Prothèse amovible complète (ou totale)
Adeline Braud* Marie-Violaine Berteretche**
*Maître de conférences des universités – PH
**PU-PH
UFR odontologie
Université Paris Diderot
5, rue Garancière
75006 Paris
Le manque d’information des patients totalement édentés porteurs de prothèses amovibles concernant l’entretien des prothèses, l’hygiène buccale ou prothétique ou encore la nécessité d’effectuer des contrôles périodiques aboutit souvent à un suivi clinique et à une maintenance prothétique inadaptés. Or, le vieillissement ou l’usure prématurée des prothèses a des conséquences dramatiques sur l’évolution à long terme des tissus ostéo-muqueux supports de prothèse amovible complète : dégradation des composants prothétiques, perte d’adaptation des prothèses, blessures muqueuses et résorption accrue. Ces maux pourraient être pris en charge de façon précoce en proposant un suivi régulier des patients et une maintenance rigoureuse des dispositifs prothétiques.
Clinical follow-up and maintenance of the complete removable prostheses
Lack of information concerning prosthetic maintenance, oral or prosthetic hygiene, and periodic control with complete removable dentures may lead to inadequate clinical follow-up and prosthetic maintenance. However, ageing or early wear of prosthetic devices has tragic consequences on long term evolution of supporting hard and soft tissues: prosthetic components degradation, loss of adaptation, mucous injuries and bone resorption. Prevention may rely on proposing regular follow-up and strict maintenance of prosthetic devices.
La question du suivi des patients totalement édentés et de la maintenance des dispositifs prothétiques amovibles complets pourrait prêter à sourire si près d’un quart des patients nouvellement appareillés ne désertaient les cabinets dentaires après la séance d’insertion prothétique [1]. Facteur alarmant, 5 ans après l’insertion de leurs prothèses amovibles complètes (PAC), plus de la moitié des patients n’ont bénéficié d’aucun suivi [2].
De plus, une partie de la population appareillée semble renoncer à porter ses PAC dans les mois qui suivent leur réalisation. Selon une étude réalisée à l’université de São Paulo, 24 % des patients totalement édentés ne porteraient plus leurs prothèses amovibles au bout de 5 ans, la majorité ayant cessé de les porter dans les 3 mois qui ont suivi l’insertion en raison de douleurs, d’un manque de rétention ou de leur fracture [2]. Reste la majorité des patients qui portent encore leurs prothèses au bout de 5 ans et qui ont statistiquement des risques de rencontrer des problèmes durant cette période. Il n’est alors pas étonnant qu’ils reviennent en consultation au bout de plusieurs années avec des prothèses inconfortables, détériorées, non adaptées, voire pathogènes [3, 4] et qu’ils présentent des lésions muqueuses invalidantes [5, 6].
Que doit-on proposer ? Que peut-on imposer aux patients pour assurer un suivi adéquat et prévenir les complications ?
L’insertion, l’intégration et le port chronique de PAC entraînent des modifications locorégionales à court, moyen et long termes. La dégradation des matériaux constituant les prothèses associée aux contraintes locales implique, d’une part, un vieillissement des prothèses. Le port des prothèses provoque, d’autre part, des changements locaux, notamment vasculaires et osseux, au niveau des tissus de soutien.
Une évidence s’impose d’emblée : les dispositifs amovibles vieillissent dans le temps [6]. Parallèlement aux phénomènes d’usure fonctionnelle affectant les dents et les bases prothétiques (dégradation des matériaux, abrasion de surface…), les PAC peuvent subir une détérioration prématurée liée à la désolidarisation des dents prothétiques (plus de 20 % des incidents prothétiques), à la fracture des dents (1 % des incidents prothétiques) ou des bases prothétiques (plus de la moitié des incidents prothétiques) [7].
