Les cahiers de prothèse n° 166 du 01/06/2014

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Amélie Frot*   Martine Hennequin**   Marie-Violaine Berteretche***  


*Chirurgien-dentiste, ancien interne des Hôpitaux de Paris
Centre de recherche en odontologie clinique
(CROC)-EA 4847
Clermont Université
Université d’Auvergne
BP 10448
6300 Clermont-Ferrand.
**P U-PH
Département d’odontologie conservatrice
Service d’odontologie
CHU Clermont-Ferrand
CROC-EA 4847
Clermont Université
Université d’Auvergne
***PU-PH Département de prothèses
UFR d’odontologie
Université Paris-Diderot Paris 7
AP-HP hôpital Rothschild
Pôle odontologie
5, rue Santerre
75012 Paris
CROC-EA 4847
Clermont
Université Université d’Auvergne

Résumé

La restauration de l’édentement complet par une prothèse amovible se caractérise par une fonction masticatoire altérée par rapport à un patient denté.

Dans le cas d’un édentement unimaxillaire, l’influence des dents reste mal connue et peu de données sur la fonction masticatoire existent. L’objectif de l’étude est d’évaluer l’impact du renouvellement des prothèses complètes maxillaires sur les capacités masticatoires et la qualité de vie des patients édentés unimaxillaires. L’enregistrement des paramètres cinématiques, l’analyse de la granulométrie du bol et l’évaluation la qualité de vie orale ont été effectuées avant et après renouvellement de la prothèse. Les résultats montrent une amélioration significative de tous les paramètres caractérisant la mastication. En conclusion, le renouvellement des prothèses complètes unimaxillaires se caractérise par l’amélioration de la fonction masticatoire et de la qualité de vie des patients, justifiant le renouvellement régulier des prothèses complètes.

Summary

Renewal of the removable prosthesis simple complete denture and efficiency masticatoire.

Complete denture could be characterized by a poor masticatory function. Considering single complete denture, no information is available. The aim of the study was to evaluate the effect of renewing removable complete dentures on masticatory function and oral health-related quality of life.

The participants were observed before and after denture renewal. The masticatory tests were video-recorded for cinematic parameters ; the particle size distribution of the boluses was characterized and a self-assessment questionnaire for oral health-related quality of life (GOHAI) was used. Renewal of the dentures demonstrated an improvement of all masticatory parameters. In conclusion, this study confirms the usefulness of denture renewal for improving functions and oral health quality of life.

Key words

single complete denture, mastication, oral quality of life, removable denture renewal.

L’Europe vieillit ! Mais, grâce aux avancées médicales, grâce au développement de la prévention sans cesse accrue et grâce à des techniques toujours plus pointues, ce vieillissement s’accompagne d’une qualité de vie meilleure plus longtemps. Ainsi, l’âge de l’édentement recule. Cependant, l’édentement complet est loin de disparaître, touchant des couches de la population de plus en plus âgées. Or, l’édentement est synonyme d’une altération de l’intégrité corporelle et peut être assimilé à un réel handicap. Il est toujours associé à une modification de la qualité de vie des patients, dans ses aspects non seulement psychosociaux mais aussi fonctionnels (mastication, déglutition et phonation, notamment).

Si la restauration de cet édentement par la prothèse amovible complète s’accompagne d’une amélioration de la qualité de vie [1] et des capacités fonctionnelles, néanmoins cette thérapeutique ne permet pas une récupération totale de ces capacités [2, 3]. Les doléances les plus fréquemment rapportées chez les patients totalement édentés sont, par ordre croissant, le manque de rétention des prothèses, les difficultés rencontrées lors de la mastication et l’esthétique. Des différences existent entre le maxillaire et la mandibule, les problèmes d’instabilité et de rétention prédominant à l’arcade mandibulaire.

Les capacités masticatoires amoindries entraînent également des conséquences sur le plan nutritionnel. Avec l’âge, il existe une adaptation de la mastication considérée comme non perturbée [4] mais, avec l’édentement, apparaissent une adaptation de l’alimentation et d’éventuels déficits nutritionnels ayant un impact essentiel dans une population particulièrement fragile : les personnes âgées [5].

