Matériaux
Vincent Jardel * Nadège Pavec **
*MCU-PH
**Docteur en chirurgie dentaire
***UFR d'odontologie de Brest, 22, avenue Camille-Desmoulins, 29285 Brest cedex
Face à la colonisation bactérienne des bases en résine des prothèses amovibles, le praticien se doit d'informer et de conseiller ses patients sur les méthodes d'hygiène disponibles. Cette étude consiste à étudier l'influence de trois produits destinés au nettoyage de prothèses (Stéradent® Pureté Active, Polident Corega®, Fittydent® Professional) sur l'état de surface d'une résine méthacrylique thermopolymérisée (SR Ivocap®, Ivoclar Vivadent) et, donc, sur son potentiel d'adhésion. Nous avons observé une diminution du travail d'adhésion Wa avec l'utilisation de ces trois produits. Cependant la baisse de Wa est plus importante avec Stéradent® Pureté Active. Polident Corega® a une action intermédiaire et, enfin, Fittydent® Professional semble avoir l'action la moins érosive sur la résine.
The bacterial colonization of the resin support of false teeth constrains the practitioner to inform and guide his patients about hygiene methods available. This study deals with the influence of three products clearmark for false teeth cleaning (Stéradent Pureté Active®, Polident COREGA®, fittydent® PROFESSIONAL). It also deals with the surface preparation of a methacrylic thermopolymerised resin (SR IVOCAP® IVOCLAR®) and its adhesion potential. An observation we made was the reduction of adhesion work, Wa, with the use of those three products. However, the decrease of Wa was more significant with Stréradent Pureté Active®. Polident COREGA® has an interim effect. Lastly fittydent® PROFESSIONAL seems to have less erosive effect upon resin.
De nombreux auteurs insistent sur la nécessité d'une hygiène prothétique [1–22]. Ils préconisent principalement un brossage des bases prothétiques en résine avec une brosse double face spécifique en utilisant du savon de Marseille, et ce deux fois par semaine, une décontamination des prothèses par immersion pendant 15 minutes dans une solution de bain de bouche à la chlorhexidine à 0,12 % suivie d'un rinçage. Dans une précédente étude [23], nous avions comparé l'action de trois techniques d'hygiène sur l'état de surface d'une résine méthacrylique thermopolymérisée. Les résultats de cette étude nous avaient permis de conclure que l'utilisation de comprimés effervescents entraînait une attaque de la surface de la résine. Il nous semblait donc préférable de recommander au patient d'immerger ses prothèses dans une solution de chlorhexidine diluée avec de l'eau et ensuite de les rincer en les brossant avec une brosse spécifique. Cependant, le manque de dextérité et de motivation, les déficits visuels, de force et de coordination neuromusculaire de certains patients ne leur permettent pas de contrôler, par le brossage, l'hygiène de leurs prothèses (fig. 1), ils ont donc recours à des produits de nettoyage, la plupart à base de comprimés effervescents [20-22]
Le but de l'utilisation de ces produits est la suppression de la plaque dentaire et du tartre fixés sur les bases prothétiques en résine mais aussi la désinfection en profondeur des parties en résine qui est un matériau poreux [24,25]. La question que se pose alors le praticien est de savoir si ces solutions ont toutes la même action sur l'état de surface des bases en résine.
Les résines méthacryliques sont des matériaux qui entrent dans la confection des prothèses amovibles depuis de nombreuses décennies. Elles présentent des avantages et inconvénients dont le plus important est leur structure poreuse à l'origine d'une colonisation microbienne qui engendre des altérations de la résine et des pathologies de la muqueuse buccale, comme la stomatite sous-prothétique [18]. Le chirurgien-dentiste doit donc motiver son patient à l'hygiène prothétique en lui donnant des conseils précis et adaptés sur l'entretien, le nettoyage et la désinfection de ses prothèses. Actuellement, le brossage des prothèses amovibles avec du savon est une méthode d'hygiène toujours recommandée mais insuffisante, notamment pour les personnes âgées. Il est donc nécessaire d'associer au brossage une immersion des prothèses dans une solution nettoyante et désinfectante. Plusieurs solutions chimiques sont disponibles. Les peroxydes alcalins sont souvent retenus pour le nettoyage et la désinfection des prothèses amovibles [19–22]. Comme l'état de surface de la résine constitutive des prothèses influe sur la rétention prothétique [26,27], l'objectif de cette étude est de comparer l'évolution de l'état de surface d'une résine méthacrylique thermopolymérisée, employée pour la confection de prothèses amovibles (SR Ivocap®, Ivoclar Vivadent), en fonction de l'utilisation de 3 produits d'hygiène, à savoir l'immersion d'échantillons en résine SR Ivocap® dans trois solutions à base de peroxydes alcalins.