L’évolution de la qualité et de l’état de surface des dispositifs prothétiques dans le temps est étroitement liée aux prothèses elles-mêmes et aux contraintes buccales auxquelles elles sont soumises. Les paramètres prothétiques concernent les propriétés intrinsèques des matériaux employés (résistance mécanique, taux de porosité et de monomères résiduels) et la conception des PAC (épaisseur, surfaces polies stabilisatrices, forme des bords prothétiques, concept occlusal), tandis que les paramètres liés au milieu se rapportent davantage aux conditions physiques (mécaniques, thermiques, pH, humidité, bactéries) de l’écosystème buccal.
Historiquement, les dents prothétiques disponibles sur le marché étaient constituées en porcelaine ou en résine polyméthacrylate de méthyle (PMMA). Ces trente dernières années ont vu apparaître des dents prothétiques à base de résines renforcées par adjonction de charges (composite nano-hybride et Isosit, Ivoclar ; Microfiller Reinforced Polyacrylic, Vita ; Nano-Filled Composite, Candulor) ou par technique de polymérisation (Double-Cross Link, Ivoclar ; Interpenetrated Polymer Network, De Trey-Dentsply ; Multiplex Polymer Matrix, Heraeus Kulze). Malgré l’introduction de ces nouvelles techniques, et quel que soit le matériau utilisé, les dents prothétiques restent cependant susceptibles de se désolidariser de la base, de se casser ou encore de s’user avec le temps.
D’un côté, les dents en porcelaine présentent une résistance élevée à l’usure contrebalancée par une faible absorption des chocs et une faible résistance à la fracture [8, 9], ce qui les rend relativement vulnérables notamment en cas de chute. L’absence de liaison chimique entre la résine et la porcelaine accroît également les risques d’apparition d’un défaut du joint entre les dents et la base (fig. 1 ) et est responsable de la fréquence élevée des désolidarisations de la base des dents en porcelaine [6] (fig. 1 ). À l’opposé, si les modifications structurelles par adjonction de charges ou technique de polymérisation améliorent incontestablement le comportement mécanique des résines [9], l’usure occlusale dans le temps des dents prothétiques en résine, même modifiée, reste non négligeable du point de vue clinique (fig. 1 ). Ainsi, en présence de prothèses bimaxillaires, l’usure occlusale des prémolaires et molaires en PMMA (SR-Orthotyp, Ivoclar) ou en résine modifiée (Bioform en Interpenetrated Polymer Network, De Trey-Dentsply) est de l’ordre de 50 µm au bout de 6 mois et elle atteint 214 µm en moyenne au bout de 3 ans [10]. Les dents présentant une structure stratifiée (par exemple les dents SR-Orthotyp, Ivoclar) deviennent également extrêmement vulnérables à l’usure dès que la dégradation de la couche externe renforcée constituée en résine modifiée (Isosit) expose un matériau de moindre résistance (PMMA), ce qui contre-indique toute équilibration occlusale par technique soustractive avec ce type de dents. Enfin, l’usure des dents en résine, même renforcée, reste conditionnée par le matériau et le statut de l’arcade antagoniste [11]. Face à une surface amélaire, les tests réalisés in vitro montrent ainsi que si les dents en porcelaine restent les plus résistantes à l’usure, celles en résine modifiée par adjonction de charge composite (Nano-Filled Composite, Candulor) résistent mieux à l’usure occlusale que les dents en résine PMMA [12, 13]. Cliniquement, en présence de PAC bimaxillaires, les surfaces triturantes des dents mandibulaires en résine PMMA opposées à des dents en porcelaine à l’arcade antagoniste subissent ainsi une abrasion comprise entre 0,5 et 3,5 mm3/mm2 au bout de 3 ans [14].
Avec la détérioration des dents prothétiques, c’est finalement la totalité des paramètres occlusaux qui est modifiée (dimension verticale, contacts stabilisateurs statiques et dynamiques). Il n’est alors pas étonnant de constater une instabilité occlusale avec des dents en PMMA 5 ans seulement après l’insertion des PAC [15].