Si l’esthétique et le confort (stabilité et rétention de la prothèse) sont aisément appréciés par le patient, a fortiori lors du renouvellement de la prothèse, l’aspect fonctionnel reste plus délicat à évaluer par le patient, mais aussi par le praticien. En cas de prothèse amovible complète (PAC) bimaxillaire, un certain nombre d’études montrent la persistance d’un handicap. En revanche, dans le cas de l’édentement unimaxillaire, les études sont peu nombreuses et très peu de données abordent les conséquences de ce type d’édentement. L’édentement unimaxillaire est spécifique en raison de « l’affrontement » d’une surface dentée et d’une surface édentée porteuse d’une prothèse complète, les propriocepteurs parodontaux de la première apportant des informations somesthésiques précises sur l’appréciation des aliments mais engendrant aussi des forces masticatoires importantes qu’ils transmettent à la seconde. Certes des organes dentaires sont conservés, mais les couples dento-dentaires sont quant à eux absents. Peut-on rapporter les performances masticatoires à la persistance d’organes dentaires ? Doit-on considérer la mastication des patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire comme déficiente ?

Une étude a été mise en place avec pour objectif d’évaluer l’impact du renouvellement des prothèses unimaxillaires sur la fonction masticatoire (aspect objectif) et la qualité de vie (aspect subjectif) de patients édentés au maxillaire. La fonction masticatoire est ici étudiée grâce à des tests de mastication où la qualité du bol préparé et la cinématique de la fonction sont mesurées. La qualité de vie a quant à elle été évaluée grâce à un questionnaire spécifique.

Matériel et méthode

Sujets

Seize patients totalement édentés au maxillaire, venus consulter pour renouveler leur prothèse complète, ont été inclus dans cette étude : 5 hommes et 11 femmes âgés de 49 à 80 ans (âge moyen : 70 ans). Les critères d’inclusion étaient des patients adultes responsables, édentés au maxillaire, porteurs d’une prothèse amovible complète. Ils ne présentaient pas de lésion muqueuse ni de problème articulaire ou de problème risquant de gêner la mastication. Ont été exclus de l’étude les patients édentés non appareillés, ceux qui ne pouvaient pas mastiquer avec leur prothèse, ceux qui portaient une prothèse complète à recouvrement radiculaire avec ou sans attachement ou une prothèse à complément de rétention implantaire ainsi que ceux qui présentaient une allergie aux aliments tests. Les patients ont été informés du déroulement de l’étude et ont rempli un formulaire de consentement éclairé.

Un examen des prothèses a permis de valider la nécessité de leur remplacement. Parmi les critères relevés, on retrouvait la stabilité, la rétention et la dimension verticale.

Aliment tests

Les aliments tests étaient des aliments naturels et des aliments modèles comestibles (fig. 1 b et c).

Les aliments naturels testés étaient des carottes (CAR) et des cacahuètes (CAC), calibrées pour les tests :

– un morceau de carotte de 4 g, d’un diamètre constant ;

– un échantillon de 4 g de cacahuètes, soit environ 4 cacahuètes.

Les aliments modèles comestibles ont été préparés à partir de bonbons gélatinés du commerce (Haribo Stroumph®) mélangés à de la gélatine alimentaire et de l’eau, au Centre de recherche en odontologie clinique (CROC), EA 4847 de l’UFR d’odontologie (université d’Auvergne). Les échantillons étaient de forme et de taille standardisées (cylindre de 1 cm de haut et de 2 cm de diamètre). Leur dureté était croissante (correspondant respectivement à 3 couleurs : bleu, vert et violet) alors que la constance de leurs propriétés rhéologiques, notamment leur caractère viscoélastique, a été contrôlée.

Tests de mastication

Les tests de mastication réalisés consistaient, d’une part, à évaluer la cinématique de la mastication et, d’autre part, la granulométrie du bol alimentaire préparé (pour les aliments naturels).

Ces tests de mastication ont été réalisés deux fois : dans un premier temps avec l’ancienne prothèse (T1) puis 8 semaines après l’insertion de la nouvelle prothèse (T2).