L'évolution de l'état de surface de la résine en fonction des 3 produits d'hygiène sélectionnés a été caractérisée par l'évolution de l'angle de contact (θ) d'une goutte de liquide déposée à la surface d'un solide : c'est la méthode de la goutte dite sessile. Plus l'angle de contact est petit, meilleur est le travail d'adhésion [26,27]
Notre étude a consisté à mesurer les angles de contact de 3 gouttes d'eau déposées, à l'aide du goniomètre G10 de Krüss (Zeiss®) (fig. 2), à la surface de 40 échantillons en résine méthacrylique thermopolymérisée (SR Ivocap®) de façon à caractériser l'action des trois produits de nettoyage. Ces mesures d'angle de contact ont été réalisées avant le début de l'expérimentation, à J0, puis au bout de 2, 4, 6, 8, 10 et 12 semaines.
Les équations de Dupré et Young caractérisent les phénomènes d'adhésion [26,27]. L'équation de Dupré permet de définir le travail d'adhésion en fonction des énergies en présence (fig. 3) :
Wa = γSV° + γLV°–γSL
avec Wa = travail d'adhésion, γSV° = énergie libre de surface du solide, γLV° = tension superficielle du liquide en équilibre avec sa tension de vapeur et γSL = énergie interfaciale.
La relation de Young décrit l'équilibre d'une goutte déposée à la surface d'un solide en fonction des énergies interfaciales : γSV°, γLV°, γSL. Elle peut être exprimée en fonction de l'angle de contact θ [26,27] (fig. 2) et on obtient l'équation suivante :
γSL = γSV°–γLV° Cosθ (0 ≤ θ ≤ Π)
ou encore
Wa = γLV° (1 + Cosθ) + Πe
avec : Wa = travail d'adhésion, γLV° = tension superficielle du liquide en équilibre avec sa tension de vapeur, θ = angle de contact, Πe = pression d'étalement de la vapeur sur le solide (Πe est généralement ignorée lorsqu'elle est faible).
En pratique, la mesure de l'angle de contact θ pour un liquide avec γLV° connu (eau distillée γLV° = 72,6 mJ/m2) permet de déterminer le travail d'adhésion Wa pour un matériau particulier. Dans notre étude, c'est le travail d'adhésion de la résine SR Ivocap® qui a été évalué.
Pour cette étude, nous avons sélectionné trois produits commercialisés pour l'hygiène des prothèses en résine : Stéradent® Pureté Active, Polident Corega® anti-bactérien-anti-tartre et Fittydent® Professional (tableau I).
Quarante échantillons, en résine méthacrylique thermopolymérisable SR Ivocap® (SR Ivocap® hight impact, lot n° R54295, Ivoclar Vivadent) de la forme d'un parallélépipède rectangle aux dimensions imposées par les normes ASTM (American Society for Testing and Material) [28] –longueur = 53,5 ± 0,2 mm ; largeur = 12,7 ± 0,05 mm (fig. 4a) ; épaisseur = 1,9 ± 0,1 mm–ont été confectionnés par la technique de mise en moufle. Ils ont ensuite été polis manuellement, avec du papier de verre à grain 600, sur la face des mesures (préalablement repérée) dans le sens de la longueur pendant 1 minute.
Ces 40 échantillons ont ensuite été répartis de façon aléatoire en 4 lots de 10 éléments chacun et ont baigné dans différentes solutions :
– pour le lot 1, les échantillons ont trempé dans de l'eau distillée (lot témoin) ;
– pour le lot 2, les échantillons ont trempé dans la solution Stéradent® Pureté Active + eau distillée ;
– pour le lot 3, les échantillons ont trempé dans la solution Polident Corega® anti-bactérien-anti-tartre + eau distillée.
– pour le lot 4, les échantillons ont trempé dans la solution Fittydent® Professional + eau distillée.
