m'ont permis, au fil des semaines, de comprendre l'évolution de la situation. Nous faisons partie des 37 professions réglementées qu'il convient de réformer d'urgence car elles présentent « des revenus médians supérieurs au revenu médian des salariés français », critère de sélection retenu par la mission confiée à l'Inspection générale des finances (IGF).

Comme il est préférable de capter les informations à la source, il a été facile de prendre connaissance, sur le Web, des 73 pages du rapport de cette mission et de faire ressortir les bases de l'étude et les conclusions ciblées sur notre profession.

D'emblée, le tableau récapitulatif des préconisations donne sept options identifiées :

– suppression du numerus clausus de la formation ;

– création d'un tarif pour l'acte de conseil et d'un tarif pour l'acte adaptation-pose de prothèses dentaires ;

– possibilité d'établir un lien contractuel direct du prothésiste avec le patient avec transparence sur le prix des prothèses ;

– capacité d'évocation et de réformation de l'Autorité de la concurrence sur les révisions des tarifs réglementés (prévoir au moins une révision quinquennale) ;

– ouverture sans restriction du capital aux non-professionnels ;

– autorisation, sans restriction, aux professionnels d'investir dans plusieurs structures d'exercice, sauf interdiction motivée ;

– accroissement des pouvoirs d'investigation, de suspension, de radiation de l'Ordre des chirurgiens-dentistes.

Le décor est planté ! Il appartient bien entendu à nos organismes représentatifs de faire l'analyse de ces propositions en fonction des critères choisis pour les justifier et de les accepter ou de les combattre…

J’ai trouvé intéressant de partager avec vous, lecteurs des Cahiers de prothèse, les points dans ce rapport riche en informations qui ont attiré mon attention, m’ont étonné, m’ont révolté…

Par exemple, concernant le « numerus clausus » compte tenu qu’en 2012, 29 % des nouveaux inscrits à l’Ordre ont effectué leur formation hors de France il apparaît évident qu’il faut non pas le supprimer, mais le réformer en prenant en compte cet état de fait et les possibilités d’accueil des universités.

Concernant la réglementation des honoraires de prothèse on peut relever les affirmations données dans les points 2 et 3 des préconisations citées en introduction, « aux termes de la règlementation actuelle, les chirurgiens-dentistes ont le monopole de la vente au public de prothèses dentaires, ce qui signifie qu’ils jouent nécessairement un rôle d’intermédiaire, achetant la prothèse au prothésiste dentaire et la revendant au patient ».

La mission en déduit que « les soins prothétiques se dérouleraient de la façon suivante : le chirurgien-dentiste choisirait la prothèse dentaire qui convient le mieux aux besoin de son patient, puis le patient règlerait directement au prothésiste dentaire l’achat de la prothèse, que le chirurgien-dentiste adapterait et poserait ensuite ».

Arrêtons là, la coupe est pleine ! Nous sommes en présence d'une magnifique démonstration faite par des énarques de l'économie et de la finance, à l'intention des hommes politiques souhaitant réformer et réglementer des professions qu'ils ne connaissent pas.

Pour vous, praticiens passionnés par votre profession et prenant du plaisir à rendre service à vos patients en leur proposant des traitements prothétiques de qualité, la lecture de ces quelques extraits pourrait vous faire éclater de rire, si ce n'étaient la gravité de la démarche et les conséquences à redouter.

Alors, j'ai une proposition à vous faire : invitons les journalistes, les éditorialistes qui véhiculent ces allégations à passer une journée dans nos cabinets. Pas un quart d'heure, le temps de dire : « Bonjour, comment ça va ? ». Non, une journée de 8 heures à 19 heures ponctuée par une demi-heure supplémentaire pour s'adonner aux tâches administratives incontournables. Ne serait-ce pas un moyen pour faire connaître et diffuser la réelle image de la profession libérale de chirurgien-dentiste ? Il serait aisé de constater que :

–  dans un environnement de travail avec plateau technique de qualité et une équipe soignante efficace et qualifiée, la tension nerveuse du praticien est constante plusieurs heures par jour pour manipuler des fraises tournant à 200 000 tr/mn, des instruments coupants et autres outils qui ne tolèrent pas le moindre manque de précision du geste ;

– les traitements prothétiques exigent fréquemment de longues semaines de préparation avec le plus souvent le recours au prothésiste de façon ponctuelle et en fin de traitement pour réaliser les pièces prothétiques ;

– l'écoute et le soutien psychologique du patient occupent un temps important ;

– les contraintes administratives sont de plus en plus lourdes et chronophages.

Cette énumération des découvertes de la profession par un non-initié n'est pas exhaustive… Elle montre à l'évidence que le chirurgien-dentiste est un acteur du système de santé, le rôle de revendeur de prothèses que l'on veut lui faire endosser devrait apparaître comme un dénigrement, une injustice, une aberration…

Alors, à quand cette journée « portes ouvertes des cabinets dentaires libéraux » pour faire taire les ignorants ?