À chaque séance de test, des répétitions pour chaque aliment test ont été effectuées.

Étude de la cinématique de la mastication

La méthode par enregistrement vidéo a été validée par rapport à la méthode de référence qu’est l’électromyographie [6]. Les aliments naturels ont été proposés quatre fois : une première fois où le patient se familiarise avec son seuil de déglutition (moment où il détecte qu’il est prêt à déglutir) et trois répétitions où le patient est invité à recracher le bol au seuil de déglutition. Les bols récupérés ont ensuite été traités pour l’étude de leur granulométrie. Puis les aliments modèles ont été proposés aux patients selon une séquence au hasard, aliments que le patient devait mastiquer et déglutir.

Cette technique d’enregistrement vidéo pendant la mastication (fig. 2) a permis de comptabiliser simplement et a posteriori le nombre de cycles masticatoires (N) et la durée de la mastication (T) des aliments tests. La fréquence de mastication, rapport entre le nombre de cycle de mastication et la durée de la séquence masticatoire (N/T), a ainsi été calculée. Lors des enregistrements des séquences masticatoires, le patient devait rester face à la caméra (située à environ 1,5 m) en évitant tout mouvement de la tête). Le cadrage a été réalisé afin que le haut de la tête et la partie supérieure des épaules soient inclus dans l’image pour compter clairement le nombre de cycles de mastication.

Étude de la granulométrie du bol recraché

Les bols des aliments naturels collectés lors des enregistrements vidéo ont été conservés par congélation. Lors de leur traitement au laboratoire, ils sont décongelés, rincés et étalés sur des films transparents pour être numérisés avec un scanner optique et le logiciel SilverFast® (fig. 3 b et c). Le traitement par analyse d’images (logiciel Powershade®) a permis le calcul du nombre des particules (taille comprise entre 100 µm et 10 mm) et de leur distribution. L’indicateur de la granulométrie du bol alimentaire était la valeur D50 : taille d’un tamis virtuel à travers lequel passent 50 % des aliments mastiqués (largeur médiane des particules).

Indicateur de qualité de vie en relation avec la santé orale : questionnaire GOHAI

En même temps que les tests de mastication, un questionnaire validé, permettant d’évaluer la qualité de vie du patient a été rempli aux stades T1 et T2 : le Geriatric Oral Health Assessement Index (GOHAI), validé en français [7], a été présenté à chacun des patients de l’étude afin de mettre en évidence les éventuelles limitations fonctionnelles (mastication, déglutition, phonation) (questions 1 à 4), les conséquences psychosociales (questions 6, 7, 9 à 11), la présence de phénomènes douloureux ou d’inconfort (questions 5 et 8) grâce aux 12 items qu’il comportait. Le 12e item concernait la sensibilité thermique ou la sensibilité aux aliments sucrés des dents naturelles.

La méthode additive (GOHAI ADD) adoptée consistait à additionner les scores obtenus pour les 12 items. Un score inférieur ou égal à 50 traduisait une mauvaise qualité de vie orale, un score entre 51 et 56 un état modéré et un score entre 57 et 60 correspondait à une bonne qualité de vie orale.

Méthodes statistiques

L’ensemble des données a été recueilli à l’aide du logiciel Excel® et l’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel SPSS 11.5®. Les données démographiques ont été présentées de manière descriptive. Pour cette étude, chaque sujet était son propre témoin, l’ensemble des variables d’évaluation était testé avant et après le renouvellement de la prothèse par une série de tests t de Student appariés (a = 0,05).

Résultats

Examen des prothèses

Une évaluation prothétique a systématiquement été conduite avant la réalisation des tests. Les prothèses présentaient initialement une instabilité ainsi qu’une rétention insuffisante (dans 60 % des cas). Après leur renouvellement, ces paramètres se sont améliorés, stabilité et rétention étant obtenues pour 86 % des prothèses. Pour tous les cas, la dimension verticale d’occlusion (DVO) définie par les anciennes prothèses et considérée comme satisfaisante a été conservée ou elle a été réévaluée si nécessaire.