Pour les lots 2, 3 et 4, la concentration en produit désinfectant a été inspirée de l'étude de Brogniez et al. [28] (tableau II). Quotidiennement, les échantillons de ces 3 lots ont été immergés dans les différentes solutions, selon les temps recommandés par les fabricants, puis rincés pendant 1 minute avant d'être remis dans leur bain d'eau distillée. Ensuite, ils ont été conservés dans de l'eau distillée jusqu'au lendemain à l'intérieur d'une chambre chaude où la température était maintenue 37 °C et la pression atmosphérique stabilisée à 1 atm, et ce jusqu'à la fin de l'expérimentation, soit 12 semaines.
À l'aide du goniomètre G 10 de Krüss (Zeiss®), dans la chambre où la température était stabilisée à 37 °C et la pression atmosphérique à 1 atm, une goutte calibrée (fig. 4b) d'eau distillée a été déposée sur la face polie d'un échantillon (fig. 4c), permettant la mesure d'un premier angle de contact 5 secondes après le dépôt de la goutte. Ensuite, l'échantillon a été légèrement déplacé sur la platine pour recevoir une seconde goutte. Chaque échantillon en résine a reçu au total 3 gouttes, chacune a généré une mesure d'angle de contact. Ainsi, pour chaque échantillon en résine, trois mesures d'angle de contact (θ1, θ2 et θ3) ont été effectuées. Ensuite, la valeur moyenne de ces trois mesures, appelée θ moyen, a été calculée. Enfin, pour chaque lot d'échantillons en résine, la valeur moyenne des angles de contact (θ') puis leur cosinus (Cos θ') ont été calculés. Le travail d'adhésion a ensuite été défini grâce à l'équation Wa = γLV° (1 + Cosθ') + Πe (Πe a été ignorée et pour l'eau distillée γLV° = 72,6 mJ/m2). Les mesures et calculs ont été effectués à J0, S2, S4, S6,S8, S10 et S12 (S = semaine). Une étude statistique des résultats, basée sur le test t de Student a été conduite à l'aide du logiciel Excel (Microsoft) pour PC.
L'étude au microscope électronique à balayage a été réalisée à S12, c'est-à-dire à la fin de l'expérimentation et après l'étude de l'énergie de surface. Cette étude optique a été conduite au laboratoire de microscopie électronique de la faculté des sciences de Brest. Dans chaque lot, 2 échantillons ont été choisis de façon aléatoire afin d'être analysés. Un fragment de 10 × 12,7 mm a été découpé au sein de chaque échantillon. Chaque fragment étudié a subi un traitement préalable de déshydratation pendant 48 heures et de séchage. Il a ensuite été monté sur les porteurs à l'aide d'adhésif au cuivre puis polarisé avec une colle au nickel. Enfin, il a été métallisé dans un métalliseur à anode en or pendant 10 minutes. L'examen a été effectué sous deux grossissements différents : × 400 et × 2 000, en accord avec l'étude de Brogniez et al. [28]. Puis 4 clichés pour chaque échantillon ont été pris : 2 au grossissement × 400 et 2 au grossissement × 2 000, afin de visualiser l'action à 12 semaines des produits par rapport au lot témoin.
Les résultats des mesures des angles de contact et de Wa sont présentés dans les tableaux III et IV. La figure 5 présente l'évolution de Wa durant les 12 semaines d'expérimentation.
Les photographies de microscopie électronique sont présentées aux Figure 6 à 9.
Le travail d'adhésion Wa du lot 1 (témoin) est stable au cours des 12 semaines à 92,49 mJ/m2. Pour le lot 2, (Stéradent® Pureté Active), le travail d'adhésion Wa, diminue de façon importante de 92,49 à 82,04 mJ/m2 à 12 semaines, soit une baisse de 11,3 %. L'évolution des travaux d'adhésion Wa des lots 3 et 4 diminue mais de façon différente. En effet, pour le lot 3 (Corega® anti-bactérien-anti-tartre) Wa diminue de façon plus lente et passe de 92,49 à 89,15 mJ/m2 à 12 semaines, soit une diminution de 3,6 % et, pour le lot 4 (Fittydent® Professional), il diminue de façon très lente et passe de 92,49 à 90,89 mJ/m2 à 12 semaines : la diminution n'est que de 1,73 % (tableaux III et IV, fig. 5).