Le vieillissement des bases est d’abord intimement lié au comportement des matériaux utilisés. Les bases prothétiques sont fabriquées soit en résine polyméthacrylate de méthyle conventionnelle thermopolymérisable, soit en résines modifiées (polymérisables par micro-ondes, thermopolymérisables ou photopolymérisables). Les propriétés physiques de ces matériaux dans le temps sont extrêmement tributaires des techniques mises en œuvre lors de la polymérisation. Ainsi, si les résines photopolymérisables (sans méthacrylate de méthyle ni peroxyde de benzoyle) sont supposées hypoallergéniques, leurs propriétés mécaniques leur confèrent une susceptibilité accrue aux fractures et fissures, ce qui explique le nombre de réinterventions élevé avec ce type de matériau au bout de 2 ans [16]. L’évolution des bases prothétiques dans le temps dépend également de la conception et du design prothétiques. D’un point de vue strictement mécanique, la localisation des points d’impact occlusaux, la présence de diastèmes incisifs et l’insertion d’un frein labial large conditionnent l’intensité et la distribution du stress mécanique au niveau de la base prothétique [17, 18], ce qui crée des zones de faiblesse et la rend plus vulnérable à la fracture (fig. 1 ). D’un point de vue microbiologique, la forme et l’état des surfaces polies stabilisatrices et de l’intrados prothétique ont une influence notable sur l’adhérence des micro-organismes et la rétention de plaque au niveau de la prothèse [19]. Selon la technique de polissage (mécanique ou chimique) et du matériau (résine chémopolymérisable ou thermopolymérisable), la valeur moyenne des rugosités de surface des résines peut varier de 0,02 à plus de 1 µm [20], ce qui dépasse la valeur critique (0,2 µm) à partir de laquelle la colonisation bactérienne est accrue [21, 22].
L’exposition répétée des prothèses à un environnement agressif aussi bien dans la cavité buccale (micro-organismes, conditions physiques) que dans des solutions utilisées pour leur nettoyage (pH, température) génère également des modifications de structure et d’état de surface dans le temps (fig. 1 et 1 ). Malgré les conseils d’hygiène délivrés lors de l’insertion prothétique, les prothèses amovibles sont en effet soumises à des conditions biologiques parfois délétères. Manipulées dans des conditions d’hygiène douteuse, parfois mal nettoyées, les bases prothétiques sont en effet progressivement colonisées par les micro-organismes et constituent à moyen terme un foyer bactérien important avec, notamment, la présence de Streptococcus mutans, Staphylococcus intermedius, Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis [23] et Candida albicans [24] mais aussi, parfois, de Pseudomonas aeruginosa, Enterococcus faecalis, Gardnerella vaginalis et Haemophilus influenzae [25]. À partir de là, certaines bactéries agressives peuvent non seulement pénétrer la structure résineuse de la base [26] mais également en modifier la résistance mécanique [26].
Outre ces contraintes biologiques, la résistance des bases est également directement éprouvée par les contraintes physiques liées aux conditions buccales (humidité, pH, température, stress mécanique). Les matériaux résineux constituant les bases prothétiques subissent ainsi des variations dimensionnelles microscopiques générant des déformations infracliniques à long terme [27] probablement liées aux échanges hydriques avec le milieu [28]. L’immersion répétée dans certaines solutions nettoyantes (Corega® Tabs, Corega ; BonyPlus®, Bonyf AG) entraîne également des modifications structurelles (diminution de la résistance à la flexion) et de surface (augmentation des rugosités) des résines thermopolymérisables PMMA [29].
Les prothèses sont enfin soumises à des contraintes mécaniques générant un stress en surface et au sein même des bases prothétiques. L’entretien des prothèses avec une brosse à poils souples, du savon ou un dentifrice sans particules abrasives ne provoque pas d’usure significative des bases en résine thermopolymérisable. En revanche, un brossage agressif ou l’utilisation de matériel non adapté (brosse à poils durs, dentifrice contenant de la silice ou du carbonate de calcium…) peut induire une abrasion superficielle accentuant les rugosités de surface de ces matériaux [30, 31]. Ainsi, si la valeur moyenne des rugosités de surface des résines chémopolymérisables et thermopolymérisables est comprise entre 0,04 et 0,06 µm juste après un polissage mécanique, elle peut être multipliée par 100 après plusieurs cycles de brossage avec un dentifrice antitartre [32], ce qui accroît le risque de rétention de plaque et de colonisation bactérienne.