Étude de la cinématique

Les résultats ont montré une variation non significative de la durée des séquences masticatoires et du nombre de cycles de mastication par séquence pour les carottes et les cacahuètes entre T1 et T2 (tableau I). En revanche, la fréquence (N/T) masticatoire des aliments naturels était significativement augmentée après le renouvellement des prothèses (p < 0,05, test t de Student).

Les résultats obtenus grâce aux tests de mastication des aliments modèles (gélatines) montraient que le nombre de cycles augmentait de manière significative (p < 0,001 ; t de Student) avec l’augmentation de la dureté des aliments à T1 comme à T2 (fig. 4). De plus, le nombre moyen de cycles à T1 était supérieur à celui de T2.

De façon similaire, la durée de la séquence masticatoire tendait à augmenter avec la dureté des gélatines.

En revanche, la fréquence masticatoire ne variait pas, que ce soit à T1 ou à T2, avec l’augmentation de la dureté des gélatines viscoélastiques. Celle des gélatines à T1 était inférieure à celle à T2 (fig. 5).

Pour les gélatines viscoélastiques de dureté croissante (tableau II), une diminution significative du nombre de cycles de mastication par séquence et de la durée des séquences entre T1 et T2 a été enregistrée quelle qu’ait été la dureté de gélatine considérée (p < 0,05, test t de Student). La fréquence de mastication augmentait entre T1 et T2, mais cette augmentation ne variait pas significativement, à l’exception de la gélatine de dureté intermédiaire (gel 2) (p < 0,05, test t de Student).

Étude de la granulométrie de bol

Les mesures de la granulométrie des aliments naturels (carotte et cacahuètes) pour l’ensemble des sujets inclus ont révélé une diminution de la valeur du D50 après renouvellement de la prothèse unimaxillaire (fig. 6), diminution significative pour les carottes (p < 0,001, test t de Student).

Cependant, il existait une très grande variabilité interindividuelle du D50 bien que les aliments aient été définis et standardisés.

Une valeur moyenne « normale » du D50 pour les carottes a pu être établie, valeur répondant à une mastication efficace et normale. Celle-ci a été proposée comme un indicateur nommé MNI (masticatory normative index) [8], la valeur normale du D50 devant être inférieure à 4,0 mm.

Dans cette étude, à T1 on a remarqué que 5 patients avaient un D50 inférieur à 4,0 mm. À T2, seul 1 patient (patient 4) avait une valeur de D50 avoisinant 4,0 mm, tous les autres donnaient des résultats sous la barre du MNI. À T2, l’étendue de la gamme des D50 était moins large qu’à T1 (T2 : D50 minimum = 2 111,42 µm et D50 maximum = 4 099,99 µm) (fig. 7).

Indicateur de qualité de vie en relation avec la santé orale : questionnaire GOHAI

Le score moyen du GOHAI à T1 (42,2) était inférieur au score moyen à T2 (51,6), cette différence étant statistiquement significative (p < 0,01, test t de Student).

L’observation des résultats pour chacun des patients individuellement a montré qu’à T1, la majorité des patients avait un score de GOHAI inférieur à 50 et aucun d’eux ne présentait un score supérieur à 57. En revanche, à T2, la qualité de vie a évolué puisqu’une plus faible proportion de patients avait un niveau de qualité de vie oral bas. La majorité des patients se trouvaient à T2 avec un score de GOHAI supérieur à 50 et présentaient donc une bonne qualité de vie orale (fig. 8).

Discussion

Une relation existe entre édentement et alimentation. Ainsi, la diminution des capacités masticatoires conduit les patients porteurs de prothèses bimaxillaires à une sélection d’aliments pauvres en fibres et, parfois, à l’exclusion de certains aliments jugés trop difficiles à mastiquer.

De très nombreuses variables interagissent pour conduire à la formation d’un bol alimentaire pouvant être dégluti. L’ensemble de ces variables donne une idée confuse de la mastication : c’est ainsi que certains indicateurs ont été mis au point, sur lesquels notre étude s’appuie pour comparer et classifier les résultats.