À J0, les valeurs moyennes de θ' des lots 2, 3 et 4 sont identiques celle du lot 1 (témoin) et il n'y a pas de différence statistiquement significative entre les groupes (tableau V).
À S2, la valeur moyenne de Wa du lot 2 (90,02 mJ/m2) est différente de celle du lot 1 (92,49 mJ/m2) avec une différence statistiquement significative. Par contre, il n'y a pas de différence statistiquement significative entre les valeurs moyennes des Wa des lot 3 (92,49 mJ/m2)/lot 1 (92,49 mJ/m2) et lot 4 (92,49 mJ/m2)/lot 1 (92,49 mJ/m2) (tableaux III, IV et V).
À S4 et S6, il existe une différence statistiquement significative seulement entre les lots 1 et 2 (tableau V).
À S8 et S10, il existe une différence statistiquement significative entre les lots 1 et 2 et entre les lots 1 et 3 (tableau V).
À S12, les différences observées entre les valeurs moyennes de Wa des lots 2 (82,04 mJ/m2), 3 (89,15 mJ/m2), 4 (90,89 mJ/m2) et celle du lot 1 (92,49 mJ/m2) sont statistiquement significatives (tableaux III, IV et V).
Ainsi :
– Stéradent® Pureté Active est le produit qui diminue le plus la valeur du travail d'adhésion de la résine, le réduisant de 11,30 % ;
– Fittydent® Professional est le produit qui diminue le moins la valeur du travail d'adhésion de la résine, la baisse n'étant que de 1,73 % seulement ;
– Corega® anti-bactérien-anti-tartre a une action intermédiaire avec une diminution de la valeur du travail d'adhésion de la résine de 3,62 % (fig. 5).
Cette caractérisation énergétique de surface est confirmée par l'étude au microscope électronique. Ainsi nous pouvons noter que les stries de l'échantillon 1 du lot 1 (fig. 6) sont régulières et fines, elles sont dues au polissage au papier de verre grain 600. Les stries de l'échantillon 1 du lot 2 (fig. 7) sont plus nombreuses et plus marquées. Cet état résulterait des effets cumulés de l'oxygène libéré et d'une haute alcalinité du Stéradent® Pureté Active ; les auteurs parlent de corrosion des résines [28,29]. Sur les photos de l'échantillon 1 du lot 3 (fig. 8), nous observons également des stries plus nombreuses et plus profondes que celles observées sur l'échantillon témoin (fig. 6). Cependant, elles semblent moins marquées que celles observées pour l'échantillon 1 du lot 2 ayant été en contact avec le Stéradent® Pureté Active (fig. 7). Les effets des comprimés Corega® anti-bactérien-anti-tartre seraient donc moins abrasifs que ceux des comprimés Stéradent® Pureté Active. Les photos de l'échantillon 1 du lot 4 (fig. 9) montrent également des stries correspondant au polissage par le papier à grain 600. Ces stries ne semblent pas plus nombreuses ni plus profondes que celles observées sur l'échantillon témoin (fig. 6). À l'observation microscopique, les comprimés Fittydent® Professional ne paraissent pas provoquer d'abrasion de la résine comme les comprimés Stéradent® Pureté Active et, dans une moindre mesure, les comprimés Corega® anti-bactérien-anti-tartre.
Nous pouvons noter que les temps d'immersion pour les 3 produits sont différents. Ils correspondent aux temps recommandés par les fabricants, ce qui pourrait notamment expliquer en partie pourquoi le Fittydent® Professional est le moins abrasif.
Cette étude démontre que l'utilisation des peroxydes alcalins entraîne une abrasion de surface de la résine constitutive des bases prothétiques. Cette abrasion peut favoriser l'adhésion de la plaque bactérienne prothétique du fait d'une rugosité de surface accrue. Par ailleurs, l'expérimentation met en évidence une diminution de la mouillabilité des échantillons de résine ; ainsi, les prothèses nettoyées avec des peroxydes alcalins verront leur rétention diminuer. Il serait donc préférable de recommander aux patients d'alterner le brossage, à l'aide d'une brosse spécifique avec un savon ordinaire dit de Marseille ou un dentifrice spécifique pour la prothèse, avec des trempages réguliers bihebdomadaires dans une solution contenant de la chlorhexidine [17,20–22] afin de limiter l'emploi des solutions à base de peroxydes alcalins.
les auteurs confirment n'avoir aucun lien d'intérêt à déclarer.