Parallèlement à ces phénomènes superficiels, les bases prothétiques subissent un stress mécanique intrinsèque lié à la confrontation répétée entre les dents prothétiques. En présence de prothèses bimaxillaires, celles-là provoquent une tension intense au niveau du palais prothétique en regard du raphé médian et une compression maximale au niveau de la partie antérieure de la prothèse à partir de la jonction dento-prothétique [33, 34], et des phénomènes compressifs au niveau de la base mandibulaire [35]. En présence d’une prothèse unimaxillaire opposée à des dents naturelles ou à une solution amovible implanto-retenue, l’intensité des contraintes mécaniques occlusales est accrue [36], ce qui provoque un stress accentué au niveau des bases prothétiques. Avec le temps, et en fonction du comportement mécanique du matériau, ces contraintes génèrent des microfissures susceptibles de se propager au sein même des bases prothétiques et de provoquer des fractures de la prothèse, ce qui explique pourquoi autant de prothèses, surtout maxillaires, sont cassées à moyen terme [2, 7, 37].
En fait, le vieillissement des composants prothétiques, leur usure dans le temps et la perte d’adaptation des bases sont autant de facteurs susceptibles d’altérer les tissus de soutien ostéo-muqueux. Certes, la qualité de vie orale ne semble pas corrélée à l’ancienneté des prothèses [38] même si avec les années, les doléances des patients appareillés concernant des douleurs buccales, des difficultés à la mastication et la mobilité accrue de leurs prothèses sont plus fréquemment évoquées par les patients appareillés [3, 39, 40]. L’augmentation de la prévalence des lésions sous-prothétiques [5, 41] et du degré d’atteinte des tissus de soutien osseux [42] avec l’ancienneté des prothèses permet cependant de mieux comprendre la façon dont l’état des prothèses impacte les tissus de soutien ostéo-muqueux.
Quelques années après l’insertion prothétique, la prévalence des lésions induites par les PAC est assez élevée puisque près d’un quart des patients souffre d’ulcérations traumatiques et que 1 patient sur 10 présente des signes de stomatite sous-prothétique, d’hyperplasie, de kératose ou de chéilite angulaire [43].
Une partie des atteintes de la muqueuse buccale observée à long terme n’est pas liée au port de PAC. Cependant, la prévalence de certaines lésions d’origine prothétique pourrait être limitée en assurant une hygiène rigoureuse et des contrôles réguliers des dispositifs amovibles [5, 41]. C’est notamment le cas des ulcérations traumatiques des tissus de soutien muqueux pouvant donner lieu à des lésions hyperplasiques à long terme (fig. 2), en présence de bases prothétiques inadaptées ou de contraintes occlusales agressives [44]. C’est également le cas des crêtes flottantes qui peuvent apparaître lorsque l’os alvéolaire se résorbe et est remplacé par du tissu fibreux sous l’effet de contraintes mécaniques prolongées d’intensité élevée ou d’une surcharge occlusale [42, 44]. C’est enfin le cas lors des stomatites sous-prothétiques, caractérisées par la présence d’une inflammation et d’un érythème de la muqueuse buccale souvent associés à une sensation de brûlure buccale. Celle-ci implique plusieurs facteurs parmi lesquels une hygiène buccale et prothétique défaillante à l’origine d’une contamination bactérienne et mycosique (C. albicans), ainsi que le port continu des prothèses et/ou leur mauvaise adaptation responsables d’une irritation locale de la surface d’appui [45].