Ainsi, la fréquence masticatoire a été retenue comme indicateurs discriminant une fonction normale d’une fonction déficiente [2]. Par ailleurs, les patients présentant une mastication normale sont capables d’adapter leur mastication et cette adaptation se produit sans modification de la fréquence masticatoire Cela est d’ailleurs plus clairement mis en évidence par les études ayant recours à des aliments modèles [9]. En effet chez le sujet denté sain, la fréquence masticatoire reste quasiment constante lors de la répétition de tests pour un aliment donné, notamment malgré une augmentation de la dureté d’aliments modèles viscoélastiques [10]. Peyron et al. [11] ont aussi montré qu’avec l’âge, le nombre de cycles masticatoires et l’activité électromyographique sont augmentés par rapport à une population jeune dentée, mais que les personnes âgées restent aptes à adapter leur mastication à la dureté des aliments. Dans notre étude, l’augmentation du nombre de cycles et de la durée de la séquence liée à l’augmentation de la dureté des aliments modèles montre que les patients sont capables de s’adapter. Ces résultats sont en accord avec ceux retrouvés pour une population de patients porteurs de prothèses bimaxillaires [12]. En cas de mastication altérée, une variation de la fréquence masticatoire est mise en évidence comme chez les patients trisomiques, les patients présentant des désordres temporo-mandibulaires, voire les sujets édentés porteurs de prothèses complètes. Dans notre étude, la fréquence de mastication pour trois gélatines de dureté croissante s’avère inchangée au temps T1, de même qu’à T2, ce qui indique que les patients répondent aux critères d’une mastication saine. Les patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire ne sont pas amenés, comme les patients totalement édentés, à adopter un comportement intermédiaire (où la fréquence varie pour les aliments de dureté élevée) [2] ; on peut ainsi considérer qu’ils sont moins déficients.

En revanche, si nos résultats montrent qu’il n’y a pas de modification significative du nombre de cycles et de la durée de la séquence masticatoire, après le renouvellement de la prothèse, la fréquence, elle, augmente pour les aliments naturels (carotte et cacahuètes) mais également pour la gélatine 2. Cette augmentation de la fréquence de mastication, qui va dans le sens d’une amélioration de la fonction, peut être reliée à la meilleure adaptation des prothèses. La fréquence pour la gélatine 1 n’est pas modifiée de façon significative. Il s’agit de la gélatine ayant la plus faible dureté, elle est donc facile à mastiquer même pour des patients ayant des prothèses inadaptées. Dans le cas extrême de la gélatine 3, la fréquence n’est pas modifiée significativement après le renouvellement, ce qui montre que la fonction masticatoire des patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire n’a pas pu s’améliorer au-delà d’un certain seuil.

Pour expliquer l’augmentation de la fréquence masticatoire avec le renouvellement des prothèses, deux hypothèses sont possibles.

La première est la suivante : une meilleure adaptation et une meilleure rétention de la prothèse permettent de diminuer la contribution nécessaire à la stabilisation par les lèvres et les joues ; la mastication peut s’effectuer avec une fréquence plus grande. L’augmentation de la fréquence peut être interprétée comme la possibilité pour le sujet de réaliser un plus grand nombre de cycles au cours de la même durée de la séquence masticatoire. Si une partie du temps nécessaire à la réalisation d’un cycle masticatoire est dévolue à la stabilisation de la prothèse, la fréquence est diminuée (moins de cycles sont réalisés au cours la même durée). C’est ainsi qu’après le renouvellement des prothèses complètes bimaxillaires, on observe une amélioration de la fréquence masticatoire. Dans ce sens, l’étude de Garrett tend à montrer une réduction de l’activité électromyographique du temporal et de la durée des cycles après amélioration de la rétention des prothèses bimaxillaires. Le renouvellement ou l’amélioration de la rétention de prothèses bimaxillaires non adaptées produit un effet bénéfique sur les efforts musculaires pendant la séquence masticatoire, mais sans modifier à moyen terme la qualité du bol alimentaire préparé [13].