Soulignons enfin le rôle parfois délétère sur la muqueuse buccale des adhésifs placés au niveau de l’intrados prothétique. Près d’un quart des patients admettent avoir recours à des adhésifs prothétiques (gel ou poudre) pour tenter de compenser le manque de rétention de leur prothèse [46]. Cependant, si ces produits semblent améliorer le confort lors de l’insertion prothétique [47], ils ne compensent pas l’inadaptation ou la perte d’adaptation des prothèses. Au contraire, l’ajout progressif de matériau adhésif, aboutissant dans les cas extrêmes à plusieurs millimètres d’épaisseur, modifie l’interface muco-prothétique. La présence d’un matériau adhésif au niveau de l’intrados constitue également un risque non négligeable d’irritation chimique et de contamination bactérienne [48].
Cliniquement, 6 mois après l’extraction d’une dent, la perte osseuse est comprise entre 11 et 22 % dans le sens vertical et entre 29 et 63 % dans le sens horizontal [49]. Le volume osseux est principalement perdu au cours des 5 premières années, mais la résorption peut se poursuivre durant les 20 années suivantes [50]. Au niveau local, l’application prolongée de contraintes d’intensité élevée serait responsable d’une destruction accrue du support osseux [51]. Du point de vue prothétique, aucun lien de causalité entre le port nocturne des prothèses et le degré de résorption osseuse n’est démontré [52] ; cependant, plusieurs paramètres tels que l’ancienneté et la qualité des prothèses conditionnent le volume osseux résorbé [42]. Cela peut en partie s’expliquer par l’évolution des contraintes mécaniques transmises par les dents et les bases prothétiques au fil des années.
Au niveau de l’interface occlusale, si les dents en porcelaine, très « dures », sont susceptibles de transmettre une grande partie des contraintes [53], l’usure des surfaces occlusales des dents en résine, relativement « tendres », pourrait être responsable de la perte des contacts stabilisateurs dans le temps. Quel que soit le matériau utilisé pour les dents prothétiques, une résorption équivalente est observée au niveau des tissus de soutien des prothèses bimaxillaires à long terme [54]. La situation se complique en présence d’une prothèse unimaxillaire. Dans ce cas, la perte des contacts postérieurs stabilisateurs provoque une surcharge occlusale antérieure, ce qui accentue la destruction osseuse au niveau des structures antérieures [55].
Au niveau de l’interface muco-prothétique, une résorption significative affecte les tissus de soutien à long terme [50, 52]. La hauteur [56] et la morphologie des crêtes osseuses résiduelles [57] semblent conditionnées par le fait de porter des prothèses complètes. Les patients porteurs de PAC présentent en effet une réduction du support osseux plus importante, surtout au niveau de l’arcade mandibulaire, que les patients totalement édentés non appareillés [56, 57], ce qui permet d’émettre l’hypothèse que l’instabilité prothétique constituerait un facteur aggravant de la perte osseuse. Cette résorption accrue diminue l’adaptation des bases prothétiques, ce qui explique que 1 prothèse mandibulaire sur 2 soit instable et que plus de 6 prothèses mandibulaires sur 10 ne soient plus rétentives au-delà de 5 ans [3]. Cette perte d’adaptation pourrait dès lors provoquer une bascule des prothèses suffisamment délétère pour créer des zones de surpression au niveau de la surface d’appui, accentuant encore la résorption locale [51].
Le vieillissement inéluctable des prothèses associé aux modifications des tissus de soutien impose une prise en charge globale à long terme des patients nouvellement appareillés.
Le premier obstacle à cette prise en charge postinsertion réside dans la difficulté d’imposer un suivi rigoureux. En effet, 9 patients sur 10 avouent ne pas avoir été informés de la nécessité de contrôles périodiques après l’insertion des prothèses [58] et moins de 20 % effectuent une visite de contrôle dans les 2 ans qui la suivent [59]. Or, la prévalence des lésions sous-prothétiques dépend de la fréquence des contrôles [60]. Il est alors indispensable de garder à l’esprit l’importance du suivi des patients appareillés pour la prophylaxie orale et la préservation des tissus de soutien.
La seconde difficulté réside dans la complexité à évaluer cliniquement les besoins réels des patients totalement édentés porteurs de PAC. Doit-on seulement se fier au fait que le patient porte ou non ses prothèses pour décider d’une réintervention prothétique ? Est-il pertinent de prendre en compte l’avis des patients si seuls 11 % d’entre eux se plaignent de douleurs buccales au bout de 5 ans pour une prévalence des stomatites sous-prothétiques évaluée à 42 % [58] ? L’analyse des paramètres prothétiques (occlusion, stabilité, rétention, dimension verticale) suffit-elle pour poser l’indication d’une réfection complète des bases ou de la prothèse ? Se poser ces questions semble primordial puisque l’indication de remplacer les prothèses existantes varie de 10 à 84 % en fonction la méthode d’évaluation utilisée [3].
Ces questions soulèvent des interrogations concernant la motivation du patient à consulter régulièrement à long terme et la réponse clinique à apporter par le praticien face à l’évolution des surfaces d’appui et des composants prothétiques dans le temps.
L’insertion de 1 ou 2 PAC est assortie d’une période d’adaptation qui ne dépasse pas 2 séances de suivi dans la majorité des cas et qui permet la gestion des doléances évoquées à court terme [1]. Au-delà de cette période, un incident prothétique tel que la fracture ou le décollement d’un élément de la prothèse constitue généralement une bonne raison, pour le patient non averti, de reprendre contact avec son praticien. Toutefois, et malgré les consignes de suivi prodiguées, Magnusson [15] estime que la moitié des patients nouvellement appareillés ne reviendront pas au cabinet dentaire dans les 5 ans suivant l’insertion d’une PAC.
Face aux effets délétères des prothèses usées ou fracturées sur les tissus de soutien, il semblerait intéressant d’inscrire le rappel périodique systématique des patients après l’insertion prothétique dans la prise en charge globale du patient totalement édenté. Sur la base de ces constatations cliniques, Tallgren [50] propose d’imposer une visite de contrôle annuelle. Cette proposition semble raisonnable puisque la prévalence des lésions augmente significativement au-delà d’un intervalle de 2 ans entre 2 visites [59]. Dans le cas de la prothèse immédiate, si la résorption est accrue dans l’année qui suit l’extraction des dents [50], et compte tenu des phénomènes cicatriciels majeurs survenant au niveau des tissus ostéo-muqueux durant les premiers mois, il semble raisonnable de proposer des contrôles fréquents jusqu’à l’obtention d’une cicatrisation muqueuse satisfaisante.
Quelle qu’en soit la fréquence, le suivi à court terme doit permettre d’écouter les doléances évoquées par le patient vis-à-vis de ses prothèses. Il doit également permettre d’évaluer la satisfaction concernant la mastication, mais aussi la phonation, le confort, la symptomatologie douloureuse et l’adaptation de la base en ce qui concerne la prothèse maxillaire, ainsi que la rétention de la base mandibulaire qui sont des bons indicateurs pour évaluer la satisfaction générale [60]. Il doit enfin permettre d’apprécier l’hygiène de la cavité buccale et la santé des tissus de soutien. À moyen et long termes, le suivi permet non seulement d’estimer l’état des prothèses à travers l’examen de l’état de surface (usure, fissures, fracture) et l’analyse de la rétention et de la stabilité (bases, occlusion) prothétique, mais également de proposer aux patients des solutions thérapeutiques adaptées assurant la pérennité des tissus de soutien (motivation à l’hygiène, prescription antifongique et/ou antalgique) et la maintenance prothétique.
En fonction des paramètres cliniques et des conditions prothétiques, la maintenance prothétique peut être envisagée à travers la réparation, la réfection des bases ou encore le remplacement des prothèses. Face au patient qui consulte régulièrement, la question principale concernant la maintenance prothétique reste : « Réparer, réadapter ou remplacer ? »
La réparation de la base, le remplacement ou la remise en place d’une dent prothétique répondent à un incident prothétique concernant les PAC (fissure ou fracture de la base, fracture ou décollement d’une dent). L’indication de réparer la prothèse repose sur l’analyse de paramètres paracliniques tels que la responsabilité engagée par le praticien, les raisons de la détérioration prématurée du dispositif prothétique et la faisabilité de la réparation (fig. 3 et 3). L’étiologie se résume souvent à une cause physique (mauvaise liaison dent/base, traumatisme, choc ou surcharge mécanique). Si celle-ci peut être corrigée ou supprimée dans la majorité des cas, la réparation des prothèses n’est pas forcément indiquée dans toutes les situations cliniques. C’est notamment le cas en présence de prothèses inadaptées ou pour lesquelles les matériaux présentent une usure ou une pollution trop importantes (fig. 3 et 3).