La seconde hypothèse repose sur le système de régulation de la fonction masticatoire. Le programme masticatoire est modulé par le rétrocontrôle somesthésique. La somesthésie est assurée par les afférences sensorielles, les afférences muqueuses et parodontales [14, 15]. De plus, on sait que la fréquence diminue avec l’augmentation de l’édentement mais augmente avec la qualité des contacts dentaires [4]. Avec la perte de l’adaptation de la prothèse, l’effet « édentement » semble plus marqué, c’est-à-dire que la perte de stabilité des prothèses ne permet plus d’assurer des contacts dento-prothétiques reproductibles influant sur la stimulation des récepteurs parodontaux ; de même, ce défaut d’adaptation ne permet plus la même stimulation des fibres sensorielles de la muqueuse orale. Ainsi, si avec la perte des dents ces fibres sont déjà réorganisées avec une plus faible densité, les performances masticatoires seront encore plus altérées par un rétrocontrôle sensoriel perturbé [15].

L’objectif de la mastication est de constituer un bol alimentaire sain, non dangereux à la déglutition. La qualité de la préparation du bol en termes de granulométrie (pour des aliments réduits en petites particules) est déterminante. Comme évoqué précédemment, la taille des particules déglutie est un des critères essentiels de l’évaluation de l’efficacité masticatoire. Woda et al. [16] ont d’ailleurs proposé le MNI (masticatory normative indicator) qui permet une approche quantitative dans l’évaluation de l’efficacité masticatoire [8]. Le MNI propose une valeur du D50 des carottes pour laquelle la mastication est efficace et, donc, il permet de différencier les sujets dont la fonction masticatoire est altérée de ceux avec une fonction normale [16]. Dans notre étude, après le renouvellement des prothèses unimaxillaires, les résultats montrent une diminution significative de la taille moyenne des particules du bol recraché, ce qui permet de mieux répondre aux objectifs d’une mastication efficace et d’une déglutition saine. Par ailleurs, il est important de remarquer que même avant le renouvellement des prothèses, le D50 moyen des carottes de notre population est inférieur à 4 mm. Ainsi, d’après le MNI, il semblerait que cette population ne soit pas déficiente du point de vue de la mastication même avec des prothèses qui ne sont pas totalement satisfaisantes. Par ailleurs, si l’on considère les sujets individuellement, on note que le renouvellement des prothèses permet de limiter considérablement le risque de déglutir un bol insuffisamment prêt.

Après une évaluation objective des capacités masticatoires, une approche subjective est possible grâce au GOHAI. La qualité de vie de tous les patients après renouvellement de leurs prothèses est significativement améliorée. Ces résultats sont en accord avec ceux rapportés chez les patients porteurs de prothèses bimaxillaires avec le même questionnaire, mais aussi avec les résultats de Garrett montrant que même si l’efficacité masticatoire n’est pas modifiée, les patients perçoivent une amélioration du confort et de l’habileté à mastiquer ainsi qu’un plus grand plaisir à manger [1, 17].

Les patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire restent donc, dans tous les cas, dans une fonction masticatoire normale bien que diminuée.

Conclusion

Cette étude apporte des données objectives, quantitatives, concernant la fonction masticatoire des patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire. Bien que leurs performances masticatoires soient inférieures à celles des sujets dentés, ils conservent pourtant les caractéristiques d’une mastication saine. Le renouvellement des prothèses unimaxillaires permet aussi de rétablir une fonction masticatoire se rapprochant de celle du sujet denté. Ainsi, le bénéfice du renouvellement ne se limite pas seulement à une meilleure perception de la fonction par les patients.

Les patients porteurs d’une prothèse unimaxillaire maxillaire, malgré un édentement de forte étendue (moins de 20 dents étant encore présentes sur l’arcade) ne montrent pas une fonction déficiente. Il s’agit d’une population dont les capacités d’adaptation sont conservées. Les patients sont capables de mastiquer des aliments durs, cassants, viscoélastiques et ils n’ont pas besoin de sélectionner leurs aliments. Le renouvellement des prothèses unimaxillaires permet aussi une amélioration systématique de la qualité de vie.

En conclusion, les patients édentés au maxillaire traités par la prothèse amovible complète ne constituent pas une population à risque vis-à-vis des troubles nutritionnels.

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Liens d’intérêt : les auteurs confirment n’avoir aucun lien d’intérêt à déclarer.

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