Considérée comme un acte anodin, la réparation des prothèses se révèle aussi un exercice périlleux du point de vue technique. Le contexte temporel constitue déjà le premier point de tension pour le patient qui doit, dans la majorité des cas, se séparer de sa prothèse durant quelques heures si la réparation ne peut être réalisée au cabinet dentaire. Le souci de limiter la gêne esthétique et fonctionnelle ressentie par les patients a ainsi poussé un certain nombre de praticiens à proposer des techniques de réparation originales applicables au fauteuil (reconstitution directe ou collage par composite d’une dent prothétique…) et dont la qualité est extrêmement variable. Et ne parlons pas des réparations effectuées par les patients eux-mêmes avec des produits douteux et dont le résultat clinique est souvent discutable. Le second point de contrariété est lié à la pérennité limitée de certaines réparations. La remise en place d’une dent prothétique, généralement effectuée après traitement de surface et interposition de résine chémopolymérisable, modifie le comportement mécanique de la liaison dent/base [61]. La résistance dans le temps des réparations effectuées au niveau de la base dépend, quant à elle, de la forme du joint, des traitements de surface, des matériaux et des techniques employés ou encore des traitements et du stockage en post-polymérisation [62]. Cela explique alors pourquoi certaines réparations vieillissent si mal (décolorations, dégradation du joint, fractures ou décollement à répétition) et encourage à envisager des thérapeutiques plus radicales telles que la réfection complète des bases ou le remplacement intégral des prothèses.
Le rebasage des prothèses et la réfection complète des bases sont des actes techniques assez fréquents en présence de PAC puisqu’ils concernent un tiers des prothèses au bout de 5 ans [37].
Le rebasage correspond à une adjonction plus ou moins localisée de résine chémopolymérisable et aboutit à une réadaptation sommaire de la prothèse. Cette solution technique semble peu pérenne pour la prothèse au regard de l’augmentation des rugosités de surface observées à court terme avec certaines résines chémopolymérisables (New Truliner®, The Bothworth Company ; Ufi Gel Hard®, Voco) [63] et des modifications de couleur observées à moyen terme avec d’autres de ces résines (Denture Liner®, Shofu) soumises à une immersion répétée dans des solutions de nettoyage [64].
À l’opposé, la réfection de la base est définie comme le renouvellement intégral de la résine constituant la base sans modifier le montage des dents et repose sur l’enregistrement de la surface d’appui puis le remplacement total de la base, réalisé au laboratoire de prothèses, généralement à l’aide d’une résine thermopolymérisable. Cette approche technique s’intègre à une décision thérapeutique privilégiant la conservation de la prothèse d’usage existante plutôt que la réalisation d’une nouvelle prothèse et peut être envisagée en trois séances, ce qui la rend particulièrement indiquée pour les patients âgés et/ou non autonomes [65].
Cependant, la décision de réfection complète de la base est conditionnée par deux groupes de facteurs : des facteurs généraux et de facteurs techniques. Les premiers concernent l’état de santé général, l’autonomie ainsi que la capacité d’adaptation du patient, capacité se réduisant avec l’âge [66]. Les seconds concernent l’état même de la prothèse existante (fig. 4) : l’étendue de la surface d’appui, l’esthétique, les paramètres occlusaux (plan d’occlusion et dimension verticale), la situation des dents vis-à-vis du couloir prothétique et le degré d’usure des dents prothétiques. La mise en condition tissulaire ne peut ainsi être conduite que si la prothèse existante englobe, au niveau de la surface d’appui, les éléments anatomiques clés (joint postérieur, tubérosités…), les paramètres de l’occlusion sont convenables (dimension verticale, plan d’occlusion), le montage des dents prothétiques est convenable et la morphologie des dents est conservée.
Techniquement, la réfection de la base intervient après :
- une équilibration occlusale de la prothèse ;
- la réalisation d’un duplicata de la prothèse ;
- une mise en condition des tissus de soutien.
L’équilibration occlusale, préalable à toute manipulation au niveau des bases, a pour objectif de limiter les risques de déplacement des prothèses sur les surfaces d’appui lors de séances de mise en condition. Le duplicata de la prothèse existante permet au patient de conserver une prothèse lors des phases de réfection de la base au laboratoire [67]. Enfin, la mise en condition tissulaire (fig. 5) doit permettre le rétablissement de l’homéostasie des tissus épithélio-conjonctifs et l’amélioration de l’adaptation prothétique au niveau de la surface d’appui avant la réfection de la base. Elle est réalisée à l’aide d’une résine plastique à prise retardée (Hydrocast® ou Fit®, Kerr ; Viscogel®, Dentsply) manipulée selon un protocole strict [68]. Le nombre de séances nécessaires à l’obtention d’un résultat satisfaisant pour le patient et pour le praticien est très variable et dépend, notamment, du degré d’inadaptation de l’ancienne prothèse.
À l’issue de la mise en condition tissulaire, le renouvellement de la base au laboratoire peut enfin être envisagé, avec ou sans empreinte de surface. Dans ce dernier cas, la principale difficulté technique consiste à limiter au maximum le déplacement des bases prothétiques lors de l’empreinte. Quels que soient la technique (bouche ouverte ou sous pression occlusale) et le matériau (polysulfures light ou pâte oxyde de zinc-eugénol) employés, un décalage même minime est inévitable [69].
Les principaux motifs de remplacement des prothèses évoqués par les patients sont d’ordre fonctionnel (manque de rétention, difficultés à la mastication, douleur, prothèses mal adaptées) dans les deux tiers des cas, fonctionnel et esthétique dans 21 % des cas et, enfin, strictement esthétique dans seulement 6 % des cas [70]. En outre, il est étonnant de constater que seuls 6 % des patients font refaire leurs prothèses sur recommandation d’un praticien [70].
Du point de vue du praticien, décider de remplacer une PAC revient à réfléchir en termes de durée de vie des prothèses. Globalement, la durée de vie moyenne d’une PAC, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre son insertion et son remplacement, est de l’ordre de 15 ans à la mandibule et 19 ans au maxillaire [37]. Nevalainen et al. [3] estiment cependant qu’au bout de 6 ans, plus de 10 % des PAC devraient être complètement refaites et qu’au-delà de cette période, plus de 20 % d’entre elles devraient être remplacées. Dans cette situation, si la prise de décision dépend de l’état des prothèses (usure des dents prothétiques, adaptation des bases prothétiques…) et des tissus de soutien, le bénéfice réel du traitement proposé doit être analysé en tenant compte du contexte psychologique, du coût, du temps et des déplacements consacrés au traitement, de la notion d’adaptation prothétique [66] et, enfin, des conditions techniques de réalisation d’une nouvelle PAC.
Le vieillissement des dispositifs prothétiques amovibles complets implique une prise en charge des patients totalement édentés à long terme. Parce qu’il y a souvent un décalage entre la perception des patients et le regard clinique du praticien, il est nécessaire d’informer les patients nouvellement appareillés des moyens d’hygiène adaptés et de la nécessité d’effectuer des contrôles cliniques réguliers. Du point de vue du praticien, le suivi clinique doit permettre de proposer une maintenance adaptée du dispositif prothétique afin de limiter la dégradation progressive et irréversible des tissus de support de la prothèse.
Liens d’intérêt : les auteurs confirment n’avoir aucun lien d’intérêt à déclarer.